Vous sentez l’odeur des embruns ? Vous entendez le bruit des vagues qui s’écrasent contre les rochers et se retirent dans une mélodie éternelle et nostalgique ? Votre paysage est le suivant : le soleil cuit la surface de la mer et dégage des reflets dorés jusqu’à l’horizon qui s’étend à perte de vue ? Il y a fort à parier que vous possédez l’Abécédaire de l’Eurovision nouvelle édition dans votre main droite ! Si vous vous trouvez derrière votre bureau, en train de travailler voire même de rêvasser (oups !), personne ne vous a oublié car l’Abécédaire est aussi livré automatiquement sur votre lieu de travail pour embellir les heures de votre journée !

Vous l’avez compris : l’Abécédaire de l’Eurovision fait son grand retour. Ayant débuté il y a de cela deux ans, je suis heureux de vous le proposer de nouveau après un an d’arrêt. Je vous remercie sincèrement pour votre patience et votre fidélité. Pour les nouveaux arrivants, pas d’inquiétude, il n’est pas trop tard pour suivre ensemble cette revue. « Mais qu’est ce que cet abécédaire ? » me dites-vous ? C’est parti pour quelques explications !

Etant un eurofan relativement récent – plus précisément depuis 2017 , je me suis retrouvé en face du monstre qu’est l’Eurovision. J’ai navigué entre des faits historiques, des détails croustillants et des controverses. J’ai très vite développé un intérêt pour la richesse de l’histoire de ce concours. Et quoi de mieux que de le partager avec d’autres personnes sous un format ludique ? J’ai nommé l’Abécédaire de l’Eurovision ! Le principe est simple : chaque article portera sur une lettre différente de l’alphabet, en commençant par A et en terminant évidemment par Z. Je vous présenterai trois faits divers relatifs à l’Eurovision par lettre de l’alphabet. Treize articles sont déjà sortis, de A à M. N’hésitez pas à les lire ou les relire.

Aujourd’hui, c’est donc la lettre N qui et à l’honneur. Préparez vos carnets de notes et vos plus beaux stylos. Récitons ensemble l’abécédaire de l’Eurovision !

N comme …

  • Non oh l’età !

Commençons en douceur avec l’un des grands classiques du Concours Eurovision, interprété par la sublime Gigliola Cinquetti qui nous a fait honneur de sa présence et de son talent vocal sur la scène du Turin cette année. Elle y a évidemment interprété son célèbre « Non oh l’età » que nous pouvons traduire par « je n’ai pas l’âge (de t’aimer) ». Une belle histoire d’amour qui a commencé 58 ans avant !

Direction Sanremo, le festival international, un véritable évènement en lui-même et qui accessoirement sert de sélection à l’artiste italien pour l’Eurovision aujourd’hui bien que ce ne soit pas là l’objectif premier. Une sélection qui avait déjà lieu depuis la première participation de l’Italie en 1956, première édition de l’Eurovision. Se présente sur la scène du célèbre festival une jeune femme à peine âgée de 16 ans : Gigliola Cinquetti nous livre une prestation touchante et livre un message au garçon qu’elle aime bien qu’elle n’en ait pas l’âge. Elle lui demande d’être patient et, en attendant, de la laisser vivre un amour romantique.

Vous vous en doutez, elle remporte le festival de Sanremo. Mais le saviez-vous ? Elle ne remporte pas cette victoire seule. Effectivement, les règles du Sanremo à cette époque stipulent que chaque chanson doit être interprétée en tandem avec un autre artiste et ce dans une autre langue. La chanteuse italo-belge Patricia Carli partage cette victoire en interprétant une version française de la chanson, qui partage le même nom à ce moment-là mais qui sera intitulée « Je suis à toi » après l’Eurovision.

Cette victoire à Sanremo est synonyme de participation à l’Eurovision 1964 qui a lieu à Copenhague. Et là, nous assistons à l’une des victoires les plus célèbres et les plus spectaculaires de l’histoire de l’Eurovision. A l’issue de sa performance, Gigliola Cinquetti sera la seule et unique artiste de l’histoire du Concours à être autorisée à remonter sur scène dans la foulée pour remercier les spectateurs tant la salle du Tivoli Gardens croule sous les applaudissements. Heureux présage qui prépare à l’inévitable : la jeune artiste remporte cette neuvième édition dans des proportions incroyables. Elle reçoit huit fois la note maximale et fait de cette première victoire italienne la victoire la plus écrasante de toute l’histoire de l’Eurovision avec un total de 49 points, soit 2,88 fois plus que son dauphin !

Conséquence heureuse et logique, « Non oh l’età » explose en Europe, atteignant le sommet des charts de plusieurs pays dont la France et la Belgique. A cette période, Gigliola demeure la plus jeune artiste à avoir remporté l’Eurovision du haut de ses 16 ans et en est encore la seconde plus jeune à ce jour. Une magnifique performance malheureusement en partie perdue puisque Copenhague 1964 est l’une des deux éditions dont aucun enregistrement vidéo n’a été conservé. Subsistent heureusement un enregistrement audio complet et une version écourtée de la reprise de « Non oh l’età ». Mais c’était sans compter sur la passion et l’acharnement des eurofans qui ont réussi à reconstruire la performance dans leur intégralité. Vous trouverez plusieurs versions sur Youtube mais je vous en propose la suivante. Réécoutons ensemble celle qui demeure l’une des mes chansons préférées de tout l’histoire du Concours, un véritable bijou intemporel que je suis heureux de vous partager.

  • Nul point !

L’Eurovision est certes une grande fête internationale, elle n’en reste pas moins un concours. Qui dit concours dit vainqueur mais dit aussi dernière place. Une dernière place redoutée tant par les artiste que par les délégations et les fans de tous pays eux-mêmes. Une véritable expérience qui peut être vécu comme une déception ou une réelle frustration. Cependant, s’il y a bien une chose encore plus redoutée, étroitement liée avec cette fameuse dernière place puisqu’elle en est l’issue fatale, c’est le tristement célèbre Nul point, expression spécifique à l’Eurovision.

Mais qu’est-ce donc ? Si vous n’en avez jamais entendu parler, vous pouvez vous estimer heureux car il y a fort à parier que votre pays n’ait jamais reçu un tel résultat, qui peut être vécu comme une triste humiliation… Le Nul point désigne, comme le nom le laisse penser, le fait de ne recevoir aucun point et donc de terminer en bas du tableau avec un 0 pointé.

« Mais quelles sont les probabilités que cela arrive, cela semble tout de même improbable et aussi dur que de gagner l’Eurovision lui-même, non ? ». Si comme moi, vous vous posiez la question ces dernières années, un coup d’œil sur l’histoire de l’Eurovision s’imposait. A ce jour, elles sont malheureusement 39 chansons à l’avoir reçu. Un chiffre qui est faible sur les plus de 1600 chansons qui ont participé au Concours mais qui semble tout de même assez énorme. Nous ne pourrons pas rendre hommage à toutes ces chansons mais certaines auront marqué l’histoire du Concours malgré tout.

Il faut savoir que de nombreux systèmes de vote se sont succédés. Un joli bazar qui méritera que nous nous penchions dessus prochainement dans l’abécédaire (eh oui, vous avez le droit à des petits spoils ! Oups !). Dans les premières années, ceux-ci ne distribuaient pas autant de points qu’actuellement. Les Nul point étaient donc plus probables en dépit du faible nombre de pays participants. Il fallait donc un premier. Et quel premier ? Puisqu’ils seront 4 à obtenir le terrible résultat pour la première fois en 1962. L’UER tente un nouveau système de vote ou chaque pays donne 1, 2 et 3 points à leurs trois chansons préférées. Conséquence terrible puisque Nur in der Wiener Luft (Autriche), Ton nom (Belgique), Llamame (Espagne) et Katinka (Pays-Bas) ne parviennent pas à marquer le moindre point.

L’UER tente alors des variantes de ce système de vote qui ne contribuera qu’à plus de Nul point puisque pendant 4 éditions (1962 à 1965), 4 pays obtiennent ce résultat. Une malédiction qui s’apaisera mais qui continuera jusqu’en 1967 sans interruption ! Parmi les victimes, le Portugal fait ses débuts en 1964 et termine directement avec un 0 pointé. Un résultat bien immérité à mon sens pour António Calvário et son Oração. Un cas absolument rare qui ne se reproduira qu’une deuxième fois en 1994 avec la Lituanie.

Ce sont pas moins de 20 chansons qui obtiennent le Nul point jusqu’en 1970. Une des raisons qui pousseront l’UER à adopter le système moderne des 12 points en 1975. Un système qui semble donner du répit aux pays puisqu’il devient plus improbable d’obtenir ce résultat mais qui ne l’empêchera pas puisqu’il tombera fatalement de nouveau en 1978 pour la Norvège. Parlons-en de la Norvège d’ailleurs. Dans l’abécédaire de l’Eurovision F , j’avais évoqué la Finlande qui possède à ce jour le triste record de dernière places à 11 reprises dont 3 Nul Point mais ce que je ne vous avais pas dit, c’est que ce record est partagé à égalité avec la Norvège ! Pire : la Norvège possède 4 Nul points (1963, 1978, 1981 et 1997) parmi ces 11 dernières places.

Néanmoins le constat est là : il y a moins de Nul point puisque la terrible sentence tombera « seulement » à 18 reprises jusqu’en 2015, soit sur 37 éditions. Si le Nul point peut être vécu comme une humiliation, certains artistes montrent un véritable esprit sportif digne du célèbre dicton de Pierre de Coubertin « l’important, c’est de participer ». En 2015, ce sont les représentants autrichiens The Makemakes et allemande Ann Sophie qui se fendent d’une vidéo, véritable parodie de la chanson gagnante Heroes de cette année pour rigoler de leur Nul point conjoint. Deux vidéos qui rentrent dans la légende de l’Eurovision et montre l’esprit de fête et de partage que nous y recherchons.

2016 marque un tournant puisque, comme vous le savez surement, le système de vote change. Si les 12 points sont préservés, jury et public sont désormais séparés. Chaque pays attribue donc 24 points. En outre, les différences public et jury peuvent maintenant pleinement s’exercer. Si les 0 points pour certains pays surviennent d’un côté que ce soit jury ou public, aucun n’obtient réellement 0 point de deux et donc n’est candidat au Nul point. Il est donc très improbable, voire quasi impossible qu’un tel résultat puisse survenir. Que nenni ! En 2021, désormais célèbre pour sa fameuse séquence de 4 « 0 point » d’affilée lors de la révélations des résultats du public dont un est réservé au Royaume-uni, qui lui-même avait échoué à recevoir le moindre point chez les jurys. Vous l’avez compris, le premier Nul point sous « l’ère moderne » est attribué à James Newman et son Embers. Annonce qui ne découragera pas pour autant l’artiste qui montre un véritable esprit sportif et obtient le soutien du public présent à Rotterdam ce soir. Un véritable moment plein d’émotions, désormais iconique. Revivez-le donc dès maintenant !

  • Noel Kelehan !

Merry Christmas ! Ah non …? C’est la mauvaise saison me dites-vous ? Mais pourquoi donc parler de Noël ? Eh bien, il s’agit tout simplement du prénom de la personne à l’honneur dans cette partie de l’abécédaire. Il fait partie de ces gens de l’ombre, inconnus du grand public et souvent oubliés des eurofans, qui demeurent pourtant des réels piliers du Concours. Même la page Wikipédia est avare d’informations sur sa vie. Cependant, si vous avez enchainé les shows, son nom et sa tête vous sont surement familiers. Si vous voulez jouer à « où est Charlie ? », concentrez-vous vers l’orchestre lors des prestations irlandaises. Finis les indices, rentrons dans le sujet !

Noel Kelehan

Noel Kelehan, né le 26 décembre 1935, s’est imposé en tant que figure reconnue du monde musical irlandais. Il est un pianiste irlandais spécialisé dans le jazz certes mais il a surtout occupé les fonctions de chef d’orchestre et de directeur musical de la RTE (télévision publique irlandais). Sa carrière est étroitement liée à celle de l’Eurovision. Il s’installe pour la première fois en tant que chef d’orchestre pour l’Irlande à l’Eurovision 1966, soit à la deuxième participation du pays. Il conduit donc Come Back To Stay (Reviens pour rester), un titre qui résume parfaitement le parcours de Noel Kelehan au Concours.

Effectivement, il demeure le premier chef d’orchestre irlandais – puisqu’en 1965 l’entrée irlandaise était conduite par le directeur musical de l’édition et donc chef d’orchestre italien – et ne cédera sa place que 6 fois jusqu’en 1998 ! Ceci le place à un record de 25 participations devant le français Franck Pourcel (23) et le finlandais Ossi Runne (22). Il aura donc conduit 5 des chansons victorieuses pour l’Irlande en 1980, 1987, 1992, 1993 et 1996. 1994 lui échappe car, rappelons-nous, Rock’n’Roll Kids est la première chanson victorieuse sans accompagnement orchestral. Il demeure ainsi le chef d’orchestre à avoir conduit le plus de chansons victorieuses. On en a fini avec les records ? Eh bien détrompez-vous ! Conséquence heureuse des victoires, il est 5 fois directeur musical pour les éditions de 1981, 1988, 1993, 1994 et 1995 et donc conduit quelques prestations des autres pays pour monter à un total de 29 !

Un rôle qu’il occupera jusqu’en 1998, dernière édition ayant accueilli un orchestre. Il est donc le premier mais aussi le dernier chef d’orchestre irlandais. Une véritable figure de l’Eurovision qui mérite un respect énorme pour sa fidélité à l’Eurovision. Vous avez pu le découvrir en 1966 ci-dessus, je vous propose de découvrir son évolution en regardant sa toute dernière participation qui sera synonyme aussi de retraite pour Noel Kelehan. Une prestation étonnamment intitulée Is always over now ? (« Toujours » se finit-il maintenant ?) qui semble marquer cette ultime participation et à laquelle je veux répondre que malgré cela, il sera pour toujours dans l’histoire de l’Eurovision !

Pfouuuu ! Ce fut un article bien rempli pour le retour de l’abécédaire ! J’espère que cela vous a plu. N’hésitez pas à commenter et à donner vos avis sur les trois sujets du jour. Les Nul point étaient-ils mérités ? En est-il de même pour les succès de Noel Kelehan et de Non oh l’età selon vous ? En attendant, je vous donne rendez-vous samedi prochain, même heure, pour la lettre O !

Crédits photographiques : RTE