C’est l’une des anecdotes les plus célèbres de l’histoire de l’Eurovision : en 1976, le Liechtenstein décide de faire ses débuts au Concours. Le pays se choisit une chanson, My Little Cowboy, interprétée par la chanteuse Biggi Bachmann. Il introduit une demande officielle auprès de l’Union Européenne de Radio-Télévision, mais se heurte à un refus formel. Et pour cause : à cette époque, le pays ne possède pas de diffuseur national, condition sine qua non pour adhérer à l’UER et participer à l’Eurovision.

Ce n’est qu’en 2008 que cette première condition se voit remplie, avec la fondation de 1FLTV. Depuis, le diffuseur liechtensteinois s’est heurté à un second obstacle : l’absence de moyens financiers suffisants pour une adhésion à l’UER. 1FLTV est en effet une chaîne privée, appartenant à un holding autrichien et ne recevant aucun financement de la part du gouvernement liechtensteinois. En novembre 2017, son directeur, M. Peter Kölbel, avait annoncé un partenariat public-privé pour réunir le montant demandé. Sa mort prématurée en février 2018 avait mis fin au projet. Depuis 1FLTV semble avoir renoncé à son rêve d’Eurovision.

Reste un mystère complet : à quoi ressemblait ce fameux My Little Cowboy ? La chanson n’est disponible nulle part et personne ne semble l’avoir entendue. Le site Eurovision.de a mené l’enquête et mis à jour un pan méconnu de l’histoire de l’Eurovision : les coulisses de cette tentative avortée du Liechtenstein de participer à l’Eurovision 1976. Pour ce faire, ses journalistes ont eu accès aux Archives nationales du pays.

Tout débute en 1973. Deux hommes s’unissent, bien décidés à porter la candidature du Liechtenstein à l’Eurovision : Werner Walser, homme d’affaires et Horst-Heinz Henning, producteur. En octobre, Walser écrit une première lettre dans ce sens au Conseil consultatif de la culture et de la jeunesse liechtensteinois (le CCCJ). Il souligne qu’au vu des débuts récents d’Israël et de Malte, il serait dommage que le Liechtenstein demeure à l’écart du Concours. Le CCCJ se montre intéressé par cette idée. Walser et Henning convainquent le chanteur Vico Torriani de présenter sa candidature au jury mandaté par la CCCJ, dans la perspective de l’Eurovision 1974. Néanmoins, le jury la refuse et de son côté, l’UER exclut officiellement toute participation du Liechtenstein, faute de diffuseur national.

Malgré ce premier épisode peu concluant et oublieux des raisons de son échec, le CCCJ reprend la route de l’Eurovision en septembre 1975. Le gouvernement marque son approbation, un nouveau jury est constitué et un appel à candidatures est publié dans la presse nationale. Le CCCJ reçoit quatre propositions. Deux artistes se rétractent cependant, faute de temps nécessaire. Seules restent en lice la Française Anne Frommelt avec une ballade écrite par elle et intitulée Tu étais mon clown et la Liechtensteinoise Biggi Bachmann avec une chanson initialement intitulée Music Man, mais dont le titre a été modifié au dernier moment à la main sur le formulaire de candidature, en My Little Cowboy. Son auteur est Mike Tuttlies et son compositeur Horst Hornung. Cette candidature est portée en sous-main par le label allemand Ariola.

Née Uta Christine Schädler en 1959, à Eschen, Biggi Bachmann se lance dans la chanson au début des années 70, sous le pseudonyme de Wiebke Ling. En 1975, elle se réinvente en Biggi Bachmann et sous le label d’Ariola, sort un premier single, Herzbrecher.

Le 20 novembre 1975, le jury de la CCCJ se réunit pour écouter les deux chansons. Ses trois membres sont le compositeur hongrois Tibor Kasics, le critique musical autrichien Fritz Jurmann et le chargé de relations publiques suisse Jörg Schoch. Tous trois élisent My Little Cowboy, non sans réserves. Selon eux, cette chanson est la plus adaptée des deux à l’Eurovision, notamment en terme de composition. Néanmoins son texte demeure superficiel. Fritz Jurmann révélera plus tard que tous trois avaient été déçus par la qualité des deux morceaux, ainsi que par le manque de professionnalisme des deux chanteuses, peu à même de soutenir la comparaison sur le plan international. Le directeur du CCCJ, Harald Wanger, déclare d’ailleurs à la presse nationale qu’il conviendra d’avoir des attentes raisonnables en matière de résultat et que même si le pays écope d’une dernière place, l’important aura été de participer. Tous jugent que Biggi, alors âgée de seize ans, manque cruellement d’expérience.

Néanmoins, sa candidature est officiellement annoncée et le CCCJ entreprend les démarches administratives nécessaires à son inscription à l’Eurovision 1976. S’ensuit un quiproquo. L’ambassade liechtensteinoise à Berne croît inscrire le pays à Jeux sans frontières. L’UER transmet malgré tout au CCCJ les règles et montants des cotisations nécessaires. C’est alors que le CCCJ réalise une nouvelle fois qu’une adhésion demande l’existence préalable d’un diffuseur national. Il se tourne vers le gouvernement qui lui répond en janvier 1976 que le délai est trop court pour créer et lancer pareille institution. Les ambitions d’une participation du Liechtenstein à l’Eurovision se brisent là.

De son côté, Biggi Bachmann tente sa chance à la sélection nationale suisse 1979, avec Musik Musik. Elle y termine sixième. Elle se tourne ensuite vers le théâtre, mais interrompt sa carrière en 1982. Elle déménage alors en Suisse où elle reprend une agence artistique, qu’elle dirige toujours actuellement. Interrogée par Eurovision.de, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur cet épisode eurovisionesque.

Mais où écouter My Little Cowboy ? Comment mettre la main sur un enregistrement de cette chanson déjà culte ? Eurovision.de s’est tourné vers Ariola, mais le label n’a conservé aucune copie des chansons de Biggi Bachmann. Idem pour la Fondation culturelle du Liechtenstein, héritière du CCCJ. Biggi elle-même a répondu n’en posséder aucun enregistrement. Sollicité, le compositeur Horst Hornung estime qu’effectivement, rien ne reste de cette chanson, sur aucun support que ce soit.

Eurovision.de a alors interrogé les deux jurés survivants du CCCJ : Jörg Schoch et Fritz Jurmann (Tibor Kasics étant décédé en 1986). Aucun des deux n’a hélas conservé de copie. Pire : Jörg Schoch a avoué n’avoir aucun souvenir du morceau. Seul Fritz Jurmann s’en est rappelé. Selon lui, My Little Cowboy ressemblait fortement au grand succès de Gitte Haenning, Ich will ‘nen Cowboy als Mann, sorti en 1965. Aussi bien sur le plan de la composition et que des paroles.

Cette comparaison est au final le seul indice qu’il nous restera jamais de My Little Cowboy, chanson bel et bien perdue…