Retour pile dix ans en arrière pour ce nouvel entretien avec une eurostar. Nous sommes alors en 1976. Même si elle marque légèrement le pas au début des années 1970 et se trouve forcée de retrait en 1974, la France reste l’un des pays phares du concours, et elle va encore nous le prouver à un an seulement de sa cinquième (et dernière) victoire au concours à ce jour.

Je t'aime
Jouez jouez musiciens
Enchante-moi magicien
Tourne, tourne dans ma tête à moi
Fait briller les yeux des enfants rois

Nous sommes à La Haye, puisqu’en 1975, c’est un mythique Ding-a-Dong qui avait triomphé sur la scène du St Eriksmässan Älvsjö de Stockholm pendant qu’une artiste française en vogue chantait un bonjour à lui, l’artiste. Cette année-là, en 1976 donc, TF1 décide d’organiser pour la première fois une sélection nationale télévisée, dont le public décide d’envoyer au concours une jeune artiste jusqu’alors inconnue. Il lui suffira pourtant de compter jusqu’à trois en moins de trois minutes pour obtenir une magnifique médaille d’argent et surtout passer de l’ombre à la lumière : voici Catherine Ferry.

Classement : 2ème en 1976 (147 points)

C’est par téléphone que Catherine Ferry nous a fait le plaisir et l’honneur de nous accorder cet échange.

EAQ – Comment t’es-tu retrouvée à participer à l’Eurovision ?

Catherine Ferry – J’ai tellement l’habitude de répéter cette histoire depuis quarante-quatre ans. C’était en 1976. Avec Daniel Balavoine, qui n’était pas connu à l’époque, j’enregistrais la chanson Giulia, mon coeur. Jean-Paul Cara est venu voir Léo Missir qui, à l’époque, était mon producteur chez Barclay. Il nous a fait écouter une chanson qui s’appelait Un, deux, trois et ça s’est fait comme ça. Au début, on n’était pas très chaud pour le faire, puis on a accepté. J’ai été la première à participer au concours de la chanson française, l’année avant Marie Myriam. C’était la première année que TF1 organisait cette émission. C’est ainsi que la chanson a été choisie pour participer à l’Eurovision. Tout le monde me disait pourtant de ne pas le faire en me disant que participer à l’Eurovision avec un premier titre risquait de me coller à la peau pour longtemps.  Et puis en fait non. Au contraire, à moins d’enlever l’étiquette Eurovision par la suite, ça ouvre des portes, et c’est génial.

C’est une étiquette que tu as porté tout au long de ta carrière ou tu as su t’en défaire ?

Elle est restée pendant un certain temps. Comme je l’ai souvent dit, la chanson s’appelait Un, deux, trois et les gens attendaient Quatre, cinq, six ; Sept, huit, neuf ; Dix, onze, douze. Après, avec Daniel, on a eu envie de travailler mes chansons. Giulia, mon cœur n’aurait peut-être pas eu cet aspect s’il n’y avait pas eu l’Eurovision. On l’aurait peut-être faite plus rock ou autrement, je ne sais pas. On a quand même suivi la ligne de l’Eurovision. On a fait tout un album. Par la suite, il a fallu que je change de maison de disques et que je parte dans tout à fait autre chose pour m’en distancier. J’ai quitté la maison Barclay en 1980. Mais ça reste. À part quand on s’appelle ABBA… Des artistes ont fait une belle carrière après l’Eurovision, mais ce n’est pas toujours le cas.

Lors de ta participation, tu finis à une magnifique deuxième place et tu détiens même le record de points pour la France jusqu’en 2016 !

Oui. On m’a dit que c’était Amir désormais. Mais cela ne veut plus rien dire maintenant. Ce n’est pas du tout le même système de vote qu’à l’époque. Les jurys l’avaient placé troisième, le public neuvième et il finit sixième. Ce n’est pas comparable à ce que nous avions à notre époque. Je ne savais même pas que j’étais celle qui avait obtenu le plus de points pour la France. Je ne sais plus qui l’a calculé parmi les fans. Sincèrement, ce n’est pas important. J’étais deuxième. Marie n’avait peut-être pas eu autant de points, mais elle était première (rires). Mais même en étant deuxième, j’étais le Poulidor de la chanson (rires) et ça m’a permis de voyager dans le monde et de faire plein de choses. C’est quand même un beau tremplin pour une chanteuse qui débute. J’aurais peut-être ramé davantage sans l’Eurovision. Après, c’est à double tranchant. Tu es projeté sur le devant de la scène quand tu es numéro 1 … Parce que je gagne le concours de la chanson française et je termine deuxième au concours, mais pour les gens, en France, c’est comme si j’avais gagné. C’est d’ailleurs resté. Plein de gens me disaient « Vous avez gagné l’Eurovision ! » et je répondais « Ah non ! J’ai fini deuxième ». C’était tellement important à l’époque. C’est vrai que quand je vois comment le concours de l’Eurovision est descendu tellement bas dans ce qu’il s’y passe aujourd’hui, je trouve ça triste. Ça n’a plus rien à voir ! Parce que c’était super, l’Eurovision, pour notre période en tout cas. Jusqu’à la fin des années 70 je dirais. C’est après que ça a un peu commencé à dégénérer.

C’est-à-dire ?

Je ne sais pas. C’était différent.

C’est un programme que tu suis toujours ?

Maintenant, non, parce qu’à chaque fois, je trouve ça absurde. Je trouve qu’il n’y a pas de chansons marquantes. Je l’aurais peut-être regardé cette année parce que j’aimais bien le fils de Leeb. Je trouvais sa chanson pas mal. Pour une fois, on avait un beau gars, qui chante bien. Sinon, sincèrement, depuis un bout de temps, les chansons ne sont pas terribles. Il n’y a rien d’exceptionnel. Regarde comment les représentants français sont classés depuis tout ce temps.

Justement, quelles solutions verrais-tu pour qu’on obtienne de meilleurs classements ?

Je dis ça en blaguant, mais il faudrait reprendre Jean-Paul Cara, parce que c’était quand même l’un des seuls qui pendant trois ou quatre années de suite a fait des chansons incroyablement populaires pour l’Eurovision. C’étaient de vraies mélodies. C’étaient des chansons qui se retenaient. La mienne était évidente et celle de Marie n’en parlons pas. D’ailleurs pourquoi Marie est-elle appelée à chaque fois que l’Eurovision a lieu ? Moi aussi d’ailleurs, mais je refuse, parce que ça m’ennuie au bout d’un moment. Je préfère que ce soit Marie. C’est elle qui a gagné. Moi, je suis deuxième. C’est fou qu’au bout de quarante-trois ans, personne ne l’ait battue. Et ce n’est pas demain la veille que quelqu’un la battra. Ce n’est pas possible. Parce que ça n’a plus rien à voir. Aujourd’hui, ce sont les pays de l’est qui dominent le jeu, avec leurs échanges de votes. De toute façon, il y a toujours eu des échanges de votes. Si j’ai perdu à l’Eurovision en 1976, c’est parce qu’il y avait des histoires avec certains pays. C’était très politisé l’Eurovision à une période.

Ah bon ?

Mais bien sûr ! Tous les pays d’Europe m’avaient donné des points incroyables, mais certains avaient des problèmes avec la France et m’ont donné des notes inférieures à celles des autres. C’est ce qui m’a fait perdre. Peut-être que ce serait la même chose aujourd’hui. Il y a toujours eu des consignes de vote en faveur de certains pays et pas d’autres.

Le concours se déroulait à La Haye, c’est bien ça ?

Oui, c’était à La Haye, parce que le groupe néerlandais Teach-In avait remporté le concours l’année précédente avec Ding-a-dong. J’adorais cette chanson. C’était un tube énorme ! Mais est-ce que tu peux chanter une chanson de l’Eurovision d’il y a sept, huit dix ou vingt ans ? Non. Je suis incapable de te chanter une chanson d’il y a vingt ans. Par contre, je peux te chanter la chanson Ding-a-dong (elle chantonne le couplet et le refrain de la chanson). C’étaient des tubes. Parce qu’il y avait des mélodies. C’était juste génial. Je pense que Marie a une chanson tellement exceptionnelle … et puis les voix ! Ils choisissaient des voix. Maintenant, tous les artistes chantent de la même façon. Si je suis là, je vais regarder l’Eurovision, mais en zappant sur d’autres chaînes. Je regarde juste le début de la chanson. Parce que voilà, il n’y a pas. Il n’y a plus. Tout le monde chante en anglais. A l’époque de Marie et moi, les gens commençaient à chanter en anglais, c’est un fait, mais très peu, car la plupart des artistes chantaient dans leurs langues. Je comprends que des pays comme l’Allemagne chantent en anglais, parce que l’allemand est une langue dure, et encore il y a eu de grands tubes chantés en allemand. Warum, c’est l’Eurovision ! Et la chanson est très belle en allemand. Je pense que quand il y a une vraie chanson, la langue n’est pas un problème. Aujourd’hui, tout le monde chante en anglais, tout le monde a des trucs sur scène … Ça n’a plus rien à voir. C’est pour ça que je dis que ça ne peut plus marcher, ou alors il faut que ça évolue.

Surtout que l’Eurovision est devenu un vrai show scénique par rapport à l’époque.

Ah mais c’était du grand spectacle ! Nous étions regardés par soixante millions de téléspectateurs. Il y a avait beaucoup de caméras. C’étaient les années les plus importantes, parce que les gens ne voulaient pas rater l’Eurovision. On avait moins de chaînes de télévision. L’Eurovision commençait quand on entendait la musique retentir (elle chantonne l’hymne de Marc-Antoine Charpentier). Il y avait un côté très patriotique. Tandis que maintenant, on regarde Les Anges de la télé-réalité ou autre chose, parce qu’il y a quarante mille chaînes. Les gens n’en ont plus rien à faire du concours. La télévision a évolué, avec des émissions de mauvaise qualité. Les jeunes préfèrent voir des physiques artificiels et regarder les Kardashian plutôt que l’Eurovision. Peut-être qu’il y a encore une clientèle, mais ce n’est plus la même. C’est un autre monde pour moi (rires).

Revenons en 1976. À ton arrivée à La Haye, tu es une jeune chanteuse. C’est ta première grande scène ?

Tu peux même dire que je suis une chanteuse débutante. L’Eurovision est vraiment ma première scène importante. J’y débute. J’essuie les plâtres. Je suis propulsée du jour au lendemain.  J’apprends le métier sur le tas. C’est très fort. C’est très dur, parce que je n’étais pas prête à ça. Je n’étais pas prête à être jugée comme ça du jour au lendemain. Je n’étais jamais chez moi. C’est un engrenage inimaginable.

Tout d’un coup, tu te retrouves propulsée sur le devant de la scène, dans un concours très populaire et mythique.

Je pars de la Haye en étant deuxième. On part en avion et on me dit qu’on ne peut pas rentrer à Paris tout de suite, parce qu’il faut que j’aille à Lille. On atterrit à l’aéroport de Lille, on vient me chercher pour aller à La bulle RTL. Dans les années 70, c’était quelque chose d’immense, avec des milliers de personnes dehors. Je suis arrivée comme si j’étais la plus grande star du monde. Je me demandais pourquoi les gens criaient mon nom. Je ne comprenais même pas ! C’était fabuleux. C’est tellement fort quand tu es jeune … Tu as vingt-deux balais et tu te retrouves avec tout ce que tu n’avais pas avant. Tu te dis « Ah bon. Ça fait ça ? », parce que tu ne te rends pas compte. J’étais à La Haye, j’en pars deuxième, mais je n’étais « que » deuxième, je n’avais pas gagné. Et ce qu’il se passait était démentiel.

Par la suite, que dirais-tu que l’Eurovision a apporté à ta carrière ?

J’ai voyagé pendant deux ans à travers le monde. Après, j’ai connu une descente aux enfers qui n’est pas toujours évidente. Je ne me trouvais plus, la maison de disques ne faisait pas ce qu’il fallait, et ma vie privée était compliquée parce je n’étais jamais là. Cela a eu des impacts. Il a fallu que je quitte la maison Barclay et que je parte complètement dans autre chose pour me sortir de cette période. De 1976 à 1978, j’ai voyagé, j’étais sans cesse absente. Après, il y a eu cette période difficile des années 1978 à 1981.  Tu ne te remets pas d’un succès comme ça, c’est impossible. C’est très dur. J’ai connu un changement d’équipe et il y a avait beaucoup de personnes que je ne connaissais pas et qui ne travaillaient pas comme moi. C’est après que j’ai repris mon équipe précédente, l’équipe Balavoine et que j’ai resigné chez la Warner. C’est là que j’ai revendu énormément de disques avec d’autres titres.

Au cours des années 80, il y a eu des succès.

C’était différent. C’est pour cela que je distingue toujours les années 70 des années 80. C’était quelque chose. Il y a eu Bonjour bonjour, Ne grandis pas, le conte musical Abracadabra. Il y a tout un tas de choses qui se font. Ces cinq années avant que Daniel nous quitte ont été fabuleuses. Parce que ma carrière s’est arrêtée au moment où Daniel s’est tué. Sans Daniel, ils ne m’ont pas fait de cadeau. Comme c’est Daniel qui s’occupait de tout, et qu’il était devenu si célèbre, à partir de là … Comme je le dis si souvent, on m’a enterrée avec lui. Attention, j’ai continué à faire des disques, mais les maisons de disques et les radios ne marchaient pas. C’est comme ça que j’ai quitté Paris – j’ai failli dire la France (rires) – et que je me suis installée en province, où je suis très bien depuis trente ans. Ce n’est pas toujours tout beau, tout rose.

Une carrière, ce sont des hauts et des bas. Ce n’est jamais uniforme.

Bien sûr ! C’est comme ça. À présent, j’ai tout arrêté depuis plus de cinq ans. Je fais énormément de choses, je fais de la radio par téléphone, il y a beaucoup de livres sur Balavoine qui vont être publiés et dans lesquels je figure, il y a un coffret qui va sortir … Il y a des choses qui se passent, mais sur internet. Je ne fais plus de spectacles, ça ne m’intéresse plus. À mon âge, je laisse la place aux jeunes.

Je me souviens d’une prestation de toi chez Sébastien il y a quelques années.

C’était en 2011. J’avais fait tout un tas d’émissions, et notamment Sébastien, Les grands du rire avec Yves Lecoq sur France 3. C’était pour promouvoir la sortie sur Internet d’un best-of des années 80. Mais on ne le trouve que sur internet. Aucune maison de disques n’a suivi. De toute façon, les maisons de disques ne fonctionnent plus aujourd’hui. C’est fini. Bientôt, il n’y en aura plus. Je pense qu’elles ont eu leur belle époque, mais qu’elles n’ont pas su s’adapter. Je faisais les émissions en disant qu’on pouvait le trouver légalement sur internet et des gens se plaignaient « Oh, mais moi, je veux le disque en vrai ! ». « Non, ce n’est pas possible » (rires). Il n’y avait pas de maisons de disques, c’est tout. Et si vraiment des fans le veulent, ils peuvent le trouver sur internet.

Participer à des tournées nostalgie, ça ne t’a jamais intéressée ?

On ne m’a jamais vraiment demandé. Quand j’ai fait Sébastien en 2011, il m’a demandé pourquoi je ne ferais pas Stars 80. Ce n’est basé que sur les gens qui ont figuré au top 50. Je trouve ça dommage, parce que j’ai quand même vendu 350 000 disques avec Bonjour, bonjour et le top 50 n’existait pas à l’époque. Il n’est arrivé qu’en 1985, peu de temps avant la mort de Daniel. Dans les années 80, on vendait énormément de disques et ils ne tiennent pas compte de ça. Et puis quelque part, je trouve ça assez pathétique, je vais te le dire sincèrement, donc je n’ai pas trop envie de le faire. Je suis à la retraite maintenant, je touche ma pension (rires) et je me dis que je n’en ai plus besoin. À une période c’était difficile. Il faudrait vraiment qu’il y ait quelque chose qui m’intéresse et que ce soit simple, pas compliqué et pas prise de tête. Sinon, ça ne m’intéresse plus.

Si on revient en 1976, des souvenirs t’ont particulièrement marqué pendant ta participation au concours ?

Il y a plein de choses, mais ce sont des anecdotes qui ont tellement été racontées … comme l’histoire de ma robe, que j’avais raconté à Sébastien.

Je ne la connais pas !

Quand on est arrivé à La Haye, j’avais une robe blanche. Lorsqu’on a fait les répétitions, la veille ou le matin même – heureusement qu’on répétait à ce moment là –, on nous a demandé de nous habiller en tenue de spectacle. Je m’habille et un mec vient en me disant « Ah non, votre robe, ce n’est pas possible, il y a des trucs brillants, ça ne passe pas à l’antenne, ça ne va pas sur le décor, et on ne va pas changer le décor, donc il faut que vous changiez de robe. » Mais moi, je n’avais pas d’autre robe ! J’étais en jean et je n’avais pas d’autre robe du soir que celle que la maison de disques avait acheté pour moi ! C’est donc Léo Missir, mon producteur de l’époque, qui a appelé Eddie Barclay en lui demandant d’aller dans la boutique où la robe avait été achetée et de ramener la même, mais dans une autre couleur, n’importe laquelle. C’est Barclay qui m’a amené la robe lorsqu’il est venu me rejoindre à La Haye. Et elle était rouge. Sauf qu’il a fallu faire venir des couturières, parce qu’elle n’était pas tout à fait à ma taille. À l’époque, j’avais une taille de guêpe, je ne pesais que quarante-quatre kilos (rires). J’étais une gamine toute menue, et ils ont donc reprisé la robe. C’était l’enfer avant de passer le soir de l’Eurovision. Mais lors de ma prestation, j’avais une robe parfaite, qui était rouge au lieu d’être blanche.

Tu as d’autres moments à partager avec nous ?

Un autre souvenir, c’est celui de regarder les vainqueurs, Brotherhood of Man, pendant les répétitions, qui me disaient « C’est you ou me ! ». Je répondais « On verra ! Que le meilleur gagne » (rires). Mais c’est vrai que j’ai eu de très bons moments avec eux. Je garde également de beaux souvenirs avec Mary Christy, qui représentait Monaco. J’adorais son titre. On a passé de très bons moments ensemble. C’est quelqu’un que je ne connaissais pas, mais que Daniel connaissait, parce qu’ils avaient travaillé ensemble et quelle chanteuse c’était ! J’adorais la voix. Et sa chanson (elle chantonne) « Nous vivrons toi, la musique et moi, simplement toi la musique et moi, dans un monde nouveau presque irréel… ». C’étaient de belles chansons. Elle a terminé troisième, Mary Christy.

Quand tu es arrivée là-bas, tu avais la statut de favorite ?

Pas spécialement, parce qu’il y avait quand même l’Italie avec Al Bano et Romina Power. C’était un tube énorme. Quand on écoutait la chanson de Brotherhood of man aux répétitions, on se disait que c’était eux qui allaient gagner. Moi, je me disais que si on finissait dans les dix premiers, c’était tant mieux. Je pense que c’est un tout et la chanson a plu. Comme disait Delpech quand j’ai fait l’émission, c’est une chanson qui est fraîche, plaisante, qui se retient. Parce qu’on ne peut pas dire que c’est ma voix. C’était mes débuts et je trouvais que je chantais mal (rires). C’est comme quand tu viens d’avoir ton permis de conduire : au début, tu ne sais pas conduire. Après, tu apprends avec le temps. Chanter, c’est la même chose. Ta voix se forme et se fait petit à petit.

Quand tu finis deuxième, c’est la satisfaction qui prime ?

On était heureux ! Je pense que Jean-Paul Cara était très déçu, parce qu’on a vraiment failli gagner. C’est vrai que je le comprends mais nous, on était heureux. Deuxième, c’est une belle place ! Il n’y en a pas beaucoup qui ont été deuxièmes depuis moi (rires).

Il n’y en a eu que deux !

Il y a eu Joëlle Ursull et …

Amina. (Il chantonne) « C’est le dernier qui a parlé qui a raison, dans ta maison … »

C’était quand ?

En 1991.

Je ne m’en rappelle pas. Je me souviens de Joëlle Ursull, parce que c’était Gainsbourg. C’est une belle place quand tu es deuxième. Nous, on espérait surtout être dans les dix premiers pour ne pas être ridicules. C’est comme quand je vois ceux qui perdent et se retrouvent parfois avant-derniers. Jamais, jamais, de toute l’histoire de l’Eurovision la France n’a été dans les choux de la sorte. Jamais. Parce qu’à l’époque, même si on ne gagnait pas, c’étaient de belles chansons, qu’on retenait. Je trouve vraiment que l’Eurovision a perdu de son éclat, de sa beauté de l’époque.

Aucune chanson ne t’a accroché ces dernières années ?

Pas du tout. Sincèrement. J’en avais aimé une, mais je suis incapable de la chanter … parce que sincèrement je trouve qu’il n’y a pas de mélodie et qu’on ne les retient pas. Depuis, je ne peux en citer aucune. Je reste sur les mélodies de l’époque, par exemple celle d’Israël lorsqu’ils ont gagné (elle chantonne) « Hallelujah … ». Je crois que c’était en 1979.

En 1978, c’était A -ba-ni-bi.

(Elle chantonne) « A-ba-ni-bi … » Tu vois qu’on se rappelait des chansons ! On peut en chanter la mélodie. C’est tellement important ! Je préfère qu’on me dise qu’on ne sait pas qui est Catherine Ferry, mais qu’on chante (elle chantonne) « Un, deux, trois, … » et qu’on me dise « Ah, mais c’est vous qui chantez ça ? » Même si les gens ne m’ont pas vue pendant trente ans, même des jeunes me disent qu’ils connaissent la chanson ! C’est drôle, parce qu’on ne peut pas dire qu’on me voit souvent à la télévision.

Justement, tu finis deuxième en 1976 et l’année suivante, Marie Myriam gagne. N’as-tu pas eu le sentiment au fil des années d’être éclipsée par cette victoire ?

Non, pas du tout, parce que quand j’ai entendu Marie chanter, je me suis dit que ce serait elle qui gagnerait. Elle m’a tellement bouleversé. On est amies avec Marie, même si on ne se téléphone pas tous les jours, surtout depuis que j’habite à Boulogne, on se voit beaucoup moins. Je me suis rendue à ses soixante ans et j’étais la seule chanteuse invitée, parmi d’autres gens du monde du spectacle. On a un lien fort toutes les deux, parce qu’on a fait l’Eurovision. Je pense qu’elle a sa place de première et comme je le dis toujours, j’ai ma place de Poulidor. Ce n’est pas péjoratif ! Il vient de mourir Pou-Pou, et c’était toujours le second. On dira ça de moi. Il y a ce côté-là qui reste chez les gens. « Catherine Ferry, c’est comme si elle avait gagné, mais elle a fini deuxième ». Combien de fois j’ai mis de côté les invitations pour parler de l’Eurovision en répondant qu’il y a Marie ? Car n’ai pas envie de le faire.

On te sollicite encore souvent par rapport à l’Eurovision ?

Je refuse toujours, mais j’ai accepté l’interview, parce qu’on t’a mis sur mon chemin. Mais ça fait quarante-quatre ans… Je ne refuse pas de participer si on me demande de faire une interview par rapport à Daniel. Maintenant, c’est davantage par rapport à lui qu’on me sollicite, parce qu’il y a un lien, et que je vivais avec lui. Obligatoirement, on me pose beaucoup plus de questions sur Daniel, surtout que ça va faire trente-cinq ans qu’il est décédé. On m’appelle chaque année pour l’anniversaire de sa mort. Il y a plein de choses qui sortent, dont des livres. Mais même là, j’ai mis le holà. Ils vont faire quelque chose d’important pour les trente-cinq ans, et après ça va s’arrêter. Trois livres vont sortir et je suis dedans. On va me demander des interviews et je vais les faire. Qu’on m’appelle pour parler de l’Eurovision, qu’on me pose des questions, pourquoi pas, mais pas tout le temps. Je pense même que Marie en a ras-le-bol au bout d’un certain moment (rires). Je l’entends dire chaque année « On aimerait que quelqu’un gagne et qu’on nous foute la paix » (rires).

Daniel Balavoine est un homme et un artiste qui a compté dans ta vie et dans ta carrière. Qu’est-ce que ça fait d’avoir accompagné sa trajectoire ?

Quand on est sorti et qu’on a vécu ensemble, je le connaissais depuis 1971. On était ami avant d’être ensemble. On est sorti ensemble en 1974 et il y a eu l’Eurovision en 1976. Daniel était inconnu. J’aimais ce qu’il faisait. Je me battais pour lui. J’ai voulu que la face B de l’Eurovision soit une chanson de Daniel. Il était inconnu ! Personne ne voulait de lui ! Parce qu’ils n’aimaient pas sa voix, ils n’aimaient pas ceci ou cela, ils disaient qu’il ne ferait jamais rien ce mec-là. Et moi je disais « Bande d’imbéciles, il deviendra une énorme star ! ». J’ai toujours dit ça. Toujours ! Je savais qu’il deviendrait célèbre. Ils auraient dû me prendre dans les maisons de disques, parce que j’aurais su prendre d’autres artistes que ceux qu’ils ont maintenant (rires). C’est par la suite qu’il est devenu célèbre. J’ai eu cette chance inouïe. J’ai quitté Daniel à la fin des années 70, et ma vie a changé. Ça a été très dur. Alors, j’ai voyagé, etc. mais tout en n’étant pas bien. La maison de disques ne faisait pas bien son travail.  Quand Daniel a vu ça … Il était quand même fâché parce que je l’avais laissé tomber. Il y a eu une période où c’était très dur. Parce que tout le temps où Daniel n’était pas connu, c’était moi qui faisais cuire la marmite comme on dit. Je le laissais composer en lui disant de prendre son temps. Je ne lui demandais rien parce que je voulais qu’il compose, qu’il travaille, parce que je croyais énormément en ses chansons et en tout ce qu’il faisait. C’est comme ça qu’il a pu faire le mur de Berlin et qu’il est venu avec moi quand je suis allée en Pologne. On en avait parlé dans l’émission de Delahousse. On s’est construit ensemble.

Durant la période où il a fait Starmania, on ne se voyait plus. Quand en 1980, alors qu’il était devenu une vedette, il a su que Barclay me faisait des problèmes, que la maison de disques ne s’occupait plus de moi et faisait n’importe quoi, il m’a invité à retravailler ensemble. Il m’a dit de faire mon dernier disque chez Barclay et c’est lui qui me l’a fait. On a retravaillé ensemble, sauf que cette fois, il était devenu célèbre. Il n’était plus l’inconnu. Je suis partie et je suis allée chez la Warner. C’est là qu’on a sorti Bonjour, bonjour et que, paf, on a tapé fort et on a fait 350 000 disques. Dès lors, on a vraiment bien retravaillé ensemble.  S’il n’y avait pas eu cette catastrophe, notre destin était tracé, parce qu’on devait continuer. Il voulait que je fasse ci et ça, me présenter des gens. Quelque chose était en train de se construire. Après, la vie est ainsi. Je suis très fataliste. Ça devait être comme ça … Daniel et moi, ce sont des liens comme ceux de France Gall – qui avait travaillé avec d’autres personnes avant – et Michel Berger, qui travaillaient ensemble. C’est quelqu’un avec j’étais unie. Même si on n’était plus ensemble, on travaillait ensemble et on restait uni. On avait la même voix, le même son. C’est lui qui m’a tout appris pour le chant, la puissance. Il m’a tout donné. Quand j’ai connu Daniel au début des années 70, il faisait partie du groupe Présence. Il avait fait une chanson dans l’album de Patrick Juvet, Couleurs d’automne. Il se trouve que j’ai passé une audition avec le bassiste des Chaussettes noires, le groupe d’Eddy Mitchell. Il connaissait Daniel et lui dit qu’une fille passe une audition pour le titre Couleurs d’automne. Il demande qui c’est. Avec Daniel, on se connaissait, mais on se disait juste bonjour, bonsoir. C’est lors de cette audition qu’il m’a vu chanter l’un de ses titres et qu’il me dit « Tu chantes ? Mais pourquoi tu ne me l’as jamais dit ? » Même moi, je ne savais pas que je chantais ! J’avais eu cette audition par un copain et voilà, je l’ai faite. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé et qu’on ne s’est plus quitté. Tu vois, vie est bizarre. C’est pour ça que je crois énormément au destin et au fluide des gens. Quand ça le fait, ça le fait. Je sais que je suis amie avec Marie, dans les moments les plus durs on est là, mais je n’ai pas beaucoup de gens autour de moi, parce que je veux des gens sincères et vrais, et il n’y en a pas beaucoup dans notre métier.

Avec le recul, à refaire tu le referais ?

Aucun regret ! Absolument aucun. Il y a eu des passages difficiles, avec cette traversée du désert de trois ans durant laquelle je me cherchais, où ça n’allait plus dans ma vie privée. Chez Barclay, ils étaient odieux. Il y a eu des passages compliqués, mais à partir du moment où je suis partie, c’est allé mieux.  Je ne regrette pas ma participation, parce que ça m’a permis de me faire connaître dans une partie du monde, et ce ne sont que de beaux souvenirs. À la Haye, avec Daniel dans les chœurs … Ce sont des souvenirs exceptionnels. Ce sont des choses qui sont restées. C’est vrai qu’à l’époque où je chantais, qu’on m’envoyait chanter en Allemagne, qu’on me demandait en Espagne, j’en avais marre. Je disais que je ne voulais plus voyager, que je ne voulais plus faire ceci ou cela … Mais c’est parce que tout est venu d’un coup. Parce que si on avait pu bien échelonner les choses, ça aurait été fabuleux. À vingt-deux ans,on me demandait d’être une semaine par-ci, une semaine par-là, une semaine ailleurs… Je n’avais plus de vie privée. Plus rien. Je me disais que si c’était ça, ça ne me plaisait pas, que je ne voulais pas faire ça (rires) et préférais être avec mes chats et mon homme (rires). C’était un passage comme ça. J’aimais la scène. J’ai fait plusieurs tournées. J’ai fait la dernière en 1989 avec Gérard Lenorman. C’est vrai que j’ai tourné tout le temps, même en ayant des difficultés à faire des disques, parce que les maisons de disques en France n’en voulaient pas. Maintenant, on les publie sur Internet, et les gens peuvent les trouver partout. Quand tu n’es pas aidée, tu n’es pas aidée.

***

L’actualité de l’artiste :

Catherine Ferry s’est retirée de la scène musicale depuis plusieurs années. Son dernier album, Rétrospective 1977-1980, est paru en 2015.

Elle tient aujourd’hui une chronique régulière sur Radio Diamant.

Elle est régulièrement sollicitée par les médias pour évoquer le souvenir de Daniel Balavoine. Elle a notamment témoigné dans plusieurs émissions dédiés à l’artiste et figure dans plusieurs ouvrages qui y sont consacrés. Elle en a outre consacrés l’un de ses albums à ses titres produits sous sa période Balavoine.

Un grand merci à Catherine Ferry d’avoir accepté d’ouvrir avec nous son album souvenirs de l’Eurovision et de son parcours artistique.

Crédits photographiques : images issues de la page Facebook officielle de l’artiste et diffusées avec son aimable autorisation