Suite aux résultats du télévote de l’Eurovision 2025 et à la deuxième place d’Israël, les télédiffuseurs continuent de réclamer des comptes et des changements.

Dans le premier épisode post-Bâle, ils étaient déjà nombreux à s’interroger ouvertement sur le vote de l’Eurovision 2025 et à demander des clarifications, si ce n’est des évolutions du système en place voire, pour certains, la remise en question de la participation d’Israël au concours. Parmi les télédiffuseurs en première ligne, la RTVE (Espagne), la VRT et la RTBF (Belgique), YLE (Finlande), NRK (Norvège), RUV (Islande), AVROTROS (Pays-Bas), mais aussi RTV SLO (Slovénie) qui, après avoir déjà mis le sujet sur la table en 2024, menace de mettre sa participation à l’Eurovision en cause si un débat n’est pas ouvert et si des mesures sérieuses ne sont pas prises pour garantir le respect des valeurs du concours. A l’instar de nos voisins belges par ailleurs.

Saint-Marin insatisfait du système de vote

Depuis, d’autres acteurs et télédiffuseurs ont pris la parole pour relayer leur mécontentement. Ainsi en est-il de San Marino RTV (Saint-Marin), par la voix de son directeur général Roberto Sergio. De retour en finale pour la première fois depuis 2021 (mais avec une dernière place à la clé), la plus petite république du monde (et plus petit pays à participer actuellement au concours) se déclare insatisfaite du système de vote actuel. Selon R. Sergio, les résultats du télévote témoignent d’un vote du public qui dépasse les considérations musicales, estimant que les « zero point » et les plus hauts scores n’ont pas été attribués sur la base de la qualité des prestations. Surtout, il s’attaque au vote des jurys, dont il dénonce « le manque de considération et de sérieux » : « Ces jurys, dont personne ne sait par qui ils sont choisis, avec quels noms et quelles compétences en lien avec la musique, ont donné des votes réellement honteux. »

Ce n’est pas la première fois que Saint-Marin remet en cause le système de vote à l’Eurovision (notamment le calcul de son propre télévote, réalisé via un algorithme d’agrégation faute d’atteindre le seuil minimum de votants nécessaire à la validation du vote du public national). Avec la particularité d’être un micro-Etat (là où, à l’inverse, le pays le plus peuplé du concours, l’Allemagne, compte… 2 459 fois plus d’habitants), le pays s’estime lésé par la structure actuelle du concours. Ainsi en témoigne Federico Pedini Amati, secrétaire d’État au tourisme saint-marinais : « Ce que nous voulons dire à l’UER est que nous n’aimerions pas rester pénalisés juste parce que nous sommes un micro-Etat. Ce n’est pas juste. Nous nous préparons pour l’Eurovision, nous emmenons des artistes de premier ordre. En tant que pays, nous sommes égaux aux plus grands pays. » Pour rappel, depuis sa première participation en 2008 (entrecoupée de plusieurs pauses), Saint-Marin n’a atteint la finale qu’à quatre reprises en quinze participations, avec la 19ème place de Serhat en 2019 comme meilleur classement (rappelons que Say Na Na Na avait toutefois atteint le top 10 du télévote à la surprise générale), ce malgré l’organisation d’une sélection nationale aussi pléthorique que chaotique.

Si la participation officielle de Saint-Marin à l’Eurovision 2026 n’a pas encore été confirmée officiellement, notons qu’au lendemain de la qualification de Gabry Ponte pour la finale, le secrétaire d’Etat au tourisme semblait tenir un discours plus enthousiaste, mettant en avant l’exceptionnelle vitrine que représente le concours, puisque ce dernier offre une publicité et une visibilité à un micro-Etat, tout en lui permettant de montrer son identité et d’être acteur à part entière d’une compétition internationale. « L’accès historique à la finale célèbre le talent et valide pleinement les choix artistiques effectués dans le cadre du Concours de la chanson de Saint-Marin. Un projet dans lequel, à la lumière de ce qui s’est passé et du retour en termes d’image obtenu, nous avons l’intention de poursuivre notre investissement avec conviction. » précisait-il ainsi au télédiffuseur saint-marinais.

Des députés européens s’en mêlent

Une dizaine de parlementaires européens issus de plusieurs pays (dont la France) et des rangs de plusieurs groupes parlementaires (Renew, S&D, Verts/EFA et La Gauche) ont envoyé une lettre à l’UER afin de témoigner leur préoccupation quant à de possibles irrégularités dans les résultats de l’Eurovision 2025. Adressé à Delphine Ernotte (présidente de l’UER), Noal Curran (directeur général) et Ana María Bordas (présidente du groupe de référence de l’Eurovision), ainsi qu’aux membres du comité exécutif, ce courrier met en avant « des problèmes systématiques en lien avec la transparence, l’équité et l’influence indéniable qui menacent les valeurs que l’UER affirme défendre : indépendance, impartialité et confiance publique. » Selon ces députés, la méfiance d’une partie du public et de certaines chaînes nationales à l’égard de la fiabilité des résultats doit être un signal d’alarme pour l’UER, qui pourrait remettre en cause la confiance des télédiffuseurs membres et du public envers l’Eurovision.

Ils évoquent ainsi dans leur lettre (disponible en cliquant ici) les demandes officielles de clarification de la RTVE et de RTV SLO, mais aussi les données révélées par la VRT, qui mettent à jour « des disparités inexpliquées entre les chiffres d’audience et la participation au télévote sur la période 2023-2025. » Ils évoquent également la campagne digitale de grande ampleur lancée par l’agence de publicité du gouvernement israélien (Lapam) afin de promouvoir la candidature de Yuval Raphael en 2025, qui a permis de cibler des millions d’internautes, dans la lignée de la précédente édition, qui avait vu le Ministre des affaires étrangères israélien s’impliquer directement et activement en faveur de la candidature d’Eden Golan. Selon eux, « une telle activité coordonnée et soutenue par l’État soulève des questions fondamentales quant à la neutralité, à l’impartialité et à l’équité du participant. (…) L’affirmation selon laquelle le radiodiffuseur public israélien Kan est un tel média indépendant a été un argument clé dans la réponse de l’UER aux appels à l’expulsion d’Israël du Concours Eurovision de la chanson. Un candidat israélien bénéficiant d’une publicité parrainée par l’État compromet considérablement cette affirmation et soulève des doutes quant au caractère apolitique de la performance de cette année. »

Les auteurs de la lettre invitent l’UER à prendre les mesures suivantes :

  • Publier les résultats complets des votes, ventilés par pays, par méthode de vote (SMS, application, en ligne), par tour et par candidat, afin que des observateurs indépendants et des radiodiffuseurs puissent vérifier la validité des résultats ;
  • Autoriser un audit indépendant et transparent du processus de vote 2025, en faisant appel à des experts en cybersécurité et en statistiques reconnus, en coopération avec les radiodiffuseurs nationaux concernés ;
  • Révéler tous les contrats publicitaires directs et indirects ;
  • Clarifier et mettre en œuvre des restrictions sur la promotion des candidats à l’Eurovision parrainée par les gouvernements, y compris l’interdiction explicite pour les agences de publicité dirigées par l’État d’influencer les résultats du vote ;
  • Révéler tous les contrats de sponsoring ;
  • Préparer une analyse détaillée du système de vote et proposer les changements nécessaires au système de vote afin d’éviter toute interférence ou manipulation politiques.

Pendant ce temps-là en Espagne…

Interrogé par une commission du Congrès des députés espagnol, José Pablo López, président de la RTVE, a déclaré que le télédiffuseur public espagnol – parmi les plus actifs sur les interrogations quant au système de vote et à la participation d’Israël – a lancé un mouvement inédit de la part des pays participants à destination de l’UER, qui travaille actuellement sur un audit externe indépendant avec la société Ernst & Young quant aux résultats de l’Eurovision 2025. Selon lui, « le divertissement n’est pas une raison d’irresponsabilité ou d’indifférence » et il a profité de cette audition pour exprimer également de sérieux doutes quant à la nouvelle règle de restriction introduite par l’UER quant à l’utilisation des drapeaux pendant la flag parade (qu’il qualifie d’« insensée ».

Surtout qu’au-delà d’être un pays du BIG 5 (et donc l’un des plus gros contributeurs financiers au concours), l’Espagne sera aux avants-postes de l’organisation de l’édition 2026, puisque la RTVE occupera la présidence du groupe de référence de l’Eurovision à partir du 15 juin. La fonction sera occupée par Ana María Bordas, directrice de la production de contenus de la RTVE et actuelle cheffe de la délégation espagnole. Une opportunité pour le télédiffuseur de proposer des réformes pour le concours, en lien avec les interrogations concernant le système de vote et le télévote, une réflexion sur la participation d’Israël ou l’adoption de mesures visant à limiter les interférences extérieures dans la compétition et à garantir l’indépendance de l’Eurovision. Le président de la RTVE semble en tout cas confiant en la possibilité pour les pays membres de l’UER d’adopter les mesures nécessaires pour assurer la pérennité de l’Eurovision, qui reste le programme musical et non-sportif le plus regardé au monde.

Crédits photos : UER