Vous deviez les attendre avec la plus grande impatience et vous inquiéter de leur absence de la ligne éditoriale. Pas de panique : les voili, les voilà, les Loreen du Malta Eurovision Song Contest 2023 !

Dans le paysage eurovisionesque, il y a toutes sortes d’expériences. Celles des festivals (Sanremo, Benidorm, Canção) et leurs moments de grâce absolus et indépassables (même pour le FiK, oui, oui). Celles des sélections de haute volée (Eesti Laul, Melodi Grand Prix, Vidbir, Melodifestivalen – davantage pour l’efficacité du show que pour la qualité décroissante des chansons, …) et d’autres à la diversité et au charme ascendants (Pabandom is Naujo, Petru za Euroviziju). Celles des faibles moyens, mais dotés d’un certain sens du volontarisme et de l’abnégation (République Tchèque et sa réunion de copropriété en guise d’annonce des résultats, Roumanie, …). Et au milieu coule une rivière dans laquelle barbotent la Moldavie et … Malte.

Oui, Malte.

40 chansons en quarts-de-finale dont la meilleure d’entre elles disqualifiée pour d’obscures raisons. 24 demi-finalistes à supporter écouter pendant 72 minutes, auxquelles il faut ajouter le temps de prise de notes, la consommation d’encre et de papier, et surtout les dépenses d’électricité à la charge du télédiffuseur. Parce qu’objectivement, le Malta Eurovision Song Contest est en soi une expérience inoubliable … pour des raisons dont seule Loreen a le secret qu’elle vous dévoile à la veille de la demi-finale. Et pas sûr que l’inoubliable s’attache aux meilleures raisons très loin de là.

Brooke – Checkmate

https://www.youtube.com/watch?v=SelAERA_nG8&list=PLji9GlefK7Jo_nSIqVURdjl2deuGLByr0&index=12

Dans ce top 24 ô combien disproportionné, seule une peut objectivement faire le voyage jusqu’à Liverpool, et c’est probablement elle que Malte aura la bonne idée de choisir (comme elle a élu Emma Muscat l’année dernière) : Brooke. Checkmate vaudrait tous les Loreen de la Terre eu égard à la faiblesse extrême d’une concurrence qui n’a même pas lieu d’être présentée. Soyons honnêtes : le titre a environ 95% de chances (sur le papier) de caler en demi-finales à Liverpool tellement il est peu compétitif. Mais il reste de loin le plus efficace et le mieux produit par défaut dans une sélection dont tous les regards étaient initialement tournés vers Aidan. Pas besoin d’un bulldozer pour que la proposition se fasse dézinguer au concours, mais j’espère qu’à l’instar de l’année dernière, Malte a préparé son rejet du Melodifestivalen en back up afin de sauver les meubles et offrir à Brooke une proposition un tantinet plus solide.

(mais ils ne résistent pas au match face à Brooke en l’état)

The Busker – Dance (Our Own Party)

L’idée de départ – à savoir un espèce de mix entre base pop et copycat de Mr Epic Saxo Guy from Sunstroke Project – est loin d’être déplaisante. Mieux, elle apporte clairement une touche à une sélection maltaise bien trop égale pour de mauvaises raisons. Dance (Our Own Party) est un titre péchu et dansant doté d’un joli potentiel, à condition de l’exploiter complètement. Pour cela, rien de tel qu’un bon revamp pour l’une des propositions les plus séduisantes du cru 2023, qui aurait largement de quoi faire danser la Liverpool Arena en mai prochain, à condition d’être un tantinet mieux armée sur le plan de la production.

GiadaI Depend On You

L’artiste présente l’un des titres à l’orchestration les plus « actuelles » du lot, parce qu’il ne compte qu’une petite décennie de retard à l’allumage – très aisément gommable par un petit revamp et une séance de renforcement. Mais très bien porté par son interprète, I Depend On You est l’une des propositions les plus emballantes du plateau, et surtout l’une des plus à même d’affronter par défaut la rude arène de l’Eurovision si, d’aventure et par malheur pour Malte, Brooke n’était pas choisie pour porter ses couleurs à Liverpool. Si l’on considère toutefois qu’Ira Losco (en 2016) et Emma Muscat ont pu changer de titre après sélection, pourquoi pas pour la très talentueuse Giada ? Après une première participation au MESC en 2022, il est en tout cas fort à parier que nous retrouverons l’artiste au programme des prochaines sélections maltaises.

Eliana Gomez BlancoGuess What

La représentante déçue à l’Eurovision Junior 2019 (dernière place avec We Are More) propose ici un titre à la rythmique agréable, entêtante et amusante, aux vagues inspirations cabaret et comédie musicale dans les sonorités. Pas de quoi révolutionner l’histoire de la musique maltaise avec telle contribution, mais de quoi proposer une prestation scénique sympa, à même de sauver les honneurs a priori fragilisés d’une délégation qui file tout droit vers une nouvelle élimination en demi-finale.

Fabrizio Faniello – Try To Be Better

Malgré deux participations à l’Eurovision et pléthore de tentatives d’y revenir, le très sympathique Fabrizio Faniello essaie toujours d’être meilleur. Pas foncièrement sûr que ce soit musicalement le cas avec sa contribution 2023, dont les relents sonnent plus comme une réminiscence de l’année 2013 (à moins que ce ne fut 2003 ?). Vocalement, notre eurostar n’est pas le plus performant du casting, là où son titre est inversement – et largement – l’un des mieux produits du top 24. Là aussi, Try To Be Better ne survivrait probablement pas à la densité croissante de l’Eurovision, et avec une sélection plus concurrentielle, il serait relégué bien plus loin. Mais avec un revamp ou un changement de titre, un retour aux affaires de l’eurostar n’est pas une hypothèse à négliger.

Maxine Pace – Alone

Alone manque d’une vraie puissance et d’un réel décollage, la faute à une composition trop linéaire jusqu’au crescendo final et trop tardif. Il n’en reste pas moins l’un des « meilleurs » titres de la sélection – du moins l’un des plus convenables -, qui plus est très bien porté par son interprète, qui l’assure le plus efficacement possible. De là à dire que c’est compétitif, il y a tout de même énormément de pas à franchir (surtout quand on observe la concurrence qui se prépare activement dans la catégorie), mais cela reste au-dessus d’un lot bien faible.

Matt BLXCK – Up

J’ai franchement hésité à le faire basculer du côté obscur de la Force. Mais au vu du niveau général, je me suis dit qu’agir de la sorte serait faire montre d’injustice à l’égard d’un artiste qui, certes, en fait des caisses, des sur caisses et des hyper caisses, mais au moins Matt BLXCK t-il le mérite de proposer quelque chose de différent dans cette sélection très atone. Up est un titre aux sonorités urbaines qui n’est ni plus ni moins que l’exact copycat que le Come Around (MESC 2022) du même artiste – il en reprend même quelques notes dans la chanson ! – et un peu (très ?) bordélique sur les bords, mais ça a le mérite de réveiller la sélection.

Greta Tude – Sound of My Stilettos

À condition d’un gros revamp indispensable pour améliorer sa production (voire lui en conférer une tout court), Sound of My Stilettos (le son de mes talons en français) pourrait présenter un vrai potentiel. En l’état, c’est compliqué, parce que c’est brut et dénué de la moindre finition. Mais en donnant un bon coup de boost à l’orchestration et en ajoutant des choeurs à l’ensemble, Malte pourrait tenir une proposition tout à fait correcte. Alors, oui, cela fait beaucoup de « si » et de projections, mais la base est bel et bien là. De même que la Queen Greta pourrait tout à fait mettre l’ambiance sur la scène de Liverpool.

Nathan – Creeping Walls

Le très pop Creeping Walls est loin d’être désagréable à l’écoute. Le titre est plutôt pas mal construit dans sa structure et Nathan donne tout ce qu’il peut pour le défendre. Problème de taille cependant : la faiblesse et la ringardise absolue des arrangements qui rendent le titre parfaitement non-présentable à l’Eurovision en l’état. Dommage, parce que le titre n’est pas dénigrant en soi et que le petit potentiel est là. Mais à la seule et unique condition de gonfler la production aux hormones bovines. Vu le point de départ, c’est une avalanche de travail qui s’annonce sur la planche, parce qu’entre les insupportables beats et l’orchestration juste immonde d’un final digne d’une série B adaptée de la bande-son du Grand Bleu … Mais l’espoir fait sincèrement vivre.

À partir de maintenant, je ne ferai pas dans le détail, parce que la situation ne le mérite tout simplement pas. Exception faite des neuf propositions jusqu’ici présentées (et encore, j’ai essayé d’en sauver certaines comme j’ai pu tellement elles sont peu éligibles en l’état musicalement parlant), tout le reste est à jeter. On hésite entre la fin de karaoké d’entreprise à 5 heures du matin éméchées (On My Own – IAN), la mauvaise replongée dans des années 2000 qui n’auraient elles-mêmes pas supporté le choc d’un tel vice musical (The Mirror – Geo Debono) ou la tentative d’imitation de l’univers d’Andrea Boccelli époque nineties, 90 fois plus ringard (Eku Ċar – Christian Arding).

Le pire c’est qu’on y trouve ici parfois le « meilleur » de la sélection maltaise. Broken Hill (André) ? Quand le vintage vous replonge quarante années en arrière et sans refrain s’il vous plaît, mais le pire étant que le titre est l’un des mieux produits du plateau. Heartbreaker (Stefan) ? Malgré un chanteur qui en fait des caisses et des caisses, l’une des propositions les plus convenables de la sélection, si seulement elle n’avait pas vingt ans de retard et qu’une Incroyable transformation la rendait exploitable.

Car l’heure est venue de rappeler aux sélectionneurs maltais que nous ne sommes plus en 2007. Vous savez, cette fameuse année où Olivia Lewis a enfin réussi à réaliser son rêve d’Eurovision à la onzième tentative et au treizième titre … tout ça pour une 25ème place en demi-finale à Helsinki … Nous sommes aujourd’hui en 2023 (soit seize ans plus tard) et les tendances musicales ont évolué. Je te vois, indescriptible Indescribable (Chris Grech), dont on se demande comment le télévote a pu te porter en demi finale malgré les faiblesses de ton interprète et une orchestration à peine digne de ma décennie de naissance. Je te vois aussi Mikhail dont … j’ai oublié le titre tellement il a marqué ma mémoire. Ah, si, Leħen fiċ-Ċpar. C’est tellement romanesque. Surtout la prestation vocale. En parlant de ça, vous connaissez le chef d’oeuvre Running Up That Hill de Kate Bush ? Bah Ryan Hill en a adopté le gentilé (par voie familiale ou par pseudo, je n’en sais rien), mais musicalement parlant, le grand moment de poésie qu’est In The Silence n’aurait pas été foncièrement plus désagréable dans le silence. Pas de quoi siffler là-haut sur la colline …

L’heure du must du must est venue. L’heure de chercher des solutions aussi. C’est ce que nous expliquent d’ailleurs Domnic et Anna dans Whatever wind may blow. Mais que les solutions soient d’abord musicales face à telle tarte à la crème. « It’s your life, it’s your life, you can make it. »

Des solutions, certains ont tenté d’en chercher avec des choeurs, par exemple. Mais qui dit « solutions » ne dit pas forcément « bonne solutions », à tel point que le redouté Blackout (Bradley) devient malgré lui une réalité musicale. Si le mieux est parfois l’ennemi du bien, le trop est l’ennemi tout court, et ce ne sont pas trois minutes d’excès en tous genre (chant, expression scénique, théâtre …) qui vont infirmer la chose. Quand aux choeurs que même un soap opera n’aurait pas osé, c’est comme une goutte de savon qui risque de faire déborder la baignoire d’une prestation promise à la légende.

Une autre solution pourrait bien se cacher dans le choix du titre. La La Land (Cheryl) vous promettait un mauvais remake de la célèbre comédie musicale ? Et bien c’est pire encore ! Une imparfaite publicité mensongère au goût du rock, qui a certes le mérite de détonner dans une sélection plus plate qu’une eau d’Evian, mais surtout celui d’avoir largement dépassé la date limite de péremption et d’oser malgré tout se présenter au public. Tears (Marc-Anthony Bartolo) ? Pour le coup un nom bien choisi, car c’est pile ce qu’évoque le niveau global de la sélection … mais pas dit que les larmes relèvent de la tristesse devant une telle kermesse musicale.

It’ll be OK selon toi, Dan ? I say NO. I am not agree. AT ALL. AT ALL J’AI DIT (Yseult sors de ce corps).

Enfin terminé ? Mais moins tu en demandes, plus il en reste encore ! Raison de plus d’oublier l’oubliable, et si possible en dehors de la Bridle Road (Dario Bezzina). Reste le Piranha (Klinsmann), mais je vous le déconseille si vous tenez à la survie de vos dix doigts. Quelle bérézina …

Si vous tenez à (re) découvrir les 24 demi-finalistes …

Alors Loreen, elle est contente ?

Vous tenez vraiment à le savoir ?

Lorsqu’Alexandra Redde-Amiel a annoncé la sélection de La Zarra en interne et la mise en pause temporaire d’Eurovision France, certains se sont offusqués du retrait de la sélection. En tant qu’eurofans, c’est un format auquel nous sommes d’ordinaire fort attachés de par l’excitation qu’il provoque et le plaisir de nous laisser embarquer sur des territoires musicaux qui nous sont étrangers. Et objectivement, plus il y a de sélections, plus on en demande encore, tellement nous sommes insatiables.

Une sélection nationale, ce n’est pas qu’une sélection nationale. C’est aussi le reflet de la scène musicale d’un pays, de sa diversité et de sa densité … quand bien même certaines – heureusement minoritaires – relèvent davantage d’un inconscient folklore qui a le don de nous irriter et de nous amuser à la fois (coucou les auditions biélorusses et moldaves).

Toutefois, et alors même que je préfère mille fois une sélection nationale à une sélection interne qui n’a radicalement pas le même sel (et Lys Assia sait qu’on s’emmerderait toute une saison entière sans sélection), je me demande parfois pourquoi ? C’est pile d’ailleurs la question qui m’anime à la découverte de la sélection maltaise 2023 : pourquoi ?

Évidemment, chaque pays n’a ni le luxe, ni le loisir, de disposer d’une scène musicale d’égale densité, s’agissant aussi bien des interprètes que des auteurs-compositeurs ou des producteurs. Plus un pays est peuplé, plus il a de cartouches entre les mains, là où Saint-Marin, Malte, le Monténégro, l’Islande ou encore Chypre ont bien moins de possibilités, en toute logique. Voir ces pays organiser une sélection nationale qui demande des efforts financiers et artistiques (à savoir réunir un plateau de participants) considérables est plus que louable, de par leur volontarisme et leur abnégation. Là où d’autres, parfois plus avantagés, n’en font pas le dixième, et où d’autres encore ont choisi de se retirer tout simplement. De même, le format de la sélection nationale est indispensable aux artistes locaux pour se voir offrir une visibilité tant à l’intérieur de leurs frontières qu’à l’extérieur, où se situe l’essentiel de leurs perspectives là où le marché local est limité par son étroitesse (exemple d’Emma Muscat ou de certains artistes albanais dont l’essentiel de la carrière se déroule en Italie).

S’agissant du MESC 2023 toutefois, je me questionne. Là où le pays réussissait à assurer ses arrières avec des sélections en une ou deux soirées de bonne facture, là où il est parvenu à dénicher Michaela Pace et Destiny grâce à des télé-crochets bien mieux produits et au choix en interne de très bonnes chansons, pourquoi aujourd’hui nous pondre un dispositif pléthorique (40 artistes, 6 soirées) pour un bilan artistique aussi médiocre ? Parce que la réalité est triste : sur 40 quarts de finaliste et aujourd’hui 24 demi-finalistes, une main suffit largement pour compter le nombre de titres à peine exploitables pour l’Eurovision, avec pour seul horizon la certitude d’une élimination en demi-finale. Quand bien même Malte est limitée par l’étroitesse de son marché et sa scène musicale, elle l’est beaucoup moins par la perspective de faire appel à des auteurs-compositeurs à même de livrer des chansons a minima de facture correcte. Pour ainsi proposer une playlist de titres digne de ce nom, derrière le micro desquels on retrouverait toujours l’éventail des talents maltais. Talents qui méritent bel et bien la lumière européenne qu’offre une sélection nationale, et que nous sommes chaque année ravi·es de découvrir, avec la palette de sentiments qui prennent possession de nous.

Pour conclure sur ce point Malte 2023, vous l’aurez donc lu : le verdict de Loreen est implacable. Au sein d’un top 24 faible à l’extrême, et faute d’Aidan (dont le Regina était toutefois inférieur à Ritmu) seule Brooke (que l’on retrouve ici pour la quatrième fois en sélection) dispose d’un titre suffisamment armé pour affronter la concurrence féroce de l’Eurovision. Le pays n’a d’ailleurs pas le choix : c’est elle ou personne d’autre. À moins d’offrir de très sérieux revamps à tout le reste (et même pas dit que cela suffise …), voire carrément de changer de titre pour le concours, comme ce fut le cas d’Ira Losco en 2016 et d’Emma Muscat l’année dernière. C’est d’ailleurs la voie que je conseillerais également pour Brooke en cas de victoire : un changement pur et simple de titre, parce qu’une qualification en finale de l’Eurovision impose un titre beaucoup plus solide que Checkmate (sur le papier).

MESC 2023 : quel est votre titre favori ?
27 votes
×

Rendez-vous ce jeudi 9 février à partir de 21h pour la demi-finale du Malta Eurovision Song Contest et samedi 11 février même heure pour la grande finale !