Aujourd’hui, c’est notre ami Farouk, membre du Conseil d’administration d’OGAE France et rédacteur en chef de leur magazine officiel le Cocoricovision, qui partage avec nous son classement et ses souvenirs de la décennie écoulée. Nous le remercions infiniment pour sa participation à nos dix ans ! De votre côté, retrouvez OGAE France sur :

Rédacteur en chef de Cocoricovision, le magazine français de l’Eurovision qu’on appelle familièrement le Coco, amateur et supporteur du Concours depuis toujours, j’ai assisté tout au long de cette décennie et de l’intérieur à sa profonde transformation. Ces années 2010 c’est la décennie extraordinaire.

En dix ans l’Eurovision s’est imposé comme un show musical télévisé majeur et mondial, reléguant les Américains et leurs superbowls et autres MTV music awards loin derrière. Alors qu’outre-Atlantique ils ne conçoivent leurs shows qu’avec des troupeaux de stars et des tubes mondiaux, les Européens ont choisi eux un concept totalement inverse et ça marche du tonnerre !

Aux quatre coins de l’Europe, mais aussi en Australie, et même partout dans le monde, des millions de téléspectateurs se réunissent un samedi soir au printemps devant leur petit écran ou leur ordinateur/tablette/smartphone pendant quatre heures et regardent un concours de chansons, ou devrais-je dire de prestations désormais, où la plupart des candidats sont des inconnus qui interprètent des titres inédits, jamais entendus auparavant. Ces téléspectateurs vont voter pour la chanson qu’ils préfèrent, et c’est à l’issue d’une séance des points haletante avec des « douze points » devenus cultes que le lauréat sera révélé. C’est la magie de l’Eurovision et c’est ce qui en fait aujourd’hui le plus grand show télé au monde. Au point que les stars américaines (Justin Timberlake, Madonna) font des pieds et des mains en faire partie, conscients de l’impact positif que ça peut avoir pour eux.

Car ce Concours n’est plus le truc ringard dont se moquent les animateurs télés vieillissants. C’est un show tendance qui est l’objet de la plupart des commentaires sur les réseaux sociaux dans les jours qui précèdent et qui suivent sa diffusion. Et personne en revenant au travail le lundi ne peut ignorer qui l’a remporté. Comme la coupe du monde de foot.

J’ai été de presque tous les Concours de la décennie, sauf de celui d’Oslo. J’ai découvert des endroits où je n’aurais jamais imaginé mettre les pieds : Bakou, Kiev, Tel Aviv et même Malmö ou Düsselforf. Chaque année j’ai vécu la préparation du Concours, ses répétitions, la montée en puissance de certains titres venus de nulle part, la dégringolade des favoris, le tout au sein d’une organisation incroyable où rien n’est laissé au hasard. Que reste-t-il de ces dix ans ?

J’ai beaucoup aimé Vienne 2015 avec ce petit quart d’heure à pied quotidien pour se rendre au centre de presse, mais aussi Bakou 2012 où nous avions les artistes presque pour nous tous les soirs à l’Euroclub, Malmö 2013 avec ses Meet & Greet qui avaient encore un visage humain, et Tel Aviv 2019 et son soleil méditerranéen. Mes plus mauvais souvenirs restent Lisbonne 2018 où la sécurité nous a fait la misère pendant quinze jours et Copenhague 2014 et ses interminables trajets pour accéder au B&W Hallerne.

Je garde aussi un excellent souvenir de Destination Eurovision où les conditions de travail étaient parfaites et où les équipes de France TV et d’ITV nous ont chouchoutés.

J’ai croisé au cours de ces années des artistes uniques avec qui j’ai pu parfois m’entretenir et que j’ai même pu interviewer. En 2012 suite à une histoire de drapeau serbe perdu, je me retrouve en sauveur de la délégation serbe à être le premier sur la liste des journalistes pour interviewer le grand Željko Joksimović, celui qui remplit des stades dans toute l’ex-Yougoslavie. Grosse émotion de se retrouver devant un si grand artiste. En 2013 c’est la Norvégienne Margaret Berger, un peu pompette, qui me fait un gros hug lors de l’after party après la finale. En 2014 je réalise une de mes plus belles photos : une Conchita Wurst rayonnante serrant fort son trophée contre elle et qui bien sûr a fait la couverture du magazine. En 2015 on a réalisé l’interview de Jacqueline Boyer, désormais la plus ancienne lauréate de l’Eurovision accompagnée d’Anne-Marie David la gagnante de 1973. Les deux ensemble, c’était animé ! En 2019, le temps d’une soirée avec bouffe à volonté et open bar sur la plage d’Herzliya j’ai revécu l’ambiance des soirées Eurovision du début de la décennie quand artistes, délégations, presse et eurofans se retrouvaient pour se divertir ensemble. Et c’est par hasard le soir de la finale que je suis tombé dans le centre de presse sur Izhar Cohen, le dernier lauréat ayant gagné l’Eurovision en France, puis sur Charlotte Perrelli venue fêter le vingtième anniversaire de sa victoire à Jérusalem.

Je repense aussi à ces soirées Eurovision à l’Euroclub, où j’officiais comme DJ et faisait danser eurofans, membres des délégations et même certains artistes.

Mais pendant ces Concours j’ai surtout beaucoup travaillé. Chaque année, sur place, c’est quinze jours de boulot pratiquement non-stop de huit à dix heures par jour. Être le rédac chef du Cocoricovision, un magazine papier (également décliné en format numérique, on est au 21ème siècle quand même !) c’est travailler sur un objet que l’eurofan lira avec plaisir, qu’il conservera dans sa bibliothèque (ou sur son cloud) et qu’il feuillettera quelques années plus tard avec nostalgie. Puisque la plupart des médias Eurovision sont des web-médias, travaillant beaucoup sur l’instantané, il nous faut proposer des articles avec plus de fond et de réflexion, en s’appuyant sur une équipe d’auteurs talentueux mais également sur les fans qui sont sollicités au travers des « Qu’en avons-nous pensé » où ils peuvent s’exprimer en phrases courtes, percutantes et drôles sur les prestations vues au Concours.

Et comme c’est un magazine, il faut l’agrémenter de photos qu’on ne verra nulle part ailleurs. La photo de couverture est importante. En 2018, coincé sur mon lit d’hôpital pour la finale de Destination Eurovision, je n’ai pas pu faire la photo du passage de témoin entre Alma et Madame Monsieur, mais l’année suivante je n’ai pas loupé celle de Madame Monsieur avec Bilal. En 2017 Salvador Sobral, un bien mauvais client, a fait la séance de photo la plus courte de toute l’histoire du Concours, dix secondes montre en main et puis Pépère en a eu marre et s’est barré. En 2018 Netta a carrément cassé son trophée et se retrouve pour son shooting sans l’objet précieux. Mais heureusement il y a ceux qui ont joué le jeu comme Måns Zelmerlöw, Jamala ou Duncan Laurence, en prenant patiemment la pose pour chacun des photographes.

Cocoricovision est un travail en commun. Trois numéros sortent chaque année : un pour annoncer et présenter le candidat français, un pour l’avant-concours et le troisième pour l’après-concours. Ce magazine se doit d’être unique en son genre et le plaisir qu’auront nos lecteurs à le lire c’est notre satisfaction et notre récompense. Si vous souhaitez vous le procurer, que ce soit les numéros passés ou futurs, il suffit de contacter eurofans (eurofans@eurofans.fr). Le Coco se porte bien. Il affiche déjà 25 ans et en est à son numéro 83. Vous pouvez consulter le sommaire des anciens numéros et les éditos sur le site, avec les interviews de certains artistes français (www.cocoricovision.fr).

Faire un classement sur cette décennie est un exercice compliqué, presque impossible, tant elle compte de magnifiques prestations. Il y a aussi quelques bouses mais ne parlons pas des sujets qui fâchent… Je me suis prêté à cet exercice avec une certaine gourmandise.

Mais avant je m’autorise une petite entorse au règlement en rajoutant un titre supplémentaire (tu m’y autorises Pauly ?), car il représente la quintessence même de l’Eurovision de cette décennie, même s’il ne fait pas partie des chansons en compétition. Je parle bien sûr de « Love love peace peace », l’interval act de 2016 qui réussit à condenser en quelques minutes tout ce qui fait le charme de l’Eurovision avec un humour à la fois éclatant et décapant, et cerise sur le gâteau les phénoménaux Måns Zelmerlöw et Petra Mede en interprètes et maîtres de cérémonie d’un Eurovision considéré comme le meilleur de cette décennie.

J’aurais pu également inclure l’interval act de 2019 et la switch song, séance où d’anciens artistes se sont échangés leur chanson, avec une version slave de « Toys » par Verka Serduchka que j’ai trouvé bien meilleure que l’original !

Passons au Top 10. Arrrggrrr, que c’est compliqué !

10ème : Farid Mammadov – Hold Me (Azerbaïdjan 2013)

En 2013 pour la première fois, la presse n’est plus dans la salle pour les premières répétitions des artistes, mais les regarde sur un grand écran situé dans une petite salle de projection qui jouxte l’endroit où les journalistes sont installés. Le Danemark est le grand favori du Concours, mais c’est quand la prestation azérie démarre qu’on réalise que ça ne sera pas si facile que ça pour Emmelie de Forest. Farid Mammadov nous a présenté une prestation fabuleuse, parfaite avec une mise en scène époustouflante et captivante et une ballade simple qui s’en trouve sublimée. Et je vois les visages défaits des journalistes sortant de la salle de projection qui lâchent dépités « On retourne à Bakou l’an prochain ». Ça s’est joué à pas grand-chose…

9ème : KEiiNO – Spirit In The Sky (Norvège 2019)

Gros moments de blues cet hiver au boulot. Et quand ça n’allait pas fort je me mettais « Spirit in the Sky ». Un titre schlager typiquement Eurovision, mais putain comme c’est bon ! Joyeuse et festive, cette chanson est un pack d’énergie condensée, plus efficace qu’un Red Bull. Elle donne envie de se lever, de bouger, de danser, de crier « He-lo e loi-la, Čajet dan čuovgga » et d’oublier tous ses soucis. J’en veux beaucoup au jurys de l’avoir mise de côté. Trop populaire ? Ah qu’ils sont snobs nos jurés professionnels ! De vrais pisse-froids.

8ème : Jessy Matador – Allez Ola Olé (France 2010)

Qui ne s’est pas dit quand la chanson française a été annoncée en 2010 « Oh la la, ça va être la cata… » ? Et comment ne pas avoir été bluffé quand on a vu le résultat ? Les Français ont présenté ce soir-là ce qu’on les imaginait incapables même de concevoir : une prestation énergique dansée et de qualité. Jessy Matador et son équipe ont mis le feu au Telenor Arena d’Oslo. Et il y a ce haka, l’apothéose de la chanson, un grand moment d’Eurovision. Dix ans après, cette prestation n’a pas pris une ride et reste l’une des plus abouties que notre pays ait proposé au Concours avec celle de 1990. Rappelons également que Jessy Matador est l’artiste français qui a obtenu le meilleur classement au télévote sur toute la décennie. Merci Monsieur Berberes pour ce moment.

7ème : Il Volo – Grande Amore (Italie 2015)

Ils ne s’y sont pas trompés les producteurs du Concours de 2015 quand ils ont placé la chanson d’Il Volo en fin du spectacle. C’était l’apothéose de ce Concours. Vainqueurs du San Remo, ils ont été plébiscités par le public à l’Eurovision, mais là encore les jurys ont fait la fine bouche. En même temps comme les Italiens n’avaient pas vraiment envie de gagner pour éviter d’organiser l’année suivante, tout le monde était content. Mais après Abba et Céline Dion, récompenser ces artistes connus dans le monde entier avec ce tube planétaire ça aurait eu de la gueule.

6ème : EQUINOX – Bones (Bulgarie 2018)

« Bones » me prend aux tripes et me fais dresser les poils. Certes une chanson lente présentée dans une ambiance sombre presque anxiogène a peu de chances de remporter le Concours face à une nana habillée en tenue mauve flashy qui pousse des gloussements de poule. Mais pour moi c’est incontestablement la prestation qui sort du lot en 2018. A l’écran ça fonctionne parfaitement et ils ont tous de sacrées voix. Le final est époustouflant.

5ème : Margaret Berger – I Feed You My Love (Norvège 2013)

Divine et éblouissante, c’est ainsi que nous apparait la sculpturale norvégienne Margaret Berger au début de sa prestation, moulée dans une robe blanche qui laisse deviner son joli cul bien ferme quand elle se déhanche, avec à la batterie derrière elle le non moins sexy Axel Tidemann. Si un jour ils nous font des petits ces deux-là, il faudra m’en mettre un de côté. Sinon ce morceau électro-rock est encore plus puissant en live. C’est un must de cette décennie.

3ème ex-aequos : Jamala – 1944 (Ukraine 2016) & Sergey Lazarev – You Are The Only One (Russie 2016)

Trancher entre Jamala et Sergey ? Impossible !

D’un côté on a la grande ballade à texte portée par une artiste sincère et authentique qui a vécu dans sa chair la tragédie qu’elle raconte. On est pris aux tripes et saisi quand elle crie son désespoir et que cet arbre lumineux apparaît symbolisant la renaissance de son peuple. Et c’est à ce moment qu’on réalise à quel point les Ukrainiens sont talentueux. Ils arrivent à sublimer leurs chansons sur scène de façon étonnante et surtout marquante. À la fin de chaque finale, après avoir ingurgité 26 chansons à la suite, on se rappelle toujours de la prestation ukrainienne.

De l’autre côté il y a le titre électro-pop très schlager et un peu démodé de Sergey Lazarev, mais avec son incroyable mise en scène. Les Russes ont réussi la performance de transposer le clip vidéo à la scène. Quel talent ce Sergey ! Arriver à chanter juste et à danser tout en gardant un périlleux équilibre, il fallait le faire ! Tout est parfait, calibré à la seconde près.

Pour ces deux prestations c’est une évidence : il y avait du travail, un énorme travail, et quand on travaille ça paye. Résultat premier et troisième cette année-là !

2ème Francesco Gabbani – Occidentali’s Karma (Italie 2007)

Mais qu’est-ce qui a pu manquer à Francesco Gabbani pour gagner le Concours 2017 ? Une insuffisance cardiaque nécessitant une greffe du cœur ? Certes, Francesco n’était pas à l’aise sur la scène du Centre d’exposition international de Kiev, et ça s’est vu. Pourquoi sa prestation en finale du San Remo était-elle bien meilleure que celle de Kiev où il semblait un peu perdu avec toutes ces caméras partout ? Parce qu’à San Remo c’était du vrai live et qu’on y a profité de la chanson en intégralité et non de la version Eurovision amputée de trente secondes ? « Occidentali’s Karma » était une bonne chanson, rythmée et en même temps à texte, avec une thématique originale sur la société de consommation actuelle « L’intelligenza è démodé, Risposte facili, Dilemmi inutili »… À la première écoute j’ai accroché immédiatement à ce titre qui reste pour moi le meilleur de cette année. Le clip en est à 243 millions de vues sur YouTube quand même. « Namasté Alé ! ».

1er Željko Joksimović – Nije Ljubav Stvar (Servie 2012)

Ce qui m’a fait aimer encore plus l’Eurovision, ce sont ces fameuses ballades balkaniques découvertes au milieu des années 1990. Je suis fan. Elles ont relancé mon intérêt pour le Concours qui s’émoussait d’année en année. Certes on sent au cours de cette décennie 2010 que ce style commence à battre de l’aile et qu’il a du mal à évoluer et à se renouveler. Et, après presque vingt ans, en 2015, le très sympathique Knez, sorte de Johnny Hallyday kitch à la mode monténégrine, a clos ma période ballades balkaniques à l’Eurovision avec le magnifique « Adio », le chant du cygne de ce type de chansons, celles qui ont suivi variant du moyen au très mauvais. Je ne pouvais évidemment mettre en numéro un de cette décennie que celui qui est l’auteur de « Adio », le grand, l’unique Željko Joksimović, celui qui symbolise le plus ce style de musique, qui après l’immense « Lane Moje » en 2004, nous était revenu en 2012 avec une nouvelle ballade superbe et émouvante « Nije Ljubav Stvar ». J’adore tout simplement. Et, même dépassé aujourd’hui, ça me plait encore et provoque en moi un grand bonheur.

Farouk