history_bookQuel est le point commun entre les éditions 1970, 1989, 2001, 2003 et 2004 du Concours ? Et pourquoi ces cinq années ont-elles été exceptionnelles en matière d’Eurovision ? Par « exceptionnelles », j’entends « ayant constitué une exception ». Avez-vous trouvé la réponse ? Non ? Alors, il est plus que temps de rouvrir notre livre d’histoire sur l’étagère et d’en parcourir un nouveau chapitre. Notre histoire débute en 1970. Vous le savez : cette année-là, cinq pays, mécontents du règlement, se retirent pour bouder dans leur coin. Imprévisibilité légendaire de l’Eurovision oblige, cette bouderie aura les plus bénéfiques conséquences et conduira à l’invention des cartes postales introduisant les artistes avant leur prestation.

Bojan JovovicLes participants réduits à douze, se produit alors la première de notre série exceptionnelle : pour la toute première fois, aucun ancien participant ne revient concourir. Ce fait remarquable se reproduira en 1989, 2001, 2003 et 2004. Chaque autre année, se sont croisés des nouveaux venus et des visages connus. Car pour certains artistes, l’Eurovision est le Graal absolu. Les revenants le répètent à l’envie : leur expérience antérieure leur a toujours laissé les plus incroyables des souvenirs et c’est pour cela qu’ils y reviennent. Douce euphorie d’être traité comme la plus phénoménale rock star de l’univers…

2016 n’a pas fait exception : sept artistes sont redescendus dans l’arène du Concours. Et seuls deux sont parvenus à améliorer leur résultat. Les cinq autres ont flanché, voire ont subi un camouflet. C’est que certains avaient perdu de vue cette maxime essentielle : « ne reviens qu’avec une meilleure chanson ». Durant la Saison, je me suis peu exprimé à leur sujet, je corrige cela dans ce nouvel épisode estival. Voici mes confrontations personnelles, subjectives et de parti pris ; voici aujourd’hui, le grand match des anciens participants !

7. Bojan Jovović : 2005 vs 2016

Il est le plus discret de nos anciens participants de retour. Tellement discret que nous vous affichons sa photo ci-contre, afin que vous l’identifiez au mieux. Bojan naît à Podgorica en 1985. En 2003, avec cinq de ses amis, il forme le groupe No Name. Deux ans plus tard, ils remportent la sélection serbo-monténégrine pour l’Eurovision, devant Jelena Tomaševic et une certaine Marija Šerifovic. Le groupe fait impression à Kiev et termine à la septième place. Plissez les yeux : Bojan demeure en arrière-plan, chemise noire, veste de daim clair.

Vous connaissez la suite : No Name tente à nouveau sa chance en 2006, avec Moja Ljubavi. Leur seconde victoire consécutive cause le déplaisir du public dans la salle. La tension monte, les bouteilles fusent, No Name se réfugie en coulisses et au final, la télévision serbo-monténégrine se retire du Concours. Coup fatal pour le groupe qui se sépare. Bojan se lance en solo, puis fonde un autre groupe, Neon. En décembre 2015, il est invité par ses membres à rejoindre le groupe Highway, sélectionné pour représenter le Monténégro à Stockholm. Plissez à nouveau les yeux : Bojan est derrière la table de mixage. Highway termine treizième en demi-finale.

Verdict : alors, potage recuit ou bruit industriel ? C’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes, non ? Je donne l’avantage à Zauvijek Moja, cliché ambulant de la précédente décennie, époque bénie où la fusion des mélodies ethniques traditionnelles et pop contemporaines était la clé du succès. L’Eurovision a changé, s’est rapproché de l’actualité musicale, je m’en réjouis. Mais je conserve une certaine nostalgie de cette époque et du couronnement successif de Sertab, Ruslana et Helena.

6. Deen : 2004 vs 2016

Est-ce bien la même personne ? Le doute est permis… Plus troublant encore : lui et moi avons le même âge. Le temps serait-il plus implacable à Milan ? Ces doutes n’enlèvent rien à la voix et à la carrière de Deen. Il débute au sein du boyband Seven Up, avant de se lancer en solo, en 2002. En 2004, il représente son pays à Istanbul avec In The Disco, écrit et composé par Vesna Pisarović. Trois minutes de pur camp qui vaudront à Deen une neuvième place en finale.

En 2008, Deen abandonne la chanson et embrasse une carrière de créateur de mode. Il revient cette année à ses premières amours en acceptant de représenter la Bosnie-Herzégovine à Stockholm. L’esprit camp qui l’habite n’a pas disparu : des couvertures de survie, des barbelés, Deen tout de cuir vêtu, Dalal et Ana déguisées en chevalières du Zodiaque, Jala débarquant comme un chien dans un jeu de quilles, une chanson qui part dans tous les sens… Deen en rajoute une couche supplémentaire en grimaçant, en se contorsionnant et en donnant toutes les marques du pathos le plus superflu. Résultat : toute première élimination en demi-finale pour la Bosnie. Du grand art et la promesse de figurer dans tous les bêtisiers de l’Eurovision jusqu’à la fin des temps…

Verdict : je me souviens être resté bouche bée devant In The Disco. Je l’avoue : la chanson me plaisait à l’époque. L’interprétation qu’en a faite Deen m’avait refroidi, je l’avais trouvée d’un ridicule fini… Douze ans plus tard, la même pensée m’a habité durant trois minutes. Souvenez-vous : mes meilleurs amis en avaient eu un fou-rire et avaient jugé cela tellement mauvais qu’ils en avaient crié au génie. Moi pas ! Alors à tout prendre, je reste avec In The Disco, la version studio, un bon souvenir et une capsule temporelle plutôt rigolote.

5. Kaliopi : 2012 vs 2016

Kaliopi embrasse la chanson à l’âge de dix ans. Après de brillantes études à l’Académie de Musique, elle se lance en groupe avec Romeo Grill. Le succès est immédiat. La guerre de Yougoslavie met un terme à cette aventure. En 1996, Kaliopi revient sur scène en solo et remporte le Skopje Fest avec Samo Ti. Sa première participation à l’Eurovision tourne court : la Macédoine est éliminée lors de présélection audio. Elle retente sa chance en 1998, mais termine neuvième. Kaliopi enchaîne les succès critiques et commerciaux, se casse à nouveau les dents sur le Skopje Fest en 2006. Les albums se suivent et établissent Kaliopi en tant qu’artiste majeure dans les ex-républiques yougoslaves. Son heure de gloire eurovisionesque arrive enfin en 2012 : elle est désignée par la télévision macédonienne pour la représenter à Bakou, avec Crno i Belo. Kaliopi y renoue avec Romeo Grill et la Macédoine récolte d’une treizième place en finale, l’un de ses meilleurs classements.

Kaliopi continue d’enregistrer et en parallèle, s’adonne aux joies de la télévision et de la charité. De son côté, la Macédoine s’enfile trois années d’échec et d’élimination au Concours. Kaliopi est rappelée cette année pour sauver les meubles. Avec Dona, elle joue la carte de la sécurité et déploie en conclusion musicale, son fameux cri de samouraï. En vain : elle termine onzième de sa demi-finale, après être apparue sur la scène du Globen dans un curieux costume de scène, fruit des amours défendues d’un manteau, d’un tailleur-pantalon et d’une culotte-pantalon.

Verdict : La version studio de Crno i Belo m’avait laissé froid comme une tanche. Mais en direct, Kaliopi me bluffa. Elle y insuffla une telle vie, un tel souffle, une telle passion, que je réévaluais sur le champ mon opinion. Je fus heureux de son résultat en finale. J’attendais la même chose de Dona. Sauf que non… La magie et la surprise s’étaient éteintes. Surtout, mon attention ne se porta que sur ce damné costume. Quelle idée ! Mon cœur reste donc attaché à la Kaliopi de 2012. Rien n’est perdu me direz-vous : qu’ils la rappellent jusqu’à ce que victoire s’en suive !

4. Greta Salóme : 2012 vs 2016

La reine du violon à l’Eurovision ! Le violon est l’alpha et l’oméga de Greta Salóme. Elle en joue depuis l’âge de quatre ans, elle l’a étudié au point d’obtenir un master en musicologie et elle en a fait son gagne-pain, jouant pour l’Orchestre Symphonique de Reykjavík. Auteur-compositeur-interprète, Greta se lance en 2012 dans la bataille de l’Eurovision. Deux de ses morceaux sont retenus pour le Songvakeppni : Aldrei Sleppir Mér, en trio avec Gudrún Árný et Heida Ólafsdóttir et Mundu Eftir Mér, en duo avec Jónsi. Exploit : Greta se qualifie à deux reprises. Dilemme : elle lâche Gudrun et Heida et s’envole vers la victoire et vers Bakou, aux côtés de Jonsi. Adapté en anglais, Never Forget semble promis aux sommets, mais termine vingtième.

Greta sort son premier album, continue de violoner à qui mieux mieux, s’embarque dans une croisière Disney, sort un single en islandais et finit par revenir au Songvakepnni. Elle s’impose en superfinale face à Alda Dís, sans avoir pourtant remporté ni sa demi-finale, ni la finale. Raddirnar s’est transformé en Hear Them Calling et Greta, en femme corbeau. Cela ne lui suffira pas pour s’envoler sur la scène du Globen. Au désespoir des fans, Greta est éliminée en demi-finale. Ni le jury, ni le public ne l’ont suivie.

Verdict : Il y avait dans Never Forget une mystique, une dramaturgie, des lacs noirs qui m’ont marqué. J’ai adoré cette chanson et surtout, Jónsi… jusqu’à ce qu’il se mette à chanter. Hélas, il n’était ni à la hauteur des attentes placées en lui, ni à la hauteur des prestations de Greta Salóme. Leur vingtième place demeure une rudesse du Concours, malgré tout. Quant à Hear Them Calling, vous le savez : je n’ai jamais été acheteur de la version finale. Il y manquait des paroles plus élaborées et sophistiquées. La non qualification de Greta ne m’a ni ému, ni surpris. Je reste donc avec 2012 et Never Forget. 2016 ne marque toujours aucun point.

3. Donny Montell : 2012 vs 2016

Donny et l’Eurovision, c’est une longue histoire d’amour. Elle débute en 2009. Donny participe pour la première fois à la sélection lituanienne pour l’Eurovision. Il y termine à la fois septième en demi-finale et deuxième en finale. Il revient en 2010, remporte sa demi-finale, mais est disqualifié, sa chanson ayant déjà été publiée. Nouvelle tentative en 2011 : il termine à la fois cinquième et dixième en finale. 2012 permettra enfin à Donny d’atteindre son Graal : il s’envole pour Bakou, rejoindre Kaliopi et Greta Salóme. Il y termine quatorzième, juste derrière la diva macédonienne.

Donny s’éclipse quelques temps, revient avec un nouvel album en 2015, puis repart à l’assaut de la sélection lituanienne cette année. Trois mois et vingt mille émissions plus tard, il dame le pion à Aiste, Ruta et Erica et décroche son billet pour Stockholm. Relooké, bondissant, élastique, Donny prend l’Europe par surprise, double ses collègues estoniens et lettons et atteint la neuvième place en finale. Non seulement, il améliore son résultat de 2012, mais il permet à la Lituanie d’obtenir son deuxième meilleur classement à l’Eurovision.

Verdict : voilà deux chansons difficiles à départager. I’ve Been Waiting For This Tonight me semble plus générique, plus passe-partout. Love Is Blind me semble plus incongrue, plus biscornue. J’accorderai malgré tout la palme à cette dernière. Elle comporte un effet de surprise intéressant. Et puis la prestation de Donny à Bakou m’apparaît plus culte : le bandeau, le salto arrière, l’arrière-plan de silhouettes s’est gravé dans ma mémoire. En dirais-je autant du trampoline ?

2. Ira Losco : 2002 vs 2016

Que dire sur Ira que vous ne saviez déjà ? Revoyez ses débuts, en 1998, avec le groupe Tiara. Elle a dix-sept ans à peine. Deux ans plus tard, Ira s’attaque à la sélection maltaise pour l’Eurovision. Elle y termine sixième et septième. Elle revient en force en 2001, avec pas moins de quatre chansons, et termine deuxième, quatrième, neuvième et onzième. Son acharnement paye : elle remporte enfin la victoire en 2002, avec 7th Wonder, tout en décrochant aussi la troisième place. À Tallinn, Ira ferraille avec la lettonne Marie N et s’incline au terme du vote. Elle termine deuxième, le meilleur résultat jamais obtenu par Malte à l’Eurovision.

Ira devient alors la reine de la chanson maltaise, obtenant succès sur succès et enchaînant les albums. 2003, 2005, 2006, 2007, 2009, 2012, Ira règne sans partage. La Terre entière soupirait après son retour, elle revient à la compétition cette année. Au MESC, elle interprète That’s Why I Love You et Chameleon. Elle l’emporte sans coup férir, mais se décide pour une chanson qu’elle estime meilleure, Walk On Water, une suédoiserie non approuvée par Christer Björkman. La télévision maltaise investira une telle somme d’argent dans la présentation visuelle, que l’opinion publique de l’île s’en émouvra. Portée par le jury, Ira finit douzième en finale.

Verdict : Décidément, 2016… À moins que ce ne soit les souvenirs émerveillés de mon jeune temps… J’accorderais la victoire à 7th Wonder, bien que Walk On Water soit plus mature, plus construit. Mais c’est justement cette naïveté, cette légèreté qui fait pencher ma balance en faveur du premier. J’aurais tellement voulu qu’Ira l’emporte alors…

1. Poli Genova : 2011 vs 2016

C’est elle ! C’est évidemment Poli qui trône au sommet de mon classement. Et à raison ! Poli débute sa carrière musicale dans le groupe Bon-Bon. Une fois ses études musicales terminées, elle se présente à la sélection nationale pour l’Eurovision. Nous sommes en 2009, elle termine deuxième. Deux ans plus tard, Poli a coupé ses cheveux et opté pour un son rock. Elle remporte la sélection bulgare et concourt à Düsseldorf avec Na Inat. La qualification lui échappe, la Bulgarie continue sa traversée du désert eurovisionesque.

Poli poursuit son chemin, publie d’autres chansons en 2011, 2012, 2013 et 2014, sort son premier album et se diversifie à la télévision. En 2015, elle présente la treizième édition du Concours Junior et chante Where Is My Dress ? en entracte, prélude à son retour aux affaires. En 2016, elle est désignée par la télévision bulgare pour la représenter à Stockholm, avec If Love Was A Crime. Le succès est au rendez-vous : Poli décroche la quatrième place en finale et le plus grand succès commercial de sa carrière. Quant à la Bulgarie, il s’agit tout simplement du meilleur résultat de son histoire à l’Eurovision.

Verdict : Vous faut-il un dessin ? Pour la première et la seule fois de ce classement, 2016 l’emporte. Haut la main ! If Love Was A Crime, c’est l’Eurovision sous son aspect lumineux : une excellente chanson, fraîche, contemporaine, efficace, mémorable, portée par une interprète charismatique et talentueuse. C’est aussi la preuve que l’on peut être un petit pays malchanceux et avoir à peu près tout manqué en une décennie, il suffit d’une bonne chanson pour toucher les étoiles. Rien n’est donc perdu, les derniers seront les premiers, c’est Jésus qui l’a dit et je suis convaincu qu’il pensait à la Suisse.

À l’exception de Donny et de Poli, 2016 n’aura pas été favorable à nos anciens participants. Nous reprenons notre morale du début : « ne reviens qu’avec une meilleure chanson ». Espérons que nos participants de cette année s’en souviendront ! À ce propos, qui d’entre eux reviendra ? En ce qui me concerne, j’aimerais revoir Iveta, Freddie et Francesca, trois artistes talentueux, susceptibles de nous offrir de meilleures chansons et présentations encore. Vous murmurez en vous-même : Dami, Sergey, Poli, Amir. Pourquoi pas… Mais il leur faudra produire un tube monstrueux, susceptible d’éclipser même Euphoria. J’en doute, mais tout est possible. Je connais hélas trop bien l’ironie de l’existence que pour deviner ce qui m’attend : aucun d’entre eux ne reviendra. En revanche, soyez assurés que le chanteur que j’ai le moins encadré sera de retour d’ici peu et qu’il me brisera les burnes jusqu’à remporter la victoire. Raaah ! Vade Retro Michal !

BONUS

Les exemples antérieurs ne manquent pas. Petit récapitulatif des vainqueurs du Concours qui ont eu la bonne idée de revenir.

Udo Jürgens



Vicky Leandros


Johnny Logan


Linda Martin


Helena Paparizou


Dima Bilan


Bon évidemment, il y a les autres…
Lys Assia



Jean-Claude Pascal


Isabelle Aubret


Gigliola Cinquetti


Anne-Marie David


Izhar Cohen


Niamh Kavanagh


Dana International


Charlotte Perrelli


Et puis, il y a ceux qui auront tout vécu…
Corry Brokken



Bobbysocks






Carola