La Lituanie s’apprête à rendre son verdict au terme de cinq semaines de sélection nationale. Des trente artistes initialement en compétition, ils ne sont plus que dix à se prétendre au billet pour Liverpool. Mais qu’en a pensé Loreen (alias Rémi) ?

Plutôt que de rendre son avis sur l’ensemble des forces en présence, notre étoile de la critique Made In EAQ a préféré mobiliser toute son énergie rédactionnelle sur les finalistes, qu’elle a pris grand plaisir à (ré) écouter et à (re) découvrir. Le préfixe est ici essentiel, car si des titres et des prestations avaient accroché l’oeil et l’oreille de notre eurostar lors des étapes précédentes, d’autres ont été de véritables révélations dans la dernière ligne droite. Tandis que, pendant ce temps, certaines évidences se sont confirmées …

Mario Junes – “Do What You Do”

Un titre qui était complètement passé sous mon radar lors des séries et des demies, alors même qu’il est loin d’être exempt de qualités. Do What You Do n’est peut-être pas la proposition la plus forte de la sélection, ni même la plus évidente à défendre à Liverpool, mais elle parvient à créer une vraie atmosphère avec ses sonorités électriques. Aidé en cela par un interprète qui, bien que seul en scène, défend très bien son titre. Dernier qualifié de la demi-finale 2, Mario aura cependant fort à faire pour approcher du territoire britannique.

Moon Bee – “Rumor”

Woodstock a déménagé à Vilnius, et les hippies se sont depuis sédentarisés dans un salon années 60 entouré de … bambous. Un décor surprenant pour un proposition pourtent aux antipodes musicaux des yéyés, Moon Bee (qui, vocalement, manque un soupçon de coffre) nous proposant ici un titre pop rock aux vagues inspirations vintage. Loin d’être désagréable à l’écoute, Rumor manque toutefois d’une accroche et, surtout, d’un véritable décollage, la faute à un refrain trop linéaire. Ce en dépit des légitimes attentes suscitées par des couplets qui évoquent parfois la rythmique pop des années 2000. D’où la logique de la veste et du bandeau hippies.

Justė Kraujelytė – “Need More Fun”

Un an après, on retrouve de nouveau Justé en finale avec un tableau improbable, dans lequel elle ne débarque qu’au tiers de la chanson. Une mise en scène façon foulard/lunettes de soleil/robe blazers dont l’inclassable est à la hauteur du titre défendu par l’artiste. Aussi indescriptible qu’il n’est déstructuré, Need More Fun est un espèce de vaste bordel complètement barré (mais classique dans les sonorités pop) auquel il est difficile de raccrocher les wagons. L’accroche : voilà ce qui manque sans doute là aussi une proposition qui, si elle a le mérite d’être plaisante et de créer une ambiance, manque d’une lisibilité, si ce n’est d’un cap et d’une péninsule. Où Justé veut-elle en venir ? That is the question. À moins que la réponse ne se retrouve tout simplement dans l’intitulé de la marchandise.

Paulina Paukštaitytė – “Let Me Think About Me”

Ambiance électro-pop avec Paulina, dont le titre – certes sympathique – qui présente toutefois davantage les contours d’une démo que celles d’une proposition aboutie. Let Me Think About Me est en effet une base musicale dotée d’un réel potentiel trop inexploité, tant sur le plan de la production que de l’accompagnement de son interprète, trop seule tant sur scène que dans la voix. Paulina s’en sort toutefois largement avec les honneurs et porte au mieux un ensemble perfectible, dont le refrain est le véritable point fort face à des couplets plus en retrait. Un petit tour en studio pour muscler tout ça et Let Me Think About Me aurait de quoi nous embarquer sur la piste d’une soirée clubbing.

Beatrich – “Like a Movie”

Ambiance College Attitude 1998 façon Drew Barrymore avec Beatrich, dont le titre pop rock résonne à mort comme la bande son d’un teen movie US des années 90-2000. De quoi électriser gentiment la salle à une époque où le revival de ces décennies commence à battre son plein, qui plus est avec un titre de bonne facture. La prod gagnerait sans doute à un soupçon plus de force, mais l’énergie est au rendez-vous et, surtout, le titre est très accrocheur. Qui plus est porté par la charismatique Beatriche et son grain de voix légèrement rauque (sans parler de sa prononciation délicieuse de l’anglais), Like a Movie pourrait bien prétendre au billet pour l’Angleterre en mai prochain.

Rūta Mur – “So Low”

On reste aux Etats-Unis, mais autre style, autre genre avec les neon letters d’une cow-singer 2.0. comme tout droit sortie des années 80. Est-ce d’ailleurs un hasard si l’électro pop de So Low évoque instantanément la synthé-pop de ces années-là, celle-là même qui a fait le succès de Depeche Mode ? De quoi plonger la M&S Bank Arena dans l’atmosphère si particulière et si mystérieuse du titre de Rüta Mur, une artiste qui brille de par un timbre de voix et une présence atypiques. Entre city lights d’une ville à l’américaine et trip néo-vintage dans un bled de la route de Memphis, l’âme de So Low apporterait une véritable touche à la Lituanie 2023, même si la proposition n’est pas des plus faciles dans un 100 % télévote. Et bon, rien que pour les patins à roulettes luminescents …

Il Senso – “Sparnai”

Force pour moi est d’avouer quelques relents indigestifs quant aux duos/trios/quatuors de la sorte, toujours en vogue (ou croyant l’être) depuis dix-quinze ans et reproduisant éternellement et sempiternellement le schéma. À savoir celui de transposer l’art exigeant de l’opéra dans une sorte de villégiature ballade pop so kitsch, so cliché, so tarte à la crème, et générique au point d’en tuer le concept même de générique. Si le talent est là et si la prestation vocale est évidente de qualité, Il Senso tombe les huit pieds pile dans l’écueil du cliché. «  Nous sommes comme des papillons volant vers le ciel » ne reste pas loin, même treize ans plus tard, mais rien n’égalera jamais toutefois le cauchemar biélorusse de 2010. Le public lituanien ne semble toutefois pas du même avis, lui qui a octroyé ses 12 points au groupe en demi-finale … #mayday

Petunija – “Love of My Life”

Je ferme les yeux, et je vois déjà Petunija sur la scène de la M&S Bank Arena de Liverpool. Seule, au piano, discrètement accompagnée de deux choristes dans une ambiance tamisée, sous le regard de dix mille spectateurs, flashs allumées de leurs portables à la main. Pour trois minutes d’un instant suspendu, hors du temps et de l’espace. La beauté n’a nul besoin d’artifice, mais au contraire de la plus grande simplicité. Ainsi Petunija nous éblouit-elle de son talent et de la splendeur de son Love of My Life, dont Liverpool et l’Europe gagneraient à faire la rencontre à l’Eurovision 2023. Car vérité et sincérité sont les plus à mêmes de toucher public et jurys en plein coeur, et surtout à le transpercer de l’émotion la plus pure et la plus primitive. Un moment de grâce : n’est-ce donc pas de cela qu’a besoin le monde aux heures troublées ?

Gabrelius Vagelis – “Šauksmas”

Le chouchou des eurofans de 2020 – alors injustement sorti dès les demi-finales malgré un moment de grâce nommé Tave čia randu – est enfin de retour en finale de la sélection lituanienne pour la première fois depuis six ans. Gabrielius, c’est un timbre, une grâce, une délicatesse, une pop singulière et contemporaine qui insuffle un véritable souffle à la scène musicale lituanienne. Šauksmas, qui s’inscrit pleinement dans la lignée de ses dernières contributions à Pabandom is naujo !, n’est certes pas le plus eurovisionesque des titres sur le papier. Mais difficile de résister à cet artiste unique et de passer à côté de sa sensibilité, d’autant plus équivoque lorsqu’il chante dans son lituanien natal. Pile là où il n’est jamais aussi séduisant et touchant, et de quoi parvenir ici à nous embarquer une nouvelle fois dans son univers.

Monika Linkytė – “Stay”

Alerte eurostar en clôture de cette finale ! Et changement de ton pour Monika qui, en 2015, avait joué aux amoureux transis et enjoués avec le beau Vaidas Baumila. Ici, c’est une ballade de belle facture que nous offre l’artiste, et elle la porte assurément avec talent. Les vagues sonorités pop-soul du refrain apportent une véritable touche à l’ensemble, qui gagnerait toutefois à un refrain mieux construit par rapport à la rythmique des couplets. Si je ne suis pas complètement convaincu par la construction et le manque de force du titre, Stay demeure très sympathique à l’écoute, et ferait un digne représentant pour la Lituanie si, d’aventure, cette dernière ne penchait pas pour l’une des favorites. Mais un éventuel représentant auquel ferait défaut le soupçon de marquant nécessaire pour faire sa place à l’Eurovision.


Alors, Loreen, elle est contente ?

Oui. Jadis moquée – ou a minima sous-estimée – tant pour son aspect à rallonge que ses propositions parfois à contre-courant, Pabandom is naujo! s’impose depuis quelques années comme le singulier dark horse de la saison des sélections, où elle parvient peu à peu à faire sa place avec une ligne éditoriale atypique, parfois déroutante, mais que l’on ne retrouverait nulle part ailleurs qu’en Lituanie.

Certes, la sélection n’est pas foncièrement des plus compétitives si l’on s’attache au potentiel eurovisionesque de la chose. Dans le sens où se démarquer parmi trente-sept pays dans un concours à la densité et à la diversité croissantes n’est par essence guère aisé, et nécessite une bonne dose de marquant qui fait parfois défaut aux contributions ici présentées. D’autant plus avec le retour au 100 % télévote en demi-finale, qui pourrait mettre le pays en difficulté sur le papier. Les apparences sont toutefois parfois trompeuses : en témoignent le très beau 70 % de qualification en finale sur les dix derniers concours, et surtout l’enchaînement de deux beaux résultats. Parmi lesquels la 14ème place surprise de Monika Liu, portée par un très bon télévote fort inhabituel pour la Lituanie (11ème avec 93 pojnts).

Alors, dans cette finale de belle allure, qui pour représenter le pays à l’Eurovision 2023 ? Deux évidences pour deux styles : l’électro-synthé-pop de Rüta Mur ou la ballade piano-voix de Petunija, cette dernière présentant selon moi un bon soupçon de potentiel en plus si le pays est en quête du meilleur classement possible à Liverpool. Moins évidente de prime abord, la proposition de Rüta Mur pourrait toutefois miser sur sa singularité et sur le charisme de son artiste pour trouver son public, même si la mission est loin d’être gagnée d’avance. Viennent ensuite les non moins différents Beatrich et Gabrielius Vagelis qui, chacun dans leur style là aussi, pourraient porter les couleurs de la Lituanie avec force et dignité, quelque soit le résultat au final, qui pourrait toutefois mettre le pays sur le chemin de la finale. Pourquoi pas la ballade de Monika Linkyté, même si l’option me semble moins convaincante. Quant au reste du plateau, il ne semble pas taillé pour affronter l’univers impitoyable de l’Eurovision, ce en dépit de ses qualités.

On le sait d’expérience : à Pabandom is naujo!, la finale remet les compteur à zéro, et le vote combiné jury-public peut donner lieu parfois à des résultats inattendus (quand bien même la dernière véritable surprise date de Fudsermarcs en 2017). Qui plus est dans un contexte où sept des dix finalistes se tiennent sur le papier dans un mouchoir de poche mathématique, les qualifiés en question ayant chacun obtenu un total d’entre 17 et 20 points en demi-finale … Alors, à qui profitera l’Eurovision ? Telle est la question, même si le trio Rüta Mur-Beatrich-Petunija semble théoriquement disposer d’une légère avance sur la concurrence. Mais entre la théorie et la pratique, reste la dernière et la plus redoutable des épreuves : celle d’un vote parfois impénétrable.

En bref, une nouvelle fois, la Lituanie nous aura offert une sélection inclassable, diversifiée, de belle facture et surtout dotée d’une âme unique dans le paysage eurovisionesque. Reste à ce qu’elle gagne en notoriété et en estimation de la part de l’euromonde !

Lituanie 2023 : à qui offririez-vous la victoire à Pabandom is naujo! ?
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Rendez-vous samedi à partir de 20 heures sur le streaming de LRT pour suivre la grande finale de Pabandom is naujo ! 2023.

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