Non sarò mai uno di quei rich kid
Mi vedi e lo capisci
Stare con me ti sembrerà
Come planare sui go-kart
Lo ammetto che non ho fatto di tutto
Per dirti in faccia che oramai
Dire addio non vuol dire che è la fine

Vous aussi vous vous souvenez de ma nuit parisienne enflammée avec Mahmood un soir de novembre 2019 ? Tant mieux : vous comprenez ainsi la grandeur des attentes qui m’ont saisi dès lors que j’ai vu le bel italien sur la scène du Café de la Danse, quelques mois après qu’il ait frôlé la victoire au concours pour quasi le même écart au point près que celui qui a valu à Måneskin de repartir avec le trophée deux ans plus tard (26 versus 25).

Pour celles et ceux qui m’auraient fait l’affront d’oublier le récit de cette nuit de folie qui n’avait rien d’un début de soirée (quoique cette dernière prit seulement fin à 22h15, s’agissant du moins du concert), j’avais été à l’époque subjugué par l’éclectisme de l’univers pop-R&B teinté de multiples influences que proposait le jeune artiste. Il venait alors défendre son premier album, Gioventù bruciata (Jeunesse brûlée en français), dont le titre s’inspire de la traduction italienne de La Fureur de vivre de Nicholas Ray avec le mythe James Dean. Un intitulé qui seyait à merveille à l’atmosphère dans laquelle nous plongeait Mahmood, à la fois empreinte d’une énergie sauvage propre à l’urgence de vivre et d’une touche de mélancolie, qu’il était parvenu à nous faire partager avec lui le temps d’un concert enflammé, conclu par le titre Barrio.

Deux ans. Il a donc fallu attendre deux années, longues et laborieuses, après la sortie du premier album pour que Mahmood daigne enfin nous donner quelques signes. C’est ainsi le 30 janvier dernier que survint l’annonce de la sortie du deuxième opus de la nouvelle star de la scène musicale italienne, à travers la révélation, quelques jours plus tard, du titre Inuyasha (« chien démoniaque »), tel une référence à un hanyô, mi-démon mi-humain, héros d’une série de mangas japonais éponymes.

Non sarò mai uno di quei rich kid
Mi vedi e lo capisci
Stare con me ti sembrerà
Come planare sui go-kart
Lo ammetto che non ho fatto di tutto
Per dirti in faccia che oramai
Dire addio non vuol dire che è la fine

C’est toutefois l’année dernière que Mahmood nous avait livré quelques prémices de ce nouvel album , parmi lesquels Rapide et Dorado, que Nico et Sakis nous avaient alors présenté dans les colonnes de l’Eurovision au Quotidien.

Dès lors, c’est avec fébrilité et impatience que je cochais jour après jour les cases de mon calendrier jusqu’à ce que la délivrance survienne enfin le 11 juin dernier. Elle porte le nom Ghettolimpo, contraction de ghetto et Olympe, comme pour rappeler le parcours de Mahmood, celui d’un artiste ayant grandi dans un quartier populaire de Milan qui est parvenu à réaliser son rêve : vivre de la musique, grâce à laquelle il a réussi à se faire un nom et atteindre le Mont Olympe en quelques années seulement, alors même que sa trajectoire de vie ne l’y prédisposait pas.

Sueño un Ferrari dorado
Perso qui nel mezzo del Cairo
Nel deserto ballerò il fado
Apriétalo, préndelo
Se 'sto mondo fosse un mercato
Io sarei l'anello più caro
Dormo in un furgone blindato
Un sogno qui, brillava già

Une nouvelle fois marqués du sceau de l’histoire personnelle de l’artiste, les textes n’ont de cesse de faire écho à la dualité qui émane de chacun.e d’entre nous. Pour image, la couverture de l’album représente ainsi son interprète torse nu regardant dans une sombre rivière le reflet d’une créature mi-homme mi-scorpion figurant les traits de son visage. La naissance du mythe Mahmood (pour My Mood) en écho au mythe de Narcisse ? De mythe, il est en tout cas question à travers la relecture de celui d’Icare. Point commun entre les deux figures de la mythologie grecques : tous deux se sont brûlés les ailes. Le premier symboliquement, à cause de cette beauté qui attirait les nymphes et les jeunes filles, dont il tomba amoureux au point d’en mourir et de se muer en cette fleur nommée Narcisse. Le second réellement ; c’est ainsi qu’en tentant de s’échapper du labyrinthe créé par son père Dédale avec les ailes construites par ce dernier, il se brûla les ailes, irrésistiblement attiré par le soleil dont son père lui avait conseillé de se détourné, jusqu’à ce que mort s’en suive. Une manière pour l’artiste de conjurer des peurs et des angoisses liées à une image qui suscite désir et admiration et aux affres de la gloire et de la célébrité avec lesquelles bien des personnalités se sont brûlées les ailes ?

À cela, Mahmood répond par une symbolique et une forme de mysticisme omniprésents dans le lexique des quinze titres de l’album. Ainsi, dans la mythologie égyptienne, le Kobra était vénéré sous plusieurs formes de divinités : déesse protectrice qui symbolisait la vie divine et l’Ordre, puissance féminine servant de protection aux dieux (Dei) et aux rois contre les puissances ténébreuses, figure dangereuse vénérée pour s’assurer ses bonnes grâces ou vaincre ses ennemis. Mais c’est dès les premières secondes de l’album que surgissent les divinités grecques, toutes invoquées par l’artiste, puisse t-il s’agit de Zeus, Poséidon, Hermès, Apollon, Athéna ou Héra. Si avec tout ça, notre ami n’a pas le Karma avec lui…

Ooo imparerò imparerò
Che l'abito non fa il monaco
Oooo ridi però menti però
Mordi da kobra e ti credono

Liberté, j’écris ton nom. Libertà, scrivo il tuo nome. Ces mots signés Paul Eluard siéent à merveille aux intentions de l’artiste italien qui n’a de cesse de réaffirmer sa liberté, avec un L majuscule. Artistique, tout d’abord, puisque l’artiste continue de casser les codes, de les décomposer, de les revisiter, et nous propose ici une diversité de sonorités qui lui permet d’éviter le dangereux écueil d’une trop grande homogénéité stylistique, sans pour autant se détourner d’un cap musical assumé et accessible. Personnelle, ensuite, puisque Mahmood n’a jamais cherché à être un autre que lui-même, au mépris des qu’en dira t-on, dont certains tenants s’étaient montrés particulièrement bruyants et virulents peu après sa victoire surprise à Sanremo en 2019. Qu’importe : l’artiste est ce qu’il est. Italien d’origine égyptienne. Fils des quartiers populaires de Milan. Ouvertement gay. Mahmood casse les « codes » dans un pays à bien des égards rétif et frileux à ce qu’il incarne.


Quelle belle le posso contar sulle dita
Baby, wahid I Thnan Thalaathah Wahid I Thnan Talata
Baby, wahid I Thnan Thalaathah Wahid I Thnan Talata
Talata

Dualité. Complémentarité. Plus que jamais, et à l’instar de son premier album, Mahmood nous offre également un voyage musical à travers les cultures. Il est question d’Orient, d’Egypte, la terre d’origine paternelle, évidemment, de Méditerranée, plus largement, mais aussi d’Asie, pour laquelle le jeune artiste éprouve une fascination qu’il réaffirme. Ghettolimpo est une nouvelle rencontre entre les cultures, les civilisations, les ères et les histoires, Néfertiti côtoyant les Ferrari au retour d’un trajet entre Le Caire et le Louvre, Icare croisant Majin Boo à la sortie de Mulholland Drive, une Winston au bec, le tout ponctué de références aux années 90 et 2000 dans lesquelles Mahmood a été enfant et adolescent.

Everything's so clear, ooh
And, baby, I believe in karma
You can keep your grief, ooh
And my Kawasaki sweater
Even if you get me high, I can't let you damage my heart, ooh
Don't tell me that you are sorry 'cause I'm to blame too

Et l’amour dans tout ça ? Comme dans Gioventù bruciata, il est omniprésent, tant dans ce Karma où il explique à un homme ne pas pourvoir le laisser endommager son coeur, que dans ce Klan que Mahmood forme à deux avec son amant à qui il dit que « L’amour, comme le crime, ne paie pas ».

À titre personnel, je ne sais pas si l’amour ne paie pas (la non-rentabilité du crime est en tout cas une certitude), mais vous l’aurez probablement compris : dire que mes attentes vis-à-vis de ce Ghettolimpo ont été comblées est un doux euphémisme. Si Gioventù bruciata était une claque, le second opus s’inscrit pleinement et naturellement dans sa lignée tout en parvenant à placer la barre encore plus haut, ce qui est un exploit relatif vu l’aboutissement remarquable du premier album. Deux ans après, c’est avec passion et intensité que se poursuit donc ma lune de miel avec cet artiste de génie qu’est Mahmood, dont l’énergie, les sonorités, le verbe, la pluralité culturelle me séduisent plus que jamais. Tout en s’adressant à un public large, son univers musical a une âme, une essence, le fameux « je ne sais quoi » qui le démarque de tout autre. À ce titre, Ghettolimpo est une réussite qui montre l’étendue du champ des possibles artistiques auxquels peut s’attaquer l’artiste qui, je l’espère, confirmera le succès qui est le sien depuis quelques années. Quelque chose me dit d’ailleurs que si une nouvelle nuit parisienne avec lui, au Café de la danse ou ailleurs, se profile à l’horizon…

Écoutez sans plus attendre Ghettolimpo sur les plateformes de streaming, comme Spotify (où vous pouvez retrouver le compte officiel de l’EAQ) ou encore Deezer et Apple Music.

Et vous, que pensez-vous du nouvel opus de Mahmood ?