C’est par un samedi soir d’hiver, en plein coeur de la saison des sélections pour l’Eurovision, qu’une jeune chanteuse fit ses premiers pas sur scène sous les yeux de millions de téléspectateurs dans Destination Eurovision. Jusqu’alors méconnue du grand public, c’est ainsi qu’en l’instant de trois minutes, Seemone passa soudainement de l’ombre à la lumière, émouvant téléspectateurs et eurofans avec Tous les deux, une ballade sobre, intimiste et puissante qui devint alors l’une des favorites pour porter les couleurs de la France à Tel-Aviv. Même si elle ne termina que deuxième de la sélection derrière Bilal Hassani, Seemone n’en a pas moins marqué les esprits et suscité l’engouement du public. Elle choisit toutefois de se faire discrète durant quelques mois avant d’effectuer son grand retour au mois de mars 2019, en plein confinement, avec son nouveau single Dans mes rêves, prémice de son premier album sobrement intitulé Seemone. C’est pour évoquer ce projet que Seemone a accepté de se livrer à L’Eurovision au Quotidien.

EAQ – Tout a commencé pour vous lors de votre participation à Destination Eurovision en 2019 et vous nous livrez aujourd’hui ce premier album, Seemone. Un album est toujours une rencontre avec le public, mais l’effet que m’a fait Seemone à son écoute, c’est un côté très intimiste, très brut, tel un tête-à-tête avec celles et ceux qui l’écoutent. Etait-ce l’effet recherché ?

Seemone – Oui, complètement. Je trouve d’ailleurs que c’est très joliment dit la manière dont vous le formulez. Pour le présenter au public, plutôt que de le proposer d’un coup à plein de monde dans un cadre moins intime, on a voulu que chaque personne qui l’écoute ait l’impression de se retrouver face à moi. C’est forcément quelque chose qu’on a voulu d’intime pour aller toucher l’intime en chacun de nous.

Cet album a l’intime pour fil rouge, ce qui nous relie au plus profond de chacun de nous-même. D’où est venue votre inspiration pour cet album et les chansons qui le composent ?

C’est un véritable choix. Après Destination Eurovision, il y a eu beaucoup de mouvement autour de ce projet. Énormément de gens s’y sont intéressés et ont eu envie, à leur manière, d’y participer et de bouger. Je pense que c’est surtout une prise de conscience sur le fait de continuer sur la même lancée que Tous les deux, qui a plu au public. Il fallait rester dans cette veine de l’intime et aller toucher les gens de manière singulière. Ce qui a inspiré cet album, c’est la volonté de m’écarter de tout ce mouvement, de cette agitation et de me retrouver seule, de réfléchir à ce que j’avais envie de raconter dans cet album, et ce que j’avais envie de raconter de moi. Si on va plus loin, l’idée était de comprendre un petit peu qui je suis. Et j’ai eu envie de parler d’amour, parce que c’est le chapitre numéro 1 de la personne que je suis.

Cette thématique traverse l’album de A à Z. La manière dont vous en parlez est intéressante, parce que votre album allie à la fois votre jeunesse, puisque vous n’êtes âgée que de vingt-trois, et la jeunesse éternelle des sentiments d’un côté, et une maturité déconcertante d’un autre. Comment parvient-ton à un tel alliage ?

Je pense que c’est ce que je suis profondément. Je suis une jeune femme de vingt-trois ans, ce qui fait que les mots et le vocabulaire utilisés dans les textes sont propres à mon âge, à mon expérience et à mon identité. Et en même temps, il y a quelque chose de plus grave, de plus mature, de plus profond qui fait partie de moi, que j’ai pu exprimer dans ces chansons, et que je n’avais pas pu exprimer dans ma vie auparavant. La plupart des textes ont été co-écrits avec Fabrice (Mantegna N.D.L.R.), pour le coup plus âgé que moi, qui m’a poussé à développer cette partie plus mature que j’avais en moi et que j’avais peut-être peur d’exprimer. Il m’a incité à me poser des questions, parce que la maturité, c’est se poser des questions et vouloir arriver à la prochaine, se poser des questions tous les jours pour avancer. Je pense que Fabrice m’a beaucoup aidé à développer cette pensée toute jeune dans cet album pour qu’il touche aussi bien des personnes de mon âge, que des personnes plus jeunes ou plus âgées. Le but était vraiment de parler d’amour et que cela parle à tout le monde. Il fallait que je réfléchisse au-delà de mon âge dans l’écriture.

Dans l’une de vos chansons, vous dites « Regardons nous bien que personne ne mente ». Cet album est donc une occasion de vous livrer au regard du public sans paravent et sans masque ?

Exactement. Cet album vise à retirer tout le paravent qu’il y avait autour de moi. Pour grandir, aller mieux et me faire du bien, j’ai voulu me montrer telle que je suis. Effectivement, cette phrase, que personne ne mente, inclut le fait que je suis au courant que j’ai commis des erreurs et que je ne suis pas parfaite. Je pense que parler de ses faiblesses et de ses erreurs dans des chansons va toucher l’humain chez chacun de ceux qui vont l’écouter. C’était vraiment très important de retirer le maquillage, le masque et de faire en sorte d’être la plus honnête et la plus sincère possible.

Ce qui va de pair avec votre style musical, à contre-courant de la jeune génération, plutôt rythmée ou radio-friendly. Vous privilégiez la ballade brute, avec une composition au piano et aux cordes, sans fioritures. Vous vous inscrivez dans un style intemporel et éternel auquel vous apportez votre touche. Qu’est-ce qui vous attire dans cela ?

C’était une évidence. Avec Fabrice, on ne s’est pas posé de question. On est allé chercher les limites de ce que je pouvais faire ou pas, et jusqu’où je pouvais aller en termes d’interprétation et sur le plan artistique. Où est-ce que je pouvais donner quelque chose qui avait du sens ? C’est pour cela qu’on a privilégié cette composition que Fabrice a mis en avant avec le piano et les cordes. C’était complètement en adéquation avec la femme que je suis. Si on s’était retrouvé à faire de la pop dansante, cela aurait pu être joli, mais au niveau de l’émotion, ça ne me collait pas à la peau. Ce n’est pas quelque chose qui pouvait me permettre de faire passer des émotions à ce moment-là de ma vie. On s’est surtout concentré sur ce qui allait toucher les gens et non sur ce qui allait plaire au plus grand nombre. On a voulu aller toucher chaque personne qui écoute l’album quelque part où elle n’a pas l’habitude d’être touchée. La composition devait aller de pair avec toute l’énergie qu’on avait mise dans ce projet. Tout devait être aligné pour qu’il fonctionne.

Je réécoutais hier soir Nightbird, et il tranche clairement avec ce que vous proposez depuis.

Tout à fait. Ce titre date de 2017. Je n’ai participé ni à la composition, ni à l’écriture. Je n’ai fait que l’interpréter et j’étais ravie de cette première expérience, pour laquelle j’ai été très bien entourée. J’ai fait quelque chose qui me plaît, mais qui correspond beaucoup moins à la femme que je suis devenue. C’était un moment où je me cherchais artistiquement et où les gens qui travaillaient avec moi cherchaient qui j’étais, ainsi que mes limites. C’était assez intéressant de passer de l’anglais au français, de quelque chose de plus rythmé à quelque chose de plus posé. Cela illustre bien le trajet et le chemin que j’ai fait artistiquement et intérieurement.

Quand je vous écoute, je pense à la scène musicale anglo-saxonne menée par des artistes comme Adele, tandis qu’en France, je vous trouve assez unique dans ce style musical.

J’aimais beaucoup Adele quand j’étais plus jeune, parce qu’elle m’a inspiré. Ce qu’elle faisait, je le trouvais beau. J’ai beaucoup écouté son album 19. Il y avait très peu d’accompagnements. C’était juste sa voix, brute, parfois accompagnée d’une guitare. Cela avait son charme, parce que c’était sincère, qu’elle était très jeune et qu’il y avait cette voix un peu rauque. Elle m’a immédiatement beaucoup plu. Ensuite, j’ai écouté des artistes francophones, parce que j’avais envie de chanter dans ma langue maternelle et que cela me semble important de mettre à l’honneur la langue française, que je trouve sublime et dans laquelle on peut raconter des choses qu’on ne peut pas raconter lorsqu’on n’est pas bilingue ou qu’on manque de connaissances dans une autre langue. Je me suis alors tournée vers des artistes ayant cette sincérité-là, comme Barbara, Anne Sylvestre, France Gall, ces femmes-là qui portent un message et qui parlent en chantant. Cela me plaît beaucoup, et j’ai été vite davantage attirée par la chanson française que par la pop en elle-même.

Cela se ressent dans l’écriture, parce qu’il y a une poésie incroyable, un côté très littéraire, voire cinématographique. Vous avez d’ailleurs dit dans une interview à Paris Match cette très belle phrase « J’aborde chaque chanson comme un rôle » . Que voulez-vous dire par là ?

Je pense que le rôle d’un artiste est de rendre visible ce qui ne l’est pas, que ce soit une actrice, un chanteur ou un écrivain. On est obligé de se mettre dans la peau de tout le monde pour que ça touche le plus de monde possible, de la même façon qu’une actrice ou un acteur qui interprète un rôle, mais qui va devoir faire en sorte que chaque spectateur s’identifie. C’est exactement la même chose pour chaque chanson. Dans cet album, il n’y a aucune chanson que je peux chanter de la même manière, même si je les chante d’affilée. C’est toujours une autre manière de prendre l’émotion et de la renvoyer. Tout cela se passe et c’est invisible. Ce que je trouve formidable avec les artistes, c’est qu’on ne voit jamais le travail qu’ils font intérieurement pour aller donner à un public. Aborder chaque chanson comme un rôle, c’est ça. Le plus difficile dans tout ça, c’est que tout en étant dans un rôle, il ne faut pas faire semblant. Il faut se mettre complètement au service de la chanson et pas l’inverse.

Cela rejoint votre quête de la vérité et de la mise à nu, mise en avant par cette voix singulière.

Oui, et je ne l’ai pas choisie. J’ai essayé d’en faire quelque chose de beau et d’intelligent, parce que j’ai une voix atypique, comme plein d’autres. L’important est d’essayer de la mettre au service de la musique. J’ai eu de la chance d’avoir été entourée par Fabrice, qui a compris la dimension émotionnelle qu’il peut y avoir dans ma voix, que je n’avais pas forcément vu moi-même, parce que j’étais très jeune quand on a commencé à travailler ensemble. Je n’avais pas réalisé. Je savais que j’avais quelque chose de différent dans la voix, mais je ne savais pas ce que ça pouvait apporter. Avoir une différence, c’est bien, mais ça ne sert à rien si ça ne sert pas les autres. Il a fallu trouver l’émotion dans cette voix atypique et réfléchir aux émotions que pouvait véhiculer une voix comme celle-ci.

D’autant plus que la chanson, c’est relativement récent pour vous.

C’est récent, déjà parce que le fait d’avoir vingt-trois ans fait que j’ai eu très peu d’expérience professionnelle. C’est ma rencontre avec Fabrice qui m’a emmenée à la musique de manière plus professionnelle il y a environ cinq ans, lorsqu’il m’a fait chanter pour comprendre ce qu’on pouvait faire tous les deux. La musique est venue à moi parce qu’elle m’a fait du bien. Je n’avais pas de culture musicale, je ne jouais pas d’instrument, je n’évoluais pas dans un milieu musical. Ce n’était pas mon environnement. Cela a été une forme de thérapie, et parce que ça m’a fait du bien, j’espère faire du bien aux autres à travers la musique.

Thérapie dans quel sens ?

Quand on apprend à travailler sa voix, on comprend toutes ses faiblesses. On comprend ce qu’on fuit, ce qu’on accepte, ce qu’on veut cacher, ce dont on a peur. C’est assez fou. Une voix en dit beaucoup sur quelqu’un. On n’a pas la même voix quand on est face à ses parents ou en train de cuisiner par exemple. Comment se connaître à travers sa voix ? Le travail du chant m’a appris beaucoup de choses sur moi, au-delà de la performance, sur qui j’étais intérieurement. On peut se mettre à chanter une chanson, sortir des notes et cela va nous faire pleurer. Plutôt que de se dire simplement que cela nous a fait pleurer, il s’agit d’essayer de comprendre pourquoi sur cette note-là, ce mot-là, à ce moment-là, on a eu envie de pleurer. C’est en cela que c’est une forme de thérapie quand on chante de manière authentique et qu’on se donne complètement à la chanson dans l’interprétation. On comprend énormément de choses sur soi à travers la musique, que ce soit le chant, le piano, le violon, le violoncelle ou tous les instruments, voire même à travers l’art en général.

C’est pour cela qu’on retrouve cette fragilité qui traverse votre album ?

En plus d’avoir une fragilité dans la voix – parce que même si ça emmène quelque chose d’atypique qui plaît et j’en suis ravie, c’est une fragilité, une faiblesse -, je suis une femme fragile. Il était très important de mettre cela en avant dans l’album. Plus intéressant que ma fragilité, il s’agit d’aller toucher la fragilité de l’autre en donnant la mienne. Je suis persuadée que quand on donne quelque chose, on le reçoit. Si on donne sa fragilité, on récolte la fragilité de l’autre et il y a quelque chose qui se créé. Il y a un projet qui fait du bien. C’était très important, d’où la présence de cette fragilité et de cette vulnérabilité dans l’album.

Je pense à votre chanson La belle et la bête. « Que tu le veuilles ou non, je crierai mon prénom, c’est toi la bête, c’est moi la belle » : cette phrase m’a interpellé. Que voulez-vous dire à travers elle ?

(Rires) Quand on entend un duo entre une femme et un homme, c’est forcément la femme la belle et l’homme la bête, comme dans le célèbre conte. À travers la musique et mes expériences personnelles pendant la création de cet album, je me suis rendue compte qu’on avait tous une partie de nous qui est la bête. Cette chanson marque au premier abord la dualité entre deux personnes, mais si on va plus loin, c’est en réalité la dualité qu’il y a en chacun de nous. On a tous une très jolie partie, et une plus dure, abîmée. Il s’agit de dire qu’en apparence, c’est moi la belle, alors que c’est moi la bête. Il faut qu’on avance, que ça bouge, que je me soigne de cette partie-là. C’est complètement ce que j’ai voulu dire dans cet album : arrêter de faire semblant. Il faut à moment donné se regarder dans un miroir et se dire que ça, je ne sais pas le faire ou que ça, je ne le fais pas bien. Et que je ne suis pas si formidable que je ne le pensais avant de me poser des questions ou de me retrouver face à l’amour, dans le cadre de cette chanson.

Revenons dix-huit mois en arrière pour un paradoxe. Votre album reflète la chaleur de l’intime et pourtant, votre première expérience publique de la scène a été Destination Eurovision. Comment votre univers et vous se sont-ils retrouvés à participer à une émission dont la finalité était une éventuelle participation à l’Eurovision, qui est une grosse machine ?

Cela a commencé de manière fort belle. Fabrice et moi avons composé Tous les deux en se disant qu’on avait fait quelque chose de vraiment beau et qui touchait les gens à qui on la faisait écouter avant même de l’avoir enregistrée. Cela fonctionnait, et on se demandait ce qu’on pouvait faire de cette chanson pour nos faire connaître et faire découvrir le projet et notre univers. Un jour, Fabrice me propose de la présenter à l’Eurovision. A ce moment-là, on ne savait pas que France 2 organisait cette sélection et on pensait la présenter directement pour l’Eurovision, comme l’avaient fait Céline Dion ou France Gall dans leur jeunesse. On est arrivé sur Destination Eurovision et le directeur de casting, Bruno Berbérès, avait déjà repéré Seemone sur les réseaux sociaux pour The Voice. Il connaissait un peu le projet, et il a beaucoup aimé. On a été sélectionné pour l’émission parce que ça a plu, et parce que c’était une bonne manière d’aller se montrer, parce que l’intime c’est bien, mais il faut aller le présenter. C’est ce qui est compliqué avec notre projet. On a décidé de faire quelque chose de très intime et de pas forcément radio-compatible ou vendable par les mêmes biais que les autres. Il fallait absolument qu’on puisse se présenter à un évènement qui rassemble beaucoup de monde et qui pouvait se laisser toucher par cette sincérité-là.

En quelques semaines, vous passez de l’ombre à la lumière, et vous retrouvez propulsée au rang de co-favorite de cette émission. Comment avez-vous abordé cela ?

C’était très flou. J’étais très bien entourée et j’y suis allée pour présenter ce qu’on avait fait. Je n’y suis pas allée pour gagner, ni pour perdre non plus. J’y suis allée parce que c’était une super occasion de faire découvrir le projet et puis si ça plaisait, en plus de pouvoir aller porter le projet sur la scène de l’Eurovision qui était énorme pour un projet comme le nôtre. Je n’y suis pas allée dans un état d’esprit de compétition, avec l’idée de vouloir gagner. Je l’ai vécu de manière très douce. J’ai eu forcément très peur au moment de monter sur scène, parce que je n’y étais jamais montée et que je doutais de ce que j’étais capable de faire. Quand a vu que ça a fonctionné, que ça a plu, que ça a touché des gens, on était ravi parce qu’on s’est dit qu’on avait tout gagné. Le seul but était de toucher les gens durant cette prestation et les choses sont allées très vite, parce qu’on a été apprécié et très bien reçu. C’est surtout l’après qui m’a fait peur et qui m’a fait tourner la tête. Une fois l’émission passée, il y avait beaucoup d’attentes de la part des gens qui avaient aimé ce qu’on a fait et nous n’avions pas d’album prêt. Il fallait que je me mette sérieusement au travail et cela a été compliqué de passer de l’ombre à la lumière. Je n’ai pas vraiment pu gérer la lumière de l’après Destination Eurovision au début.

Juste après ce buzz, vous vous êtes faites discrète : pourquoi ?

J’ai vu que je n’arrivais pas à gérer cet engouement et cette pression et que j’avais de faire quelque chose. Il a fallu tout couper, me mettre dans une bulle, essayer de comprendre qui je suis et surtout ce qu’il fallait que je raconte dans cet album, parce qu’il fallait que ça parte de moi. C’était nouveau pour moi, parce que je n’avais jamais composé de musique ni écrit de texte avant Tous les deux avec Fabrice. Ça été un autre mode de vie. Il a fallu un peu recommencer ma vie à zéro pour comprendre ce que j’avais envie de raconter dans cet album. J’ai surtout compris que parler des choses avant qu’elles ne soient faites est très nuisible pour la création. C’est-à-dire qu’au niveau des réseaux sociaux ou même de l’entourage, parler du fait qu’on est en train de faire l’album alors qu’il n’est pas fini, ça freine. On a peur de ne pas être à la hauteur, on a peur que ce ne soit pas suffisant, parce qu’on écoute les avis des uns et des autres, parce qu’on est sous pression, et que ça freine complètement la créativité et l’art. Il a donc fallu que je reste en retrait.

Dans votre construction en tant qu’artiste et en tant que personne, que vous a apporté l’émission a posteriori ?

Avec le recul, Destination Eurovision m’a fait ouvrir les yeux sur ce qu’est ce métier, sur le fait que c’est un travail. Il ne faut rien lâcher et surtout rester authentique parce qu’on peut très vite se laisser dépasser par les évènements. Très vite.

Dans mes rêves, votre premier single, paraît dans un contexte très particulier, celui du confinement. Votre album sort dans une période de turbulences …

(Rires) Si votre question, c’est « Est-ce que c’est calculé ? », pas du tout !

En tant que jeune artiste, en début de carrière qui plus est, comment vit-on cette période où on ne peut pas aller à la rencontre du public autant qu’on le souhaiterait et où faire de la scène est très difficile, voire impossible ?

Je vais être sans filtre : je le vis très mal. Je suis profondément touchée par tout cela. Au-delà du caractère égoïste, du fait que j’étais pressée d’aller à la rencontre du public, de jouer cet album sur scène, je pense que c’est une catastrophe pour le milieu culturel, et ça m’affecte profondément. Je suis déçue parce que le projet est plus compliqué à mettre en place, parce que notre souhait était vraiment d’aller jouer l’album dans des salles et de le faire vivre et de rencontrer un public. Qu’il y ait quinze ou trois cents personnes devant nous, cela n’avait aucune importance pour le projet qu’on voulait faire. On n’avait pas d’attentes, on voulait jouer partout où on voulait bien nous entendre. Cela me rendait heureuse d’imaginer qu’on pouvait organiser une tournée. On avait tout organisé, on avait Thierry Cornolti qui pouvait s’occuper de notre tournée et qui était ravi. Quand tout cela est arrivé, cela nous a coupé l’herbe sous les pieds. On a travaillé un an et demi sur cet album, les critiques sont extrêmement bonnes, on n’a que de bons retours, il plaît et maintenant, on a du mal à le présenter. C’est toujours le même problème : on s’est mis en souterrain pendant un certain temps pour la création et c’était maintenant le moment de faire savoir que le projet était sorti. Cela freine un peu les choses, et je ne le vis pas bien. Personne ne peut rien y faire. Je comprends toutes ces mesures mises en place. Ce sont des temps au sens propre du terme extraordinaires. On ne peut pas se rebeller, être mécontent, on a juste à accepter ce qu’il se passe en se disant qu’il y a des sacrifices à faire pour que les choses reviennent à la normale. Mais imaginer qu’on ne pourra porter cet album sur scène que dans un an si tout va bien, je ne l’imagine pas encore. Je ne le réalise pas très bien. Parce que maintenant qu’il est sorti, on a envie de le partager avec un public. C’est très perturbant, mais il faut faire avec. On va essayer de garder la tête hors de l’eau, de faire autre chose et de s’adapter.

Alors que votre album était déjà enregistré au moment du confinement, je trouve que certaines chansons font à mon sens écho à cette période. Vous y évoquez les rêves, le ciel, les couleurs … L’une m’a particulièrement interpellé à son écoute, bien entendu dans un contexte totalement incomparable, c’est Rue Vivienne. Quelle est l’origine de ce titre ?

C’est la seule pour laquelle je n’ai participé ni à la composition, ni à l’écriture. C’est Fabrice et Katy Braitman, une amie à lui, qui ont composé et écrit cette chanson. Il se trouve qu’il y a environ deux ans il me semble, j’étais avec Fabrice et on trouve ce titre dans son ordinateur. Je lui demande de me faire écouter. J’adore l’idée d’écouter ses compositions. J’écoute cette chanson qui était chantée par Katy sur l’enregistrement et j’ai trouvé la composition, le texte, la mélodie sublimes. J’ai dit « Waouh, quand même, c’est hyper beau ce que vous avez écrit » et puis on n’en a pas reparlé. Je savais que cette chanson existait. Effectivement, au moment de créer l’album, je lui ai dit que j’adorerai interpréter cette chanson et lui ai demandé si Katy et lui seraient d’accord pour qu’elle figure sur l’album, puisqu’elle n’était pas sortie. Ils ont accepté. Du coup, j’étais ravie. J’ai ensuite compris comment elle avait été écrite. C’est l’histoire vraie de la grand-mère de Katy et d’une histoire d’amour manquée à cause du contexte de 1942. Pour l’interprétation de cette chanson, cela a été fort de me dire que je racontais une histoire vraie. Dans le contexte actuel qui n’est absolument pas le même – attention ! -, dans un contexte de peur, d’enfermement, d’angoisse, je pense effectivement que cet album peut aller toucher les gens. Parce que du fait de devoir être chez nous à vingt-et-une heures et que ce soit un album qui s’écoute dans l’intimité, quand on est chez soi, au calme – ce ne sont pas des chansons qu’on va écouter dans les bars –, ce contexte peut donner envie d’écouter ce genre de musique quand on est seul chez soi et qu’on essaie de se connecter à qui on est. Je pense donc que cet album peut faire du bien dans cette période d’angoisse. C’est pour cela qu’on a fait le choix de ne rien lâcher, de continuer et de ne pas repousser la sortie de l’album, parce que ça n’avait aucun sens. Pendant le confinement, on a décidé de sortir le single Dans mes rêves malgré les évènements parce qu’on savait potentiellement que faire rêver les gens ou leur parler d’amour – ou même d’eux peut-être – dans une période d’angoisse, cela pouvait faire du bien à celles et ceux qui l’écouteraient et qui connaissaient un peu le projet.

Cet album est une belle mise en parallèle entre une forme de gravité et un message de légèreté, d’espoir.

C’est ce qu’on a voulu dans cet album : allier la gravité et la pensée finalement, la profondeur des sentiments, avec cette lumière qui est l’espoir, le bonheur, la joie, parce que parler de choses qui font réfléchir n’est pas forcément triste. C’est juste qu’il faut en tirer les bonnes conclusions et je pense que cet album est plein d’espoir.

Je vous souhaite qu’il rencontre son public. Dans votre titre Cœur de pierre, vous chantez d’ailleurs « Cœur de pierre, tout est fait pour te plaire, moi j’y crois ».

Peut-être qu’au fond, je m’adresse à un public aussi. J’espère plaire au public, et plus que de lui plaire, j’espère le marquer, le toucher quelque part pour que le projet fonctionne et qu’il ait envie d’écouter nos chansons.

En dépit du contexte et en attendant une période plus sereine, comment essayez-vous de présenter cet album au grand public au mieux ?

On est en période de promotion, et on est très heureux, parce qu’il y a quand même des médias qui s’intéressent à notre projet. Ça va nous permettre de nous montrer un peu et d’aller défendre notre projet sur la scène, autrement que sur scène physiquement. On espère pouvoir faire en sorte de faire des live, soit avec un public dès que les restrictions seront plus souples, soit sur les réseaux sociaux où on mettra des choses en place pour essayer de faire vivre cet album et d’aller toucher les gens, parce qu’on ne va pas se laisser abattre. On va trouver des solutions, comme plein d’autres artistes on va mettre des choses en place pour ne pas faire mourir les live et les concerts. C’est très important.

Aujourd’hui, tenteriez-vous à nouveau de représenter la France à l’Eurovision ?

Tout dépend du contexte. Tout dépend de la chanson. Tout dépend de l’envie. En revanche, j’ai envie de défendre l’album, parce que c’est le projet actuel. Après, si on me propose de représenter la France à l’Eurovision prochainement, on réfléchira à la question en fonction de l’avancée du projet et d’où on est. Maintenant, cela ne fait pas partie de mes priorités pour l’avenir.

***

Seemone, le premier album éponyme de Seemone est paru le 2 octobre dernier.

Quasi entièrement co-écrit et composé par Seemone et Fabrice Mantegna, il a été enregistré aux Studios Ferber et fait appel aux musiciens de l’Orchestre National de France et de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Les percussions sont, quant à elles, signées Nicolas Montazaud. Il comporte douze titres, dont les singles Dans mes rêves et Brun de folie, ainsi qu’une nouvelle version de Tous les deux.

L’album est disponible en version physique, ainsi que sur l’ensemble des plateformes de streaming dont Spotify, sur laquelle vous pouvez également retrouver le compte officiel de L’Eurovision au Quotidien.

Un immense merci à Seemone d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Merci également à Laura Stephan de Scopitone Media pour l’organisation de l’interview et la diffusion des supports promotionnels.

Crédits photographiques : Akatre