Alors que la cérémonie bat son plein, le ciel d’Athènes s’est subitement paré du plus beau des arc-en-ciels sous le regard impressionné du public. Car aux Moustaches, on est plus fier que jamais.

Générique.

Dix ans. Dix ans que, par une douce soirée de mai à Copenhague, une eurodiva est née. Flamboyante. Étincelante. Mais avant tout fière et inarrêtable. « We are unstoppable », trois mots ceux qu’elle prononça lorsqu’elle souleva le Micro de Cristal, désormais inscrits dans l’éternité de l’Eurovision. Aussi indépassable que je sois, même moi, flamboyante et indomptable Davidna Lamburosco, je suis forcée de reconnaître l’icône et la légende. Bon, pas sûr qu’elle le reste le jour où j’aurais décroché le Graal et que je serai, à mon tour, devenue le mythe suprême de l’Eurovision, trônant sur l’histoire du concours telle une divinité grecque dominant le bas peuple depuis l’Olympe. Dans l’attente, Conchita aura droit à toute ma reconnaissance et mes égards les plus sincères. Qu’elle en profite, cela est une denrée rare de ma part. Mais…

… C’est le FEU au Christmas Theatre ! La cérémonie des Moustaches s’est transformée en la soirée euroclub la plus queer de tous les temps ! Des drapeaux en veux-tu en voilà, des couleurs, des boules à facettes, des PAILLETTES ! Une pluie, que dis-je, un torrent, un tsunami, un ouragan de paillettes qui tombait sur moi et où l’amour a tout emporté ! Ici, des filles aiment des filles, là-bas, des garçons aiment des garçons, pendant que sur scène, la famille Drag Race (spécialement sollicitée pour l’occasion – ce n’est pas de mon fait, elle m’a été imposée afin de mieux garantir mes chances auprès de France 2) se déhanche au son d’Eleni Foureira, reconvertie en DJ d’un soir pour un remix de Fuego du Tonnerre de Zeus. Mieux vaut-il cela qu’un mauvais playback sur la scène des MAD Video Music Awards. L’ambiance est telle qu’on croirait un avant-goût de la Pride avant l’heure. La Pride… Mon heure de gloire annuelle où, telle une aspirante eurodiva, je scintille devant un public sublime de fiertés qui m’acclame, m’adule, voire me vénère : ainsi soit Davidna L., la plus populaire des chanteuses du Marais, que je ne peux traverser sans engendrer d’émeute. Mylène n’a qu’à bien se tenir…

J’en profite pour faire passer le message suivant : dès lors qu’on attaque mes ami·es, je mords plus férocement qu’un doberman, la tête ceinte d’une couronne aux reflets de l’arc-en-ciel +. Capito ? L’immodestie est sans aucun doute l’une de mes principales vertus d’artiste, mais je suis fière non seulement de qui je suis, mais aussi de celles, ceux et celleux qui sont fier·es. Car derrière la main de fer de Davidna se cache également une main de velours, aussi caressante et voluptueuse qu’un baiser de Marco Mengoni, avec ou sans preserbacci (seuls ceux qui ont regardé la première soirée de Sanremo l’année dernière savent).

L’on peut me faire bien des reproches quant à ma grandiloquence et à mon orgueil démesuré (j’ai toujours eu l’humilité en horreur), mais chez moi, l’amour n’a ni genre, ni sexe, ni frontières. Qu’il soit libre, qu’il soit vrai, qu’il soit voluptueux, qu’il soit fier, qu’il soit queer et qu’importe les qu’en dira-t-on ! Sérieusement, comment avez-vous pu penser que « je n’aimais pas les chansons d’amour » ?

Parce que Rainbow is beau, aujourd’hui, les Moustaches célèbrent sans surprise… les fiertés ! Merci de dérouler donc le tapis rouge à…

Parce que l’Eurovision est un espace de liberté et de célébration de la diversité, la Moustache ne pouvait évidemment être aussi queer que celle du regretté Freddie Mercury ! Le concours a d’ailleurs été, une fois de plus, précurseur avant le reste du monde : ainsi Jean-Claude Pascal dénonçait-il dès 1961 la répression des amours homosexuelles en chanson et prédisait-il de meilleurs jours à ces dernières, sans que le grand public n’ait alors saisi le message premier de la chanson (plus tard dévoilé par son interprète). C’était dans Nous, les amoureux, titre qui apporta au Luxembourg la première de ses cinq victoires à l’Eurovision à une époque où l’homosexualité était encore pénalement répréhensible dans une grande partie de l’Europe (dont la France). Depuis, de nombreux artistes ont fait du concours un lieu de fierté, où l’on peut assumer qui l’on est, qu’importent les préjugés d’une partie de la société et les haters pullulant sur les réseaux sociaux derrière des pseudonymes anonymes. Baby, I’m just gonna shake, shake, shake, shake, shake

De la performance avant-gardiste de Páll Óskar en 1997 à Marco Mengoni défilant avec le drapeau LGBT+ sur la scène de la Liverpool Arena, l’Eurovision s’est faite lieu de culture et d’histoire queer (le plus eurofan des journalistes Fabien Randanne sortira d’ailleurs un livre à ce sujet en avril prochain), pour de nombreuses raisons qu’il serait trop long d’expliciter ici (même si l’envie ne manque pas à votre auteur). Elle a été marquée par des performances emblématiques et des dates à jamais inscrites dans la mémoire collective (et pas que queer). 1998 : la diva Dana International devient la première artiste transgenre à soulever le trophée. 2014 : Conchita Wurst est la première artiste drag à remporter la victoire telle un phénix renaissant de ses cendres. Entretemps, en 2000, les deux chanteurs du groupe israélien Ping Pong échangent un baiser lors d’une prestation polémique et politique quand, en 2013, alors que la Finlande était en plein débat sur l’adoption du mariage pour tous (que la France venait de voter), Krista Siegfrids embrassait l’une de ses danseuses à la fin de la prestation (baiser qui avait été refusé au groupe t.A.T.u. dix ans plus tôt sous peine de disqualification). Sans compter les nombreuses drag queens à être montées sur la scène du concours et de ses sélections nationales, de Sestre (Slovénie 2002) à Elecktra (Melodifestivalen 2024), en passant par DQ, Sharonne ou encore Skrellex. Ou tout simplement les prestations teintées de queer attitude. L’Eurovision, l’un des meilleurs moyens de te dire « t’inquiètes pas, t’es pas seul » alors qu’au fond de vous, vous pensez être seul·e… L’Eurovision, une scène qui se veut tolérante, libératrice, émancipatrice, universelle.

Des moments les plus légers aux plus engagés, 2024 n’a pas été exempte de queer eurovisionesque : à vous choisir celui a le plus marqué votre année Eurovision. Les nommés dans la catégorie sont :

Bambie Thug

Bambie Thug a marqué cette année l’histoire du concours en étant l’un·e des deux premier·es artistes non-binaires (personnes qui ne s’identifient ni au genre féminin, ni au genre masculin) à y participer. Au-delà de son engagement pour la communauté LGBTQIA+, l’artiste irlandais·e a souhaité délivrer un message d’amour et de tolérance (pas forcément visible de prime abord dans la sombreur de sa performance éclatée, je vous l’accorde) en visibilisant le drapeau transgenre dont iel a orné l’une de ses tenues (validée par Petra Mede herself je vous prie), à l’heure où les personnes trans subissent de nombreuses attaques partout dans le monde – y compris en France. Iel a d’ailleurs déclaré dans une interview à Gay Times : « J’aime faire partie d’une scène queer cool et montante. Je n’ai pas eu cela en grandissant, donc il est important d’avoir des gens avec qui vous pouvez vous identifier et d’avoir une musique qui vous parle et permet tu as plus de liberté d’être toi-même – Le monde a besoin de plus de voix queer. ».

Electric Fields

Désireux de dépasser les frontières, qu’elles soient artistiques et humaines, le duo Electric Fields se définit comme étant deux « frères féminins », Mala (alias Zaachariaha) et Tjutja (alias Michael) qui embrassent leur identité queer à travers leur musique. Cette dernière, qui brasse les sons et les cultures, veut nous unir dans notre diversité (tel le message de l’Eurovision, mais aussi la devise de l’Union européenne), pour mieux nous montrer que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous sépare. Une grande fête queer dont la scène du concours a revêtu des atours de discothèque mondiale pour Electric Fields, dont le titre One Milkali (One Blood) se voulait incarner une célébration aux mille et une couleurs de l’arc-en-ciel inclusif. Tout simplement parce que, ainsi nous le rappelait notre maîtresse de cérémonie, l’amour n’a, lui aussi, ni barrières ni frontières, à l’instar de l’univers du duo australien.

Nebulossa

Têtu avait décrit la prestation comme « queer as fuck » et pour cause. Femme libre et marseillaise (pour paraphraser Marie), Mery – la chanteuse du duo Nebulossa – a fait de Zorra un hymne à la liberté et à la lutte contre les préjugés. Certes en premier lieu adressé aux femmes, auxquelles la société persiste à vouloir imposer un carcan et des normes de comportement, le message libérateur et salvateur est également adressé à la communauté queer, encore considérée par beaucoup comme une « marge » face aux « normes » imposées par la même société. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Nebulossa s’est rapidement imposée comme une icône de la communauté LGBTQIA+ en Espagne, mais aussi sur la planète Eurovision. Saviez-vous d’ailleurs que Zorra trouve son inspiration dans la personne de Manuela Trasobares, icône transgenre en Espagne, artiste devenue la première personne trans à avoir élue dans un conseil municipal en Espagne ? L’occasion pour le duo de rendre hommage à toustes celles et ceux qui ont fait avancer les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ dans leur pays.

Nemo

À Malmö, Nemo est rentré·e doublement dans l’histoire du concours : non seulement en étant l’un·e des deux premier·es artistes non-binaires à être monté·es sur la scène de l’Eurovision (avec Bambie Thug), mais surtout en étant lae premier·e artiste non-binaire à remporter le Micro de Cristal ! Il faut dire que l’eurostar suisse a cassé les codes dans tous les sens du terme : ceux de la musique, bien sûr, mais avant tout par le message de sa chanson, écho de la prise de conscience de son identité de genre. Un titre et une performance engagées pour visibiliser la cause LGBTQIA+ et plus particulièrement celle des personnes non-binaires, encore largement invisibilisées et incomprises d’une société où les personnes se situant hors du spectre féminin/masculin cisgenre « traditionnel » subissent des attaques croissantes, ce dans de nombreux pays d’Europe (dont la France) – on ne le répètera jamais assez. Pour, au final, un message universel : soyez qui vous êtes, assumez-le et soyez-en fier·es. Autrement dit : cassons les codes !

Olly Alexander

Last but not least, concluons cette catégorie avec le petit prince Olly Alexander. Ouvertement gay, promoteur du sexe à moindres risques, le représentant britannique est une icône LGBTQIA+ de l’autre-côté de la Manche, tant avec ses titres évoquant ouvertement sa sexualité qu’avec son inoubliable composition du personnage de Richie dans It’s A Sin, série fleuve évoquant les ravages du VIH/sida dans les années 80-90. L’auteur et la maîtresse de cérémonie ne sauraient que vous conseiller de la regarder si ce n’est pas déjà fait, à condition de vous préparer au choc émotionnel irréversible (et de sortir les mouchoirs, mais sans pathos). Rien de très surprenant à ce que la prestation d’Olly sur la scène de l’Eurovisiona adopte les codes d’une esthétique gay à la fois futuriste et très (très) sexy, si ce n’est sexe. Inutile de dire que le voyage dans la faille spatio-temporelle de Dizzy aura suscité bien des émois sur la planète Eurovision…


Bambie Thug, Electric Fields, Nebulossa, Nemo et Olly Alexander : cinq nommés pour tenter de devenir l’icône queer de l’année Eurovision 2024 et tenter ainsi de succéder à Marco Mengoni, vainqueur de la Moustache 2023 (devant Gustaph). Qui soulèvera le trophée queer pour cette édition ? Qui sera le roi, la reine ou lae souverain·e de la planète Eurovision cette année ? À vos votes jusqu’au dimanche 12 janvier midi !

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La Moustache 2024 Queer
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Rendez-vous demain à 8h pour découvrir une nouvelle catégorie des Moustaches 2024… et vous prononcer sur les moments les plus iconiques de cette année Eurovision !