Après les curieux quarts de finale de novembre dernier, l’Estonie entame ce soir la phase finale de sa sélection. Après les émissions de jeudi et samedi soir, ils ne seront plus que 10 en lice pour représenter l’Etat balte à Turin. Nous allons découvrir les scénographies proposées par les 20 candidat-es encore en lice, et pouvoir juger de la capacité des artistes à défendre leurs titres en direct. Pour vous aider à y voir plus clair sur les forces en présence, je vous propose mon avis personnel, à l’aide de notre incontournable échelle de Loreen. J’insiste dessus, mais bien que je tente de rester objective, il va de soit que l’objectivité pure et parfaite est comme la perfection : une quête intéressante, mais vaine.

Globalement, Loreen est plutôt embêtée au moment de décerner les mentions aux chansons estoniennes. Vous le savez si vous suivez la couverture de la sélection sur l’EAQ depuis quelques années, l’Eesti Laul a ses poncifs : une surreprésentation des « chansons pop inoffensives » ou encore du « folk en estonien » (toutefois fort absent cette année !), et surtout, un télévote qui pèse souvent très favorablement sur les noms déjà connus et établis sur la scène nationale. Noms qui n’ont pas forcément les chansons les plus compétitives au prisme de l’Eurovision. C’est en tout cas le schéma qui explique les 3 dernières non-qualifications de l’Estonie en finale (2016, 2017, 2021). Et si l’Estonie est loin d’avoir le pire ratio de qualification par participations (sur les 12 lauréats de l’Eesti Laul depuis 2009, 7 ont accédé à la finale de l’Eurovision), qu’elle a même eu quelques éclats de génie (en 2012, 2015, 2018) justement récompensés en top 10, je trouve personnellement que l’Eesti Laul a perdu de la vitesse depuis quatre ans maintenant, après quelques belles années où les finales réservaient de bons dilemmes de fans.

Alors, cette année, Loreen a tenté de ne pas être trop intransigeante, mais tout de même, il y a légitimement de quoi s’interroger sur la capacité de l’Estonie à retrouver le chemin de la finale, et plus globalement, sur la capacité de l’Eesti Laul à se renouveler… Malgré l’engouement grandissant pour les camps d’écriture de l’été, et l’ajout des quarts de finale qui ont permis de découvrir plus de contributions, le niveau de ces demi-finales ne paraît pas sensiblement plus élevé que les deux années précédentes, malgré quelques propositions intéressantes. Notons l’absence, qui se remarque, de toute chanson gag ou hors les clous, à l’image d’un « Tartu » ou d’un « Parmupillihullus », qui faisaient aussi le sel et la touche estonienne, qu’on ai pu les détester ou les trouver géniaux (ou les deux en même temps, d’ailleurs).

Sans avoir les lives, les bookmakers pronostiquent pour le moment une victoire de STEFAN. C’est aussi le gagnant de nombreux tops YouTube de fans. Derrière lui, dans l’ordre, on trouve Ott Lepland, le duo Zevakin/Grete Paia, les Black Velvet, et Jaagup Tuisk. A nuancer, car à ce stade, et sur cette sélection, il y a très peu de paris, et ils s’orientent logiquement sur des chansons ayant été qualifiées dès le premier tour de vote du public en quart de finale. A voir à l’issue du week-end…

A noter que Loreen corrigera ses appréciations, et un article sera republié en vue de la finale du samedi 12. Vous y trouverez également le sondage, à ce moment. Mais n’hésitez pas à partager vos notations, vos points d’accord et de désaccord en commentaires, j’ai très envie de voir si je suis la seule à passer un peu à côté de la line-up cette année, ou si mes impressions sont partagées !

Demi-finale 1 – Jeudi 3 février

Sur le papier, elle me paraît être la demi-finale la plus fermée et la plus prévisible. Il ne me semble pas aventureux de pronostiquer les 3 qualifiés du public en les personnes d’ELYSA, d’Ott Lepland, et du duo Zevakin/Paia ou d’Elina Nechayeva. Celui de ces 4 qui ne passera pas grâce au télévote sera très probablement repêché par le jury, parce qu’ils ont aussi les chansons les plus solides de la demi-finale. N’oublions évidemment pas Stig Rästa, qui ne sera peut-être pas tant en perte de vitesse que cela et aura sans problème les faveurs de l’un des deux collèges. Plaçant ce constat, les 5 autres participant-es n’ont pas le droit à l’erreur en live. A la faveur d’une révélation sur scène, du gadin d’un des favoris, et d’un alignement astral favorable, la finale reste accessible, mais clairement, la tâche ne leur sera pas aisée. Et pour moi, seuls deux peuvent compter sur les jurés pour leur sauver, à nouveau, la mise : le groupe-dont-il-ne-faut-prononcer le nom, et Merilin Mälk.

« Chanson » – ArtisteCommentairesLoreen
« Fire » – ELYSAAttention, la chanteuse a un nom en 5 lettres commençant par E et le titre est la traduction anglaise de « Fuego », mais gardons loin la comparaison ! Ce bop, qui aurait pu figurer au Melodifestivalen il y a 10 ans, a pour principal défaut un refrain creux à l’instru agressive, et ne renouvelle pas le genre… Il a toutefois l’avantage d’être l’un des plus « chorégraphie-friendly », ce qui pourrait rapporter des points. Pas sûre du potentiel Eurovision de l’eurodiva à l’estonienne…
« Vaatu minu poole » – HelenAh oui !! La voilà !! La première « chanson pop inoffensive » de cette review. Ca aura été rapide. Bon, je ne pense pas aller contre l’avis général si je dis que la chanson d’Helen est très transparente, son atmosphère trop feutrée (comme souvent sur ce type de chanson), à fortiori en venant juste derrière le « Fire » d’ELYSA. Je suis déjà à court d’inventivité pour meubler ce genre de proposition…
« Mis nüüd saab » – Andrei Zevakin ft. Grete PaiaUn Youtubeur et une multirécidiviste pour un duo rythmé et une atmosphère latine. Le refrain, bien répétitif, rentre en tête. Le morceau manque peut-être de compétitivité en vue de l’Eurovision, et les possibilités scénographiques sont assez limitées, mais il devrait pouvoir se démarquer parmi les autres de la sélection.
« Move On » – Alabama WatchdogLa cancel-culture a failli faire une nouvelle victime !!! Bien heureusement pour nos estoniens, le jury, qui n’est donc pas si bien-pensant que ça, les a sauvé de la culture de l’annulation, ou quelconque dérive balte du complot pharmaco-bolchévik-islamo-LGBT (choisissez votre favori). Il faut reconnaître qu’ils nous font la grâce cette année de ne manquer de respect à personne entre les lignes de leur morceau rock old-school. Un brin répétitif, un peu plat, le morceau pourrait être simplement banal voire appréciable selon le capital sympathie qu’inspire ses interprètes. Me concernant, étant donné que chaque occasion où ils ont le micro est bonne à se plaindre et à se placer en martyr de la liberté d’expression, j’ai envie de leur suggérer une piste de carrière bien plus rentable : arrêter de s’embêter à composer de la musique et toquer aux portes des plateaux de nos chaînes d’info en continu.
« Little Girl » – Merilin MälkMerilin propose cette année une ballade pop option nostalgie. Sans révolutionner le genre, elle se laisse écouter et se retient assez aisément. De plus, la voix de Merilin est singulière et me concernant, elle me touche. Toutefois, son manque de notoriété face à d’autres artistes portant des chansons du même acabit risque de lui faire défaut…
« Interstellar » – Stig RästaStig Rästa est définitivement la preuve qu’un coup de génie n’est pas toujours représentatif… Et en ayant Goodbye To Yesterday dans mon top 10 toutes éditions, cela me peine d’écrire cela ! Mais « Interstellar » est d’une prévisibilité agaçante, une pop sucrée vue et revue, d’un matériel qui sur moi ne prend plus à la longue. Mais bon, si jamais vous êtes fans de produits musicaux à la chaîne scandinaves (et c’est votre droit !), ou bien de technologies fumeuses (non ça je vous juge), sachez que Stig a mis en vente le NFT de Interstellar…
« Laululind » – Frants Tikerpuu ft. Triin NiitojaLe couple Triin/Frants propose une bluette bien mignonne en estonien. Toutefois, sa construction est très classique, et les couplets font un peu inexistants, ce qui est… un peu dommage, sur le principe. Sans avoir de véritable reproche à lui faire, c’est une fois encore, trop convenu.
« Vaikus » – Kaia-Liisa KeslerL’une des rares débutantes de cet Eesti Laul est parvenue à se frayer une chemin jusqu’en demi-finale avec une ballade intimiste au violon en estonien. C’est joli, c’est délicat, et j’y vois un potentiel sur scène intéressant. La dernière minute de la chanson abandonne l’ambiance intimiste au profit d’un instrumental beaucoup plus classique, ce qui ne laisse pas un souvenir impérissable. Je doute qu’elle ai les épaules pour s’extraire de cette demi.
« Remedy » – Elina NechayevaElina en a surpris plus d’un en abandonnant l’opéra qui avait apporté le dernier top 10 en date du pays, au profit de cette ballade-pop aux intonations Mylène Farmer. Niveau capacité d’envoûtement, la soprano n’a rien à envier à la diva québécoise, et cela devrait lui ouvrir aisément les portes de la finale. Mais dans une perspective Eurovision, il faudrait quelque chose de plus mémorable… Ou un nouvel artifice scénographique ?
« Aovalguses » – Ott LeplandBien que j’étais restée hermétique à « Kuula », je crois pouvoir dire sans froisser personne que le retour d’Ott n’a pas l’envergure de sa ballade d’il y a 10 ans. La construction manque quelque peu de relief. Toutefois, Ott reste un interprète solide, et cette ballade une valeur sûre, ce qui justifie sa 2e place chez les bookmakers. Parenthèse, mais je suis la seule à penser à « Sognu » avec ce cuivre à la fin ?

Demi-finale 2 – Samedi 5 février

Malgré la présence de quelques noms importants dans cette deuxième demi-finale, elle semble plus ouverte puisque les seuls qualifiés qui semblent évidents sont STEFAN et Jaagup Tuisk. Si Sahlene et Evelin Samuel devraient également mobiliser sur leur nom, échouer auprès du public pourrait leur coûter cher, puisque leurs chansons sont loin d’être les meilleures, à mon sens, au yeux d’un jury de professionnel. Je pense que cette demi-finale pourrait réserver plus de surprise (et je l’espère, puisque j’y ai mes favoris personnels). Un jury normalement constitué ne laisserait pas, par exemple, à la fois Jyrise ET le duo Shira/Púr Múdd sur la touche. Attention également aux deux groupes, les rockeurs de Boamadu, et les crooners du dimanche de Black Velvet, qui pourraient troubler la prévisibilité du vote du public…

« Chanson » – ArtisteCommentairesLoreen
« Plaksuta » – JyriseEn voilà un qui est seul sur sa case : Jyrise propose du hip-hop en estonien, avec un texte feel-good qui ne se prend pas la tête (le titre signifie « applaudir »). Alors certes, c’est un peu old-school, mais au vu de la concurrence, j’ai été plus que surprise qu’il doive être repêché par le jury en quart. et c’est bien dommage, car ce genre d’auto-composition réveillerait bien le spectateur estonien entre deux bluettes pop… Et pourrait ramener d’autres propositions plus diversifiées.
« Meeletu » – MaianParlant de diversité, Maian nous propose un morceau pop-dancehall moderne en estonien et déclare son amour à sa ville d’adoption, Barcelone. L’instru est très catchy, bien qu’elle aurait été plus dans le vent il y a 5 ans, et l’ensemble est solaire. Toutefois, il manque un quelque chose plus accrocheur qui donnerait envie de la réécouter encore et encore. Une proposition intéressante néanmoins !
« Mitte kauaks » – BoamaduDu rock ambiance bonne franquette-garage en estonien, qui m’est fort sympathique. Oui, mais me direz-vous, qu’a-t-il de plus que son pendant dans la demi-finale 1 ? Eh bien, nous avons ici affaire à un groupe de rock non-pseudo-subversif et un texte sans ambigüité qui parle globalement d’oser prendre la route de la vie et vivre des aventures. Et moi, cet esprit-là et cette authenticité, ça me la rend bien sympathique. Qualifiés du public en quart, ils pourraient trouver leur chemin vers la finale.
« Waterfall » – Evelin SamuelDans la famille rebut du Melodifestivalen, je demande la ballade tartesque. Evelin n’invente rien dans le genre, même si l’atmosphère est sympathique. Le souci, c’est que ce genre de proposition ne renouvelle pas le Concours, est dépourvue d’audace, et ne correspond pas aux standards de l’industrie musicale contemporaine. Et il devient un peu difficile d’être tolérant-e avec, quand on voit le niveau auquel s’élèvent d’autres propositions au Concours…
« Sandra » – Black VelvetIl faut passer outre le clip surcouche beauf, mais « Sandra » n’est pas la pire chanson de cet Eesti Laul… ni la meilleure. C’est une pop-disco au texte léger, sur un flirt. Parfait pour une boum. Et pour l’époque où le mot « boum » n’était pas ridiculement désuet. En effet, une fois passé le questionnement sur la beaufitude du clip, on peut apprécier le rythme et la bonhomie de la chanson… Avant de se lasser, une minute avant la fin, de sa répétitivité. Le public estonien l’avait néanmoins qualifiée au premier tour de vote de son quart.
« Golden Shores » – Púr Múdd ft. ShiraPour la 2e année de suite, mon coup de cœur personnel va à une chanson esprit 80’s revival… La voix de Shira et ses pré-refrains sont clairement les points forts de ce titre. Bémol, les refrains sonnent déjà entendus et manquent matière, ce qui fait quelque peu retomber le soufflé.
« Kui vaid » – Jaagup TuiskLe dauphin d’Uku Suviste était un retour attendu des eurofans. Mais si la ballade en estonien reste estampillée Jaagup, elle n’emballe pas autant les foules que Beautiful Lie. En cause selon moi : cette impression d’avoir deux « climax » dans le morceau, ce qui rend la fin confuse, à fortiori pour des non-locuteurs de l’estonien. Et ensuite, le nombre importants de silences/ »drop », qui hachent un peu trop le morceau. Ne l’enfonçons pas cependant, il trouvera à coup sûr sa clientèle (dont je suis) dans cette demi-finale
« What to make of this » – Minimal Wind ft. Elizabeth TiffanyAlors, je ne pense pas qu’on puisse me taxer d’être une mauvaise cliente du minimalisme, mais il faut reconnaître que là, il n’y a vraiment rien à grignoter dans ce morceau… C’est une transition, et encore ! Je ne suis pas sûre de l’ambiance qu’il veut transmettre, et il a en tout cas du mal à créer de l’empathie chez l’auditeur… Ce qui reste quand même la base dans l’optique de notre Concours ! Et cela m’inquiète pour l’Eesti Laul qu’il se soit hissé parmi les 20 meilleures chansons de cette édition…
« Hope » – STEFANCommençons par une opinion impopulaire : je n’ai jamais été très fan de cette ère dans la musique électro qu’à ouvert Avicii avec « Wake Me Up », suivi par « Lovers on the Sun » de David Guetta. Tout comme les solo-performeuses féminines ont cessé de pouvoir exister pour elles-mêmes sans être comparées à Eleni Foureira depuis que « Fuego » est sorti, il n’est plus possible d’avoir une chanson électro avec de l’instru country, et a fortiori avec ce timbre de voix, ce drop, ce clip thème Far-West, sans penser à ces deux tubes. Assez logiquement donc, je n’en suis pas fan. Mais force est de reconnaître qu’elle est en pôle-position pour la victoire du côté des parieurs et des eurofans, et que STEFAN a une côte de popularité suffisante pour pouvoir compter sur les votes du public estonien.
« Champion » – Anna SahleneJe ne vais peut-être pas me faire des ami-es sur ce coup au vu du capital sympathie de Sahlene auprès des eurofans, mais l’extrême prévisibilité de cette chanson et ses gros sabots qui auraient déjà fait tâche au Melodifestivalen il y a 10 ans m’insupportent au plus haut point. Je crois que je lui préfère n’importe quelle pop inoffensive tant qu’elle aurait un tout petit supplément d’âme… Je constate néanmoins que le générateur de texte aléatoire et creux de Robin Bengtsson s’est exporté avec succès. Soft-power suédois.