Bom dia l’EAQ ! Et bienvenue au Portugal pour ces premières Loreen historiques de ma vie de rédacteur que je suis très heureux de partager avec vous à deux jours de la première demi-finale de l’édition 2020 du Festival da Canção. Comme le chante Elsa (la reine, pas la chanteuse), Libéré, délivré, désormais plus rien ne m’arrêêêêête… sauf votre état psychologique, que je souhaite évidemment préserver de ma verve inarrêtable en essayant d’être le plus direct possible.

Vous le savez déjà, les avis qui vous seront ici présentés n’engagent que leur auteur, à savoir moi-même, et libre à vous d’être en accords et désaccords avec. N’hésitez pas donc pas à livrer vos impressions sur les seize titres, elles seront toutes reçues avec plaisir. A nos moutons, maintenant.

LOREEN

Loreen est enthousiaste ! Mieux encore, elle est particulièrement ravie de retrouver cette sélection désormais incontournable et qui avait offert de si belles promesses l’année dernière. Autant dire qu’il semblait difficile, voire impossible, de dépasser ou ne serait-ce d’égaler le cru 2019. C’était mal connaître le Portugal.

Première demi-finale (22 février)

Huh ? Quatre places seulement pour huit candidats ? Maaaaaa ! Mais comment devoir se plier à un douloureux sacrifice devant la densité de cette première soirée ?

ChansonCommentairesLoreen
Copo de Gin
– MEERA
Pour ouvrir le bal, rien de tel qu’une petite coupe de gin, et surtout une bonne pincée de good vibes. Un titre pop d’une incroyable fraîcheur et d’une belle énergie, qui respire le soleil et la lumière, donnant à notre hiver des airs bien estivaux qui nous donnent envie d’onduler nos hanches sur une paillote un verre de gin à la main. L’un des gros coups de coeur de Loreen.
Gerbera Amarela do Sul
– Filipe Sambado
Bien difficile il est de parler de ce titre plutôt désarçonnant et assez inqualifiable, oscillant entre le charme de sonorités typiquement portugaises et quelque chose de très actuel, comme ancré dans cette nouvelle vague pop qui submerge actuellement l’Europe et redonne vie au vintage. Vintage, voilà le terme adéquat pour Gerbera…, que l’on écoute comme l’on découvre un azulejo typique mais teinté de couleurs modernes et baroques. Un titre très intéressant, d’autant plus qu’il est empreint d’une vraie personnalité émanant de son chanteur. L’ensemble pourrait-il cependant séduire les européens ? Pas sûr.
O Dia de Amanhã
– Ian Mucznik
Voilà le frenchy de la sélection, dont l’univers musical oscille d’ordinaire entre plusieurs styles, notamment le jazz et le swing. Ici, on est sur une petite ballade somme toute pas désagréable en soi, mais où la désuétude qui l’emporte à défaut de voir O Dia de Amanhã m’emporter et m’émouvoir. Bien que très correct sur le plan de la construction musicale, il reste trop classique et déjà vu à mon goût, ce qui me le rend assez banal.
Passe-Partout
– Bárbara Tinoco
A ce jour et de très loin la vidéo du FdC la plus regardée sur YouTube, et on comprend aisément pourquoi. Passe-Partout est une petite merveille, un bijou qui nous emporte dès les premières secondes dans le Paris romantique du début du siècle et son charme intemporel, éternel, qui prend vie en musique dès lors que les sons du violon et de l’accordéon parviennent à nos oreilles. La malice du so frenchy devient magie, et ce n’est pas un Lisboa-Jérusalem que se verra offrir le public européen, mais plutôt un Lisboa-Paris aller-retour, avec en prime, le moyen pour le Portugal de faire mouche à Rotterdam.
Rebellion
– Blasted Mechanism
Sans doute l’un des noms les plus attendus de par son impressionnante carrière, Blasted Mechanism rompt ici avec son univers alternatif et iconoclaste au profit d’une musique plus accessible au grand public, quitte à y laisser de sa singularité. Il n’empêche que l’âme reste et que l’esprit demeure, Rebellion est un titre véritablement habité dont le rock respire l’intemporalité. Là aussi, un candidat de choix pour le concours.
Medo de Sentir
– Elisa
Deuxième ballade de la soirée portée par le joli brin de voix plein de sensibilité d’Elisa et dont il se dégage une belle émotion dès lors que parviennent à nos oreilles les premiers airs de piano. La deuxième partie du titre révèle un décollage davantage axé variété, pour lequel l’interprète semble manquer d’un poil de puissance (à vérifier en live), mais qui permet à Medo de Sentir d’éviter l’écueil de la linéarité. Dommage que cette réorientation l’enferme un peu dans quelque chose de plus convenu et le déconnecte de cette simplicité initiale qui lui offrait un supplément d’âme, mais il n’en reste pas moins que le titre est très agréable à écouter.
Agora
– JJaZZ
Loreen hésite entre l’intérêt et la perplexité, le tout est qu’elle est décontenancée. Dans la lignée du nom du duo, on démarre avec un petit côté jazzy, avant de basculer sur une composition assez étrange, où les sonorités deviennent assez vite illisibles tellement le fond musical semble fouillis. Agora n’est pas inintéressant en soi et son refrain est plutôt sympathique, mais l’ensemble n’est ni très harmonieux, ni particulièrement agréable à l’écoute. C’est comme si quelque chose ne collait pas sans que je puisse mettre vraiment le doigt dessus. Un manque de production ? Un aspect artificiel que je ne m’explique pas ? Des interprètes qui semblent de prime abord peu extraordinaires ? Le tout est que la mayonnaise ne prend pas.
Movimento
– Throes + The Shine
Le Portugal, ce sont aussi des artistes reconnus dans le monde entier qui n’hésitent pas à se risquer au jeu d’une sélection nationale concurrentielle. Je ne sais pas quel accueil pourrait avoir ce titre aussi singulier auprès des téléspectateurs, le tout est qu’on retrouve complètement l’alma musical de Throes + The Shine, sa parfaite alliance d’une diversité de sonorités aux influences multiculturelles et formant ensemble une confluences des sons. Difficile de saisir avec exactitude la construction du morceau tellement il est riche, d’autant plus qu’il est reflet de notre monde et des ponts qui se construisent entre les cultures (ici celles de la lusophonie). Voilà ce qui ressort de ce titre énergique, certes pari risqué pour Rotterdam mais que je serais prêt à prendre sans préavis.

Seconde demi-finale (29 février)

L’excitation de la première soirée est passée, nous voici redescendus sur Terre, mais n’oublions pas que nous restons au Portugal entre deux verres de porto et quelques bouchées de bacalhau. Et autant dire que le niveau, bien qu’inférieur à celui de la première demi-finale, reste tout de même remarquable dans l’ensemble comparé à bien d’autres sélections nationales plus courues.

ChansonCommentairesLoreen
Cegueira
– Dubio feat. +351
La rencontre intéressante de deux univers pour une pop qui s’inscrit pleinement dans la nouvelle vague musicale qui touche la scène européenne. Une belle rythmique, plutôt accrocheuse, qui reste en tête, entrecoupée de ponts musicaux plus pop-rock qui offre de sympathiques variations à un Ceguiera qui jouit d’une vraie patte et promet surtout un beau potentiel live à condition qu’il soit pleinement exploité, ce qui attire d’autant plus la curiosité de Loreen.
Dói-me o País
– Luiz Caracol et Gus Liberdade
Le charme inaltérable de la poésie lusitanienne à travers ce titre tout en délicatesse, dont la lente harmonie installée par les airs de guitare est rompue par une partie rap comme sortie de nulle part et interprétée par Gus, qui nous livre ici sa seule performance vocale en trois minutes. Ce n’est pas rédhibitoire dans la mesure où Dói-me o País reste agréable à l’écoute et bénéficie d’une belle écriture. Le titre gagnerait néanmoins à être plus marquant, son manque de force étant sa principale lacune.
Cubismo Enviesado
– Judas
Un titre pop-rock qui parvient plutôt bien à se distinguer dans cette demi-finale des ballades et des musiques d’ambiance, porté par un Judas qui donne à mon sens un petit côté sexy à ce cubisme oblique dans lequel le chanteur nous offre une succession d’entêtants Vês ou não ? (32 exactement !) et n’a de cesse de nous défier. Cependant un tantinet trop répétitif, Cubismo Enviesado gagnerait peut-être à plus de ruptures dans sa rythmique, non dénuée d’intérêt, et d’un soupçon de percutant.
Diz Só – Kady A présent, un voyage au cœur de l’Atlantique et de la musique capverdienne. Il suffit de fermer les yeux et l’on navigue à travers cet archipel, terre natale de la grande Cesaria Evora, au doux son de la voix envoûtante de Kady qui parvient à nous emporter, qui plus est avec une thématique forte, à savoir les femmes qui influencent sa vie telles des modèles et des inspirations. Une excellente musique d’ambiance dont le passage sur scène peut autant la sublimer que la mettre en difficulté, et questionne sa capacité à se distinguer au concours.
Não Voltes Mais
– Elisa Rodrigues
Trois agréables minutes en compagnie du délicieux timbre d’Elisa Rodrigues qui choisit ici un autre registre que le jazz, bien que ce dernier mette mieux en valeur sa voix de velours avec laquelle elle sert à merveille les titres qu’elle interprète, au profit d’un titre cosy et voyageur, qui nous embarque et nous charme. Un refrain identifiable à coup de simples narueaea fort entêtants, mais l’ensemble pose une question semblable à celle de Diz Só : le titre est-il assez mémorable pour un concours international?
Quero-te Abraçar
– Cláudio Frank
Le vainqueur de la Masterclass est indéniablement un bon interprète – bien que sa prestation studio pâtisse d’une composition aux ruptures parfois trop abruptes, mais Quero-te Abraçar souffre avant tout d’un côté très passe-partout, d’un sentiment de déjà-vu le rendant d’une banalité assez confondante et exacerbant surtout un mode lover des années 90 dépassé d’environ.
Mais Real Que O Amor
– Tomás Luzia
Une jolie ballade chantant l’amour et l’eau fraîche juste après une autre, certes point pour le pire, mais guère pour le meilleur. Bien qu’agréable à l’écoute, Mais Real… ne dépasse pas le stade de l’agréable au profit du banal et de l’oubliable, malgré la fraîcheur juvénile de son interprète.
Abensonhado
– Jimmy P
Last but not least avec Jimmy P., qui permet au rap de débarquer au FdC, un genre musical qui m’est aussi inconnu que la sécheresse du désert de Gobi (ou presque) mais qui provoque chez moi une curiosité semblable à sa trop grande rareté dans le champ musical du concours. C’est bien dommage, parce que le rap, c’est une écriture et une musicalité uniques, surtout lorsqu’il jouit d’une grande qualité, ce qui est le cas ici. Autant dire que voir du rap portugais à Rotterdam, ça aurait sacrément de la gueule, d’autant plus que Jimmy P. y mêle intelligemment différentes histoires musicales tout en gardant viscéralement l’identité du rap comme fil conducteur. Ce qui donne un titre très fluide et agréable, auquel il manquerait cependant un refrain plus marqué afin de rompre une composition trop égale sur les trois minutes.

Le verdict de Loreen

La mythique gagnante de l’Eurovision 2012 vous a d’entrée annoncé la couleur : une nouvelle fois, elle se trouve toute ravie de la densité de ce Festival da Canção jadis tant décrié et moqué, et encore aujourd’hui largement sous-estimé. Depuis sa victoire de 2017, le pays est peut-être retombé dans les profondeurs du classement du concours – et Loreen peut sembler par moments intraitable par sa perpétuelle recherche de la petite bête -, mais au moins le pays des Oeillets offre t-il à travers sa sélection nationale une diversité de propositions représentative de l’évolution de sa scène musicale et ancrée dans son temps. Et c’est une nouvelle fois le cas en cette 54ème édition. Elle est loin l’époque où le Portugal nous envoyait d’année en année les mêmes titres ou presque…

Face à ce constat, quel favori ? Bien difficile de trancher tellement Loreen est satisfaite. Trois titres se distinguent de prime abord, et notamment ceux de MEERA et Throes + The Shine. Mais LE choix le plus pertinent et le plus consensuel, celui qui exercerait à coup sûr ses charmes sur des européens dont j’entends déjà battre le coeur, comme emportés par la foule qui s’élance et qui danse, c’est Passe-Partout de Bárbara Tinoco . Il permettrait sans doute d’offrir de belles promesses à nos amis lusitaniens, si injustement mal récompensés depuis l’inattendue victoire de Salvador Sobral à Kiev.

Pour autant, les autres participants ne sont pas en reste, très loin de là, et plusieurs pourraient être de très dignes représentants des couleurs portugaises à Rotterdam, je pense ici à Blasted Mechanism, Jimmy P. ou encore Dubio feat. + 351. Pour une fois que les next sont si rares, quand bien même faudrait-il discuter de la pertinence du terme next concernant les titres les moins appréciés de ce FdC 2020… Bien difficile sera le choix cornélien auquel devront se confronter téléspectateurs et jurys lors des trois soirées, et pour commencer, rien de tel que la première demi-finale de-la-mort-qui-tue, qui tiendra à coup sûr en haleine les eurofans ce samedi soir prochain.