Depuis la création de l’Eurovision Junior en 2003 (il y a donc vingt ans pile), quarante pays ont participé au moins une fois à ce concours qui, à chaque fin d’automne, réunit des dizaines de millions de téléspectateurs autour de nos eurostars junior.

Si la quasi-totalité d’entre eux participent au concours adulte – ou y ont déjà participé par le passé, seuls deux pays n’ont pas eu ce loisir à ce jour : le Pays de Galles (car nation constitutive du Royaume-Uni) et le Kazakhstan (affilié à l’UER, mais jusqu’alors non invité au concours adulte).

Au fil des années, le concours junior tend à avoir des difficultés croissantes à séduire les télédiffuseurs pour une diversité de raisons (explicitées par notre collègue Michael dans un précédent édito), là où les pays du Big 5 reviennent à l’inverse en force depuis 2018, pendant que d’autres s’arriment à l’Eurovision Junior tel un véritable bastion. Anodin ? Pas tout à fait. Si l’on observe le taux de réussite comparatif aux deux concours, un constat : les pays stars du Junior diffèrent sensiblement de ceux de l’Eurovision adulte.

Autrement dit : ceux qui sont aux avant-postes de l’Eurovision Junior connaissent une réussite moins franche (si ce n’est l’échec) au concours adulte, tandis que les pays stars du concours adulte ne sont pas réputés pour briller au Junior (Italie), si ce n’est qu’ils s’en sont tout bonnement retirés (à l’instar de la Norvège en 2005 et de la Suède en 2014). Deux exceptions : l’Ukraine, pays star du concours adulte et solidement ancré au Junior, et la Russie avant son retrait des deux compétitions

Concentrons-nous sur le premier cas, et intéressons-nous aujourd’hui à ces pays dont la réussite au concours junior frise avec l’insolence (si ce n’est la franche insulte), là où le concours adulte persiste à se refuser à eux voire, pire, les renvoie en fin fond de classement.

Pour des facilités de calcul du classement moyen à l’Eurovision adulte, une élimination en demi-finale équivaut au classement 27.

La Géorgie

Classement moyen à l’Eurovision Junior : 5,1 – classement moyen à l’Eurovision adulte : 20,2

C’est sans aucun doute le cas le plus caractéristique. Depuis ses débuts en 2007, le pays s’est imposé comme LE bastion de l’Eurovision Junior (mais ça c’était avant …), avec un palmarès à faire pâlir d’envie bien de ses collègues. Admirez un peu : 3 victoires (2008 bzzzzzzzzz, 2011 et 2016) – certes pas forcément du meilleur goût, mais victoires quand même, 2 médailles d’argent, une médaille de bronze, et un top 5 atteint dans 10 de leurs 16 participations (62,5%). Derrière cette réussite, un homme : Giga Kukhianidze, aka le « Boss du Junior », auteur de la recette d’un succès géorgien teinté de pop enfantine (que Michael vous a déjà présenté dans un edito sur les 20 ans de l’Eurovision Junior) et depuis passé à des propositions plus matures et ambitieuses (à l’instar de celles de Tamar Edilashvili et Mariam Bigvava).

Autant dire que la délégation géorgienne aimerait en dire autant au concours adulte où, pour le coup, galère est un mot bien faible pour décrire son parcours du combattant. Après des débuts (toujours en 2007) teintés d’une belle honnêteté (12ème en 2007, 11ème en 2008, 9ème en 2010 et 2011), on pensait la Géorgie sur la pente ascendante malgré deux premiers échecs en demi-finale et le retrait de 2009 (la fameuse affaire du We Don’t Wanna Putin, oups « Put In »).

Las ! Depuis 2016 et la qualification surprise de Nika Kocharov and Young Georgian Lolitaz, c’est la dèche pour le pays du Caucase, et pour cause, puisqu’il reste sur une belle série de six éliminations consécutives en demi-finale. Ce n’est pourtant pas faute de tenter  : ballade à voix (2017), chorale ethno-jazz (2018), pop-rock rocailleuse (2019 et 2021) ou encore musique expérimentale (2022), autant de propositions restées sans réponse de la part du public et des jurys nationaux, qui refusent d’offrir à la Géorgie la finale à laquelle elle aspire. Autant de propositions qui, malgré leurs qualités et leur singularité manifeste, ne faisaient pas le poids face à une concurrence plus forte et plus facile d’accès.

Les équipes de GPB ont donc logiquement décidé de convoquer les esprits du Junior à la rescousse, et d’envoyer l’artillerie lourde pour sauver la Géorgie de sa spirale infernale. Tagada, tagada, voilà donc Giga Kukhianidze mis sur le coup et chamgaraga-ga-chamgara, rendez-vous est pris avec Iru, ancienne gagnante de l’Eurovision Junior avec Candy Music (2011), jadis produites par le dit « Boss du Junior ». Avec de tels ingrédients de renom, tous les éléments étaient censés être réunis pour enfin célébrer la recette du succès géorgien au concours junior, avec un Echo au solide potentiel de finaliste. Las encore ! Malgré des chances de qualification estimées à 74% par les bookmakers, la Géorgie a échoué cette année à la 12ème place de sa demi, sous les larmes d’Iru et à la surprise de beaucoup.

L’Espagne

Classement moyen à l’Eurovision Junior : 4,5 – classement moyen à l’Eurovision adulte sur la période 2003-2023 : 18,05

Antes muerta que sencilla, que sencilla, que sencilla … Avec cet air toujours aussi entêtant près de vingt ans après, Maria Isabel a vu son succès traverser les frontières, et pour cause, puisqu’elle a offert à l’Espagne sa première victoire à l’Eurovision Junior dès 2004, deux médailles d’argent placées en guise d’apéritif et de dessert. Un incompréhensible retrait plus tard en 2006 (malgré une belle 4ème place), c’est en 2019 que nos voisins signent leur grand retour au concours junior, dont ils jouent depuis et une nouvelle fois les premiers rôles (accident de 2021 excepté). Melani Garcia, Soleá, Carlos Higes, … Autant de favoris qui n’ont peut-être pas décroché la victoire, mais qui ont su marquer les esprits pour la plupart grâce au redoutable ritmo latino (Melani y avait préféré la ballade à voix cristalline) qui fait la saveur de la si dansante pop espagnole … et surtout les affaires de la RTVE à l’Eurovision Junior. Un cap du succès que le pays est bien parti pour conserver cette année avec la jolie côte de sa représentante Sandra Valero et son redoutable LOVIU.

Et au concours adulte ? Assumons le mot : es complicado. Pour tout vous dire, l’Espagne attend même sa troisième victoire depuis plus longtemps que nous (Marie Myriam sait pourtant que quarante-six ans, c’est fort long), Salomé ayant soulevé le trophée en 1969 … Depuis ? Si nos amis transpyrénéens comptent quelques jolis coups à leurs actif (2ème place en 1995, quatre top 10 entre 2001 et 2004) ainsi que d’emblématiques eurostars (hola Pastora – QUEDATE CONMIIIIIIGO – Soler et Ruth Lorenzo), ils ont surtout connu  une littérale série noire : 12 classements au-delà de la 20ème place entre 2005 et 2021 (soit 17 concours), dont la dernière en 2017 (avec Manel Navarro et son fameux dedo en finale nationale) et un nul point au télévote il y a deux ans.

Autant de surprises ? Non. Si de rares bottom 5 ont eu de quoi étonner (Edurne en 2015, Barei en 2016), la plupart se sont malheureusement avérés en phase avec la concurrence des éditions concernées, fut-ce la faute à de faibles propositions sans sel et déconnectées des attentes du moments, des performances éloignées de la hauteur des enjeux ou les deux à la fois (hola Manel). A moins qu’une scénographie complètement ratée soit passée par là au détriment du potentiel du titre (2019)

On pensait l’Espagne définitivement égarée dans ses turpitudes … mais c’était sans compter sur la colère des eurofans espagnols qui a poussé TVE, après des années de léthargie, à mettre le dossier Eurovision en haut de la pile et à relancer le Benidorm Fest en 2022 après seize ans d’absence. Résultat ? Une troisième place historique avec Chanel à Turin (meilleur classement du pays en 27 ans) et l’instant de grâce Blanca Paloma à Liverpool … mais un classement au goût amer et scandaleux (17ème place, dont la dernière du télévote). Ce n’est peut-être pas encore tout à fait ça pour nos amis espagnols, mais gageons que si le télédiffuseur poursuit sur la belle lancée d’un Benidorm Fest très qualitatif (et envié de l’euromonde entier), l’Eurovision saura tôt ou tard bien le lui rendre.

La Pologne

Classement moyen à l’Eurovision Junior : 8,33 – classement moyen à l’Eurovision adulte sur la période 2003-2023 : 21,61

Si on dit Eurovision Junior, il y a de fortes chances que vous répondiez « Pologne ». Le pays a pourtant signé des débuts non des plus tonitruants, avec deux dernières places à 3 points en 2003 et 2004. Douze ans après un évident retrait, la TVP annonce le grand retour du pays en 2016, l’occasion pour lui de remonter pas à pas au classement. Jusqu’à ce céleste 25 novembre 2018 où Roksana Węgiel remporta la première victoire polonaise à l’Eurovision Junior (quelques points devant la France grrrr), très vite suivie d’une seconde signée Viki Gabor à domicile l’année suivante. De quoi faire de la Pologne le premier pays à remporter deux victoires consécutives à l’Eurovision Junior (là où elles persistaient à se refuser à l’Arménie et à la Géorgie).

Depuis, si toutes les participations n’ont pas été couronnées du même succès, la Pologne s’est imposée comme le premier audimat d’Europe pour le concours junior (jusqu’à 7,7 millions de téléspectateurs en 2019) et Sara James – à qui la victoire a échappé de justesse en 2021 – est parvenue en finale d’America’s Got Talent, faisant partager son talent au monde entier. Bref : là où l’Eurovision Junior s’est imposée comme un programme phare dans le pays (y compris avec sa finale nationale), la Pologne s’est imposée comme un pays phare du concours junior avec une touche pop mature, dont plusieurs des propositions auraient sans nul doute pu trouver leur place chez les adultes.

Et chez les adultes, justement ? C’est mi-figue, mi-raisin. Après avoir frappé fort pour sa première participation (avec la deuxième place d’Edyta Górniak à Dublin), le pays est rentré dans le rang, enchaînant les classements moyens … jusqu’à l’instauration des demi-finales en 2004. La période 2005-2011 résonne comme la plus sombre période de la Pologne dans son histoire de l’Eurovision, avec six éliminations en sept concours et une triste 24ème place à Belgrade (comment aurait-il pu en être autrement en même temps …). L’hégémonie sur les balades était alors du côté des Balkans (avec plus de talent, force est de le reconnaître), tandis que les propositions polonaises ne parvenaient désespérément pas à imprimer les esprits (qui se souvient objectivement d’un titre de la période ?).

Après un retrait – bienfaiteur – de trois ans, le pays revient sur le devant de la scène en 2014, où Donatan et Cleo lui permettent d’accrocher la 14ème place (et un top 5 au télévote) avec My Słowianie – We Are Slavic et sa scénographie entrée dans les incontournables de l’Eurovision. Surtout, malgré l’eurodrama Margaret, la Pologne décroche une 8ème place surprise à Stockholm (3ème du télévote !) avec Michał Szpak.

Vous pensiez donc la Pologne sur la voie de sa première victoire au concours ? Perdu ! Après le classement anecdotique de Kasia Moś à Kiev (malgré une 12ème place au télévote), le pays connaît ensuite une série de trois éliminations en demi-finale (dont celle litigieuse de Tulia en 2019), avant de signer une nouvelle fois son grand retour dans le jeu avec Ochman en 2022. Très vite érigé en favori des eurofans, sa douzième place a eu de quoi refroidir les légitimes espoirs polonais. Et ce n’est pas à Blanka – dont la sélection a fait l’objet d’un eurodrame digne de ce nom – et sa 19ème place solo, solo (à laquelle ne manquaient plus que des papillons de lumière pour sublimer les palmiers façon clipart) que le Micro de Cristal aura tendu les bras, ce en dépit d’un joli top 10 au télévote.

Szansa na Sukces ? Attendons de voir, mais force est de constater qu’avec sa sélection nationale, la Pologne semble tout de même amorcer un début de relance au concours adulte, là où le pays tend inversement à marquer le pas au Junior.

L’Arménie

Classement moyen à l’Eurovision Junior : 4,07 – classement moyen à l’Eurovision adulte sur la période 2003-2023 : 14,33

Voilà ici un cas non des moins intéressants. Arrivée dans la course du Junior en 2007 (soit un an pile après ses débuts à l’Eurovision), l’Arménie y a également marqué les esprits d’entrée, avec des titres pop énergiques et accrocheurs teintés de la touche arménienne. Résultat ? Une deuxième place pour sa première participation, et surtout un fait majeur : en quinze participations, le pays a systématiquement atteint le top 10 du classement, fait (presque) unique dans l’histoire du concours. Dans le lot, deux victoires en 2010 et 2021, cinq deuxièmes places et deux médailles de bronze, à côté desquelles une neuvième place passe presque pour une déception. Le temps a beau passer et les promotions se succéder sur la scène de l’Eurovision Junior, le succès arménien ne se dément pas, et ce n’est pas Maléna et Nare qui diront le contraire ! Le pays est d’ailleurs l’un de ceux où le concours est le plus populaire, Erevan ayant célébré l’événement en grande pompe l’année dernière, avec une cérémonie d’ouverture digne de ce nom sur la Place de la République d’Erevan, et un show de feu devant le dense public du complexe Karen Demirchyan.

Côté adulte, cela avait également commencé sur les chapeaux de roue, avec une 8ème place en 2006 et cinq top 10 consécutifs. L’Arménie fait même figure de favorite à la victoire à Belgrade avec Qele Qele, que Sirusho porte finalement jusqu’à une quatrième place historique (meilleur classement du pays, égalé par Aram Mp3 en 2014). Le pays impose très vite sa patte ethno pop sur la scène de l’Eurovision, et les européens en redemandent.  

L’élimination d’une grande vocaliste nommée Emmy en 2011 (Boom boom, chucka chucka) signera toutefois le coup d’arrêt du pays qui, depuis, connaît des résultats fluctuants malgré la médaille en chocolat de 2014 et la 7ème place d’Iveta Moukoutchian deux ans plus tard. Ces dix dernières années, l’aventure de l’Arménie à l’Eurovision oscille entre retraits pour raisons politiques, (rares) éliminations en demi-finale et ventre mou du classement. Si le pays a depuis longtemps renoncé à sa recette originelle du succès, et quand bien même toutes les propositions ne furent pas de premier choix (2013, 2020) ou des plus impactantes (2015, 2018), difficile d’intenter un procès au télédiffuseur. Artistes confirmés et solides en live, scénographies travaillées, propositions de qualité … ARM TV ne rechigne pas devant l’effort, n’hésitant pas à s’aventurer dans de réelles prises de risque (Fly with Me, Future Lover) afin d’essayer d’imprimer une identité arménienne sur la scène de l’Eurovision, faite d’authenticité et de singularité. Alors, pourquoi cela ne daigne-t-il pas fonctionner (ou juste moyennement) ? Le mystère reste entier … si ce n’est celui du manque d’accessibilité au grand public ou du défaut d’impact ?

Paradoxe ultime du cas arménien : avec l’ultra-accrocheur SNAP, Rosa Linn s’est contentée d’une décevante 20ème place à Turin … pour partir quelques mois plus tard à la conquête du monde, plus d’un milliard de streams (OUI, tu as bien lu cher lecteur, UN MILLIARD !) de son eurotube à la clé. Avec un tel fait d’arme, à quand le grand retour de l’Arménie dans les hauteurs du classement ?

La France

Classement moyen à l’Eurovision Junior : 2,4 – classement moyen à l’Eurovision adulte sur la période 2003-2023 : 16,95

Last But Not Least, et évidemment : la France, Mon amour. Depuis son grand retour sur la scène de l’Eurovision Junior en 2018 (après l’expérience inachevée de la 6ème place de 2004), notre pays s’est imposé comme une valeur sûre du concours, avec un succès jusqu’à présent insolent. Au palmarès : deux victoires (2020, 2022), une seconde place (2018), une troisième place à domicile (2021) et une cinquième place (2019), soit cinq top 5 consécutifs (seule la Russie a fait mieux entre 2009 et 2014, mais sans le Micro de Cristal qui va avec, ET BAM). En cinq ans, la France a su imposer une empreinte unique sur la scène de l’Eurovision Junior avec des titres à l’esprit 100% junior (là où certains pays préfèrent emprunter une voie plus adulte), extrêmement accrocheurs et entêtants, dont tout européen pourrait entonner le refrain sans difficulté dès la première écoute. Quand bien même l’on serait tenté de croire la recette épuisée, cela continue de marcher à ce jour.

Pour le « grand Eurovision » ainsi dirait ARA, ce n’est pas tant évident. Pays fondateur du concours, la France compte parmi les plus victorieux, avec 5 trophées à notre actif, dont le dernier date de … 1977 (si l’on excepte évidemment notre victoire volée eurotragédie de 1991).  Sur la période 1956-1997 (soit 40 éditions), nous enregistrons un nombre pléthorique de top 10 (32 !), certes à une époque où la concurrence était moindre numériquement parlant, mais où la valeur France s’imposait dans le champ de l’Eurovision, le plus souvent avec des balades des plus typiques. Les années 90 seront même celles d’une nouvelle French Touch avec des propositions aussi diverses qu’emblématiques, chacune dotée d’une identité propre, et au final couronnées de deux médailles d’argent. Malgré tout, la victoire persiste à se refuser à nouveau au détour d’un ex-aequo.

C’est à la fin de la décennie que les choses commencent à se gâter. Dès lors, en dix-huit ans, et malgré les beaux intermèdes Natasha St Pier, Sandrine François et Patricia Kaas, la France enchaîne bottom 5 (8 sur la période) et déconvenues, quelques furent ses tentatives. La faute à des choix musicaux souvent déconnectés des succès du moment et des attentes du concours de l’époque, là où des artistes peu expérimentés et dénués de moyens se sont parfois retrouvés à essuyer les plâtres. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté de sortir du marasme, tant en faisant appel à une nouvelle scène française prometteuse et jusqu’alors à la marge des circuits commerciaux (Les Fatals Picards, Sébastien Tellier) qu’en mobilisant des noms plus connus (Anggun, Amandine Bourgeois). Annoncé comme le grand favori à la victoire en 2011, Amaury Vassili termine à une peu reluisante 15ème place, tandis que l’épisode Lisa Angell apparaît comme la goutte de trop, tant pour l’intéressée que pour France Télévisions, qui se décide à agir par l’entremise de Nathalie André.

La sixième place d’Amir en 2016 lance une dynamique et remet la France dans le jeu de l’Eurovision. Les classements suivants ne sont peut-être pas mirobolants (12ème en 2017, 13ème en 2018, 16ème en 2019) mais témoignent d’une progression, là où notre pays revient au premier rang des discussions de l’euromonde, qui systématise notre place dans le top 10 … des bookmakers, sans que l’on ne réussisse pour autant à confirmer, un défaut de savoir-faire dans la catégorie mise en scène étant le plus souvent relevé.

Alors que s’amorce l’ère Alexandra Redde-Amiel, 2021 est l’année du miracle Barbara Pravi. Avec Voilà, celle qui se retrouve comparée à des monuments tels qu’Edith Piaf parvient à toucher les européens en plein cœur, qui manquent de lui offrir la victoire à quelques points près. Une deuxième place historique (meilleur classement français en trente ans) qui promet de beaux lendemains à la France … C’était sans compter sur l’organisation chaotique de la sélection nationale 2022 (tout juste intervenue après l’organisation du Junior à domicile) et le choix déroutant de l’électro-Breizh noz d’Alvan & Ahez qui ont conclu leur aventure sur une avant-dernière place. Changement de stratégie en 2023 où tous les ingrédients semblent alors réunis pour célébrer la Grande France : l’artiste (La Zarra), le titre (Évidemment), la volonté de gagner, … De belles promesses qui ne furent malheureusement que du vent, et surtout conclues par un toz à l’Europe là où était censé nous attendre le toit du monde (une chute dont nous avons fait l’anatomie dans un édito publié au printemps dernier).

Avec le choix de Slimane pour l’Eurovision 2024, France Télévisions vient toutefois de frapper un énorme coup dans l’euromonde, en envoyant à Malmö l’un des artistes les plus installés sur la scène musicale française.

Au jeu des 7 familles, je demande aussi …

Malte : même si le pays traverse actuellement un passage difficile au Junior (deux dernières places depuis 2019), l’île silencieuse a connu son âge d’or entre 2013 et 2018, enchaînant les victoires de Gaia Cauchi et Destiny, ainsi que six top 10 consécutifs avec de solides propositions pop. Pendant ce temps-là, Malte est en pleine traversée du désert au concours adulte depuis la médaille d’argent de Chiara il a presque vingt ans, deux top 10 (avec Gianluca Bezzina et Destiny) ne parvenant pas à effacer une succession d’éliminations en demi-finale (9) et de classements moyens (sans compter l’affaire des paris frauduleux). Eurostars, multi-récidivistes, … Malte a beau essayer, les européens restent de marbre face à des propositions trop formatées et sans identité, qui ont plus souvent le goût d’un recalé du Melfest que d’un succès au concours.

Biélorussie : désormais exclu de l’UER, le pays comptait parmi les bastions de l’Eurovision Junior avec deux victoires à son actif et seuls trois passages hors du top 10. Si le succès de la recette junior a été largement éprouvé, cela calait bien davantage côté adulte, avec seulement six finales et un top 10 en seize participations. Des robes papillons à la boule à facette géante, sans oublier le cheesecake et les loups (!), il faut avouer que les propositions du pays conféraient parfois au lunaire … et ce n’était rien à côté des légendaires auditions de sa sélection nationale truquée, tel un écho de propositions dans l’ensemble très peu compétitives par rapport à la concurrence continentale.

A côté de ces cas dissonants, d’autres pays connaissent (ou ont connu) a contrario un destin similaire aux concours adulte et junior, fut-ce pour leurs bons classements (Australie, Ukraine, Portugal depuis quelques années) ou leurs difficultés structurelles (Albanie, Allemagne, Irlande).


Au-delà de la moindre concurrence numérique de l’Eurovision Junior (15,66 pays participants en moyenne contre 40,6 au concours adulte depuis 2008), Arménie, Géorgie, Espagne, France et Pologne sont autant de pays qui, chacun dans leurs gammes, ont trouvé une clé du succès à même de séduire le public et les jurés européens à l’Eurovision Junior. Chacun est parvenu à imposer sa propre marque sur la scène du concours, au travers d’un univers musical identifiable (et souvent teinté de sonorités locales) qu’il est parvenu à installer auprès du public et des jurys au fil des éditions. Une stratégie qui témoigne également d’un investissement des télédiffuseurs dans un concours junior qui a parallèlement de plus en plus de difficultés à attirer de nouveaux participants, faute de moyens, d’intérêt ou encore d’audience des pays sollicités. Au-delà d’une utilisation du concours sous l’angle de la diplomatie culturelle, la volonté de perpétuation du succès au Junior me semble également une réponse aux difficultés lancinantes qu’éprouvent ces pays au concours adulte.

Succès au Junior, galère au concours adulte : pourquoi ? Dans les réponses au premier se trouvent les clés de sortie du second. Lors d’une conférence de presse, ARA affirmait que si elle connaissait les clés du succès à l’Eurovision, elle serait millionnaire, et ce n’est pas faux. Gagner l’Eurovision témoigne d’une recette simple et complexe à la fois, dans la mesure où elle dépend en partie d’éléments extérieurs (à savoir la concurrence), pour ne pas dire d’un alignement de planètes parfait et sans nuages. Autrement dit : parvenir à remporter le Micro de Cristal, c’est avoir LA bonne chanson, LE bon interprète, LA bonne scénographie et LA bonne stratégie LA bonne année.

Mais au-delà de cette évidence, une victoire se construit, tout comme les pays évoqués ont construit leur succès à l’Eurovision Junior. Cela suppose d’avoir une ligne artistique directrice, de solliciter des artistes ayant l’expérience de la scène et capables de supporter la pression du concours et de présenter des propositions musicales fortes, ancrées dans leur époque, accrocheuses et accessibles à tous, et à la fois caractéristiques de la scène musicale locale tout en étant capable de parler à l’international. Le tout en accompagnant la candidature par un travail de fond (promotion, installation du titre et de l’artiste) et de forme (scénographie). Pile des points forts au concours junior, plutôt des points faibles au concours adulte même si, dans les faits, les facteurs de l’échec (ou de l’insuccès relatif) ne se résument parfois qu’au défaut d’un Je ne sais quoi ou deux. Si certains télédiffuseurs témoignent depuis quelques années de réels efforts pour le concours, la principale carence réside le plus souvent dans un défaut de stratégie et de vision de l’Eurovision, là où ils ont paradoxalement le « nez » pour le Junior.

Un exemple intéressant : les Pays-Bas. Depuis son arrivée dans le concours junior en 2003, le seul pays à avoir pris part à l’ensemble des éditions n’y a quasiment pas connu l’échec au sens propre du terme. La touche néerlandaise au Junior séduit, et les européens la couronnent le plus souvent de bons classements (place moyenne : 8,7, dont une victoire en 2009 et trois 4ème place entre 2017 et 2020). A l’inverse, malgré un statut de pays fondateur de l’Eurovision, les Pays-Bas y ont connu une décennie 2000 de l’enfer, enchaînant 8 éliminations consécutives record en demi-finale, la faute à des choix musicaux pour la plupart désastreux et à contre-courant du potentiel de la scène musicale batave. Jusqu’au jour où le télédiffuseur a décidé de réagir en envoyant sa superstar Anouk à Malmö, un top 10 à la clé. Depuis 2013, ce sont ainsi une victoire en 2019 (la première en 44 ans), une médaille d’argent et une présence régulière en première partie de tableau (avec une étrange addiction pour la 11ème place) qui se sont offertes au pays, exception faite de l’échec cuisant de Liverpool.

Tâche à présent à ces pays de trouver leur propre voie au concours adulte, celle-là même qui leur permettra de trouver la route d’un succès sur laquelle ils sont bel et bien engagés à l’Eurovision Junior. Si dupliquer stricto censu les recettes du junior à l’Eurovision ne semble pas foncièrement la meilleure idée (les deux concours ayant chacun leurs propres standards), trouver une formule et travailler autour d’une stratégie sont deux bases de travail indispensables pour se propulser vers les hauteurs du classement.