Un mois après la seizième place de la France à l’Eurovision 2023, le temps du recul imposé et nécessaire s’est lentement écoulé. Vient désormais celui d’essayer de répondre à la question qui nous brûle les lèvres : pourquoi ?

Dans ma tête ce n’est pas tant évident
Je cherche la vérité, tout en l’évitant
On a beau être sur le toit du monde
On ne peut toucher le ciel du doigt

Rarement paroles n’ont été si prophétiques quant au destin français à l’Eurovision. 

La posture d’eurofan n’est pas tant évidente. Que dire de celle de fan media. Il y a là l’enthousiasme intrinsèque à porter la candidature française. Il y a là la volonté et l’envie viscérale de voir briller la Grande France, et de mettre tous les moyens en œuvre pour. Il y a là la sincérité et l’engouement. Il peut y avoir parfois là aussi une certaine forme d’aveuglement, de déni, dont le recul nous éclaire.

Trouver le ton juste pour faire l’autopsie d’un échec n’est pas tant évident, surtout quand on a défendu bec et ongles sa représentante. Trouver le ton juste n’est d’autant pas évident que l’on s’expose aux risques d’être accusé de cracher dans la soupe, de retourner sa veste ou a contrario de faire montre de trop de complaisance. 

J’ai plusieurs fois essayé de poser ma plume sur cet édito sans que les mots, le ton, la ligne directrice ne viennent. Rare crise de la page blanche. J’ai préféré laissé sa chance au recul, nécessaire, indispensable, avant de poser enfin mes mots sur cette anatomie d’une chute qui, contrairement à Justine Triet, a été loin d’emmener La Zarra sur le toit du monde. Hélas.

Tout avait pourtant bien commencé.

Le choix de l’artiste, tant espérée par les eurofans. La première fois depuis une éternité que la France choisit l’une de ses artistes en devenir du moment pour porter ses couleurs. La volonté affichée de France Télévisions d’aller décrocher la victoire à Liverpool, comme jamais elle n’a été exprimée et assumée jusqu’alors. Une représentante très accessible avec les eurofans, à qui elle a offert sa réelle disponibilité, sa sympathie et ses moments de grâce lors des previews et lors de la rencontre à Liverpool. Il en fut de même avec nous lors des interviews que nous avons eu la chance et le plaisir de réaliser. Une chanson de belle facture, mêlant à la fois les standards d’une pop-variété à la francaise, ADN musical de La Zarra, et des sonorités rétro-disco-funk dans la pure veine des tendances musicales du moment en France.

Derrière les mastodontes Loreen et Käärija, jouer la gagne allait être compliqué et nous le savions. Mais devant le niveau général de l’Eurovision 2023, l’iconisme de la diva La Zarra, l’engouement autour de sa candidature et la qualité objective de la chanson, un top 10, voire un top 5, nous semblait largement à la portée d’une France star du junior, mais à la peine au concours adulte, malgré les espoirs nés du miracle Pravi.

Seulement, tout ne s’est pas passé comme prévu.

Une première frayeur début mars, avec l’énigmatique story Instagram où La Zarra annonce tout arrêter, suscitant stupeur et panique dans l’euromonde, avant d’avouer qu’elle ne parlait ici que de … gluten. L’eurodrama originel d’Amsterdam où, moins d’un mois avant Liveroool, la candidate française se retire à la dernière seconde de l’euroconcert, officiellement en raison d’un état d’épuisement émotionnel. L’acharnement médiatique qui a suivi. Une campagne de communication mise au ralenti du fait de la mise au repos de l’artiste, alors qu’elle aurait du battre son plein. Et surtout, le doute qui subsiste : verra t-on La Zarra sur la scène de l’Eurovision 2023 ?

Une story inhabituellement sobre et sans fards, une tribune des fan médias (à laquelle s’est associée L’Eurovision au Quotidien et que nous assumons bec et ongles), une interview d’Alexandra Redde-Amiel sur Sud Radio pour « remettre l’église au centre du village », une belle prestation live sur la scène de C à vous. Et entre-temps, une artiste largement soutenue par les eurofans et par les bookmakers, qui la font grimper à la 3ème place. Un nom qui s’impose sur toutes les lèvres avec lesquelles nous discutons à Liverpool. « Diva », « iconique » … et surtout « Évidemment ». Plus que jamais, les espoirs sont permis, et l’on se prend même à rêver retrouver la France dans le top 5. Pour ne pas dire y croire.

Très vite émergent toutefois de nouvelles craintes. Face à la concurrence, la France propose une belle mise en scène (même si pas autant « jamais vue » qu’annoncée) teintée de beaux jeux de lumière, mais où l’artiste semble peiner à trouver ses marques. Chanter à 3 mètres de hauteur sur une micro plate-forme qui bouge au moindre mouvement n’est pas tant évident, et ce n’est pas en une semaine qu’on s’habitue à un tel défi technique. Surtout, c’est sur le plan vocal que subsistent les plus gros doutes, toutefois éteints par une belle prestation lors du Jury Show de la première demi-finale, et par l’accueil dithyrambique du public en salle.

L’espoir renaît, mais il est vite éteint par un ordre de passage médiocre (6ème, comme en 2022), qui plus est dans une moitié de finale où les favoris (Suède, Finlande, Italie, Espagne) se bousculent. Surtout, la prestation du Jury Show de la finale réduit vite à néant les espoirs de la France de bien figurer chez les professionnels, La Zarra livrant une prestation vocale aléatoire, où le stress et le manque de maîtrise la placent sur le fil les trois minutes du titre durant, jusqu’à ce « La Grande Fraaaaaaance » étranglé. Reste un télévote que l’on espère favorable devant la très belle prestation du samedi soir. Il n’en sera malheureusement rien, et la suite ne sera que doigt d’honneur (appelons un chat un chat), urgence waters et … accident industriel.

Tant de déception et d’amertume devant toutes ces belles promesses, finalement que du vent. Tant de déception et d’amertume devant l’attitude finale de La Zarra, car la déception n’excuse pas tout. Et surtout, un questionnement. Comment la France est t-elle passée à ce point d’une Eurovision dont elle voyait l’organisation en Angleterre comme le symbole d’une victoire annoncée ?

Évidemment, il est facile de refaire l’histoire après coup, d’autant plus quand on a défendu la candidature française avec passion, sincérité et conviction. Mais nul échec ne peut faire l’économie d’une remise en question indispensable pour remettre la France sur de bons rails.

1- Un excès de confiance en la victoire et un manque d’humilité dans la reconnaissance de l’échec ?

Dès l’annonce de la candidature de La Zarra, France 2 a exprimé haut et fort la volonté affichée, si ce n’est la certitude, de « ramener la coupe à la maison » pour la première fois en 46 ans. Toute la saison durant, le télédiffuseur n’a cessé de véhiculer ce message, s’offrant même certaines audaces, comme celle de déclarer que l’ultra-favorite et eurolégende Loreen ne lui faisait pas peur. Avec le résultat que l’on sait au final … À force d’avoir affiché la certitude de la victoire à rebours des signaux envoyés par les faits, l’ambition légitime et évidemment partagée n’est-elle pas devenue inconsciemment une forme d’orgueil déplacé eu égard à la réalité de nos chances ?

Dans cette lignée, les réactions fassent à la défaite ont de quoi surprendre, la cheffe de délégation et l’artiste déclarant respectivement qu’« on repart gagnant » et que « La Zarra repart gagnante aujourd’hui », en dépit d’une seizième place aux antipodes de l’ambition initiale. Depuis, silence radio, jusqu’à une interview récente de Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes de France Télévisions, à Télé Loisirs. Interrogé sur l’Eurovision 2023, il admet la déception tant par rapport au résultat inattendu qu’envers l’attitude de La Zarra, tout en gardant pour objectif une prochaine victoire.

Il ajoute toutefois « On a tenté sans succès toutes les combinaisons donc ça signifie qu’il y a des raisons plus profondes pour lesquelles un artiste français n’arrive pas à convaincre le public européen … » Au-delà du caractère discutable de la première affirmation, dire à demi-mot qu’un désamour envers la France serait la raison intrinsèque de l’échec des candidats français à l’Eurovision n’est-il pas trop facile … et très franco-français dans le rapport à la défaite ?

2- Une overdose de French Touch ?

Loin de moi l’idée de défendre un formatage anglo-saxon, là où un eurotube doit être représentatif de la scène musicale de son pays (ce qui est loin d’être le cas de tous, nous en conviendrons).

Si la France a par le passé exploré plusieurs pistes, le pays est resté sur le succès miracle de Barbara Pravi et sa proposition inscrite dans la lignée d’une chanson française qui participe à la vitrine de la France au niveau international. Une artiste et une performance souvent ramenées à l’icône Edith Piaf, Immense parmi les Immenses, dont le seul nom et deux-trois notes suffisent à faire briller les yeux des européens et des internationaux.

Ajouté à cela le succès indéniable de la French Touch au Junior (avec une deuxième victoire qui a déjoué tous les pronostics), dont elle s’est départie avec la proposition électro-breizh d’Alvan et Ahez (pour le résultat qu’on connaît), France 2 a depuis érigé la touche française en marque de fabrique répondant aux attentes des européens. Mais le concours adulte n’est pas le Junior, et il est difficile de dupliquer un modèle sur un terrain qui n’a rien à voir.

Du béret érigé en bonnet phryigien de notre Marianne eurovisionesque au « Vais-je réussir à changer la grande France », avec le drapeau tricolore illuminant la scène de la M&S Bank Arena, la touche française était partout à une Tour Eiffel près (uffa). Et si le cliché assumé avait engendré une overdose ? Si la French Touch façon Eurovision 2023, c’était tout sauf des clichés touristiques à la française ?

3- Une proposition trop formatée Eurovision … mais avec une vision erronée du concours ?

À la première écoute d’Evidemment – dont je garde la conviction profonde qu’il s’agit d’un titre de qualité – il est évident que le titre a été taillé sur mesure pour le concours. De l’orchestration grandiloquente (avec une intro jamesbondienne qui évoque Conchita Wurst) à la note finale sur « la Grande France », la production s’est voulue « formatée Eurovision ». Un parti pris qu’a d’ailleurs toujours assumé France 2. C’est oublier toutefois qu’en plusieurs années, le concours a connu une évolution spectaculaire, tant en termes de production que de diversification musicale.

Là où une ballade sirupeuse et un titre scandic/euro pop étaient les marqueurs d’une victoire jusqu’à la fin des années 2000, les temps ont depuis changé. Remporter l’Eurovision n’est plus qu’une question de style, mais une question d’accroche et de marquant au-delà du style. À avoir voulu formater un titre en vue de la victoire, là où le formatage n’en est justement plus la garantie, n’y a t-on pas perdu en sincérité ? De même, n’a t-on pas construit la chanson et la candidature françaises au regard de standards erronés de l’Eurovision en 2023 ? Avec son meilleur rendu live que télévisuel, la scénographie n’en serait-elle pas le témoignage au détriment d’une réelle vision du concours ?

4- Conquérir la France avant de conquérir l’Europe, un écueil français à l’Eurovision ?

Nul n’est prophète en son pays … Mais si ce sont les européens (et désormais les internationaux) qui élisent le vainqueur de l’Eurovision, il est d’abord essentiel d’installer la candidature dans le pays afin que ce dernier la porte ensuite à l’Eurovision. Pour cela, une médiatisation de l’artiste et une diffusion accrue du titre auprès des français sont des étapes incontournables. Alexandra Redde-Amiel n’a t-elle d’ailleurs pas dit que le soutien des français et des médias étaient des conditions indispensables à la victoire ?

Alors même que la candidature de La Zarra avait tout pour faire l’évènement – et l’annonce de janvier avait offert de belles promesses médiatiques en ce sens – celle-ci ne l’a finalement été qu’au gré des polémiques, alors qu’il y avait un boulevard pour vendre la candidature française à l’Eurovision 2023.

S’agissant du titre, et en dépit du fait qu’Évidemment ait été accepté par toutes les radios – ce qui était exceptionnel – la chanson n’a finalement connu qu’une diffusion confidentielle en France, en témoignent des charts aux antipodes de ceux d’Amir, Natasha St-Pier ou de Jessy Matador à l’époque. L’attitude de notre représentante n’ayant pas aidé, radios et médias opèrent un boycott massif du titre depuis l’affaire du « toz ».

Certes, la campagne promotionnelle reste aussi dépendante d’un champ médiatique majoritairement porté sur une image déformée, péjorative, voire carrément hostile de l’Eurovision. Mais le travail de promotion en France restant un préalable indispensable à la conquête du public européen, l’a t-on suffisamment jouée cette année ?

5- L’Eurovision 2023, un marathon devenu un 100 mètres par manque de préparation ? 

La Zarra est une artiste pétrie de talent, au naturel désarmant, sincère et adorable avec les eurofans. Ce n’est pas complaisance de le dire, tous ceux qui l’ont rencontré aux previews et à Liverpool peuvent en témoigner.

L’artiste est également une diva, assumée. Au-delà de ses qualités artistiques, certaines choses nous ont assurément échappé, quoiqu’elles furent perceptibles à certains égards de notre point de vue. Tout comme bien des coulisses nous échappent s’agissant de personnalités médiatiques appréciées.

Sur le plan de la préparation, participer à l’Eurovision est un véritable marathon, une course de fond aussi bien épuisante pour le physique que pour les nerfs. L’affronter n’est pas une sinécure, et bien des eurostars en ont témoigné par le passé, à commencer par Barbara Pravi elle-même, qui évoquait le sujet en toute sincérité dans une interview à Fanzine en décembre 2021. Avoir conscience de cela, être prêt et se préparer à être embarqué dans un tel tourbillon – avec ce qu’il comporte d’ondes positives et d’énergies négatives, avoir l’expérience du live et de la scène pour, autant d’éléments indispensables pour tenir le cap jusqu’à l’Eurovision. Furent-ils artistiques ou personnels, les feux étaient-ils réellement au vert en 2023 ?

6- La France a t-elle les moyens humains et financiers de son ambition annoncée ?

Sujet épineux. La délégation et la présidence de France Télévisions assument leur volonté de gagner – ce qui n’a pas toujours été le cas -, et le groupe audiovisuel public français est l’un des principaux en Europe, en témoignent son importante contribution financière au concours et son statut de membre du BIG 5.

En dépit de l’objectif annoncé, et au vu de la marche gigantesque que représente une route vers la victoire à l’Eurovision, France 2 dispose t-elle des moyens suffisants ? À notre connaissance, la délégation reste assez restreinte de par sa taille de même que, par le passé, le télédiffuseur n’a pas toujours été le plus généreux en termes de ressources financières dédiées à l’Eurovision.

Une candidature à l’Eurovision, ce sont autant de cases constitutives d’une dense to do list. Communication, réseaux sociaux, évènementiel, euro concerts et campagne promotionnelle en Europe, tournée des radios et des plateaux télé, rencontre du public, affichage dans l’espace public (comme cela a été fait à merveille pour Drag Race France saison 1), … Autant d’éléments indispensables pour emmener notre pays à « faire France » autour de notre candidat à l’Eurovision, jusqu’à l’accompagner sur le toit du monde. Les moyens financiers et humains adéquats sont d’autant plus indispensables pour mener cette vaste opération à bien.

Au-delà de la volonté et de la conviction, ne serait-il pas temps de mettre des moyens à la hauteur de nos ambitions ?


Cet édito est sans doute prolixe, mais nécessaire.

Je reconnais le travail, la volonté, l’engagement. Je connais suffisamment l’Eurovision pour affirmer que l’alliance des trois ne suffit parfois pas à décrocher la victoire ou le classement espéré (l’Espagne en est par exemple la preuve parfaite cette année). Je suis parfaitement conscient des difficultés qui ont émaillé une aventure qui semble avoir parfois adopté les atours d’un chemin de croix. Pour un résultat final certes sévère, mais dont on ne peut que prendre acte.

Je ne jette pas la pierre et je ne jette nulle opprobre. Je ne retourne pas ma veste, et bien au contraire. Notre soutien à la candidature française, nous l’assumons sans le renier. Nous avons cru en La Zarra et en la force d’Évidemment, tout comme nous avons cru en l’ambition et en la volonté affichées.

Mais face à l’échec et à la déception, il est indispensable de poser des questions sur le pourquoi du comment a posteriori. Sans cela, il sera impossible de dégager l’horizon, destination l’Eurovision 2024.

Crédits : Corinne Cumming | UER