« J’ai beaucoup d’ambitions pour l’Eurovision. »

Alexandra Redde-Amiel

Directrice des divertissements de France 2 depuis la fin de l’année 2018, c’est tout juste un an après qu’elle devient cheffe de délégation française pour le concours de l’Eurovision. Une première année marquée par l’annulation du concours 2020 et la candidature avortée de Tom Leeb et surtout par la première victoire de la France au concours Junior grâce à Valentina. Nous sommes à présent à J-20 du grand retour de l’Eurovision après deux longues années d’absence, Barbara Pravi occupe la deuxième place des bookmakers et la cheffe de délégation a accepté de répondre aux questions de L’Eurovision au Quotidien à quelques jours du décollage en destination de Rotterdam : voici Alexandra Redde-Amiel !

EAQ – Comment te sens-tu à J-24 de la grande finale de l’Eurovision ?

Alexandra Redde-Amiel – Excitée, stressée, pleine d’énergie, parce que nous recevons toutes ces belles énergies qui viennent de partout, de France et d’Europe, qui nous enthousiasment, qui nous donnent envie d’aller plus loin. C’est un mélange de plein d’émotions.

Quarante-quatre ans que nous courrons après la sixième victoire française au concours. Pourquoi la délégation française croit-elle en Barbara Pravi pour décrocher la victoire cette année ?

Barbara est ce que j’appelle un « talent rare ». Elle réunit beaucoup d’ingrédients, c’est-à-dire qu’elle est une artiste à part entière, avec une personnalité. C’est une artiste magnétique qui vit en elle ses chansons. C’est une autrice-compositrice qui écrit tellement bien… Ses mots comme elle le dit, elle les pose. Il y a ces paroles. Il y a cette musique. Il y a ce petit bout de femme avec une énergie tellement incroyable. C’est pour tout cela que je dis que c’est une artiste rare. J’aime également dire qu’elle a les « Trois M » : elle est mystérieuse, elle est magnétique, elle est magique. Cela fait plus de vingt ans que je suis dans le milieu de la musique et c’est très rare que l’on trouve des artistes aussi complètes qu’elle.

C’est grâce à l’émission Eurovision France : c’est vous qui décidez que Barbara a été désignée candidate de la France à l’Eurovision. Avais-tu déjà ressenti son potentiel dès l’émission ?

Bien avant, puisqu’elle a écrit pour Valentina et pour Carla ! Dans un coin de ma tête, je me disais qu’à moment donné, il fallait que cette artiste soit davantage dans la lumière. Nous lui avons demandé d’écrire pour l’Eurovision, parce que lorsque nous avons vu ses textes pour Valentina et pour Carla, nous nous sommes dits que c’était une artiste assez incroyable. Cela fait donc longtemps que nous la suivons.

Comment se déroule sa préparation ?

Barbara est extrêmement concentrée. Elle a énormément de demandes d’interviews, c’est absolument incroyable, j’hallucine ! Nous essayons donc de la préserver. Elle fait bien sûr beaucoup de choses, mais elle dispose aussi de moments de calme, de concentration, de coaching avec Léa Ivanne, sa coach de travail, de pauses aussi, parce que nous savons très bien que c’est une montée en pression. Le décompte est là, nous sommes dans la dernière ligne droite et à présent il faut être calme, serein et prêts pour le 12 mai, date de notre départ pour Rotterdam.

Quelle place la délégation occupe-t-elle dans le dispositif mis en place autour d’elle ?

Nous sommes très présents avec Barbara, aux côtés de sa manageuse et de Capitol. Nous avons vraiment créé une très bonne équipe. Nous échangeons beaucoup, nous apportons des conseils, nous sommes avec elle. En tant que chef de délégation, j’essaie de l’accompagner avec le regard que je peux poser sur l’Eurovision. Nous partageons avec elle et regardons bien entendu toutes les prestations et les performances qui vont être proposées. Nous sommes vraiment dans le bain. Parfois, nous nous appelons juste pour nous demander des nouvelles. Nous nous donnons mutuellement de l’énergie.  

Tu parlais de montée en pression. L’Eurovision est un gros évènement. Plusieurs fois, la France s’est retrouvée bien placée chez les bookmakers (Amaury Vassili, Amir, Madame Monsieur). C’est aujourd’hui le cas de Barbara. Comment gère-t-on cette pression au sein d’une délégation ?

Nous gardons la tête froide. Nous gardons l’énergie que les gens nous donnent en ayant en tête la réalité du 22. Nous savons très bien que la vérité sera celle du 22 mai, avec les votes des jurys et ceux du public. Barbara est très heureuse de voir que sa chanson est appréciée, mais elle est très réaliste quant au classement qu’elle pourrait obtenir. C’est pour cela que nous ne hurlons pas sur tous les toits que nous allons gagner ou que les jeux sont faits. Tout se jouera le 22 mai.

L’« équipe de France » sera accompagnée du duo Stéphane Bern/Laurence Boccolini aux commentaires. Pourquoi ce choix depuis Eurovision France ?

En tant que cheffe de délégation, il est important pour moi d’avoir des gens passionnés. Parce que je pense que la passion est le début d’une grande victoire. Quand Laurence est arrivée sur France Télévisions, j’ai beaucoup échangé avec elle et l’une des premières choses qu’elle m’a dites, c’est « Je suis fan de l’Eurovision que je suis toute petite ». Pour moi, ça a été un vrai déclic. Parce que quelqu’un qui est passionné par ce show, cela signifie qu’il va donner. Laurence est un personnage, elle est formidable parce qu’elle est drôle et qu’elle a une personnalité. Avec notre ambassadeur, Stéphane, ils forment un duo de chic et de choc comme j’aime le dire, parce qu’ils sont vraiment complémentaires. Et avoir Laurence aujourd’hui dans cette aventure est absolument formidable parce qu’elle apporte un relief que nous n’avions pas jusqu’à maintenant.

L’Eurovision connaît une audience croissante en France depuis plusieurs années (4,5 à 5 millions de téléspectateurs en moyenne), sa couverture médiatique est de plus en plus importante…. Mais le concours continue de souffrir d’une image altérée, tant dans l’opinion publique que dans la plupart des médias généralistes. Comment l’améliorer ?

L’histoire de l’Eurovision est intéressante. J’ai beaucoup d’ambitions pour l’Eurovision, en ayant créé Eurovision France, en faisant vivre la marque toute l’année, en créant des modules courts, qu’on a vu en décembre et ceux qu’on va voir à partir du 10 mai. Nous mobilisons de plus en plus, nous évènementialisons l’Eurovision, et je trouve justement que son image est en train d’être améliorée. Bien sûr, il reste quelques résistants, mais l’image est en train d’évoluer. L’Eurovision est quand même le show le plus iconique au monde ! Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, c’est le divertissement le plus important en termes d’audience à France Télévisions, donc nous sentons qu’il y a vraiment un attrait. Je vais continuer à déployer l’ambition que j’ai pour l’Eurovision. J’ai plein d’autres idées – dont je vous parlerais bientôt – pour continuer à faire grandir et exister la marque Eurovision toute l’année. Quand j’ai pris ce poste, c’était quelque chose qui m’était très cher. Je veux vraiment que l’Eurovision devienne une marque dans la vie des français.

Dans ce travail d’évènementialisation et de développement de l’Eurovision, quelle place occupent les eurofans et les téléspectateurs ? Lis-tu leurs avis et en tiens-tu compte ?

C’est pour moi une famille, très clairement ! Les eurofans font partie de l’aventure que nous vivons chaque jour et de la délégation.  Je lis, évidemment pas tout parce que je ne peux pas tout lire, mais je lis beaucoup de choses. Cela me fait réfléchir. Je peux prendre des décisions suite à des choses que je vois. Je tiens vraiment à remercier les eurofans, parce que l’Eurovision est un monde que j’ai découvert et je me suis rendu compte de l’importance de leur place, d’autant plus que j’ai été assez triste de ne pas vivre la victoire de Valentina avec tous les eurofans. Parce que c’est une victoire commune et collective. J’ai échangé avec beaucoup d’entre eux par téléphone, et je rêverais qu’on puisse vivre une victoire avec les eurofans. S’agissant des téléspectateurs, Eurovision France permettait de redonner le pouvoir au public. Je crois que les français ont un rôle à jouer dans l’accompagnement de notre représentant. C’est extrêmement important. Une France mobilisée, c’est une France qui emmènera le plus loin possible le candidat ou la candidate. Donc je compte énormément sur les eurofans et les téléspectateurs.

Tu mènes cette délégation française depuis 2019. Depuis ta prise de fonction, as-tu eu le sentiment à moment donné de faire une erreur d’appréciation ou d’avoir vu ton point de vue évoluer sur certains sujets ?

J’ai vu mon point de vue évoluer. En sélection interne, je trouvais qu’il manquait le regard du public. Quand on cherche le représentant français, je trouve cela extrêmement intéressant de partager avec les téléspectateurs et les eurofans. Il y a beaucoup de choses que j’ai découvertes. Continuer l’histoire de l’Eurovision, c’est prendre finalement son historique et continuer à le faire évoluer dans le bon sens. Je m’attache donc à me remettre en question très souvent. Je m’attache à être dans l’écoute sans prendre les derniers avis exprimés pour argent comptant. Mais je pense que c’est un vrai succès collectif, et le collectif est devenu essentiel dans ma manière de voir les choses et de prendre les décisions.

La sélection française a autant remporté l’adhésion des eurofans que celle du public. Sera-t-elle reconduite l’année prochaine ?

Oui, ce format sera reconduit l’année prochaine, et nous en sommes très heureux !

Qu’est-ce qui t’a convaincu dans ce programme et quelles améliorations pourraient être apportées selon toi ?

Aujourd’hui, ce qui nous a convaincu, c’est l’évènementialisation du concours et de cette sélection le temps d’une soirée, avec une vraie et belle mobilisation des français à la clé. Il est toujours intéressant de regarder la structure de l’audience et on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un public familial. Il y avait des téléspectateurs très jeunes, d’autres plus âgés : toutes les cibles étaient présentes. Eurovision France permet de mobiliser la France en disant « maintenant, à vous de choisir ! ». Nous sommes extrêmement satisfaits. Il y a bien sûr des axes d’amélioration, d’autant plus que nous sommes partis sur un vrai direct sans avoir fait de pilote, alors autant te dire que le stress était présent ! Nous avons repéré quelques ajustements, de petites choses à revoir, peut-être dans la mécanique. Tout est perfectible, nous allons affiner l’ensemble, mais sans le changer complètement, parce que nous sommes très fiers du résultat.

Comme la France fait partie des favoris – elle est numéro deux des bookmakers au moment où l’on se parle – est-ce que l’UER a demandé une ébauche de plan d’organisation en cas de victoire ?

Pas encore. C’est un peu prématuré à ce stade. Si discussion il doit y avoir sur le sujet, ce sera pour plus tard, d’ici quelques semaines. Ce qui est en tout cas certain, c’est que l’UER nous offre un accompagnement formidable.  

Ta première année de mandat à la tête de la délégation a été marquée par la victoire de Valentina à l’Eurovision Junior. Qu’est-ce que tu as ressenti à ce moment-là ?

Nous avions un décalage dans les oreillettes avec la Pologne, et donc un temps de retard par rapport aux réactions. Ça a déjà été une énorme surprise. La première interrogation, c’était « Est-ce qu’on a vraiment gagné ? Est-ce que c’est réel ? », et c’était ensuite de l’émotion. Beaucoup d’émotion pour Valentina qui est une petite fille extraordinaire, pleine de cœur, d’énergie, qui nous a porté à la délégation. Nous étions en plein covid, nous avions des doutes, nous ne savions pas si nous allions y arriver et Valentina nous a dit « Moi je suis là, j’ai envie, on va se battre ». Je venais d’arriver à la tête de la délégation et me dire que, d’une certaine manière, ce serait un cadeau pour les eurofans, le public français, tous ceux qui suivent l’eurovision, mon équipe des divertissements et celle de la délégation qui se battent et qui sont sur le pont chaque jour, j’en étais très émue.  Je me demandais « Mon Dieu, mais qu’est-ce qui nous arrive ? » et mon seul regret, c’est de ne pas avoir pu être aux côtés des eurofans à ce moment-là. J’ai pu partager ce moment avec toute mon équipe, parce que si nous étions partis en Pologne, tout le monde n’aurait pas pu être présent, ainsi qu’avec Stéphane Bern, qui était présent. C’était un grand moment de bonheur, ainsi que beaucoup d’émotion et de surprise.

Le concours devrait normalement avoir lieu en novembre. Ce sera la première fois depuis 44 ans que la France accueillera le concours de l’Eurovision sur son sol. Comment se déroule l’organisation ?

C’est un énorme challenge qui nous attend. Énorme. Nous organisons l’Eurovision Junior en France, nous sommes en train de tout mettre en place. Je pense pouvoir vous faire de belles annonces dans quelques semaines, donc je suis très fière et très heureuse. Cela va être un gros challenge, je le répète, parce que nous sommes très exigeants. Nous voulons faire quelque chose de très beau et avons beaucoup d’ambition pour faire rayonner la France et montrer l’étendue de nos compétences en Europe. Nous sommes en train de constituer l’équipe, nous discutons des lieux… Je croise les doigts, mais je pense pourvoir vous annoncer tout cela rapidement.

Des villes ont-elles postulé pour accueillir l’évènement ?

Non. Comme notre cahier des charges est extrêmement précis et est très exigeant, nous sommes plutôt dans une logique de démarchage. Nous sommes dans la confidentialité et travaillons en petite équipe.

Tu vas devoir chapeauter l’organisation en étant à la fois cheffe de délégation et directrice des divertissements de France 2. Comment comptes-tu t’organiser autour de ces trois casquettes ?

(Rires) Autant te dire qu’il me faut beaucoup d’énergie, d’autant plus avec mes trois petites filles ! Les personnes qui me connaissent savent que j’ai plutôt beaucoup d’énergie. J’essaie d’être très cadrée, très organisée. Mes équipes de la délégation et du divertissement sont présentes et je prends du temps pour l’une et pour l’autre. J’ai une formidable assistante qui organise tout cela et je mets énormément d’énergie dans ce que je fais. Je suis très exigeante, je le redis parce c’est un mot qui est important pour moi. Il va falloir me donner vos good vibes pour m’apporter encore plus d’énergie. C’est en tout cas une année riche de travail qui s’annonce !

Pour terminer, que souhaiterais-tu que les téléspectateurs français retiennent de l’Eurovision 2021 ?

D’abord le symbole de l’espoir, parce que l’Eurovision marque finalement le retour sur scène si tout va bien. J’aimerais que les téléspectateurs retiennent que l’Eurovision, ce sont de beaux artistes, et Barbara la fierté de la chanson française et de ses textes. J’aimerais qu’ils retiennent que l’Eurovision est un show absolument exceptionnel, qu’il faut suivre et dont il faut parler. J’aimerais aussi qu’ils retiennent que c’est d’autant plus important d’être soudés culturellement aujourd’hui, et que le partage de la musique et de la culture est quelque chose qui nous fait à tous du bien. J’aimerais finalement que, petit à petit, cette image de l’Eurovision devienne de plus en plus belle.  

Un grand merci à Alexandra Redde-Amiel d’avoir accepté notre interview et à Ludovic Hurel pour son organisation. Rendez-vous avec la délégation française à Rotterdam dès le 12 mai, veille de la première répétition de Barbara Pravi, et d’ici quelques mois pour l’organisation de l’Eurovision Junior en France.

Crédits photographiques : France Télévisions