Gioveni 12 maio. Une semaine Eurovision, que cela passe vite. J’en suis déjà à moitié chemin et j’ai du mal à réaliser que, d’ici trois jours, je devrais quitter cette bulle que je partage avec de nombreux eurofans, ici, à Turin, loin des soucis du quotidien et des questionnements della vita. Mais pour le moment, cogli l’attimo, ou carpe diem en somme.

Midi donc, direction la Mole Antonelliana, qui abrite le musée national du cinéma … fermé précocement en ce jour selon Google. Qu’importe, trouver un plan B est loin d’être une mission impossible à Turin, et c’est ainsi que, mon Lonely Planet, aidant, je m’installe en terrasse au Vitel étonné devant un plat de succulentes plin et un verre de rosé pétillant. Un petit tour dans le quartier baigné d’un soleil aveuglant et plombé par une chaleur de trente degrés, je me dirige ensuite vers l’un des incontournables de la ville : i musei reali, ou les musées royaux. Constitué du Palazzo Reale, d’une musée abritant peintures et antiquités, une armurerie, une chapelle, ainsi que des jardins, l’emblématique ensemble de 185 800 m2 fait quasiment face au Palazzo Madama et jouxte Il duomo. Il a été érigé au seizième siècle dans sa forme initiale, avant d’être considérablement modernisé sous l’égide de Christine Marie de France, dite Madama Reale, alors régente. Plusieurs siècles plus tard, la principale résidence royale de la famille de Piémont-Savoie rejoint la liste des inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, à l’instar de nombreuses de ses paires. Il est aujourd’hui l’un des monuments les plus visités d’Italie, et cela se comprend amplement, tant de par la richesse de son histoire que de par sa splendeur. Économisons les mots vains, que je m’incline devant l’effet Waouh.

Un passage par chez le réputé glacier Antonietti – de la Via Po – et direction l’Eurovillage pour rejoindre…

Attendez. Stop. J’ai oublié un épisode. Et quel épisode.

Revenons à 12h45 et parlons Eurovision, parce que c’est ce qui nous intéresse principalement (bien que faute d’accréditation présentielle, il serait dommage de se priver de vous parler de la beauté de Turin). Je me trouve alors Piazza Castello, au bout de la Via Roma, et envoie un message à Manu pour lui donner le nom de la boutique Biraghi, la fameuse épicerie fine décorée aux couleurs de l’Eurovision dont je vous parlais la veille. Il me répond alors qu’il vient d’y croiser une eurostar juste devant. Et pas n’importe laquelle, tant pour les italiens que pour moi-même, puisque notre ami belge s’est retrouvé face à … Mahmood.

Mahmood.

Mahmood.

My Mood.

MAHMOOOOOOOOOD ?

Euphoria. Hysteria.

Unë, ty, tre, ta marrsha ! Le générique de de Drôles de dame envahit le quartier, et malgré un genou déligamenté, je me mets à courir dans tous les sens pour retrouver l’objet de mes désirs eurovisionesques les plus profonds. Je passe la place, je passe les rues, je passe les magasins, je fouille les fontaines, les buissons et les poubelles, m’aventurant même dans les coins les plus obscurs et improbables, le tout sous le regard à la fois ébahi et inquiet de passants visiblement à deux doigts de contacter les carabinieri ou il servizio psichiatrico c’est selon la mood. Vingt minutes de recherche auront toutefois eu raison de ma pauvre quête et c’est ainsi que, la queue entre les jambes, je pars avaler mes plin au Vitel étonné.

Retour vers le futur, à 18h. Je rejoins les alsaciens à l’Eurovillage (j’ai failli écrire Village Olympique, mais il n’en a pas grand chose). En attendant nos amis du pays de la choucroute et de la bière (qui eux m’attendaient depuis environ des plombes), je me mets dans la looooongue file de la leeeeeeeente et humble boutique de merchandisig officiel – hébergée dans un pauvre cabanon tenant à peine debout. Et là, froid polaire : trois quarts des stocks sont épuisés (et évidemment non indiqués sur le tableau). Adio le tee-shirt au logo 2022, les tailles inférieures à L et XL, les magnets The Sound Of Beauty, les CD officiels, et Gigliola sait quoi d’autres, et buongiono les pauvres miettes des miettes. Comme si l’organisation n’avait pas pu prévoir l’invasion barbare du lieu par des dizaines de milliers d’eurofans et de locaux présents sur place. Bref, nouvelle subtilité de nos organisateurs italiens décidément pas à la hauteur de ce rendez-vous (dont une voix médiatique me confiera d’ailleurs que Kiev 2017 était presque mieux organisé). Surtout qu’eurodrama d’ampleur, le concert de Senhit initialement annoncé à 18h15 a été avancé de vint minutes et se déroule alors que je suis dans la file d’attente. Ajouté à cela la performance de Rosa Linn pendant la file d’attente pour les bières … Quoiqu’il s’agisse encore là d’attendre pour la bonne cause.

Installés quelques minutes plus tard sur la pelouse de l’Eurovillage avec nos alsaciens et Manu – qui nous a rejoint, Mario et sa collègue – présentateurs du plateau – nous annoncent la venue d’une nouvelle eurostar 2022. Et c’est ainsi que De battre mon coeur s’est arrêté lorsque je vois débarquer LA Reine de l’édition : Ronela Hajati.

Pétage de plombs, je balance presque la bière sur mes camarades et cours devant la scène. Le reste ? Cris, hurlements, déclarations d’amour : un Rémi à l’image d’un public déchaîné pour l’une des favorites des eurofans, scandaleusement déchue lors d’une demi-finale faible qui a hélas préféré le train entre Chisinau et Bucarest à la chaleur des châteaux albanais. Un accueil énorme qui bouleverse Ronela au plus haut point, qui n’a de cesse de remercier le public pour son soutien, main sur le coeur et larmes aux yeux. Que le destin musical te rende justice, Ronnie, et que ce Makalon érigé en cri de guerre serve de f*** à celles et ceux qui ont voulu te déshonorer.

Nous retrouvons d’ailleurs Ronela plus tard, pour un salut au public en compagnie des membres de LPS, de LUM!X et de Mia Dimsic.

Retour avec les amis … pour quelques minutes seulement. Car Mario annonce alors l’incroyable. L’inattendu. L’inespéré. L’appellation TikTok Stage nous faisait douter de la perspective de performances en présentiel : c’est pourtant en chair et en os qu’ils débarquent successivement face au public du Parco del Valentino. Merci d’accueillir Duncan Laurence, Conchita Wurst et en ouverture d’extra stage, la seule, l’unique, la majestueuse, l’indétrônable … Loreen.

Tout s’arrête, avec celle par qui tout a presque commencé. Bien sûr, je suivais de manière croissante l’Eurovision depuis déjà 2004 (ce fameux jour où le hasard me fit tomber sur la section de vote), et commençais déjà à m’intéresser aux sites eurofans. Mais ce jour de mars, dans mon studio montpelliérain, je faisais un tour nonchalant sur l’EAQ, et tombai sur l’article annonçant la sélection de Loreen. Première fois que j’allais écouter une chanson avant l’Eurovision. Je clique dessus. La Révélation. Avant même d’avoir écouté les 41 autres titres en lice, je savais qu’elle serait la gagnante. Et c’est ce jour-là que, sans le verbaliser alors, je suis véritablement devenu un eurofan.

Alors, comment poser des mots sur l’émotion qui m’envahit lorsque je vis ma divinité monter sur scène ? Comment décrire les larmes aux coins des yeux ? Comment vous parler du sentiment qui me saisit à l’écoute des premières notes d’Euphoria, comme si je devais vous parler de rois, de batailles et d’éléphants ? Ben, je ne peux tout simplement pas. Parce que l’indescriptible ne s’embarrasse pas de mots. Parce que … Voilà. Loreen, quoi. Celle qui, depuis dix ans déjà, reste ma number one.

Duncan Laurence (mon number two) et Conchita Wurst ont beau, eux aussi, avoir de très nombreux arguments à défendre par la suite, je reste bloqué sur les dix minutes passées avec la légende suédoise. Évidemment, le sympathique néerlandais fait des merveilles derrière son piano – les mêmes que celles qu’il avait réalisé en novembre 2019 à la Maroquinerie de Paris – et la foule (ainsi que mon coeur) s’emballe à la reprise d’Arcade, l’une des plus belles chansons à avoir jamais gagné l’Eurovision. Évidemment, la mythique Conchita – revêtue d’un combi short-résille très sexy – enflamme la foule – quand bien même la performance vocale n’est pas à la hauteur. Mais Loreen … Loreen quoi !

20h. L’heure de la demi-finale approche, et celle de se recharger en bière au travers d’une longue file aussi. Nous rejoignons ensuite les parisiens David et Michael (Mister Bigoudène, qu’il a abandonnée à l’hôtel en ce jour), et rencontrons la pétulante Prune et son mari Thierry, un fringant couple de respectivement octogénaire et septuagénaire qui se rend chaque année à l’Eurovision depuis Stockholm 2016. Chaque année, ils profitent du concours pour prendre leur voiture et réaliser un road trip jusqu’à leur destination, la ville hôte. C’est ainsi que Thierry me raconte qu’ils étaient allés en quatre roues jusqu’à Kiev en 2017. Impressionnant. Respect. Qu’est-ce que c’est beau de voir de telles flammes et fougues à ces âges-là. Je m’incline.

Et Régine dans cette histoire ? Notre eurofan de rock et de métal nous a exceptionnellement lâché pour le live depuis la salle. La raison ? Elle tient en sept lettres : JEZEBEL. Autant vous dire qu’ornée de son drapeau finlandais signées par les membres de PNK, on l’entend déjà depuis le Parco del Valentino, alors même qu’il se trouve à près de … quatre kilomètres du Pala Alpitour. Jezeeeebeeeel.

21h. Le Te Deum résonne dans les hauts parleurs d’un Eurovillage où s’est massée une foule certes nombreuse, mais plutôt calme et assise, où les eurofans ne sont pas si entendre que cela, du moins à notre emplacement, où les italiens et non eurofans semblent plus nombreux. Un très mauvais retour son nous empêche, deux heures durant, de jouir d’une écoute qualitative des prestations qu’heureusement, j’avais vu en direct lors du jury show de la veille. Bref, l’organizazione all’italiana … Alors, cette demi-finale 2 permettra t-elle de rebattre les cartes ou, a minima, de dégager de potentiels vainqueurs qui semblent se faire attendre ?

Constat : la demi-finale passe plus vite que celle de mardi et confirme le ressenti que j’avais éprouvé la veille, à savoir que ce sera un véritable bain de sang tellement le niveau est homogène et somme toute concurrentiel, du début à la fin. Hormis la Macédoine du Nord et le Monténégro, tous ont leur chance et plus que jamais, y compris des pays initialement condamnés, comme l’Irlande qui, avec sa prestation de feu, affole salle de presse et public, dans lesquels beaucoup se plairaient à voir le pays recordman de victoires enfin de retour en finale. Inversement, avec une Andromache fatiguée et une prestation vocale très faible, Chypre s’approche dangereusement de la zone rouge de l’avis de tous, tandis que l’Azerbaïdjan et la Belgique suscitent un manque de passion général qui pourrait finalement les exclure du champ des qualifiés. Israël suscite toujours autant de commentaires négatifs malgré le talent d’un Michael Ben David à l’attitude de plus en plus insupportable, tandis que la Suède, la République Tchèque et la Roumanie font très belle impression dans un public hypnotisé par le théorème du Biti Sdrava konstraktien. Et je ne parle pas de l’accueil réservé à Achille Lauro qui, à l’instar du jury show, enflamme la pelouse avec son explosive prestation rock que d’aucuns pourraient juger ”sulfureuse”. On adore.

Alors que le dénouement approche, je procède au récolte des votes du groupe sur un incompréhensible mic-mac rédigé avec mon écriture de chat (ou de médecin, c’est selon les vibes).

  • Nous qualifierions donc Suède, Serbie, Pologne, Finlande, Irlande, Saint-Marin, République Tchèque et Roumanie, avec ballotage entre Chypre, Estonie et Belgique pour les deux derniers tickets.
  • Pour ma part, j’ai choisi Suède, RTC, Serbie, Saint-Marin, Pologne, Finlande, Australie, Irlande, Estonie et Israël.

Révélation des résultats. À défaut de surprise, du sang a comme prévu coulé, ce sans scandale notoire. Les menacés azéri et belge ont finalement passé le cut, alors que les désormais attendus Irlande et Saint-Marin se sont finalement plantés, comme initialement prévus par les bookies il y a quelques semaines de cela.

23h15. Un flot continu quitte le Parco del Valentino. Quant à nous, direction chez Pablo (un petit boui-boui non loin de l’auberge de jeunesse de la majorité du groupe) où, en terrasse, les burgers côtoient clopes à l’enchaînée, bières, Spritz, negroni et j’en passe. De quoi rentrer à 3h30 du mat’ après un dernier verre, en tout état de dignité eurovisionesque (et de sobriété surtout), et en mode Holà mi bébébé. Ou peut-être Light Off vu l’heure.

Da Collegno, Airnbn, venerdi 13 maio.

Con 24 000 bacci.

Rémi

© Rémi P.