Nous sommes toutes des reines.

Samanta Tina

Sept fois. Elle a tenté à sept reprises de participer au concours de l’Eurovision avant de remporter enfin la sélection nationale lettone en 2020. Un an plus tard et un concours annulé dans les bagages, elle est de retour en 2021 pour porter les couleurs de son pays avec The Moon Is Rising. À la veille de sa première répétition sur la scène de l’Ahoy Rotterdam, voici Samanta Tina en interview !

EAQ – L’année dernière, vous deviez representer la Lettonie à l’Eurovision. Le concours a été malheureusement annulé à cause de la pandémie. Comment vous sentez-vous par rapport à votre participation à l’édition 2021 ?

Samanta Tina – J’ai été évidemment choquée par l’annulation du concours l’année dernière. J’attendais cela depuis tellement longtemps, c’était fou. Et finalement, j’y suis aujourd’hui. Quelqu’un m’a appelé pour me dire « Samanta, l’Eurovision est annulée ». Noooooon ! J’ai parlé à Dieu et lui ai demandé « Pourquoi moi ? Pourquoi cela m’arrive-t-il à moi ? » Puis j’ai commencé à voir la situation du bon côté, parce que si vous ne pouvez pas changer une situation, vous n’avez d’autre choix que de changer d’attitude vis-à-vis d’elle. Je me suis ensuite dit « Samanta. Ton nom sera à l’affiche de deux concours, l’Eurovision 2020 et 2021. », et j’ai eu beaucoup de temps pour travailler de nouvelles chansons.

Depuis 2012, vous avez essayé de participer au concours de l’Eurovision à sept reprises. L’année dernière, vous avez remporté le Supernova avec Still Breathing. Comment avez-vous vécu cette victoire après tant d’années d’efforts ?

J’étais évidemment heureuse ! Je l’avais fait, j’avais enfin réussi !  Je n’avais pas vraiment prévu d’envoyer cette chanson, Still Breathing, à l’Eurovision. C’était mon nouveau titre, que j’avais publié à la fin du mois de novembre et on m’a demandé si je n’essaierais pas de participer à la sélection avec. J’ai répondu qu’elle n’était pas faire pour l’Eurovision. Après avoir insisté, j’ai essayé et j’ai gagné.

Que représente l’Eurovision pour vous en tant qu’artiste et téléspectatrice ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours regardé l’Eurovision depuis que j’étais enfant. Quand j’ai commencé à chanter, j’étais folle des titres qui représentaient la Lettonie. Plusieurs de mes chansons préférées sont issues du concours, comme celle de Jessica Garlick pour le Royaume-Uni en 2002. C’est la première chanson que j’ai reprise lorsque j’ai participé à un concours de jeunes artistes.

Quels sont vos meilleurs souvenirs du concours ?

Je me souviens évidemment de Ruslana pour l’Ukraine, avec Wild Dances. Je ne l’oublierais jamais. Je me rappelle également d’Euphoria de Loreen, qui est une chanson vraiment incroyable.

Comment décririez-vous votre chanson The Moon Is Rising ?

Elle parle de l’égalité, et invite à commencer par s’aimer soi-même. Elle évoque les femmes différentes et spéciales. Je demande à tout le monde d’accepter leurs différences comme quelque chose d’unique. Nous sommes toutes égales. Nous sommes toutes des reines. Je demande à toutes ces femmes de se couronner elles-mêmes de leurs deux mains, parce que personne d’autre n’aura la chance de le faire. Rendez vous exceptionnelles, commencez par vous aimer vous-mêmes et vous bousculerez les lignes tout autour de vous.

L’émancipation des femmes est un thème récurrent dans vos textes. Pourquoi l’importance de ce sujet dans vos chansons ?

Beaucoup me demandent pourquoi cela est important pour moi. Je suis une femme et je constate les stéréotypes là où je vis, en Europe, et ce qu’il se passe. Vous devez faire ça, vous devez être une bonne épouse, vous devez être une bonne cuisinière, vous devez garder la ligne, vous devez être présentable, vous devez être intelligente. Vous avez envie de manger ce gâteau, mais vous ne pouvez pas le manger, sinon vous allez prendre du poids, et vous ne devez pas. Vous devez être en bonne santé. Tout le temps, il n’y a que des règles et des règles et des règles … Mais je voudrais demander à nous toutes : êtes-vous satisfaites de cette situation ? Chaque jour, vous êtes confrontée à cette routine : vous devez faire ci, mais vous ne pouvez pas faire ça. Non ! C’est encore un problème de stéréotypes : ce qui est beau et ce qui ne l’est pas, ce qui vrai et ce qui est faux… Le plus important pour moi, c’est de savoir combien c’est esthétique. Et si vous êtes heureuse, quelque soit la façon dont vous l’êtes, c’est la plus belle et la plus grande des choses au monde ! Si vous vous sentez belle, si vous êtes heureuse de ce que vous faites et de vous-même, vous ne devez pas recevoir d’injonctions des bien-pensants.  Si quelqu’un pense et dit que vous êtes grosse par exemple, du moment que vous êtes heureuse ainsi et que cela ne vous pose pas de problème, c’est génial ! Il n’y a pas de blanc ou noir, oui ou non, la chose la plus importante est d’être heureuse avec vous-même. The Moon Is Rising est quelque chose de profond. Il n’y a pas de cases. Non ! Nous sommes tous différents et ainsi est la société autour de nous.  Chacun d’entre nous est unique, parce qu’il n’y a personne d’autre qui soit comme vous à travers le monde. Personne.

L’égalité entre les femmes et les hommes est une problématique clé dans nos sociétés. Selon vous, comment agir en faveur de cette égalité ?

Je pense que nous n’avons pas besoin d’être enfermés dans des cadres comme je le disais précédemment. Ce qu’il est bon d’être pour les hommes, ce qu’il n’est pas bon d’être, ce qu’il est bon d’être pour les femmes, ce qu’il n’est pas bon d’être … Tant pour les femmes que pour les hommes, il n’y a pas de choses qui soient réservées à l’un ou l’autre des genres. Nous ne devons ni donner ni recevoir d’injonctions et nous avons juste besoin d’être plus ouverts d’esprits et d’écouter davantage l’autre. Nous devons accepter davantage l’autre et non le juger à l’aune de nous-mêmes. C’est le plus important.

Vous imaginez que le public sera tenté de comparer The Moon Is Rising à Still Breathing. Avez-vous ressenti de la pression dans le choix de votre titre pour l’Eurovision 2021 ?

C’est vraiment compliqué, parce que je sais que les gens vont inévitablement comparer les deux titres. Tout le monde attend quelque chose de similaire à Still Breathing mais je sais qu’on ne peut pas réaliser la même chanson en changeant juste le titre. Nous ne pouvons pas le faire, et nous n’en avons pas besoin ! Nous avons passé deux jours dans un camp d’écriture et nous avons réalisé onze démos pour définir la nouvelle chanson. Oui, The Moon Is Rising a été écrite le premier jour et elle n’a pas quitté mon esprit. C’est la première que j’ai enregistré dans ce camp. J’ai dit à mon équipe que nous n’avions pas besoin de faire quelque chose de similaire à Still Breathing. Still Breathing est Still Breathing, nous devions faire quelque chose de nouveau qui soit en phase avec mon caractère, mon charisme, mon histoire, ce que je suis soit, mais qui ne soit pas Still Breathing. Je pense que nous y sommes parvenus. Bien sûr, je reçois des messages de fan et du public qui comparent les deux chansons. Mais je ne pense pas que ce soit pertinent de procéder à une comparaison, parce que ce sont deux titres complètement différents.

Hier soir, je réécoutais vos titres, et je remarquais que tous sont différents. Que l’on écoute I Need A Hero, Stay, Still Breathing ou The Moon Is Rising, aucune chanson ne ressemble à une autre. Vous avez cette aptitude à proposer systématiquement de nouveaux sons. Où puisez-vous votre inspiration ?

Merci. Vous savez, j’ai grandi. Si j’opère un retour en arrière, lorsque j’ai commencé en 2012, j’étais complètement différente. Je chantais alors I Need A Hero qui est une chanson absolument très belle, que j’aime toujours et qui a été traduite en letton pour une émission télévisée, mais neuf ans après, je suis différente. Mon genre, mon style, mon attitude ont changé. Je suis toujours Samanta Tina, mais je suis une femme qui a grandi et je suis toujours une artiste. Personne ne sait ce que je fais avec les styles musicaux. Je n’ai jamais pensé la musique et la scène de manière au prisme d’un cadre. Je n’aimerais pas rester cloisonnée dans un seul et unique genre musical. Le plus important pour moi n’est pas de savoir si ma musique va passer en radio ou pas, l’essentiel est de me retrouver dans ma musique, c’est ainsi que je le ressens. Je démarre fort dans Still Breathing et tout le monde se demandait « Mais que fait-elle ? Est-elle folle ? ». C’est ainsi que je me sens bien sur scène. Mélanger les styles et les marier ensemble pour faire quelque chose de nouveau, c’est une façon d’aller à l’encontre des stéréotypes. « Mon Dieu ! Est-elle en train de danser ? »   Je nous imagine tous, lorsque nous sommes seuls à la maison, danser dans la salle de bain ou faire des choses folles sous la douche. C’est encore une affaire de stéréotypes. C’est la manière dont je ressens le moment et la musique.  Je suis toujours ainsi. Je cherche à faire quelque chose qui soit totalement moi et c’est à chaque fois différent. Je sais ce que c’est d’être différent. Je sais ce que c’est d’être hors des clous. C’est la raison pour laquelle j’en parle et je l’exprime dans ma musique.

La plupart des chansons que vous avez proposé pour l’Eurovision étaient interprétées en anglaise, mais vous chantez également en letton. Ressentez-vous une différence que vous chantiez dans l’une ou l’autre des deux langues ?

Je ne pense pas qu’il y ait de différence à ce niveau-là. Je ne pense pas que la musique ait une langue. De la même façon que l’amour, si vous parvenez à ressentir l’histoire, on se moque du caractère de la langue. Quand je fais des masterclasses auprès de jeunes chanteurs, je les invite à me donner le sens d’une chanson sans qu’ils n’en comprennent la langue. Si je ne ressens aucune émotion, il n’y a pas de langue qui m’aiderait à m’en procurer. L’essentiel est l’histoire que vous souhaitez raconter, et c’est mon leitmotiv. Quand je monte sur scène, je me demande toujours ce que je veux dire à travers ce que je chante, et pourquoi. Si vous voulez juste monter sur scène pour montrer qui vous êtes, ou votre costume, vous ne dites rien. Vous devez savoir pourquoi vous faites cela et ce que vous souhaitez raconter avec cet instrument, cette musique que vous présentez sur scène.

Pourquoi ne jamais avoir proposé de chanson en letton pour l’Eurovision ?

Non, je ne l’ai jamais fait, parce que l’Eurovision est une plate-forme européenne. Bien sûr, il serait beau de chanter dans ma langue, le letton, parce que notre langue et toutes les langues sont vraiment belles et uniques. Mais l’Eurovision est l’une des plus grandes célébrations musicales, où tous les pays ont la possibilité de chanter sur la même scène et dans un seul langage. Je trouve ça cool, et vraiment beau.  

Je suppose que vous allez lu les réactions des eurofans au sujet de The Moon Is Rising. Comment les appréhendez-vous ?

J’ai vu plusieurs réactions, et je les ai trouvées amusantes. Je les adore ! De nombreuses réactions sont positives. Les gens apprécient une nouvelle fois et se disent que ce titre va être un atout. C’est super ! Comme je vous le disais précédemment, je ne veux pas être comme tout le monde, et je ne l’ai jamais voulu de toute ma vie. Même si les autres vivent les choses de telle façon, je fais ce que je veux, et je deviens ce que je veux. Je ne vais pas à l’Eurovision pour me battre. Il n’y a pas de raison de me battre. Je vais représenter mon pays, présenter ce que j’appelle mon projet, pour la dernière fois. C’est une sorte de projet pour lequel j’ai énormément travaillé, et il porte cette année le nom suivant : The Moon Is Rising. D’une part, je vais le présenter sur scène trois minutes durant et je vais m’enthousiasmer pour les projets des autres pays, d’autre part je ne peux rien faire car chacun a ses propres goûts musicaux. Cela se passera comme cela se passera. Oui, il y a un trophée qui va récompenser le « meilleur des meilleurs » projets, et je suis à la fois heureuse et reconnaissante de cela.

Des personnes ont violemment critiqué le clip de The Moon Is Rising et ont porté le sujet sur le terrain judiciaire. Cela nous a fortement choqué. Que ressentez-vous par rapport à cette histoire ?

C’était vraiment fou. Je ne m’y attendais pas. J’étais choquée. Cette histoire repose sur le fait que, dans le clip, deux filles s’embrassent pendant une ou deux secondes. J’étais vraiment choquée mais vous savez, vu de l’autre côté, ces réactions démesurées m’ont montré que je parle des vrais problèmes de notre société, et qu’ils subsistent. Donc je parle des bonnes choses (rires). C’est ce que je fais toujours, et je ne porte pas d’attention aux avis négatifs. Bien sûr, je les entends, mais l’essentiel, c’est ma prestation du 20 mai.

Vous avez écrit votre chanson avec Aminata Savadogo, qui a terminé sixième de l’Eurovision en 2015. Comment en êtes-vous venues à collaborer ensemble ?

Il n’y a pas de raison spéciale. Il n’y avait rien de planifié. Pour l’Eurovision 2021, nous avons fait ce camp d’écriture avec onze groupes de deux ou trois personnes qui travaillaient, et dans l’un d’entre eux figurait Aminata. Et il se trouve que c’était celui qui a participé à l’écriture de The Moon Is Rising.

Le contexte pandémique est difficile pour tou.te.s et, de surcroît, les salles de concerts sont fermées dans la plupart des pays. Il y est impossible pour les artistes de se produire sur scène. Comment vivez-vous cela ?

Chanter devant un public me manque vraiment, parce que c’est la raison pour laquelle je chante. Cette énergie me manque, de même que partager la mienne avec un public, car ce je reçois en retour me nourrit sur le plan émotionnel. Mon public et mes fans me manquent vraiment. Mais je pense que le moment des retrouvailles ne devrait pas tarder ! Nous n’avons plus à attendre longtemps avant que la situation revienne à la normale. Tout ira bien. Si vous ne pouvez pas changer une situation, alors soyez juste patients, changez juste votre attitude vis-à-vis de cette situation, et les choses iront vraiment pour le mieux ! Car nous ne pouvons vraiment rien faire face à ce moment. Les fans, le public, le live me manquent, parce que je suis une artiste de scène. Je ne suis pas une artiste de studio, comme vous l’avez probablement vu avec Still Breathing, qui est complètement différente en live comparé à la version studio.

En parlant de scène, pourriez-vous davantage nous en dire sur la scénographie que vous présenterez à Rotterdam ?

(Rires) Tout le monde aimerait le savoir ! Je ne peux rien dire, parce que ce sera complètent différent de ce que vous avez pu voir dans le clip vidéo. Que puis-je vous dire d’autre si ce n’est que mon costume de scène sera vert. Il n’y a rien d’autre que je puisse dire, je suis désolée (rires).

Quels sont vos projets après l’Eurovision ?

Après l’Eurovision, je sortirai un EP. Je prévois ensuite un album, sur lequel je commence à travailler. Vous savez, mon équipe et moi ne pouvons pas planifier grand-chose. Nous verrons ce qu’il se passera. Ainsi est mon état d’esprit. L’humain pense, mais Dieu fait ! (Rires) Nous ne pouvons pas penser ou programmer grand-chose : seul Dieu sait comment les choses se passeront. Il fait ce qu’il doit faire de nous, donc il a déjà ses plans pour moi. (Rires)

Avez-vous des favoris dans cette édition du concours ?

Je n’ai pas écouté toutes les chansons, car j’attends de les découvrir en live. C’est pour moi la manière adéquate pour ressentir les attitudes et les émotions. Je suis vraiment heureuse pour The Roop, parce que ce sont mes voisins lituaniens, ma seconde maison et j’étais vraiment sûre qu’ils pouvaient gagner l’année dernière. Je suis heureuse de les retrouver dans cette célébration et que nous puissions nous rencontrer sur scène en 2021. Ils sont à nouveau passés par la sélection nationale et ils l’ont à nouveau remportée. Je suis heureuse pour eux et j’aime vraiment leur chanson.

Pour conclure, qu’aimeriez-vous dire à nos lectrices et lecteurs ?

Mes chers amis, mes chers fans, je m’impatiente de tous vous rencontrer, de vous voir et je suis vraiment heureuse. Je vous suis reconnaissante de vos messages et j’en suis bénie. Vous savez que je corresponds avec tous, que j’essaie de répondre à tous, parce que nous sommes une équipe. Croisons les doigts, nous nous verrons bientôt. Restez en bonne santé et prenez soin de vous !

Un grand merci à Samanta Tina de nous avoir accordé cette interview. Nous la retrouverons en quinzième position de la deuxième demi-finale le 20 mai prochain à Rotterdam. Mais avant ça, rendez-vous dès demain pour suivre sa première répétition direct sur notre site, ainsi que sur le fil Twitter de L’Eurovision au Quotidien !

Crédits photographiques : UER