Nouvel épisode pour la nouvelle rubrique de l’été, et direction aujourd’hui Copenhague, en 2014. La France connaissait alors une passe difficile au concours suite aux échecs d’Anggun et Amandine Bourgeois. Dans l’énergie du désespoir et sans réel cap, France 3 choisit alors de laisser public et jury décider de leur sort eurovisionesque, et c’est ainsi qu’un tout jeune groupe, encore peu connu du grand public, est choisi pour porter les couleurs tricolores sur la scène du B&W Hallerne : Twin Twin. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Et, surtout, une question qui brûle toutes nos lèvres : huit ans après, et après une médiatisation soudaine et express, que sont-ils devenus ?

Avant l’Eurovision

Lorent Idir et François Djemel sont deux frères jumeaux originaires de Montreuil, dans la petite couronne parisienne. C’est dans le cinéma qu’ils commencent leur carrière, tout d’abord en tant qu’assistants caméras. Ils réalisent par la suite un film pour Why Not Productions. Le duo est particulièrement touche-à-tout puisque, rapidement, il se tourne vers la musique, séparément pour l’instant – le rock et le hard rock en tant que bassiste pour François, le slam pour Lorent (qui écrit par ailleurs un premier et unique roman, Un nageur en plein ciel).

Alors que Lorent et Idir jouent dans leur groupe Chimère, ils rencontrent Patrick Biyik, beatboxer et batteur. Il est alors en train de lancer un projet solo aux côtés du Chellywood Gorechestra. Mais c’est le match musical entre les trois et c’est ainsi qu’en 2010 naît le groupe Twin Twin (et que le trio devient par la même occasion coloc’).

Twin Twin, c’est un groupe haut en couleurs entouré de personnalités hétéroclites issues des arts et de la mode (ils ont pour styliste Andrea Crews, qui travaille également avec Santigold, Metronomy, The Do et Yelle). Dès l’origine, le trio prend même part au collectif Black & White Skins aux côtés de Hindi Zahra, Hugh Coltman ou encore Lippie. Ils vont même collaborer avec le célèbre réalisateur Leos Carax (Mauvais sang, Les amants du Pont-Neuf, Holy Motors, Annette).

Après un premier single Vive la vie, ils remportent le prix Lauréat SFR Jeunes Talents et le concours Lance-toi en live, ce qui leur permet de monter sur la scène de grands festivals (Rock en Seine, Francofolies, Printemps de Bourges, Solidays) et d’assurer les premières parties d’artistes tel·les que Stromae, Shaka Ponk, Philippe Katerine, VV Brown ou BB Brunes. Teinté de pop électro et hip hop aux accents vintage et déjantés, leur premier EP, By My Side, est publié à la fin de l’année 2011. Après avoir produit des clips musicaux pour les Inrocks, le trio sort son premier album, Vive la vie, en avril 2013.

C’est alors que Twin Twin voit se présenter une opportunité unique pour tout artiste. Alors que la popularité de l’Eurovision en France décroît année après année et que notre pays est embourbé dans une sphère de mauvais résultats, France 3 décide de jouer son va-tout et d’organiser une finale nationale pour la première fois depuis sept ans. Programmée dans le cadre de l’émission Les Chansons d’abord, animée par Natasha Saint-Pier, elle inclut trois artistes : Destan, Joanna (ancienne demi-finaliste de Star Academy) et … Twin Twin, qui se lance dans la course à l’Eurovision sans trop y croire.

L’émission, diffusée le dimanche 26 janvier après-midi, permet aux finalistes de performer sous les yeux du public et du jury (composé de professionnel·les du milieu musical, de représentant·es de France Télévisions, d’un membre d’OGAE et une téléspectatrice sélectionnée lors d’un jeu-concours), qui délivreront conjointement le verdict. Au terme des prestations, le télévote est ouvert pour une période d’un mois et ce n’est que le 2 mars que Natasha Saint-Pier annonce le nom des gagnants : c’est ainsi Twin Twin qui représentera la France à l’Eurovision 2014, direction Copenhague avec le titre Moustache.

L’Eurovision

Très vite, il apparaît que ce ne sera pas en 2014 que – sauf énorme surprise – la France trouvera des successeurs à Marie Myriam. Des « Moustache, la chanson qui devrait encore faire perdre la France à l’Eurovision » titrés par une presse parfois impitoyable aux accusations de plagiat de Papaoutai de Stromae, les médias français ne donnent pas cher de la peau du groupe, qui s’est inspiré de l’histoire d’un ami pour écrire sa chanson gag et pop, critique de la société de consommation. Les bookmakers ne sont guère plus enthousiastes et offrent aux représentants français la triste perspective d’un nouveau bottom 5.

Le samedi 10 mai, Twin Twin performe au peu enviable quatorzième rang dans l’ordre de passage. S’il livre aux téléspectateur·rices européen·nes et au public du B&W Hallerne une prestation énergique, le groupe termine l’aventure avec deux petits points, offrant la dernière place à la France pour la première fois de son histoire. Ce au cours d’une finale suivie par 2,57 millions de français·es, soit l’une des plus mauvaises audiences de l’histoire de notre pays. Une aventure au goût amer tant pour les artistes (qui, bien que seulement payés 1000 euros, semblent avoir apprécié l’expérience) que pour France 3 qui, dès l’année suivante, passe la main de l’Eurovision à France 2.

Après l’Eurovision

Le groupe disparaît rapidement de la circulation médiatique. À défaut d’avoir su conquérir la France et l’Europe, Twin Twin décide de traverser l’Atlantique et prend le cap de New York pour écrire de nouvelles chansons en vue d’un deuxième album. Ils en profitent pour jouer dans des clubs de la ville. Ils y rencontrent Jillionaire, alors membre du célèbre groupe Major Lazer. Ils entament une collaboration et, ensemble, ils produisent plusieurs titres, du punk au hip hop en passant par le ska, le dub et le reggae. C’est avec l’un d’eux qu’ils tenteront de signer leur grand retour.

En 2017 est ainsi dévoilé SoundSystem, un titre à l’ambiance résolument plus punk et rock que les années Moustache. Accompagné de l’ultrazine Vomi Noir et de dix mini-épisodes relatant leur périple new-yorkais, le titre est censé préfigurer la sortie du deuxième album de Twin Twin.

Malheureusement, le trio montreuillois ne ramènera dans ses bagages aucun album de son American Dream

Un an plus tard, voilà François, Lorent et Patrick de retour en France, où ils dévoilent Routine, en duo avec Grems. Davantage orienté vers le rap, le titre ne rencontre pas le succès.

Nouvelle chanson, et nouvelle incursion rap. Twin Twin publie le titre Maintenant je sais qui annonce ENFIN la sortie de ce second album que plus personne n’attendait. Enfin, album … Ou plutôt mixtape. Mixtape ? À la base une cassette mixée ou compilée, aujourd’hui un format libre qui permet aux rappeur·ses (le plus souvent) de proposer des titres au mixage et au mastering moins travaillés que sur un « véritable » album, le tout pour maintenir une actualité entre deux albums, et ce sans le souci d’un fil rouge artistique.

Avec ses quinze titres, Paradiso paraît en 2019 chez le label indépendant SPNG Records, et inclut des collaborations avec Swift Guad, De-Lo ou encore Hindi Zahra.

Visiblement peu réceptif à l’univers du groupe, le public ne sera cependant pas au rendez-vous, les clips vidéo du groupe dépassant au mieux de justesse la barre des dix mille vues et le titre phare n’émergeant qu’à moins de vingt mille écoutes sur Spotify …

Printemps 2020. La France, l’Europe, et une large partie du monde sont confinés. Et la dernière preuve de vie de Twin Twin en tant que groupe sur leur page Instagram (où ses membres figurent sous le costume de marionnettes mises en scène pendant le confinement).

Au printemps 2021, pendant la semaine de l’Eurovision, le groupe publie des tweets pour féliciter Barbara Pravi et revenir brièvement (et ironiquement) sur leur échec de 2014.

Leur dernier message sur les réseaux sociaux ? Un « Yo » publié fin novembre 2021 sur leur page Facebook, aussi énigmatique que leur « We See Yoo » du 25 mai de la même année, pile six mois avant …

Huit ans après l’Eurovision, l’aventure Twin Twin semble bel et bien en sommeil … mais. Le groupe travaillerait-il à son retour ?

Et alors, que sont-ils devenus ?

Vous pensez bien que nous ne comptions pas vous laisser sur votre faim. Grâce à une enquête la plus approfondie possible sur les réseaux sociaux, voici quelques pistes sur le devenir des membres du trio.

Lorent Idir continue d’évoluer dans la sphère artistique et semblerait être toujours lié au label indépendant SPNG Records, qui accompagne notamment l’actrice et rappeuse Jasmine Armando (vue dans la saison 2 de Gangs of London), Flora Banks et Sama. Il s’est également lancé dans une carrière solo sous le pseudo et le personnage Mvl9kv, qui propose un univers assez … atypique et torturé, que vous pouvez retrouver dans son premier EP anonyme sorti en 2022 sur SoundCloud.

Son frère jumeau, François Djemel, est de son côté un artiste « nomade », qui se consacre désormais à la peinture (sous le nom de François Ardouvin) et aux arts graphiques. Il collabore notamment avec la marque Sézane et a réalisé une bande dessinée pour la boutique parisienne Dingue de Lunettes.

Le troisième laron du groupe, Patrick Biyik, poursuit quant à lui son aventure musicale en solo via le projet The Accident (Apte A Contre Carrer Idées Débiles Et Nazes Tonton) qu’il a fondé en 2011 suite à un accident de vélo. Après un premier EP (Au revoir miroir), il en a tiré une mixtape 5102 composée de neuf titres parmi lesquels Sans Valentine. En outre, il est également producteur (du titre Agression pour La jeune fille à la moustache) et compte plusieurs collaborations musicales à son actif. On l’a récemment vu sur la scène de la Loge à Paris aux côtés de Loane.

L’Eurovision. Parfois accélératrice de carrières, ou relanceuse. Et parfois rien. Contrairement à certain·es de leurs prédécesseur·ses qui, malgré un échec au concours, ont réussi à se faire un nom auprès du grand public grâce à lui (Fatal Picards, Sébastien Tellier), Twin Twin n’a connu qu’une médiatisation éphémère et chaotique, pour retomber aux oubliettes une fois l’échéance passée (à l’instar d’Ortal ou Virginie Pouchain). Qu’importe toutefois : cela n’a pas empêché le groupe de poursuivre son aventure musicale, et ses membres d’entretenir leurs passions artistiques en solo. N’est-ce pas là l’essentiel ?

© Page Facebook de Twin Twin