Aujourd’hui, septième étape des entretiens de l’EAQ, et nous nous rendons cette fois-ci en direction du sud-est de la France, au coeur d’un petit coin de territoire engoncé dans des rochers qui participent à sa célébrité. Vous l’aurez compris, c’est une artiste qui a représenté la principauté de Monaco (plus petit État à avoir jamais remporté le concours de l’Eurovision en 1971) dont vous lirez aujourd’hui le témoignage.

Dans les Jardins de Monaco
Chaplin aurait pu rencontrer Garbo
Vadim a peut-être embrassé Bardot
Comme toi et moi ...

Nous sommes en 1978, et Monaco est à deux ans de son retrait du concours pour vingt-cinq ans. Afin de porter les couleurs rouges et blanches pour ce qui fut le dernier concours organisé en France à ce jour, la télévision publique monégasque décida d’envoyer un duo et un titre évoquant les jardins du Rocher (au demeurant fort beaux si vous avez l’occasion d’y aller).

Lui s’appelle Olivier Toussaint. Elle s’appelait Caline, mais se présente depuis sous son véritable nom, Corinne Sauvage, et nous avons eu la chance d’échanger avec elle pour L’Eurovision Au Quotidien.

La prestation en images :

Classement : 4ème en finale (107 points)

C’est par téléphone que Corinne Sauvage a accepté de nous accorder cet entretien depuis sa Petite Camargue d’origine, où elle s’est établie aujourd’hui entre deux séjours à l’étranger.

Comment vous êtes-vous retrouvée à participer à l’Eurovision et pour Monaco ?

Ça s’est fait tout à fait par hasard. J’ai beaucoup travaillé en tant que choriste à Paris en parallèle de ma carrière de chanteuse – enfin, carrière, je n’aime pas ce mot. J’ai été appelée pour une séance d’enregistrement comme je le faisais très souvent. Je suis arrivée au Studio Delphine, et il y avait Paul de Senneville (compositeur du titre N.D.L.R.) et Olivier Toussaint. Nous avons fait les chœurs de la chanson, et quand nous avons terminé, Paul de Senneville m’a demandé si je voulais faire un essai sur la chanson qui était un duo. J’ai dit pourquoi pas. J’ai fait l’essai, il a été concluant et ils m’ont demandé si ça me ferait plaisir de participer à l’Eurovision pour Monaco. Je ne sais pas de quelle manière, je n’ai pas compris comment ça se passait exactement, mais ils étaient branchés avec la délégation de Monaco. La chanson était réservée au pays. Je leur ai répondu que ça me ferait plaisir, mais que j’étais sous contrat avec une maison de disques, Phonogram à l’époque (Universal maintenant) et qu’il fallait que j’obtienne l’autorisation. Je ne savais pas comment ça pouvait se passer, mais ils m’ont répondu qu’ils s’en occupaient. À l’époque, j’avais signé le contrat qu’il ne faut jamais signer, sept ans et deux ans d’option. C’est-à-dire pieds et mains liés pendant neuf ans avec une maison de disques qui vous garde dans les tiroirs, c’est l’horreur ! J’ai vu dans cette aventure une opportunité de me séparer de cette maison de disques. Ils se sont arrangés avec la maison de disques, ils ont payé, j’ai signé un contrat avec eux juste pour l’Eurovision. Si on gagnait, il y aurait un contrat plus long. Si on ne gagnait pas, on discuterait à ce moment-là d’une éventuelle continuation. L’Eurovision m’a permis d’acheter ma liberté avec ma maison de disques et de gagner en plus un piano, que j’ai toujours. Quand je vois mon piano, je me dis qu’il représente ma liberté avec ma maison de disques. L’Eurovision, ce n’est vraiment pas quelque chose que j’ai cherché, c’est tombé sur moi par hasard.

Si je me souviens bien, vous aviez déjà essayé de représenter la France au concours en 1977.

Oui ! C’était ma maison de disques qui m’avait fait participer en changeant mon nom, mon look, … Ils ne m’ont fait faire que des erreurs. Avec le recul, je pense qu’ils m’ont vraiment scié pour me détruire. J’avais fait la pré-sélection de l’Eurovision. Marie Myriam était arrivée première, et tant mieux, parce qu’elle a réussi, elle a gagné ! Je suis arrivée deuxième, et ma copine Delphine, alias Catherine Bonnevay, du groupe les Fléchettes (et représentante au concours 1986 avec Cocktail Chic N.D.L.R.), est arrivée troisième.

Ça a failli se faire !

Ça aurait pu se faire, mais Marie Myriam était vraiment en avance sur nous, parce que la chanson était vraiment énorme. Et à l’Eurovision, il ne faut pas oublier que c’est la chanson qu’on juge, pas l’artiste.

À l’époque, quel rapport aviez-vous au concours ?

C’était quelque chose d’important, l’Eurovision, beaucoup plus que maintenant. Le concours était retransmis dans de nombreux pays, on chantait devant des millions de téléspectateurs. On le prenait au sérieux. Maintenant, on le prend un peu par-dessus la jambe, on plaisante beaucoup dessus … Mais bon, on évolue.

Vous êtes une chanteuse française et vous représentez Monaco … en France !

C’est vrai ! Je ne sais pas pourquoi, c’est parce que la chanson avait été choisie par la délégation monégasque. Ce sont les chansons qui priment. Elle avait été composée par Paul de Senneville et Olivier Toussaint, et le texte avait été écrit par Didier Barbelivien. Elle avait été retenue par l’équipe de Monaco et il leur manquait la chanteuse pour faire un duo.

Qu’est-ce que ça fait de représenter un pays qui n’est pas le sien ?

Vous savez, Monaco, pour moi, c’est comme si c’était la France. J’y étais régulièrement. Je passais toutes mes vacances à Monaco. J’y ai beaucoup d’amis. Je n’étais pas dépaysée, au contraire, j’étais contente, parce qu’à l’époque, je passais beaucoup de temps à Monaco, mais là aussi, c’est un hasard.

Vous avez notamment joué au Sporting Club.

Oui, j’y ai joué avec le groupe Dallas (les musiciens de Johnny) et j’y ai rencontré Madame Ella Fitzgerald, et ça a été la plus belle rencontre de ma vie. Cette femme a été fabuleuse avec moi. Je ne l’oublierai jamais.

Je vais vous raconter l’anecdote, parce qu’elle est magnifique et c’est pour moi la plus belle de toute ma carrière. J’étais sur la scène en train de chanter une chanson de Stevie Wonder, All is fair in love. A ce moment-là, Ella Fitzgerald est arrivée. Elle était dans les coulisses. On l’a vue, elle a prêté attention à l’orchestre, elle a écouté avec beaucoup d’intérêt. J’étais un peu intimidée. Lorsque la chanson était terminée, je suis sortie de scène. Le régisseur m’a dit « Corinne, va dans la loge d’Ella Fitzgerald, elle veut te voir ». J’ai cru qu’il plaisantait, j’ai dit « Ouais, c’est ça ! » et je suis allée dans ma loge, au lieu d’aller dans celle de Madame Fitzgerald. Il est venu me chercher, il m’a pris par la main et m’a dit « Madame Fitzgerald t’attend, on ne fait pas attendre Madame Ella Fitzgerald ! ». Je lui ai répondu « Arrête tes conneries ! » Et non, c’était vrai. Il m’a poussé dans sa loge et quand elle m’a vue, elle m’a dit « Hi ! How are you ? ». J’étais très impressionnée et elle m’a demandé quelle était la chanson que j’avais chanté. Je lui explique et elle me dit qu’elle trouve la chanson très belle, qu’elle ne la connaissait pas. Elle m’a parlé de ma voix, de ma façon de chanter, de m’exprimer et elle m’a fait beaucoup de compliments. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Ensuite, elle a fait son tour de chant sur la scène du Sporting et nous, les musiciens, sommes remontés sur scène pour la seconde partie de soirée. Elle était invitée à la table princière avec la Princesse Grace et le Prince Rainier. Nous avons continué notre spectacle et là, mon chef d’orchestre m’invite à refaire la sublime chanson de Stevie Wonder. J’ai vu Ella Fitzgerald qui demandait à la Princesse Grace d’écouter cette chanson en lui disant qu’elle était magnifique. Elle a arrêté de parler, puis tour à tour le Prince Rainier, la table princière, la table voisine … et il y a eu un silence absolument général dans cette salle du Sporting, uniquement réservée aux grands artistes. Tout le monde a écouté la chanson, et quand j’ai terminé, Ella Fitzgerald s’est levée et a applaudi. J’ai eu une standing ovation grâce à elle (rires) et ça, c’est extraordinaire. C’était la première fois que le Sporting était debout pour une chanteuse d’orchestre, c’était hallucinant !

Une telle rencontre marque une vie et une carrière.

Totalement, et elle m’a quand même dit une chose. « Si quelqu’un met un jour en doute tes capacités vocales ou ton talent d’artiste, ne l’écoute pas. Continue »

Et vous avez continué.

Et je continue toujours (rires). Bon, il serait temps que j’arrête, vu mon âge, mais non, j’ai toujours cette petite flamme qui fait que je fais des choses, et je continue voilà !

Que faites-vous ?

J’ai passé quatre mois au Mexique l’année dernière, où j’ai enregistré un album entièrement en espagnol avec des mariachis. J’attends que les problèmes de coronavirus soient arrêtés pour pouvoir reprendre l’avion en direction du Mexique et enregistrer un deuxième album avec Armando Mansanero, un compositeur extraordinaire, qui compose des boléros notamment pour Luis Miguel, qui est le plus grand chanteur du Mexique et d’Amérique du Sud. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur, et pour la suite, je verrai après.

Votre parcours est fait de rencontres et de collaborations avec les plus grands.

C’est vrai, j’ai eu la chance de rencontrer des gens importants dans le métier.

Michel Sardou, Yves Montand, Nana Mouskouri, Johnny …

J’ai appris beaucoup de choses avec certains, avec tous d’ailleurs. Avec certains, on apprend ce qu’il faut faire, avec d’autres, ce qu’il ne faut pas faire (rires). C’est toujours une grande leçon.

Vous travaillez eux avec en tant que choriste ?

En général, oui, mais parfois, je passais en première partie ou lorsque c’était possible, je chantais deux ou trois chansons pendant le spectacle, tout dépendait de l’artiste avec lequel je travaillais et s’il m’accordait de l’intérêt ou pas.

C’était avant l’Eurovision ?

Avant et après. Parce qu’une fois que l’Eurovision est terminée, vous passez à autre chose. J’ai changé de maison de disques et je suis partie sur un style musical plus adapté à ce que j’aimais. Parce que lorsque j’étais chez Phonogram, on ne m’a jamais demandé ce que je voulais faire. On m’imposait des chansons, des auteurs, des compositeurs, moi je voulais travailler avec certaines personnes et on me l’a toujours refusé.

Avec qui par exemple ?

Avec Alec Constantinos, un super compositeur avec lequel je m’entendais très bien. J’ai fais un disque avec lui, Comme un rêve et Celle qui n’a pas voulu de toi. J’ai adoré collaborer avec lui. Il voulait s’occuper de moi en tant que chanteuse, être mon directeur artistique. Mais la maison de disques n’a jamais voulu. Il avait même proposé de le faire gracieusement, mais il n’en était pas question. Je garde de très mauvais souvenirs avec cette maison de disques. Ils m’ont fait faire n’importe quoi. Cela a vraiment été une épreuve. À l’époque, plein de maisons de disques voulaient me signer. Jacques Revaux voulait s’occuper de moi et me mettre chez Tréma. On a essayé de sortir de cette galère, mais ils n’ont rien voulu savoir. Quand Claude François a fait le duo, il aurait bien aimé me produire, mais c’était impossible. Ce n’était même pas la peine qu’il demande à Phonogram, parce qu’ils allaient lui demander une fortune. J’ai eu beaucoup de bâtons dans les roues au début de ma carrière.

Pour quelles raisons ont-ils voulu pour retenir à ce pont selon vous ?

À l’époque, je faisais du tort à quelqu’un. Je devais gêner certaines artistes qui étaient déjà en place.

Quand de telles propositions s’offrent à vous …

On ne peut pas aller jusqu’au bout, parce que la maison de disques bloque.

Vous êtes Corinne Sauvage, mais à l’époque, vous étiez Caline.

C’est Lee Hallyday, mon directeur artistique, qui m’a fait signer ce contrat chez Phonogram. Je voulais garder mon nom mais on m’a dit non, parce qu’il y avait Catherine Sauvage. J’ai répondu que ce n’était pas son véritable nom, au contraire du mien, mais on m’a dit non. Lee Hallyday a donc trouvé ce nom de Caline, le contraire de Sauvage, qui ne me correspond pas. Je suis plus sauvage que câline … (rires). Moitié gitane … Mais à l’époque c’était bien, il y avait le parfum de Jean Patou, puis après il y a eu les couche-culotte et là ils se sont dits qu’il fallait changer de nom parce que ce n’était pas possible (rires). Alors là, ils m’ont trouvé des noms à la noix à n’en plus finir, Corinne Sanders, Corinne Colbert, …

 Vous vous produisez pourtant au concours sous le nom de Caline.

Parce que Caline et Olivier Toussaint, c’était joli pour l’Eurovision.

Revenons à l’Eurovision 1978, au Palais des Congrès de Paris. Vous avez eu la chance d’être l’une des dernières artistes françaises à vous produire à domicile pour l’Eurovision. Quel souvenir gardez-vous du concours ?

C’était vraiment un concours, quoi. (Elle réfléchit) On juge peut-être moins la prestation que la chanson. Après, il faut la vendre … Pour moi, c’était vraiment un concours. (Silence) Mais je ne me sentais pas très impliquée quand même dans la façon dont ça s’est fait. J’ai été traitée comme une employée.

Dans quel sens ?

On m’a dit de faire ça, il y aura un contrat comme ci comme ça, et à la fin de l’Eurovision … Ils m’ont mis une belle robe et de belles chaussures de chez Loris Azzaro, un beau bijou, et quand la prestation a été terminée le soir de l’Eurovision, on m’a tout repris, on m’a payé un taxi, on m’a dit au revoir et merci.

Sympa...

J’avais rempli ma mission. Donc quand on me parle de l’Eurovision, c’est égal à liberté. J’ai racheté ma liberté discographique. Ma liberté d’artiste.

Par la suite, vous diriez que votre participation a eu un effet sur votre carrière ?

Franchement non. Je me suis complètement faite par moi-même. Je n’avais pas de producteur, je n’avais rien du tout. J’ai continué mes chœurs, j’ai travaillé avec des artistes, j’ai gagné ma vie. J’étais très échaudée des maisons des disques, parce que quand il vous arrive quelque chose comme ça, on n’a pas envie de resigner. Il fallait qu’on me laisse respirer un petit peu (rires). Après, je suis repartie avec Francis Dreyfus. C’était carrément le Paradis par rapport à Universel. C’était vraiment quelqu’un d’humain, de gentil, de généreux, très respectueux. Il y a eu ce trio avec Didier Barbelivien et Félix Gray. Pareil, j’étais une employée. On m’a proposé de faire un essai de voix, et j’ai enregistré cette chanson, E Vado via. Une fois enregistrée, on m’a fait comprendre que j’avais la voix, mais pas le physique. Il était hors de question que je fasse les télévisions avec eux, parce que j’étais trop vieille et moche. Ce sont exactement les termes qui ont été utilisés. À cette époque, Francis Dreyfus, qui représentait ma maison de disques, a appelé le producteur en disant « C’est mon artiste qui chante, si vous mettez quelqu’un d’autre à la télévision, vous reprenez les disques que vous avez mis dans le commerce, vous les cassez et vous faites chanter quelqu’un d’autre. Ce sera l’artiste qui fera les télévisions. » La promo est alors partie dans une ambiance épouvantable (rires). Barbelivien et Félix Gray ne me voulaient pas.

Barbelivien, avec qui vous aviez travaillé en 78 …

Vous savez, la mémoire de ces gens-là … Ça, c’est le show-business à la parisienne (rires).

Il y a eu d’autres collaborations, des titres pour des dessins animés, des duos, mais c’est par la suite que vous reprenez complètement votre liberté ?

Complètement. Après cette épreuve-là, je me suis dit que le show-business avait eu raison de moi et que j’allais me casser. Je les ai laissés, parce que c’était horrible. La promotion de E vado via a été horrible. J’ai vraiment été mal traitée (rires). Il a fallu que des gens de télé disent à Barbelivien et Félix Gray « Heureusement qu’il y a Corinne Sauvage avec vous parce que c’est elle qui relève le niveau et qui fait vendre la chanson ». Ils ne voulaient pas l’accepter. Dès que j’avais un gros plan, c’étaient des scènes de jalousie … J’ai vraiment subi des choses épouvantables. Bref. C’est du passé.

Des souvenirs, des moments, vous-ont-ils plus particulièrement marqué lors de votre participation au concours ?

Tout s’est déroulé normalement, dans un timing bien réglé. On connaissait nos heures de répétition, tout était réglé comme une horloge. Je n’ai pas de souvenir particulier … Il y avait cette grande salle où tous les pays attendaient ensemble les résultats. J’étais contente, parce que mes copines des Fléchettes m’accompagnaient, ainsi que la chanteuse de l’Allemagne. Heureusement qu’on était ensemble avec mes collègues de travail. Elles m’ont un peu soutenu, parce que de la part des producteurs et des collaborateurs, je n’ai pas eu de témoignage d’affection particulier. Je me rappelle qu’à l’époque, sur les tables de chaque pays, il y avait des bouquets de fleurs, plein de choses, et sur la mienne il n’y avait rien du tout ! Pas une seule fleur ! Je me rappelle que Martine Latorre (chanteuse des Fléchettes) et les filles des Fléchettes s’étaient dit « Quand même, on va acheter une boîte de chocolats pour Caline ». Je n’avais que cette magnifique boîte de chocolats et un membre de la délégation monégasque leur a dit que c’était très gentil de me l’avoir achetée. Martine lui a rétorqué « Heureusement qu’on est là, parce que vous, vous manquez vraiment de classe. Vous auriez pu lui envoyer ne serait-ce que des fleurs. ». Ils lui ont répondu que pour que j’ai des fleurs sur la fable, il aurait fallu que je l’indique dans le contrat.

Vous plaisantez ?

(Rires) Je vous jure que c’est vrai ! J’ai été traitée comme une employée, ni plus ni moins, c’est tout. En plus, quand le concours a été terminé, j’ai pris l’ascenseur pour remonter dans la loge et nous nous sommes retrouvés dans les deux avec Michel Drucker. Il m’a dit « Caline, vraiment, je vous félicite, parce que vous auriez été seule, vous auriez pu gagner le concours. Je pense qu’Olivier vous a un peu bloquée tellement il était mort de trac. Vous auriez été seule, la chanson aurait pu arriver numéro un ». Je ne sais pas, et je ne le saurai jamais. À la limite, c’est le seul mot un peu gentil que j’ai eu de la part de tout ce marasme Eurovision. Était-il sincère ou pas ? Je ne me pose pas la question, mais en tout cas, il l’a dit.

C’est un titre que j’aime beaucoup personnellement, et vous êtes d’ailleurs arrivés sixièmes de notre rétrospective, derrière notre vainqueur qui était également celui de l’époque, Israël …

Israël, c’était la première fois qu’ils gagnaient. La chanson était bien. A-ba-ni-bi, c’était sympa. Après, c’est un concours, avec tout ce que cela comporte. À l’époque, on avait évoqué des raisons politiques, il peut y avoir des polémiques, mais bon, ça s’est passé ainsi.

La délégation et vous aviez des attentes particulières concernant votre résultat ? Comment avez-vous-accueilli cette quatrième place ?

Moi, j’y croyais, parce que je trouvais la chanson très bien, vraiment super. Les jardins de Monaco était une très bonne chanson et je pensais que nous avions nos chances. Après, je n’avais pas trop de contacts avec la délégation monégasque. Ils avaient surtout des contacts avec Olivier Toussaint, qui était également le producteur de la chanson. Moi, j’étais vraiment envahie par un grand sentiment de solitude. A la limite, j’étais là pour faire joli, pour être la plante verte, je ne sais même pas comment me situer dans cet évènement. J’ai donné ce que je devais donner. Si j’avais été seule, j’aurais pu donner plus, aller davantage devant les gens et la caméra, alors que j’étais face à lui, qui avait peur et qui ne voulait pas bouger, donc on était un peu bloqué. C’est comme ça. J’ai été engagée pour faire ça, et je l’ai fait comme on m’a demandé de le faire.

Quand j’ai lu votre biographie sur votre site Internet, j’ai vu que vous ne parliez pas de l’Eurovision et ça m’avait surpris, parce que d’habitude, les artistes mettent leur participation quasi-systématiquement en avant. Est-ce dû à la manière dont vous avez vécu le concours ?

C’est peut-être un oubli de ma part, parce que vous savez, pour moi, l’Eurovision n’a pas été un bon souvenir, comme je vous l’explique à présent. Ça a été un grand moment de solitude, et la seule chose qui compte, c’est que je me suis libéré de ma maison de disques. Et puis j’ai mon piano Yamaha à la maison. (Rires)

Par contre, les gens vous en parlent-ils ou pas ?

(Elle réfléchit) Non, pas vraiment. Je suis plutôt du genre à regarder devant et pas derrière, parce que je n’aime pas les rétroviseurs en fait. En plus des souvenirs comme ça, je préfère les oublier et avancer.

Désolé de vous les faire revivre …

Non ! Ce n’est pas grave. De toutes façons, c’est du vécu. Après, c’est peut-être pour ça que je continue de chanter et que j’ai encore beaucoup de choses à exprimer, parce qu’il y a tellement de cicatrices … Il y a une sincérité et une émotion qui s’expriment dans les chansons. On a chacun notre parcours.

La musique, l’art, sont des moyens d’exprimer tout ça…

Bien sûr. Tout ressort quand on chante. Le parcours est ce qu’il est, et puis c’est comme ça.

C’est une émission que vous suivez toujours ?

Quand je suis là, oui, mais je suis souvent à l’étranger et je ne peux pas le visionner, notamment au Mexique, mais quand je peux, je le regarde. Cependant, je ne retrouve pas ce qu’était l’Eurovision. On ne sait pas si les chanteurs chantent en direct. On avait un orchestre, on chantait en direct avec les musiciens, le son était ce qu’il était, et le chanteur donnait ce qu’il avait dans ses tripes. Aujourd’hui, je ne retrouve pas le concours que j’ai connu. J’ai l’impression que chaque artiste vient proposer un clip ou un concept, il y a beaucoup de danseurs qui ne servent à rien, on ne les voit pas. Il y a beaucoup de costumes, et pas de chansons (rires). On met de la parade pour cacher ce qu’il manque vraiment, et c’est assez synonyme de notre société actuelle.

Dans quel sens ?

On ne montre pas la vérité. On met beaucoup d’apparats autour pour embellir le fait qu’il manque l’essentiel.

Parmi les titres de l’Eurovision actuelle, certains vous-ont-ils marqué particulièrement ?

(Elle réfléchit) Je n’ai pas trop de souvenirs. Je ne sais plus en quelle année c’était, mais j’avais beaucoup aimé le petit norvégien, ce jeune garçon avec le violon. Je l’avais trouvé mignon ! Il était très bien. Je crois que c’est la seule prestation que j’ai dû retenir ces dernières années. Je n’ai pas regardé le concours les dernières années. Ou alors j’ai zappé, j’ai dû regarder deux-trois prestations, mais sans regarder l’intégralité du concours. Je ne suis pas souvent là non plus… Sur Madame Monsieur, qu’est-ce qu’on peut dire ? Merci, quoi … Angunn n’avait même pas eu un gros plan, la pauvre. Ce n’est plus un concours. Tout est fait d’avance. c‘est bizarre. C’est devenu un truc sans âme, alors qu’avant, on tremblait pour le chanteur qui allait chanter, on était avec lui quoi. Maintenant, on vient montrer un concept, les hommes s’habillent en femmes, les femmes s’habillent en hommes, on peut en faire des choses, mais bon … alors qu’au départ, c’est un concours de chanson, il ne faut pas l’oublier (rires). Des chansons interprétées par un chanteur.

Depuis quelques années pour la France, l’Eurovision rime avec difficulté, à quelques exceptions près, quelles solutions verriez-vous pour nous sortir de cette phase ?

Il faut chercher une belle voix avec une belle chanson. De l’émotion. De la sincérité. Il faut de la vérité. Parce qu’il y a un côté trop superficiel à mon humble avis.

Vous auriez des artistes en tête pour relever ce défi ?

Je ne sais pas. Il faudrait demander à Lara Fabian. Elle chante merveilleusement bien.

Avec le recul, dans le contexte de l’époque et avec cette expérience-là …

Pour faire simple, ça a été un grand moment de solitude (rires)

À l’avoir su, vous n’y seriez pas allée ?

Ah si ! J’y serai allée quand même pour pouvoir racheter ma liberté discographique après.

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L’actualité des artistes :

Corinne Sauvage s’est illustrée dans un spectacle musical dédié à Dalida, dont sont issus trois albums. Le dernier, 30 ans déjà ! Corinne Sauvage chante Dalida, année où paraît également Parlez-moi d’amour.

Elle a enregistré un album en espagnol l’année dernière au Mexique, en compagnie de mariachis, et devrait en enregistrer un deuxième avec le compositeur Armando Mansanero, dès lors que la crise sanitaire le permettra.

Corinne Sauvage continue de se produire sur scène.

Un grand merci à Corinne Sauvage d’avoir accepté de rouvrir pour nos lectrices et lecteurs cet album souvenir de son Eurovision.

Crédits photographiques : extrait du concert de Corinne Sauvage à la tournée La Marseillaise – Le Rove (You Tube)