Je bave sur ma feuille de contrôle. L’air est moite dans la salle de classe, mon cerveau est aussi en ébullition. Je ne comprends rien à ces algèbres et autres algorithmes. Si seulement, il y avait un devoir sur l’Eurovision, je pourrais prétendre à de bien meilleurs notes… Alors j’ai décidé que dormir sera une activité bien plus productive.
Quelques minutes passent, le silence est pesant… Je me redresse finalement tant bien que mal sur ma chaise et jette un coup d’œil aux alentours. Je constate avec surprise qu’il n’y a plus personne. Je suis confus, où sont-ils tous passés ? Je regarde l’heure et la date sur mon téléphone… Nous sommes en plein mois de juillet ! Nous sommes en vacances. Alors je réalise… Voilà déjà quatre articles que je rabâche mes aventures à l’école mais nous étions en vacances ! Dans quelle dimension spatio-temporelle me trouvais-je ? Mon incompréhension est grande mais je ne retiens qu’une chose : je n’ai plus à travailler !
Qu’à cela ne tienne ! Je compte bien rattraper tout ce temps perdu. J’enfile mes sandales, court jusque chez moi, attrape à la volée une serviette de plage, la crème solaire, mon maillot de bain mais aussi et surtout mon cahier de vacances sur l’Eurovision (oui, il y en a pour préparer la rentrée scolaire alors pourquoi n’en existerait-il pas pour préparer la prochaine édition ?). Sur le chemin de la plage, je ne résiste pas à la tentation de l’ouvrir et y jette un coup d’œil. La première page annonce en grand pour mon plus grand plaisir que le Concours se tiendra bien à Rotterdam du 18 au 22 mai 2021. Je le feuillette rapidement et constate avec ravissement que la cinquième page de l’abécédaire eurovision s’y trouve. Le savoir eurovisionnesque n’attend pas ! Je m’attelle directement à sa lecture.
Au programme, trois faits, lieux et anecdotes sur le concours avec la lettre E. Oui, je sais, vous avez envie de le dire alors je vous laisse l’honneur de le faire : « récitons ensemble l’abécédaire de l’Eurovision ! ».
E comme…
- Eurovision !
Evidemment, comment ne pas évoquer l’évènement qui nous unit tous et qui est au cœur de ce site ? Celui qui fait vibrer l’Europe et bien plus chaque année. Celui qui rassemble des communautés aussi larges que celle des eurofans de par le monde mais aussi plus petites comme celle de l’EAQ. Forcément, nous savons tous un peu en quoi il consiste : une compétition annuelle qui rassemble des pays représentés chacun par une chanson et une séquence de vote mémorable au terme de laquelle un pays est élu vainqueur. Pourtant, à l’origine, « Eurovision » ne renvoie pas au concours tel que nous le connaissons.
Alors, prenons notre machine à remonter le temps : nous voilà le 5 novembre 1951. Ce jour-là fut publié un article dans le London Evening Standard, écrit de la main du journaliste anglais George Campey, incluant le terme « Eurovision ». C’est la première fois qu’il fit son apparition et désignait alors le réseau créé par l’UER (Union Européenne de Radio-Télévision) entre les différentes chaines de télévision européennes pour la diffusion et l’échange d’événements et programmes télévisés.
Ce n’est qu’en janvier 1955, lors d’une réunion des représentants des diffuseurs membres, que fut évoqué l’idée d’un événement pour asseoir l’importance du réseau eurovision et encourager les relations de paix entre ses pays membres dans une période d’après-guerre. C’est à ce moment-là que fut créée la compétition musicale annuelle que nous connaissons tous, sous la dénomination officielle « Concours Eurovision de la Chanson ». Cette décision étant actée définitivement le 19 octobre 1955, sa première édition aura lieu le 24 mai 1956.
La suite vous la connaissez : l’Eurovision se tient annuellement encore aujourd’hui (même sous un format différent en 2020), fort de ses 64 années d’existences, ayant couronné soixante-sept chansons et affronté ou accompagné les transformations qu’a connu l’Europe. Mais le saviez-vous ? L’Eurovision aurait pu ne pas être un concours de chansons mais un festival de cirque, basé sur celui de Monte Carlo ! Serions-nous ici si cela avait été le cas ?
P.S : que cela rassure les amoureux d’histoires les plus acharnés d’entre nous, j’ai volontairement enlevé force détails – afin que ce ne soit pas trop lourd – mais ceux-ci seront évoqués dans les prochains articles de l’abécédaire. 😉
- Ex-æquo !
Nous le savons tous, chaque année, l’Eurovision couronne un pays au terme d’une séquence de vote pleine de suspense. Si certains le remportent largement et font consensus, d’autres disputent d’un bras de fer la victoire avant d’avoir l’honneur de la remporter (comme nous l’avions découvert dans l’abécédaire #C avec Céline Dion en 1988). Qui dit vote, dit attribution de points, dit donc risque d’ex-aequo pour la victoire. Cette situation, bien qu’elle soit très peu probable, est pourtant survenue deux fois dans l’histoire du Concours !
La première fois, nous étions en 1969. Cette édition très spéciale n’a pas vu deux pays arriver en tête, ni trois, mais quatre ! Patience, mes chers amis, nous y reviendrons plus tard.
Cela s’est produit pour la deuxième fois en 1991, édition tristement célèbre pour les eurofans français. Au terme de la séquence de vote, la France, représentée par Amina avec C’est le dernier qui a parlé qui a raison, et la Suède, représentée par Carola avec Fångad av en stormvind, terminent toutes deux en première position avec 146 points. Comment départager alors ? Il s’avère qu’une règle existe en cas d’ex-æquo. Créée en 1970 suite au résultat de 1969, celle-ci fut modifiée en 1989. Le superviseur appliqua donc cette règle : le pays ayant eu le plus de « douze points » remporte le Concours. S’il y a encore égalité, nous faisons de même pour les « dix points » et ainsi de suite jusqu’à que les titres à égalité puissent être départagés. En l’occurrence, la France et la Suède avaient reçu tous deux quatre fois « douze points ». C’est encore une fois une égalité. En revanche, la Suède avait obtenu cinq fois « dix points » contre seulement deux pour la France et fut donc proclamée vainqueur pour la troisième fois à l’Eurovision.
Cette règle de l’ex-aequo existe toujours aujourd’hui mais fut à nouveau modifiée deux fois, notamment en 2003, récompensant le pays ayant reçu des points du plus grand nombre de pays participants. Auquel cas la France aurait gagné en 1991 puisque 18 pays lui ont donné des points contre 17 pour la Suède. Le passé est le passé, cette triste issue pour les français rappellent peut-être de mauvais souvenirs à certains d’entre nous mais je vous l’avoue, la question me brûle les lèvres. Qui, selon vous, aurait mérité la victoire ce soir-là ? En tout cas, une première réponse a été apportée via la rétrospective 1991 de Francis où les votants de l’EAQ ont couronné la France.
- E depois do adeus !
E de quoi de qui ? Il s’agit tout simplement du nom de la chanson candidate pour le Portugal en 1974, que l’on pourrait traduire par Et après les adieux. Pourtant arrivée en dernière position à égalité avec trois autres candidats, cette chansons de Paulo de Carvalho a marqué l’histoire du Concours et du Portugal par la même occasion.
Pourquoi donc ? Elle fut le signal de départ de la Révolution des Œillets qui modifia profondément le Portugal. Ce pays était à cette époque régi par la dictature salazariste, l’Estado Novo. La vision conservatrice et nationaliste imposée par Salazar puis par son successeur Marcelo Caetano nourrit un sentiment de révolte dans la population portugaise, en particulier chez les militaires. Pendant ce temps, le 6 avril 1974, Paulo de Carvalho présenta E depois do adeus à l’Eurovision, une belle chanson d’amour sans portée politique. Pourtant, ce sera celle-ci qui sera choisie par le MFA (Mouvement des Forces Armées) pour lancer le coup d’état le 24 avril à 22h55 visant à renverser la dictature alors en place. Le succès de cette révolution des œillets – en référence à l’œillet rouge que portaient les conspirateurs à leur boutonnière – est à l’origine de la démocratisation du Portugal et de la décolonisation.
En souvenir de ce 25 avril, ce jour est aujourd’hui un jour férié au Portugal, surnommé la Fête de la Liberté. Rendons hommage au courage des militaires et civils portugais en écoutant ensemble E depois do adeus.
Une page décidément bien complète et bien longue ! J’espère qu’elle vous a autant plu que les autres. Quant à moi, je vous donne très vite rendez-vous pour notre sixième page, portant évidemment sur la lettre F.
Mais à quand la sortie en librairie de l’abécédaire ? Vivement en tout cas !
Ah foutu ex-æquo de 1991… (les larmes montent. L’une d’elles coule du gros nez de rem_coconuts, ce avant qu’elle ne devienne rage au son de la chanson de Carole qu’il adore pourtant)
Quand à l’épisode portugais, il montre que l’Eurovision s’inscrit indéniablement dans l’histoire des pays participants, celle d’un continent et le contexte d’une époque.
Le Concours a évolué c’est vrai mais il aura fallu attendre la fin des années 1990 pour qu’il entre pleinement dans la modernité ! Et c’est tant mieux ! Je n’ai décidément pas de nostalgie pour les éditions compassées et poussiéreuses des débuts…
Concernant les ex aequo je pense que l’UER a enfin trouvé la bonne solution avec la règle actuelle, si on admet qu’il ne doive y avoir qu’un seul et unique gagnant.
J’ai une admiration sans bornes pour ceux qui ont mené la « Révolution des Oeillets » et le fait qu’ils aient choisi la chanson de l’Eurovision pour en donner le coup d’envoi m’a rempli de joie et a conforté mon adhésion au Concours. Si cela vous intéresse, je vous conseille l’excellent film de Maria de Medeiros, « Capitaines d’Avril » qui en relate la première journée.
Cela fait des années que je compte le regarder et j’y pensais justement à la lecture de la lettre E. Il serait temps que je m’y pose devant !
Super intéressant.
Mon moment d’ex aequo préféré : la confusion totale de Laurita Valenzuela en 1969 !
– Cette idée de concours de l’Eurovision de la chanson n’a pas été facile à mettre en place mais depuis 1956, une évolution lente mais inexorable vers l’excellence et le modernisme en font un évènement européen ( voire mondial ) incontournable. Je ne peux qu’applaudir et je suis très fier d’être un fan du concours à vie.
– Ah les ex-aequo ! Un vaste débat et en général, quelque soit les solutions trouvées pour les départager ( plus ou moins bancales d’ailleurs…), il y aura toujours des insatisfaits… D’ailleurs, pour ma nouvelle rubrique de la rentrée, il m’a fallu plusieurs fois départager des ex-aequo et c’est Pauly qui m’a indiqué très gentiment la marche à suivre.
– Une page historique grâce en grande partie à une chanson qui aura permis un bouleversement dans l’évolution d’un pays : c’est une très belle histoire qui méritait d’être soulignée. Mais j’espère qu’un jour, on n’aura pas à déplorer le cas contraire, à savoir une chanson qui ferait basculer dans le chaos un pays : là, ça serait dramatique pour le pays en question mais indirectement pour le concours…
– Une fois de plus, rubrique très intéressante et menée rondement : je t’attribue un nouveau » A « .
Si les pères fondateurs du concours pouvaient voir ce qu il est devenu, ils seraient sans doute fort surpris…
Personnellement, même si je regrette certaines évolutions regrettables (comme la possibilité de remplacer les choristes par une bande enregistrée), j’aime beaucoup la période actuelle et je me réjouis que des millions d’européens partagent le temps de 3 soirées un programme commun.
Cher Taron
Nous avons eu droit grâce à Pauly et moi à un extrait de « Le francophonissime », là nous pouvons voir grâce à Yom toujours aux remarques aussi pertinentes à un extrait de « Jeux sans frontières ». Vive la télé d’antan !
La première Eurovision, c’était pour le mariage du prince Philip et d’Elizabeth II en 1953.
Je ne manque aucune eurovision en entier depuis 1973 sans savoir que j’allais rencontrer Anne-Marie DAVID en compagnie de mon père et comme on est à la rétrospective de 1993, papa alors qu’il partait à la retraite a rempilé pour trois années supplémentaires.
Il faudrait inviter Amina à chaque fois injustement oubliée alors qu’on rappelle toujours Marie Myriam. Moi, qui travaille dans la justice, je n’admets pas ça. Cela dit, je préfère la chanson de Carola.
Le Portugal me fait penser à Amalia RODRIGUES « AVRIL AU PORTUGAL ». Il y aussi Linda de Suza « Un portugais »; Jacqueline François « Les lavandières du Portugal » qui a donné naissance à un film avec JEAN-CLAUDE PASCAL, film qu’il n’a pas aimé jouer (cf sa biographie « LE BEAU MASQUE »);
Côté contributions, j’adore CARLOS PAIAO, ANABELA que j’ai hâte de voir dimanche, LUCIA MONIZ, SALVADOR SOBRAL plus pour la chanson que pour l’artiste et bien sûr, je les défendrai toujours, HOMENS DA LUTA;
Chère Pauline, je suis ravi de t’avoir suscité un moment de nostalgie bienveillante avec cette évocation des Jeux Sans Frontières … Depuis tout petit, j’ai toujours été sensible au Te Deum de Marc-Antoine Charpentier qui signifiait à chaque fois une émission que j’allais savourer avec délectation : Le Concours Eurovision de la Chanson, Les Jeux Sans Frontières, mais aussi les mariages et les funérailles royaux ou princiers !
E comme Eurovision m’inspire aussi le souvenir d’un programme phare créé par l’UER sur proposition de la France pour l’été 1965 et qui perdura plusieurs décennies (avec quelques pauses) : les incontournables Jeux Sans Frontières qui ont marqué ma jeunesse au point que de 6 à 12 ans, quand un adulte me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais inlassablement « Créateur d’épreuves pour Jeux Sans Frontières » …
Allez, pour le plaisir :