Le dénouement d’une édition 2025 jusqu’alors plutôt calme a suscité de nombreuses interrogations chez les télédiffuseurs, nombreux à réclamer l’ouverture d’un débat à l’UER. En cause ? Le classement final et, plus particulièrement, le système de vote et la participation d’Israël à l’Eurovision.

La RTVE fut ainsi la première à solliciter un passage en revue du système de vote, en questionnant son actualité au regard du contexte géopolitique et, plus particulièrement, de la guerre à Gaza. Le télédiffuseur public espagnol s’interroge sur l’influence directe des conflits sur le classement final de l’Eurovision, après la deuxième place obtenue par Israël lors de l’édition 2025. Médaille d’argent que le pays a décroché en ayant remporté le télévote et en y ayant réalisé un nombre de points particulièrement élevé pour la deuxième année consécutive. Plusieurs télédiffuseurs ont emboîté le pas de l’Espagne et demandé à leur tour de faire la lumière sur les résultats du télévote de l’Eurovision 2025.

Des clarifications demandées sur le système de vote

Dans une intervention de sa porte-parole Yasmine van der Borght, le télédiffuseur belge néerlandophone VRT réclame une pleine transparence sur le télévote même si, à ce stade, aucun élément ne semble indiquer un mauvais comptage des votes du public. Cependant, il s’interroge sur le fait que le système de vote actuel puisse garantir un reflet juste des opinions de ses téléspectateurs et de ses auditeurs, trouvant étrange les 12 points octroyés à Israël par le télévote belge. La VRT appelle ainsi à un débat ouvert à l’ensemble des télédiffuseurs afin d’assurer la pérennité de la compétition, dans un contexte où elle juge que le concours est un événement de moins en moins unifié et apolitique, et qu’il entre de plus en plus en dissonance avec ses normes et ses valeurs initiales et celles des télédiffuseurs participants. Elle conclut par une remise en question de la future participation du pays, rejointe en cela par la RTBF, télédiffuseur francophone, chargé de l’Eurovision en années paires.

L’Islande, la Finlande, l’Irlande et la Norvège ont aussi appelé à un éclairage sur le télévote de l’Eurovision 2025. Par la voix de Juha Lahti (producteur exécutif de YLE Entertainement), le télédiffuseur finlandais YLE s’interroge sur la pertinence d’autoriser une même personne à voter 20 fois et sur la possibilité d’abus. Il demande à l’UER de réfléchir à une mise à jour de ces règles ou, a minima, de procéder à des vérifications. Il demande également une reconsidération de la répartition des votes entre les jurys nationaux (49,4%) et le télévote (50,6%), YLE poussant pour une réforme favorable au public (rejoignant le télédiffuseur norvégien sur ce point). Le directeur des divertissements de la NRK, Charlo Halvorsen, appelle aussi à une révision du système de vote – sans apporter plus de précisions – afin d’assurer le maintien de la confiance dans la compétition et que cette dernière soit aussi équitable que possible, dans la lignée des objectifs de l’Eurovision.

Le caractère apolitique du concours et la participation d’Israël en question

Dans un contexte où la participation d’Israël suscite la polémique depuis deux ans, certains télédiffuseurs semblent s’interroger au-delà de la question du système de vote. C’est le cas d’AVROTROS et de NPO (télédiffuseurs néerlandais), dans un communiqué de presse conjoint : “AVROTROS et NPO attachent une grande importance aux valeurs apolitiques et de liaison du concours Eurovision de la chanson. Cependant, nous constatons que cet événement est de plus en plus influencé par des pressions sociales et géopolitiques. La participation d’Israël nous confronte à la question de savoir dans quelle mesure le Concours Eurovision de la chanson fonctionne encore comme un événement apolitique, de liaison et culturel. Nous voulons que cette question, avec d’autres pays, soit débattue au sein de l’UER. » Le télédiffuseur slovène, RTV SLO, appelle quant à lui à reconsidérer la participation de « certains pays » à l’Eurovision, dans la lignée du débat déjà posé en 2024 et compte, lui aussi, livrer ses interrogations à l’UER sur l’organisation du concours 2025.

Au-delà des télédiffuseurs, le débat prend également place chez les artistes. Quelques jours avant la finale de l’Eurovision 2025, lae vainqueur·e de la précédente édition, Nemo, a réitéré son soutien à l’appel à l’exclusion d’Israël de la compétition (signé par plus de 70 anciens participants avant la tenue du concours), estimant illogique la participation actuelle et future du pays au concours : « Les actions d’Israël sont fondamentalement en contradiction avec les valeurs que l’Eurovision prétend défendre – la paix, l’unité et le respect des droits de l’homme. » Des propos qui ont fait réagir la SSR SRG (télédiffuseur suisse hôte) et l’organisation, rappelant que le respect nécessaire du Code de conduite du concours, qui proscrit toute expression politique des artistes lors des événements officiels.

Alors qu’il vient tout juste d’offrir à l’Autriche le troisième Micro de Cristal de son histoire, JJ a lui aussi réagi quant à la participation du pays au concours, déclarant dans une interview au quotidien espagnol El Pais : « Il est très décevant de voir qu’Israël participe encore au concours. J’aimerais voir l’Eurovision l’année prochaine à Vienne et sans Israël. Mais la balle est dans le camp de l’UER. Nous, les artistes, ne pouvons qu’élever la voix sur ce sujet. » Il rejoint le Premier Ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui a, lui aussi, appelé à l’exclusion d’Israël de l’Eurovision, à l’instar de la Russie, estimant impossible de conserver un deux poids deux mesures instauré selon lui pour les deux pays.

L’UER répond aux télédiffuseurs

Le directeur du concours, Martin Green, a tout d’abord réagi dans un court communiqué dans lequel il souligne que le système de télévote actuellement utilisé à l’Eurovision est considéré comme le plus avancé dans le monde, avec ses processus de vérification, de sécurité et d’analyse particulièrement poussés. Selon lui, aucune suspicion de biais ou d’irrégularité n’est ainsi possible dans l’attribution des points, encore moins en relation avec le score obtenu par Israël au télévote. Le nouvel homme fort du concours a cependant publié une lettre ouverte à l’ensemble de la communauté de l’Eurovision (diffusée sur eurovision.tv, où vous pouvez la lire en intégralité en anglais), dans laquelle il s’exprime quant aux interrogations formulées par les télédiffuseurs et par les fans.

Après avoir renouvelé ses félicitations à JJ, vainqueur de l’édition 2025, il y détaille le processus réglementé et sécurisé de comptabilisation des votes, en partenariat avec la société Once Germany GmbH. Les votes du public sont ainsi acheminés vers un système central via des « systèmes redondants » et des « plate-formes multiples », pendant qu’une soixantaine de personnes réunies à Cologne et d’autres basées à Vienne et à Amsterdam vérifient la régularité du télévote dans chaque pays participant et dans le reste du monde, en lien avec les opérateurs de télécommunication locaux. Les résultats sont ensuite vérifiés par le PDG et les cadres supérieurs de la société expérimentée, avant que le contrôleur de confirmité indépendant EY ne supervise et n’authentifie les résultats, de manière documentée et évaluée.

Surtout, Martin Green s’y exprime sur les doutes exprimés quant à l’impact du poids du vote de diasporas et de communautés sur le résultat final.

« Tous les votes du public, qu’il s’agisse de SMS, d’appels ou de votes en ligne, témoignent de la motivation des communautés ou des diasporas à l’égard de certains candidats. Les raisons peuvent être multiples : attributs personnels, histoire, appartenance géographique, actualité, etc. Historiquement, le CES a été aussi ouvert à ce genre de choses que d’autres concours de chant et de musique et que la télé-réalité.

Chaque année, le groupe de référence du concours, qui comprend des représentants de nos membres et agit en leur nom, étudie les données fournies par notre partenaire de vote Once afin de formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour garantir que nos règles et nos systèmes restent à l’abri des défaillances et tiennent compte des facteurs externes contemporains tels que les progrès technologiques et les influences extérieures. Ce processus se déroulera comme à l’accoutumée en juin de cette année.

Parallèlement aux discussions du groupe de référence, l’UER se penchera sur la promotion de nos actes par les délégations et les parties associées. Cette promotion est autorisée par nos règles et nos actes pour célébrer les artistes, accroître leur notoriété et lancer de futures carrières – cela fait partie intégrante de l’industrie musicale – mais nous voulons nous assurer que cette promotion n’affecte pas de manière disproportionnée la mobilisation naturelle des communautés et des diasporas que nous observons dans tous les votes des spectateurs de spectacles. »

Il évoque également la limite du nombre de votes à 20 par personne, mise en place pour garantir à chacun de pouvoir se mobiliser pour ses favoris quelque soit son âge. Si, selon ses propos, cette règle ne semble pas affecter les résultats de manière disproportionnée, il acte qu’elle est aujourd’hui interrogée et que l’UER devra regarder cela. Il conclut en rappelant que l’UER et lui-même allaient considérer l’avis des télédiffuseurs membres sur ce sujet et sur d’autres.

Dans la foulée, le directeur des médias de l’EUR, Jean Philip de Tender, s’est exprimé sur les ondes de VRT radio. Selon lui, l’UER envisagerait de reconsidérer le nombre de votes maximal autorisé par numéro de téléphone (établi à 20 en raison de l’audience familiale du programme, afin que chacun puisse s’exprimer dans une même famille avec une même carte bancaire), mais aussi de redonner un rôle aux jurys en demi-finales. Il a ajouté qu’en cas de victoire d’Israël, il aurait été impossible d’organiser le concours sur place en raison des mesures de restrictions à l’égard des voyageurs, mises en place par la moitié des pays participants, et que le sponsoring avec l’entreprise isréalienne Moroccanoil, principal partenaire économique du concours, n’avait aucun impact sur son déroulement.

Mise à jour du 27/05/2025 : la Slovénie prête à remettre en cause sa participation à l’Eurovision

Dans une lettre au comité exécutif de l’UER dévoilée hier, la directrice générale de RTV SLO (télédiffuseur slovène), Kseniya Horbat, intime l’organisation d’ouvrir le débat et d’agir. Elle évoque l’absence de réponses convaincantes et d’explications concrètes quant à une situation qu’elle qualifie d’urgente, citant l’empirement de la situation à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés, ainsi que le souci croissant des slovènes et des européens quant à cette dernière. Selon elle, de nombreux téléspectateurs ont exprimé des doutes quant à la crédibilité et à la transparence du vote de l’Eurovision 2025 dans le contexte géopolitique actuel. « Le sentiment que des intérêts politiques pouvaient influencer les décisions de participation ou les résultats finaux du vote a ébranlé la confiance du public dans l’impartialité de l’UER. (…) Nous sommes particulièrement intéressés par la comparaison entre les votes par téléphone et les votes en ligne, car nous pensons que c’est essentiel pour restaurer la confiance dans l’intégrité du processus de vote. En tant que médias publics, nous avons le devoir de fournir à notre public des informations exactes et vérifiables. »

Par la voix de sa directrice générale, le télédiffuseur slovène demande un « débat ouvert, inclusif et urgent parmi les membres [de l’UER] – incluant les artistes et les représentants de la société civile – sur la transparence du vote, les politiques d’engagement et de veiller à ce que les valeurs de l’UER soient mises en oeuvre de manière cohérente et crédible. » Dans le cas contraire, et faute de réponses ou de mesures adéquates dans l’intérêt du public et dans une vision étihique, la Slovénie reconsidèra sa participation à l’Eurovision.

C’est aujourd’hui un vaste chantier qui se dessine pour l’autorité régulatrice du concours et pour les télédiffuseurs, traversés par de nombreuses interrogations et par un malaise de plus en plus palbable.