À quelques jours seulement de la première demi-finale de l’Eurovision 2022, délégations et artistes sont sur le qui-vive. Avant le début des répétitions générales, les équipes peaufinent les derniers détails des prestations qui nous seront données à voir lors de live shows qui, comme chaque année, s’annoncent mémorables. Mais en cette période d’intensité et de rush, nos eurostars ne sont pas les seules à avoir des montées d’excitation et de stress. Derrière la scène, celleux qui ne sont pas baigné·es par la lumière des projecteurs travaillent elleux aussi d’arrache-pied pour faire de cette soixante-sixième édition un évènement inoubliable, tant pour les italien·nes que pour les européen·nes. Parce qu’iels sont des acteur·rices incontournables du concours et de sa bonne organisation, la rédaction de L’Eurovision au quotidien a décidé de consacrer une série de portraits à quelques unes de ces nombreuses figures qui agissent côté coulisses. Parmi elleux, une actrice majeure, dont le nom a été mis récemment sur le devant de la scène parce que, justement, son atelier et elle sont les auteurs de cette scène qui a donné des sueurs froides à la RAI. Carri lettori, ecco Francesca Montinaro !

Les débuts

”Je suis née dans une ville aux allures de petite scène. Pour moi, tout est possible.”

Artiste pluridisciplinaire et transversale, c’est en 1965 que Francesca Montinaro voit le jour dans la Ville Éternelle : Rome, qu’elle définit comme ”une ville-scène riche de styles et de formes qui se chevauchent”. Au sein de la cité mythique, celle-là même qui a offert un mythique bain de minuit à Anika Edberg, elle pousse la porte de l’Académie des Beaux-Arts. Après y avoir étudié la peinture et la sculpture, elle s’y forme à la scénographie, et en ressort diplômée à l’âge de vingt-trois ans . Rapidement, ses créations connaissent le succès. À tel point que …

C’est dans le monde du septième art qu’elle réalise ses premiers pas aux côtés de Mario Garbuglia, célèbre chef décorateur italien, qui compte à son actif des films aussi mythiques que Rocco et ses frères, Le Guépard, Barbarella ou encore La Cage aux Folles.

Philosophie de l’expérience télévisuelle

« Mon intérêt pour la télévision fait parfaitement sens. »

L’intérêt que porte Francesca Molinaro à la communication sera le fil rouge de son oeuvre et lui ouvre les portes des plateaux de télévision. Elle fait de ces derniers un moyen de susciter l’engagement du public en attirant son attention et en l’invitant à la réflexion. Ce au prisme d’une collaboration tacite avec les personnes qui occupent la scène et les spectateur·rices qui vivent l’expérience en plateau. Pour l’artiste, la télévision suppose différents degrés de compréhension, ainsi qu’un haut niveau de stimulation et de comparaison, à même de déclencher des mécanismes dans l’esprit du public. C’est ainsi qu’au travers des scénographies dont elle est à l’origine, elle considère créer un langage qui atteint directement aussi bien les spectateur·rices en plateau que les téléspectateur·rices devant leur écran de télévision.

C’est ainsi en toute logique que, dès 1992, Francesca Montinaro tombe dans la marmite télévisuelle. Elle travaille alors aux côtés de Gregorio Paolini, auteur et producteur de télévision à l’origine de nombreux programmes pour la RAI, Italia 1 ou Canale 5. En phase avec les changements d’habitude des télépectateur·rices, celui-ci porte une nouvelle manière de faire de la télévision. En vertu de celle-ci, une narration directe permettra d’adresser une pluralité de messages au public afin de changer les choses. Une philosophie dans laquelle s’inscrit alors Francesca, pour qui le/la téléspectateur·rice doit être au centre de l’attention.

Scénographe de l’émotion

« Je dirais que l’inspiration ne vient pas des projets que j’ai déjà réalisés, mais de quelque chose de plus profond, de la curiosité, de la volonté d’expérimenter toujours de nouvelles choses. »

Interview à Eurofestival News, 15 avril 2022

Rai, Mediaset, LA7 … Peu à peu, les plus grands groupes télévisuels italiens font appel à elle pour habiller les plateaux d’une diversité de programmes, un choix également délibéré de sa part qui s’inscrit dans sa réflexion sur l’expérience télévisuelle. Talk-shows, télé-réalité, investigation, infotainment, journaux télévisés, programmes musicaux … Autant de genres télévisuels et de terrains sur lesquels Francesca Montinaro peut mettre en oeuvre son sens de l’innovation à travers des scénographies reposant sur trois piliers : solidité, fonctionnalité, beauté.

Les années 2010 sont, pour l’artiste, l’occasion d’un changement de direction artistique. Elle s’intéresse dès lors au « luogo emozionale », ou « lieu émotionnel », dont l’une de ses réalisations les plus emblématiques est la scène du Festival de Sanremo 2013. Aux lumières et aux paillettes télévisuelles, Francesca Montinaro privilégie ici un alliage entre le baroque et le contemporain, avec un background déchiré et inspiré d’Alberto Burri (artiste plasticien au style polymatérialiste et tenant de l’Art informel européen) et un ensemble qui évoque également l’oeuvre du peintre et sculpteur argentin Lucio Fontana. De quoi replacer, là aussi, l’individu au centre de l’expérience scénique et télévisuelle.

Au fil de cette philosophie créative, elle réalise ainsi des scènes thématiques pour de nombreuses émissions de télévisions. Parmi elles, Le filtre immatériel (réalisé pour Vieni Via con me), La forêt vierge (pour Le invasioni barbariche), La tâche (pour Piazzapulita) ou encore Le laboratoire (pour Il brutto anatroccolo).

Parmi ses autres créations, comptons les plateaux de :

  • Gli intoccabili
  • Cuocchi e Fiamme
  • L’Era Glaciale
  • Exit 2007-2009
  • Reality Circus
  • Il Tornasole
  • Lo Spaccanoci
  • Invisibili
  • La Mala EducaXXXion
  • Il tornasole
  • TV2000
  • Telegiornale, RSI

Du réel au pluriel

« Mon travail est indépendant d’une lecture strictement liée à la scénographie télévisuelle. »

Biographie, Atelier francesca Montinaro

À coté de ses activités télévisuelles, Francesca Montinaro s’adonne également à d’autres activités via son atelier, qu’elle créé en 1996.

L’artiste s’est fait un nom dans l’art contemporain en réfléchissant sur les questions de la manipulation et du consentement. À travers leur prisme, elle offrent une représentation des masses et des corps, tout en étant étroitement liées au réel (à l’instar de ses scénographies). Les installations de l’artiste permettent, en effet, au public de vivre littéralement des expériences et non de se contenter de l’observation. Elle compte ainsi parmi ses oeuvres emblématiques Audience, qu’elle considère comme une première vraie pierre à cet édifice-là et qu’elle a présenté à la 54ème BIennale de Venise en 2011. Elle fait écho à sa longue expérience télévisuelle et questionne la relation entre la performance et l’audience (ou le public) en montrant sur des écrans des visages de spectateur·rices en train de réagir à ce qu’iels voient. Citons également parmi ses créations Wonderful (sur les émotions), Veil of Freedom (sur l’identité féminine) et Communitas immunitas (sur les liens de communauté). Des oeuvres qui traversent le monde, puisque Veil of Freedom a été présentée au MUA d’Alicante (Espagne) et à l’Institute for Contemporary Art de Houston (Etats-Unis). Elle a également réalisé, en outre, l’installation Mirror pour la réouverture du Vittoriano (monument dédié à Victor-Emmanuel II à Rome) en 2000.

Tout en réalisant quelques travaux de design intérieur, l’artiste pluridisciplinaire transmet également son savoir, puisqu’elle a été professeure de scénographie multimédia à l’Institut Européen du Design de Rome, ainsi qu’au sein des Académies des Beaux-Arts de Carrare et de Rome.

De Sanremo à Turin

C’est à Sanremo que Francesca Montinaro effectue ses premiers pas dans la sphère des grands shows musicaux, elle qui a également réalisé la scénographie d’un concert télévisé de Zucchero. Comme souligné précédemment, la RAI fait une première fois appel à son atelier en 2013 pour la réalisation d’une scène emblématique dans l’oeuvre de sa créatrice, avant de la solliciter à nouveau en 2019. C’est donc non sans une certaine évidence qu’Italian Touch oblige, l’Atelier Francesca Montinaro est choisi pour réaliser le design de la scène de l’Eurovision 2022.

L’Eurovision au Quotidien avait dédié un article à cette scène ambitieuse intitulée The Sun Within et basée sur les mouvements et les lumières d’un soleil cinétique juché sur une scène entourée de cascades et faisant face à une green room en mode jardins à l’italienne, telle un miroir de l’identité italienne. Mouvements que nous n’aurons pas l’occasion de voir en raison d’une panne inopinée et malvenue du moteur quelques jours avant le début des premières répétitions …

En outre, Francesca Montinaro travaille actuellement sur un projet de musée multimédia en Arabie Saoudite.

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© Atelier Francesca Montinaro