Article paru initialement le 4 octobre 2021

« Nous n’avons pas ce genre de personnes ici. Nous n’avons pas de gays. S’il y en a, emmenez-les au Canada.»

Ramzan Kadyrov

C’était le 8 août 2017. Depuis cette date, Zelimkhan Bakaev n’a plus donné le moindre signe de vie. Nulle enquête, nuls accusés, encore moins de coupables, et ne parlons même pas de vérité. Car il y a de fortes chances que celle-ci soit fort sombre.

Bien sûr, le régime nie toute implication et rejette la faute de sa disparition sur la famille. Mais selon les hypothèses, Zelimkhan aurait été arrêté, emprisonné, torturé et mis à mort par son propre pays, la Tchétchénie.

Parler de Zelimkhan Bakaev comme nous le faisons chaque année dans nos colonnes, c’est évoquer le parcours d’un jeune homme né en 1992 à Grozny (capitale de la Tchétchénie), mais aussi celui d’une génération, marqué par deux guerres, durant lesquelles la Tchétchénie fut envahie par les troupes russes pour anéantir les velléités indépendantistes.

Parler de Zelimkhan Bakaev, c’est évoquer l’histoire d’un jeune homme jalonnée par une passion viscérale de la musique, qu’il accomplit tout d’abord en intégrant l’ensemble Stolitsa en tant que soliste, ce qui lui permet de se produire sur les scènes locales, mais aussi dans les républiques voisines d’Ingouchie et du Daghestan. Il y interprète un répertoire composé de chansons tchétchènes et russes.

Parler de Zelimkhan Bakaev, c’est évoquer la volonté d’un jeune homme d’aller au bout de ses rêves artistiques, en participant tout d’abord au concours musical Assa, ce qui lui permet de se forger une notoriété à travers les républiques russes du Caucase, puis en partant pour Moscou, quatre ans après, pour s’inscrire au casting de la Fabrika Zvyozd (version russe de la Star Academy). C’était en 2017. Peu de temps avant sa disparition à Grozny.

Parler de Zelimkhan Bakaev, c’est parler d’une population opprimée par une histoire de la violence, exercée par un système étatique nationalistes et religieux rigoriste dominé par un despote nommé Ramzan Kadyrov. À la tête directe d’une dizaine de milliers d’hommes armés qui font office de véritable milice, celui-ci n’hésite pas à s’emparer d’un droit de vie et de mort sur celleux qui osent exprimer une voix dissidente, à faire régner la terreur et l’intimidation parmi ses concitoyens dont il fait des sujets forcés de plier sous la menace, à mettre en scène des procès et jugements factices, ou encore à détourner une partie des fonds publics au profit d’une mystérieuse fondation portant son nom, le tout sous le pesant silence de la tutelle et alliée russe.

Parler de Zelimkham Bakaev, c’est parler de ces nombreux jeunes gens qui, à travers le monde, aspirent à la liberté et à la vie quand leur environnement ne leur offre que sombre destinée. Se déraciner ? Partir ne peut être que sans retour, au risque de lourdes représailles une fois le pied à nouveau posé à Grozny, mais aussi à Kaboul, Ürümqi, Téhéran, Minsk, Asmara, Damas, Tripoli, et ailleurs.

Parler de Zelimkham Bakaev, c’est parler des minorités sexuelles, persécutées par des régimes ouvertement homophobes. Arrestations, enlèvements, détentions dans des « prisons secrètes » (autrement dit des camps), tortures, électrocutions, chantages à la délation, assassinats, exterminations : tel est le sort réservé aux homosexuels en Tchétchénie, et dans bien trop de territoires dans le monde, sans que grand monde ne s’en émeuve parmi les autorités, si ce n’est de timides bonnes intentions aujourd’hui tombées aux oubliettes Un régime veut éliminer toutes les personnes LGBT de son territoire, et peu s’indignent, si ce n’est ces dissident·es qui osent donner de leur voix, et les militant·es de ces ONG (comme Urgence Homophobie) qui, courageusement, essaient d’alerter le monde sur une situation dont le caractère inacceptable n’a pas de mots assez forts dans la langue française, et de sauver la vie d’autant de personnes qu’elles le peuvent. Aucun merci ne sera assez fort pour exprimer notre reconnaissance et notre admiration.

De tout cela, Zelimkhan Bakaev est le visage.

N’oublions pas.