Retour pile dix ans en arrière pour ce nouvel entretien avec une eurostar. Nous sommes alors en 1976. MĂŞme si elle marque lĂ©gèrement le pas au dĂ©but des annĂ©es 1970 et se trouve forcĂ©e de retrait en 1974, la France reste l’un des pays phares du concours, et elle va encore nous le prouver Ă  un an seulement de sa cinquième (et dernière) victoire au concours Ă  ce jour.

Je t'aime
Jouez jouez musiciens
Enchante-moi magicien
Tourne, tourne dans ma tĂŞte Ă  moi
Fait briller les yeux des enfants rois

Nous sommes Ă  La Haye, puisqu’en 1975, c’est un mythique Ding-a-Dong qui avait triomphĂ© sur la scène du St Eriksmässan Ă„lvsjö de Stockholm pendant qu’une artiste française en vogue chantait un bonjour Ă  lui, l’artiste. Cette annĂ©e-lĂ , en 1976 donc, TF1 dĂ©cide d’organiser pour la première fois une sĂ©lection nationale tĂ©lĂ©visĂ©e, dont le public dĂ©cide d’envoyer au concours une jeune artiste jusqu’alors inconnue. Il lui suffira pourtant de compter jusqu’Ă  trois en moins de trois minutes pour obtenir une magnifique mĂ©daille d’argent et surtout passer de l’ombre Ă  la lumière : voici Catherine Ferry.

Classement : 2ème en 1976 (147 points)

C’est par tĂ©lĂ©phone que Catherine Ferry nous a fait le plaisir et l’honneur de nous accorder cet Ă©change.

EAQ – Comment t’es-tu retrouvĂ©e Ă  participer Ă  l’Eurovision ?

Catherine Ferry – J’ai tellement l’habitude de rĂ©pĂ©ter cette histoire depuis quarante-quatre ans. C’était en 1976. Avec Daniel Balavoine, qui n’était pas connu Ă  l’époque, j’enregistrais la chanson Giulia, mon coeur. Jean-Paul Cara est venu voir LĂ©o Missir qui, Ă  l’époque, Ă©tait mon producteur chez Barclay. Il nous a fait Ă©couter une chanson qui s’appelait Un, deux, trois et ça s’est fait comme ça. Au dĂ©but, on n’était pas très chaud pour le faire, puis on a acceptĂ©. J’ai Ă©tĂ© la première Ă  participer au concours de la chanson française, l’annĂ©e avant Marie Myriam. C’était la première annĂ©e que TF1 organisait cette Ă©mission. C’est ainsi que la chanson a Ă©tĂ© choisie pour participer Ă  l’Eurovision. Tout le monde me disait pourtant de ne pas le faire en me disant que participer Ă  l’Eurovision avec un premier titre risquait de me coller Ă  la peau pour longtemps.  Et puis en fait non. Au contraire, Ă  moins d’enlever l’étiquette Eurovision par la suite, ça ouvre des portes, et c’est gĂ©nial.

C’est une Ă©tiquette que tu as portĂ© tout au long de ta carrière ou tu as su t’en dĂ©faire ?

Elle est restée pendant un certain temps. Comme je l’ai souvent dit, la chanson s’appelait Un, deux, trois et les gens attendaient Quatre, cinq, six ; Sept, huit, neuf ; Dix, onze, douze. Après, avec Daniel, on a eu envie de travailler mes chansons. Giulia, mon cœur n’aurait peut-être pas eu cet aspect s’il n’y avait pas eu l’Eurovision. On l’aurait peut-être faite plus rock ou autrement, je ne sais pas. On a quand même suivi la ligne de l’Eurovision. On a fait tout un album. Par la suite, il a fallu que je change de maison de disques et que je parte dans tout à fait autre chose pour m’en distancier. J’ai quitté la maison Barclay en 1980. Mais ça reste. À part quand on s’appelle ABBA… Des artistes ont fait une belle carrière après l’Eurovision, mais ce n’est pas toujours le cas.

Lors de ta participation, tu finis Ă  une magnifique deuxième place et tu dĂ©tiens mĂŞme le record de points pour la France jusqu’en 2016 !

Oui. On m’a dit que c’était Amir dĂ©sormais. Mais cela ne veut plus rien dire maintenant. Ce n’est pas du tout le mĂŞme système de vote qu’à l’époque. Les jurys l’avaient placĂ© troisième, le public neuvième et il finit sixième. Ce n’est pas comparable Ă  ce que nous avions Ă  notre Ă©poque. Je ne savais mĂŞme pas que j’étais celle qui avait obtenu le plus de points pour la France. Je ne sais plus qui l’a calculĂ© parmi les fans. Sincèrement, ce n’est pas important. J’étais deuxième. Marie n’avait peut-ĂŞtre pas eu autant de points, mais elle Ă©tait première (rires). Mais mĂŞme en Ă©tant deuxième, j’étais le Poulidor de la chanson (rires) et ça m’a permis de voyager dans le monde et de faire plein de choses. C’est quand mĂŞme un beau tremplin pour une chanteuse qui dĂ©bute. J’aurais peut-ĂŞtre ramĂ© davantage sans l’Eurovision. Après, c’est Ă  double tranchant. Tu es projetĂ© sur le devant de la scène quand tu es numĂ©ro 1 … Parce que je gagne le concours de la chanson française et je termine deuxième au concours, mais pour les gens, en France, c’est comme si j’avais gagnĂ©. C’est d’ailleurs restĂ©. Plein de gens me disaient « Vous avez gagnĂ© l’Eurovision ! » et je rĂ©pondais « Ah non ! J’ai fini deuxième ». C’était tellement important Ă  l’époque. C’est vrai que quand je vois comment le concours de l’Eurovision est descendu tellement bas dans ce qu’il s’y passe aujourd’hui, je trouve ça triste. Ça n’a plus rien Ă  voir ! Parce que c’était super, l’Eurovision, pour notre pĂ©riode en tout cas. Jusqu’à la fin des annĂ©es 70 je dirais. C’est après que ça a un peu commencĂ© Ă  dĂ©gĂ©nĂ©rer.

C’est-Ă -dire ?

Je ne sais pas. C’était différent.

C’est un programme que tu suis toujours ?

Maintenant, non, parce qu’à chaque fois, je trouve ça absurde. Je trouve qu’il n’y a pas de chansons marquantes. Je l’aurais peut-être regardé cette année parce que j’aimais bien le fils de Leeb. Je trouvais sa chanson pas mal. Pour une fois, on avait un beau gars, qui chante bien. Sinon, sincèrement, depuis un bout de temps, les chansons ne sont pas terribles. Il n’y a rien d’exceptionnel. Regarde comment les représentants français sont classés depuis tout ce temps.

Justement, quelles solutions verrais-tu pour qu’on obtienne de meilleurs classements ?

Je dis ça en blaguant, mais il faudrait reprendre Jean-Paul Cara, parce que c’était quand mĂŞme l’un des seuls qui pendant trois ou quatre annĂ©es de suite a fait des chansons incroyablement populaires pour l’Eurovision. C’étaient de vraies mĂ©lodies. C’étaient des chansons qui se retenaient. La mienne Ă©tait Ă©vidente et celle de Marie n’en parlons pas. D’ailleurs pourquoi Marie est-elle appelĂ©e Ă  chaque fois que l’Eurovision a lieu ? Moi aussi d’ailleurs, mais je refuse, parce que ça m’ennuie au bout d’un moment. Je prĂ©fère que ce soit Marie. C’est elle qui a gagnĂ©. Moi, je suis deuxième. C’est fou qu’au bout de quarante-trois ans, personne ne l’ait battue. Et ce n’est pas demain la veille que quelqu’un la battra. Ce n’est pas possible. Parce que ça n’a plus rien Ă  voir. Aujourd’hui, ce sont les pays de l’est qui dominent le jeu, avec leurs Ă©changes de votes. De toute façon, il y a toujours eu des Ă©changes de votes. Si j’ai perdu Ă  l’Eurovision en 1976, c’est parce qu’il y avait des histoires avec certains pays. C’était très politisĂ© l’Eurovision Ă  une pĂ©riode.

Ah bon ?

Mais bien sûr ! Tous les pays d’Europe m’avaient donné des points incroyables, mais certains avaient des problèmes avec la France et m’ont donné des notes inférieures à celles des autres. C’est ce qui m’a fait perdre. Peut-être que ce serait la même chose aujourd’hui. Il y a toujours eu des consignes de vote en faveur de certains pays et pas d’autres.

Le concours se dĂ©roulait Ă  La Haye, c’est bien ça ?

Oui, c’était Ă  La Haye, parce que le groupe nĂ©erlandais Teach-In avait remportĂ© le concours l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente avec Ding-a-dong. J’adorais cette chanson. C’était un tube Ă©norme ! Mais est-ce que tu peux chanter une chanson de l’Eurovision d’il y a sept, huit dix ou vingt ans ? Non. Je suis incapable de te chanter une chanson d’il y a vingt ans. Par contre, je peux te chanter la chanson Ding-a-dong (elle chantonne le couplet et le refrain de la chanson). C’étaient des tubes. Parce qu’il y avait des mĂ©lodies. C’était juste gĂ©nial. Je pense que Marie a une chanson tellement exceptionnelle … et puis les voix ! Ils choisissaient des voix. Maintenant, tous les artistes chantent de la mĂŞme façon. Si je suis lĂ , je vais regarder l’Eurovision, mais en zappant sur d’autres chaĂ®nes. Je regarde juste le dĂ©but de la chanson. Parce que voilĂ , il n’y a pas. Il n’y a plus. Tout le monde chante en anglais. A l’époque de Marie et moi, les gens commençaient Ă  chanter en anglais, c’est un fait, mais très peu, car la plupart des artistes chantaient dans leurs langues. Je comprends que des pays comme l’Allemagne chantent en anglais, parce que l’allemand est une langue dure, et encore il y a eu de grands tubes chantĂ©s en allemand. Warum, c’est l’Eurovision ! Et la chanson est très belle en allemand. Je pense que quand il y a une vraie chanson, la langue n’est pas un problème. Aujourd’hui, tout le monde chante en anglais, tout le monde a des trucs sur scène … Ça n’a plus rien Ă  voir. C’est pour ça que je dis que ça ne peut plus marcher, ou alors il faut que ça Ă©volue.

Surtout que l’Eurovision est devenu un vrai show scénique par rapport à l’époque.

Ah mais c’était du grand spectacle ! Nous étions regardés par soixante millions de téléspectateurs. Il y a avait beaucoup de caméras. C’étaient les années les plus importantes, parce que les gens ne voulaient pas rater l’Eurovision. On avait moins de chaînes de télévision. L’Eurovision commençait quand on entendait la musique retentir (elle chantonne l’hymne de Marc-Antoine Charpentier). Il y avait un côté très patriotique. Tandis que maintenant, on regarde Les Anges de la télé-réalité ou autre chose, parce qu’il y a quarante mille chaînes. Les gens n’en ont plus rien à faire du concours. La télévision a évolué, avec des émissions de mauvaise qualité. Les jeunes préfèrent voir des physiques artificiels et regarder les Kardashian plutôt que l’Eurovision. Peut-être qu’il y a encore une clientèle, mais ce n’est plus la même. C’est un autre monde pour moi (rires).

Revenons en 1976. Ă€ ton arrivĂ©e Ă  La Haye, tu es une jeune chanteuse. C’est ta première grande scène ?

Tu peux même dire que je suis une chanteuse débutante. L’Eurovision est vraiment ma première scène importante. J’y débute. J’essuie les plâtres. Je suis propulsée du jour au lendemain.  J’apprends le métier sur le tas. C’est très fort. C’est très dur, parce que je n’étais pas prête à ça. Je n’étais pas prête à être jugée comme ça du jour au lendemain. Je n’étais jamais chez moi. C’est un engrenage inimaginable.

Tout d’un coup, tu te retrouves propulsée sur le devant de la scène, dans un concours très populaire et mythique.

Je pars de la Haye en Ă©tant deuxième. On part en avion et on me dit qu’on ne peut pas rentrer Ă  Paris tout de suite, parce qu’il faut que j’aille Ă  Lille. On atterrit Ă  l’aĂ©roport de Lille, on vient me chercher pour aller Ă  La bulle RTL. Dans les annĂ©es 70, c’était quelque chose d’immense, avec des milliers de personnes dehors. Je suis arrivĂ©e comme si j’étais la plus grande star du monde. Je me demandais pourquoi les gens criaient mon nom. Je ne comprenais mĂŞme pas ! C’était fabuleux. C’est tellement fort quand tu es jeune … Tu as vingt-deux balais et tu te retrouves avec tout ce que tu n’avais pas avant. Tu te dis « Ah bon. Ça fait ça ? Â», parce que tu ne te rends pas compte. J’étais Ă  La Haye, j’en pars deuxième, mais je n’étais « que Â» deuxième, je n’avais pas gagnĂ©. Et ce qu’il se passait Ă©tait dĂ©mentiel.

Par la suite, que dirais-tu que l’Eurovision a apporté à ta carrière ?

J’ai voyagé pendant deux ans à travers le monde. Après, j’ai connu une descente aux enfers qui n’est pas toujours évidente. Je ne me trouvais plus, la maison de disques ne faisait pas ce qu’il fallait, et ma vie privée était compliquée parce je n’étais jamais là. Cela a eu des impacts. Il a fallu que je quitte la maison Barclay et que je parte complètement dans autre chose pour me sortir de cette période. De 1976 à 1978, j’ai voyagé, j’étais sans cesse absente. Après, il y a eu cette période difficile des années 1978 à 1981.  Tu ne te remets pas d’un succès comme ça, c’est impossible. C’est très dur. J’ai connu un changement d’équipe et il y a avait beaucoup de personnes que je ne connaissais pas et qui ne travaillaient pas comme moi. C’est après que j’ai repris mon équipe précédente, l’équipe Balavoine et que j’ai resigné chez la Warner. C’est là que j’ai revendu énormément de disques avec d’autres titres.

Au cours des années 80, il y a eu des succès.

C’était différent. C’est pour cela que je distingue toujours les années 70 des années 80. C’était quelque chose. Il y a eu Bonjour bonjour, Ne grandis pas, le conte musical Abracadabra. Il y a tout un tas de choses qui se font. Ces cinq années avant que Daniel nous quitte ont été fabuleuses. Parce que ma carrière s’est arrêtée au moment où Daniel s’est tué. Sans Daniel, ils ne m’ont pas fait de cadeau. Comme c’est Daniel qui s’occupait de tout, et qu’il était devenu si célèbre, à partir de là … Comme je le dis si souvent, on m’a enterrée avec lui. Attention, j’ai continué à faire des disques, mais les maisons de disques et les radios ne marchaient pas. C’est comme ça que j’ai quitté Paris – j’ai failli dire la France (rires) – et que je me suis installée en province, où je suis très bien depuis trente ans. Ce n’est pas toujours tout beau, tout rose.

Une carrière, ce sont des hauts et des bas. Ce n’est jamais uniforme.

Bien sĂ»r ! C’est comme ça. Ă€ prĂ©sent, j’ai tout arrĂŞtĂ© depuis plus de cinq ans. Je fais Ă©normĂ©ment de choses, je fais de la radio par tĂ©lĂ©phone, il y a beaucoup de livres sur Balavoine qui vont ĂŞtre publiĂ©s et dans lesquels je figure, il y a un coffret qui va sortir … Il y a des choses qui se passent, mais sur internet. Je ne fais plus de spectacles, ça ne m’intĂ©resse plus. Ă€ mon âge, je laisse la place aux jeunes.

Je me souviens d’une prestation de toi chez Sébastien il y a quelques années.

C’était en 2011. J’avais fait tout un tas d’émissions, et notamment Sébastien, Les grands du rire avec Yves Lecoq sur France 3. C’était pour promouvoir la sortie sur Internet d’un best-of des années 80. Mais on ne le trouve que sur internet. Aucune maison de disques n’a suivi. De toute façon, les maisons de disques ne fonctionnent plus aujourd’hui. C’est fini. Bientôt, il n’y en aura plus. Je pense qu’elles ont eu leur belle époque, mais qu’elles n’ont pas su s’adapter. Je faisais les émissions en disant qu’on pouvait le trouver légalement sur internet et des gens se plaignaient « Oh, mais moi, je veux le disque en vrai ! ». « Non, ce n’est pas possible » (rires). Il n’y avait pas de maisons de disques, c’est tout. Et si vraiment des fans le veulent, ils peuvent le trouver sur internet.

Participer Ă  des tournĂ©es nostalgie, ça ne t’a jamais intĂ©ressĂ©e ?

On ne m’a jamais vraiment demandĂ©. Quand j’ai fait SĂ©bastien en 2011, il m’a demandĂ© pourquoi je ne ferais pas Stars 80. Ce n’est basĂ© que sur les gens qui ont figurĂ© au top 50. Je trouve ça dommage, parce que j’ai quand mĂŞme vendu 350 000 disques avec Bonjour, bonjour et le top 50 n’existait pas Ă  l’époque. Il n’est arrivĂ© qu’en 1985, peu de temps avant la mort de Daniel. Dans les annĂ©es 80, on vendait Ă©normĂ©ment de disques et ils ne tiennent pas compte de ça. Et puis quelque part, je trouve ça assez pathĂ©tique, je vais te le dire sincèrement, donc je n’ai pas trop envie de le faire. Je suis Ă  la retraite maintenant, je touche ma pension (rires) et je me dis que je n’en ai plus besoin. Ă€ une pĂ©riode c’était difficile. Il faudrait vraiment qu’il y ait quelque chose qui m’intĂ©resse et que ce soit simple, pas compliquĂ© et pas prise de tĂŞte. Sinon, ça ne m’intĂ©resse plus.

Si on revient en 1976, des souvenirs t’ont particulièrement marquĂ© pendant ta participation au concours ?

Il y a plein de choses, mais ce sont des anecdotes qui ont tellement été racontées … comme l’histoire de ma robe, que j’avais raconté à Sébastien.

Je ne la connais pas !

Quand on est arrivé à La Haye, j’avais une robe blanche. Lorsqu’on a fait les répétitions, la veille ou le matin même – heureusement qu’on répétait à ce moment là –, on nous a demandé de nous habiller en tenue de spectacle. Je m’habille et un mec vient en me disant « Ah non, votre robe, ce n’est pas possible, il y a des trucs brillants, ça ne passe pas à l’antenne, ça ne va pas sur le décor, et on ne va pas changer le décor, donc il faut que vous changiez de robe. » Mais moi, je n’avais pas d’autre robe ! J’étais en jean et je n’avais pas d’autre robe du soir que celle que la maison de disques avait acheté pour moi ! C’est donc Léo Missir, mon producteur de l’époque, qui a appelé Eddie Barclay en lui demandant d’aller dans la boutique où la robe avait été achetée et de ramener la même, mais dans une autre couleur, n’importe laquelle. C’est Barclay qui m’a amené la robe lorsqu’il est venu me rejoindre à La Haye. Et elle était rouge. Sauf qu’il a fallu faire venir des couturières, parce qu’elle n’était pas tout à fait à ma taille. À l’époque, j’avais une taille de guêpe, je ne pesais que quarante-quatre kilos (rires). J’étais une gamine toute menue, et ils ont donc reprisé la robe. C’était l’enfer avant de passer le soir de l’Eurovision. Mais lors de ma prestation, j’avais une robe parfaite, qui était rouge au lieu d’être blanche.

Tu as d’autres moments à partager avec nous ?

Un autre souvenir, c’est celui de regarder les vainqueurs, Brotherhood of Man, pendant les répétitions, qui me disaient « C’est you ou me ! ». Je répondais « On verra ! Que le meilleur gagne » (rires). Mais c’est vrai que j’ai eu de très bons moments avec eux. Je garde également de beaux souvenirs avec Mary Christy, qui représentait Monaco. J’adorais son titre. On a passé de très bons moments ensemble. C’est quelqu’un que je ne connaissais pas, mais que Daniel connaissait, parce qu’ils avaient travaillé ensemble et quelle chanteuse c’était ! J’adorais la voix. Et sa chanson (elle chantonne) « Nous vivrons toi, la musique et moi, simplement toi la musique et moi, dans un monde nouveau presque irréel… ». C’étaient de belles chansons. Elle a terminé troisième, Mary Christy.

Quand tu es arrivĂ©e lĂ -bas, tu avais la statut de favorite ?

Pas spĂ©cialement, parce qu’il y avait quand mĂŞme l’Italie avec Al Bano et Romina Power. C’était un tube Ă©norme. Quand on Ă©coutait la chanson de Brotherhood of man aux rĂ©pĂ©titions, on se disait que c’était eux qui allaient gagner. Moi, je me disais que si on finissait dans les dix premiers, c’était tant mieux. Je pense que c’est un tout et la chanson a plu. Comme disait Delpech quand j’ai fait l’émission, c’est une chanson qui est fraĂ®che, plaisante, qui se retient. Parce qu’on ne peut pas dire que c’est ma voix. C’était mes dĂ©buts et je trouvais que je chantais mal (rires). C’est comme quand tu viens d’avoir ton permis de conduire : au dĂ©but, tu ne sais pas conduire. Après, tu apprends avec le temps. Chanter, c’est la mĂŞme chose. Ta voix se forme et se fait petit Ă  petit.

Quand tu finis deuxième, c’est la satisfaction qui prime ?

On Ă©tait heureux ! Je pense que Jean-Paul Cara Ă©tait très déçu, parce qu’on a vraiment failli gagner. C’est vrai que je le comprends mais nous, on Ă©tait heureux. Deuxième, c’est une belle place ! Il n’y en a pas beaucoup qui ont Ă©tĂ© deuxièmes depuis moi (rires).

Il n’y en a eu que deux !

Il y a eu JoĂ«lle Ursull et …

Amina. (Il chantonne) « C’est le dernier qui a parlĂ© qui a raison, dans ta maison … Â»

C’était quand ?

En 1991.

Je ne m’en rappelle pas. Je me souviens de JoĂ«lle Ursull, parce que c’était Gainsbourg. C’est une belle place quand tu es deuxième. Nous, on espĂ©rait surtout ĂŞtre dans les dix premiers pour ne pas ĂŞtre ridicules. C’est comme quand je vois ceux qui perdent et se retrouvent parfois avant-derniers. Jamais, jamais, de toute l’histoire de l’Eurovision la France n’a Ă©tĂ© dans les choux de la sorte. Jamais. Parce qu’Ă  l’Ă©poque, mĂŞme si on ne gagnait pas, c’étaient de belles chansons, qu’on retenait. Je trouve vraiment que l’Eurovision a perdu de son Ă©clat, de sa beautĂ© de l’époque.

Aucune chanson ne t’a accrochĂ© ces dernières annĂ©es ?

Pas du tout. Sincèrement. J’en avais aimĂ© une, mais je suis incapable de la chanter … parce que sincèrement je trouve qu’il n’y a pas de mĂ©lodie et qu’on ne les retient pas. Depuis, je ne peux en citer aucune. Je reste sur les mĂ©lodies de l’époque, par exemple celle d’IsraĂ«l lorsqu’ils ont gagnĂ© (elle chantonne) « Hallelujah … Â». Je crois que c’était en 1979.

En 1978, c’était A -ba-ni-bi.

(Elle chantonne) « A-ba-ni-bi … Â» Tu vois qu’on se rappelait des chansons ! On peut en chanter la mĂ©lodie. C’est tellement important ! Je prĂ©fère qu’on me dise qu’on ne sait pas qui est Catherine Ferry, mais qu’on chante (elle chantonne) « Un, deux, trois, … Â» et qu’on me dise « Ah, mais c’est vous qui chantez ça ? Â» MĂŞme si les gens ne m’ont pas vue pendant trente ans, mĂŞme des jeunes me disent qu’ils connaissent la chanson ! C’est drĂ´le, parce qu’on ne peut pas dire qu’on me voit souvent Ă  la tĂ©lĂ©vision.

Justement, tu finis deuxième en 1976 et l’annĂ©e suivante, Marie Myriam gagne. N’as-tu pas eu le sentiment au fil des annĂ©es d’être Ă©clipsĂ©e par cette victoire ?

Non, pas du tout, parce que quand j’ai entendu Marie chanter, je me suis dit que ce serait elle qui gagnerait. Elle m’a tellement bouleversé. On est amies avec Marie, même si on ne se téléphone pas tous les jours, surtout depuis que j’habite à Boulogne, on se voit beaucoup moins. Je me suis rendue à ses soixante ans et j’étais la seule chanteuse invitée, parmi d’autres gens du monde du spectacle. On a un lien fort toutes les deux, parce qu’on a fait l’Eurovision. Je pense qu’elle a sa place de première et comme je le dis toujours, j’ai ma place de Poulidor. Ce n’est pas péjoratif ! Il vient de mourir Pou-Pou, et c’était toujours le second. On dira ça de moi. Il y a ce côté-là qui reste chez les gens. « Catherine Ferry, c’est comme si elle avait gagné, mais elle a fini deuxième ». Combien de fois j’ai mis de côté les invitations pour parler de l’Eurovision en répondant qu’il y a Marie ? Car n’ai pas envie de le faire.

On te sollicite encore souvent par rapport Ă  l’Eurovision ?

Je refuse toujours, mais j’ai acceptĂ© l’interview, parce qu’on t’a mis sur mon chemin. Mais ça fait quarante-quatre ans… Je ne refuse pas de participer si on me demande de faire une interview par rapport Ă  Daniel. Maintenant, c’est davantage par rapport Ă  lui qu’on me sollicite, parce qu’il y a un lien, et que je vivais avec lui. Obligatoirement, on me pose beaucoup plus de questions sur Daniel, surtout que ça va faire trente-cinq ans qu’il est dĂ©cĂ©dĂ©. On m’appelle chaque annĂ©e pour l’anniversaire de sa mort. Il y a plein de choses qui sortent, dont des livres. Mais mĂŞme lĂ , j’ai mis le holĂ . Ils vont faire quelque chose d’important pour les trente-cinq ans, et après ça va s’arrĂŞter. Trois livres vont sortir et je suis dedans. On va me demander des interviews et je vais les faire. Qu’on m’appelle pour parler de l’Eurovision, qu’on me pose des questions, pourquoi pas, mais pas tout le temps. Je pense mĂŞme que Marie en a ras-le-bol au bout d’un certain moment (rires). Je l’entends dire chaque annĂ©e « On aimerait que quelqu’un gagne et qu’on nous foute la paix » (rires).

Daniel Balavoine est un homme et un artiste qui a compté dans ta vie et dans ta carrière. Qu’est-ce que ça fait d’avoir accompagné sa trajectoire ?

Quand on est sorti et qu’on a vĂ©cu ensemble, je le connaissais depuis 1971. On Ă©tait ami avant d’être ensemble. On est sorti ensemble en 1974 et il y a eu l’Eurovision en 1976. Daniel Ă©tait inconnu. J’aimais ce qu’il faisait. Je me battais pour lui. J’ai voulu que la face B de l’Eurovision soit une chanson de Daniel. Il Ă©tait inconnu ! Personne ne voulait de lui ! Parce qu’ils n’aimaient pas sa voix, ils n’aimaient pas ceci ou cela, ils disaient qu’il ne ferait jamais rien ce mec-lĂ . Et moi je disais « Bande d’imbĂ©ciles, il deviendra une Ă©norme star ! Â». J’ai toujours dit ça. Toujours ! Je savais qu’il deviendrait cĂ©lèbre. Ils auraient dĂ» me prendre dans les maisons de disques, parce que j’aurais su prendre d’autres artistes que ceux qu’ils ont maintenant (rires). C’est par la suite qu’il est devenu cĂ©lèbre. J’ai eu cette chance inouĂŻe. J’ai quittĂ© Daniel Ă  la fin des annĂ©es 70, et ma vie a changĂ©. Ça a Ă©tĂ© très dur. Alors, j’ai voyagĂ©, etc. mais tout en n’étant pas bien. La maison de disques ne faisait pas bien son travail.  Quand Daniel a vu ça … Il Ă©tait quand mĂŞme fâchĂ© parce que je l’avais laissĂ© tomber. Il y a eu une pĂ©riode oĂą c’était très dur. Parce que tout le temps oĂą Daniel n’était pas connu, c’était moi qui faisais cuire la marmite comme on dit. Je le laissais composer en lui disant de prendre son temps. Je ne lui demandais rien parce que je voulais qu’il compose, qu’il travaille, parce que je croyais Ă©normĂ©ment en ses chansons et en tout ce qu’il faisait. C’est comme ça qu’il a pu faire le mur de Berlin et qu’il est venu avec moi quand je suis allĂ©e en Pologne. On en avait parlĂ© dans l’émission de Delahousse. On s’est construit ensemble.

Durant la période où il a fait Starmania, on ne se voyait plus. Quand en 1980, alors qu’il était devenu une vedette, il a su que Barclay me faisait des problèmes, que la maison de disques ne s’occupait plus de moi et faisait n’importe quoi, il m’a invité à retravailler ensemble. Il m’a dit de faire mon dernier disque chez Barclay et c’est lui qui me l’a fait. On a retravaillé ensemble, sauf que cette fois, il était devenu célèbre. Il n’était plus l’inconnu. Je suis partie et je suis allée chez la Warner. C’est là qu’on a sorti Bonjour, bonjour et que, paf, on a tapé fort et on a fait 350 000 disques. Dès lors, on a vraiment bien retravaillé ensemble.  S’il n’y avait pas eu cette catastrophe, notre destin était tracé, parce qu’on devait continuer. Il voulait que je fasse ci et ça, me présenter des gens. Quelque chose était en train de se construire. Après, la vie est ainsi. Je suis très fataliste. Ça devait être comme ça … Daniel et moi, ce sont des liens comme ceux de France Gall – qui avait travaillé avec d’autres personnes avant – et Michel Berger, qui travaillaient ensemble. C’est quelqu’un avec j’étais unie. Même si on n’était plus ensemble, on travaillait ensemble et on restait uni. On avait la même voix, le même son. C’est lui qui m’a tout appris pour le chant, la puissance. Il m’a tout donné. Quand j’ai connu Daniel au début des années 70, il faisait partie du groupe Présence. Il avait fait une chanson dans l’album de Patrick Juvet, Couleurs d’automne. Il se trouve que j’ai passé une audition avec le bassiste des Chaussettes noires, le groupe d’Eddy Mitchell. Il connaissait Daniel et lui dit qu’une fille passe une audition pour le titre Couleurs d’automne. Il demande qui c’est. Avec Daniel, on se connaissait, mais on se disait juste bonjour, bonsoir. C’est lors de cette audition qu’il m’a vu chanter l’un de ses titres et qu’il me dit « Tu chantes ? Mais pourquoi tu ne me l’as jamais dit ? » Même moi, je ne savais pas que je chantais ! J’avais eu cette audition par un copain et voilà, je l’ai faite. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé et qu’on ne s’est plus quitté. Tu vois, vie est bizarre. C’est pour ça que je crois énormément au destin et au fluide des gens. Quand ça le fait, ça le fait. Je sais que je suis amie avec Marie, dans les moments les plus durs on est là, mais je n’ai pas beaucoup de gens autour de moi, parce que je veux des gens sincères et vrais, et il n’y en a pas beaucoup dans notre métier.

Avec le recul, Ă  refaire tu le referais ?

Aucun regret ! Absolument aucun. Il y a eu des passages difficiles, avec cette traversĂ©e du dĂ©sert de trois ans durant laquelle je me cherchais, oĂą ça n’allait plus dans ma vie privĂ©e. Chez Barclay, ils Ă©taient odieux. Il y a eu des passages compliquĂ©s, mais Ă  partir du moment oĂą je suis partie, c’est allĂ© mieux.  Je ne regrette pas ma participation, parce que ça m’a permis de me faire connaĂ®tre dans une partie du monde, et ce ne sont que de beaux souvenirs. Ă€ la Haye, avec Daniel dans les chĹ“urs … Ce sont des souvenirs exceptionnels. Ce sont des choses qui sont restĂ©es. C’est vrai qu’à l’époque oĂą je chantais, qu’on m’envoyait chanter en Allemagne, qu’on me demandait en Espagne, j’en avais marre. Je disais que je ne voulais plus voyager, que je ne voulais plus faire ceci ou cela … Mais c’est parce que tout est venu d’un coup. Parce que si on avait pu bien Ă©chelonner les choses, ça aurait Ă©tĂ© fabuleux. Ă€ vingt-deux ans,on me demandait d’être une semaine par-ci, une semaine par-lĂ , une semaine ailleurs… Je n’avais plus de vie privĂ©e. Plus rien. Je me disais que si c’était ça, ça ne me plaisait pas, que je ne voulais pas faire ça (rires) et prĂ©fĂ©rais ĂŞtre avec mes chats et mon homme (rires). C’était un passage comme ça. J’aimais la scène. J’ai fait plusieurs tournĂ©es. J’ai fait la dernière en 1989 avec GĂ©rard Lenorman. C’est vrai que j’ai tournĂ© tout le temps, mĂŞme en ayant des difficultĂ©s Ă  faire des disques, parce que les maisons de disques en France n’en voulaient pas. Maintenant, on les publie sur Internet, et les gens peuvent les trouver partout. Quand tu n’es pas aidĂ©e, tu n’es pas aidĂ©e.

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L’actualitĂ© de l’artiste :

Catherine Ferry s’est retirĂ©e de la scène musicale depuis plusieurs annĂ©es. Son dernier album, RĂ©trospective 1977-1980, est paru en 2015.

Elle tient aujourd’hui une chronique rĂ©gulière sur Radio Diamant.

Elle est rĂ©gulièrement sollicitĂ©e par les mĂ©dias pour Ă©voquer le souvenir de Daniel Balavoine. Elle a notamment tĂ©moignĂ© dans plusieurs Ă©missions dĂ©diĂ©s Ă  l’artiste et figure dans plusieurs ouvrages qui y sont consacrĂ©s. Elle en a outre consacrĂ©s l’un de ses albums Ă  ses titres produits sous sa pĂ©riode Balavoine.

Un grand merci Ă  Catherine Ferry d’avoir acceptĂ© d’ouvrir avec nous son album souvenirs de l’Eurovision et de son parcours artistique.

CrĂ©dits photographiques : images issues de la page Facebook officielle de l’artiste et diffusĂ©es avec son aimable autorisation