Durant les huit semaines de cette période intermédiaire, jetons un œil dans les coulisses de l’Eurovision 2021 et traçons le portrait de seize de ses piliers discrets, producteurs, auteurs, chorégraphes, designers ou encore directeurs artistiques. Tous concourent à la réussite de cette soixante-cinquième édition, tous méritent d’être mis en avant.

Aujourd’hui, retrouvons un compositeur qui n’est jamais apparu face caméra à l’Eurovision (et pour cause), mais qui en est devenu consubstantiel. Mais qui est Marc-Antoine Charpentier ?

PARCOURS ACADÉMIQUE ET MUSICAL

Marc-Antoine Charpentier naît en 1643 à Paris (ou dans sa région proche), au sein d’une famille liée aux parlementaires parisiens. Il suit une scolarité poussée auprès des Jésuites et à dix-huit ans, débute des études de droit. Mais sa passion pour la musique l’emporte. Il abandonne le droit et part deux ans à Rome, de 1667 à 1669. Il y reçoit l’enseignement du compositeur Giacomo Carissimi.

À son retour en France, il devient compositeur attaché à la duchesse de Guise. Il le restera dix-sept ans et composera de nombreux morceaux en son honneur. Il compose également pour la duchesse d’Angoulême, nièce par alliance de la duchesse et cousine germaine de Louis XIV. Il collabore avec des dramaturges comme Molière et Corneille, composant des morceaux pour leurs pièces.

En 1679, il entre également au service de Monseigneur le Grand Dauphin, fils de Louis XIV. En 1683, il devient bénéficiaire d’une pension royale et compose pour les événements de la cour. À la mort de la duchesse de Guise, en 1688, il devient compositeur des Jésuites, d’abord attaché au Collège Louis-le-Grand, puis à l’Église Saint-Louis. Il est également promu professeur de musique du duc de Chartres, neveu de Louis XIV et futur Régent.

En 1698, il devient maître de musique de la Sainte-Chapelle. Il y meurt le 24 février 1704, laissant derrière lui 554 œuvres répertoriées et ayant profondément influencé la musique française du XVIIe siècle, tant par ses essais théoriques que par ses compositions. Il aura touché à tous les genres : musique sacrée, opéras, cantates, chansons sérieuses, chansons à boire (sic) ou encore pastorales.

Parmi cet ensemble, six Te Deum. Quatre ont été conservés (H.145 de 1670, H.146 de 1690, H.147 de 1690 et H.148 de 1698), deux ont été perdus. L’appellation Te Deum vient de la première strophe rituelle de ces œuvres : Te Deum laudamus (Dieu, nous te louons). Chant traditionnel de remerciement liturgique adressé à Dieu, le Te Deum remonte aux origines du christianisme et est déjà mentionné dans la règle de Saint-Benoit, rédigée aux alentours de 530.

Il devient ensuite un passage obligé des grands événements religieux, puis politiques : sacres de rois, élections de papes, victoires sur les champs de bataille, etc. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il connaît une popularité renouvelée. Le règne de Louis XIV en ainsi ponctué. Selon la tradition, le Te Deum H.146 aurait été joué pour la première fois en 1692, pour marquer la victoire française à la bataille de Steinkerque. Les troupes de Louis XIV, menées par le maréchal de Luxembourg, y avaient défait les troupes coalisées de la ligue d’Augsbourg (Saint-Empire, Angleterre, Écosse, Danemark, Espagne, Suède, Bavière et Provinces-Unies), menées par Guillaume d’Orange. Une victoire d’importance dans la Guerre de Neuf Ans, soldée en 1697 par les traités de Ryswick.

À L’EUROVISION

Après sa mort, Marc-Antoine Charpentier tombe rapidement dans l’oubli. Il n’est redécouvert que dans les années 1950, grâce à l’action du musicologue et homme de radio français d’origine belge, Carl de Nys. Ce dernier, ayant dédié sa vie à la musique classique française, exhume des œuvres et des compositeurs oubliés et les présente au grand public durant ses émissions de radio et les concerts qu’il organise. Pour maintenir l’intérêt, il publie également ses trouvailles sur son label.

En 1953, il exhume ainsi le Te Deum H.146 de 1690 et promeut son prélude sur les ondes. Le morceau rencontre un nouveau succès. Or, à ce moment précis, les dirigeants de l’Union Européenne de Radiotélévision, fondée en 1950, cherchent un hymne permettant d’identifier leurs programmes et diffusions. Ils avaient d’abord songé à une création spécifique, mais avaient renoncé à cette idée, pour des raisons de droits d’auteurs et de rémunération conséquente.

L’histoire n’a pas conservé le nom du dirigeant qui songea au prélude de ce Te Deum H.146. Sa proposition est rapidement acceptée, le morceau présentant les avantages d’être libre de droit, universellement reconnaissable et empreint d’un classicisme de bon teint. Le 8 septembre 1953, il devient officiellement l’hymne de l’Union, qui ainsi, manifeste sa volonté d’unité.

Le 6 juin 1954, le prélude retentit pour la première fois dans ses nouvelles fonctions, ouvrant la toute première émission en Eurovision de l’histoire, un programme portant sur la Fête des Narcisses organisée à Montreux en Suisse. Et le 24 mai 1956, il inaugure à nouveau le premier programme produit en commun par les membres de l’UER, programme destinée à un grand avenir : le Grand Prix Eurovision de la Chanson, ensuite rebaptisé Concours Eurovision de la Chanson.

Le prélude accompagne ensuite l’Eurovision, au point d’en devenir un marqueur identitaire et reconnaissable par tous. Renouvelé subtilement au fil des décennies, il a été remixé, réinterprété, revisité de toutes les façons imaginables. Sa dernière version officielle date de 2012 et baptise le nouveau logo de l’Eurovision.

CONCLUSION

L’Histoire est un curieux jeu de balançoire mémoriel : un jour, célèbre ; le lendemain, oublié ; le surlendemain, célèbre à nouveau. Grâce à l’Eurovision, Marc-Antoine Charpentier aura acquis une popularité renouvelée et inscrit son nom dans la culture pop contemporaine. Ce prélude le sauve des ténèbres de l’oubli pour longtemps et met en lumière son œuvre de compositeur de cour à l’influence déterminante, quoique mésestimée. À se demander lequel des compositeurs du XXIe siècle connaîtra pareil destin au XXVe…

C’est sur cette grave question que se conclut cette série Côté coulisses. J’espère que grâce à elle, vous aurez découvert le parcours d’artistes et de personnalités inspirantes. Pensez à eux quand le prélude du Te Deum retentira, car sans leurs talents, point d’Eurovision 2021. Quant à moi, je vous remercie pour votre fidélité et vos commentaires. Je vous retrouve samedi sans faute pour les premières répétitions !

Dans l’attente, retrouvez tous les autres portraits :