Nouvel épisode de Que sont-ils devenus ?, et direction aujourd’hui Moscou, en 2009. Pays (probablement) le plus eurofan d’Europe et alors fort de quatre victoires à l’Eurovision, la Suède traverse alors une passe difficile au concours, puisqu’elle vient de cumuler deux résultats plutôt médiocres eu égard à ses standards. Décidé à revenir dans le top 10 du concours, le pays décide alors de changer de voie musicale. C’est ainsi qu’après deux infructueux essais de glam rock et de disco pop, le public du Melodifestivalen choisit de se tourner vers un style rarement expérimenté à l’Eurovision : l’opéra pop. Pour relever ce défi de la plus haute importance, les téléspectateur·rices font reposer leurs attentes sur les épaules de Malena Ernman au terme d’une sélection riche en suspense … pour des espoirs au final déçus le Jour J. Plus de dix ans après sa mésaventure eurovionesque, qu’est devenue la représentante suédoise au concours 2009 ?

Avant l’Eurovision

Née à Upssala, célèbre ville universitaire, Malena Ernman a passé son enfance à Sandviken. Elle démarre tôt une formation musicale prestigieuse, puisqu’elle passe par l’École royale supérieure de musique de Stockholm, le Conservatoire de musique d’Orléans et l’école de l’Opéra Royal de Suède.

La mezzo soprano démarre dès la fin des années 1990 une carrière qui la portera sur les plus grandes scènes européennes et dans les costumes des plus beaux rôles. Elle fait ses premiers pas d’artiste lyrique sur les scènes suédoises où, à l’aune du nouveau millénaire, elle joue successivement dans Liten Karin à Vadstena, Le Barbier de Séville et Staden à l’Opéra Royal de Stockholm, ou encore Trädgarden au Théâtre du Palais de Drottningholm.

À partir des années 2000, c’est au tour de notre continent de faire la connaissance de Malena Ernman. Elle découvre les scènes du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles (Agrippine), du Staatsoper Berlin (Les Noces de Figaro, Don Giovanni), de l’Opéra Royal de Finlande, mais aussi de Francfort (La Cenerentola, 2009) ou encore d’Amsterdam (L’incoronazione di Poppea, 2007), tandis que Stockholm lui offre le prestigieux rôle titre de Carmen de Bizet.

Elle parcourt les plus prestigieux festivals d’opéra du continent, du Glyndebourne Festival (Albert Herring, 2002 ; Die Fledermaus, 2003) au Festival d’Aix-en-Provence, qu’elle visite à plusieurs reprises (Hercules, 2004 ; Julie, 2005; Les Noces de Figaro, 2007), en passant par le Festival de Vienne (Julie, 2005; Dido et Aeneas, 2006), et le Festival de Salzbourg, la ville de Mozart (La clemenza di Tito, 2007). La France ne reste pas insensible au talent de l’artiste – qui en maîtrise d’ailleurs couramment la langue – puisque cette dernière monte sur la scène de l’Opéra de Paris dans Hercule de Händel (mis en scène par Luc Bondy) et de l’Opéra Comique avec Dido et Aeneas.

On lui confie le plus souvent (et classiquement pour une mezzo soprano) des rôles masculins, qu’elle aborde avec une certaine exubérance. Elle accorde ainsi une place très particulière à la gestuelle et au physique, consacrant à la perfection l’alliance de la voix et du corps, la première étant selon elle issue du second dès lors qu’elle chante.

En parallèle, Malena Ernman offre de nombreux récitals à un public et une critique fort élogieux, Elle interprète notamment des pièces de Berio, Fabian Müller et surtout Mozart à Salzbourg et à Minneapolis aux Etats-Unis. Londres, Rome, Madrid, Paris, Tokyo ou encore Los Angeles la voient également chanter sur leurs scènes.

Plusieurs albums (parmi lesquels Naïve, 2000 ; Svenska romanser, Vol. 2, 2000 ; Cabaret Songs, 2001 ; Songs in Season, 2003 ; My Love, 2003) sont publiés, ainsi que de nombreuses captations en DVD. Celle qui a également joué Sally Bowles dans Cabaret sur la scène du Dramaten – fait plusieurs apparitions à la télévision suédoise.

Autant dire qu’au vu des standards du Melodifestivalen, son nom n’est pas le plus attendu – sur le papier – lors de la révélation du line up de l’édition 2009. C’est pourtant dans la très convoitée position de favorite de la production qu’on retrouve l’artiste en clôture de la série 4 le 28 février 2009. Avec une chanson opéra pop au refrain et au titre en français, qui plus est écrit par l’incontournable Fredrik Kempe (qui venait alors de signer Hero pour Charlotte Perrelli), Malena Ernman arrive très largement en tête des premiers tours de vote. C’est en battant tout aussi largement Sarah Dawn Finer (64,68%) dans son duel qu’elle décroche son ticket pour la grande finale.

En finale, Malena Ernman se trouve une nouvelle fois en position de clôture, la onzième, et parmi les favorites à la victoire. Mais le vote des jurys refrène d’emblée ses ambitions, puisqu’il ne la place qu’à une décevante huitième place sur onze concurrent·es, très loin derrière Mäns Zelmerlöw, Sarah Dawn Finer et Alcazar. Un échec a priori rédhibitoire et à même d’annihiler ses chances de victoire … sauf qu’aux eurodramas précédent parfois des Mello dramas d’ampleur.

Contre toute attente, le télévote inverse complètement la donne, n’offrant que les quatrième, cinquième et septième places au trio de tête du jury. Pendant ce temps, Malena Ernman prend la tête chez le public en ne devançant sa poursuivante Caroline af Ugglas que de 3 705 petites voix … Vous suivez ?

C’est ainsi grâce à une remontada désormais inscrite dans la légende de la sélection suédoise (et dont on n’a vu que peu de redites par la suite) que Malena Ernman remporte le Melodifestivalen 2009 avec 182 points, devant Caroline af Ugglas (171 points) et E.M.D (145 points et troisième du télévote)

Pendant l’Eurovision

Alors que le bastion suédois reste sur deux échecs et a failli caler en demi-finale l’année précédente, Malena Ernman porte l’espoir d’un peuple : celui de redorer le blason terni de la Suède. C’est ainsi en sixième position des bookmakers qu’elle débarque à Moscou, loin toutefois derrière le gigantesque favori et voisin norvégien.

Malena se titre sans encombres de sa demi-finale, dont elle atteint la quatrième position de l’encore 100% télévote. En finale, le tirage au sort lui affecte une peu envieuse quatrième place dans l’ordre de passage, entre la France portée par la star Patricia Kaas et la Croatie.

Tandis que la Norvège domine de la tête et des épaules la finale avec un record historique de points, l’issue sera fatale pour la Suède qui n’atteindra que la 21ème position avec 33 petits points, soit son pire classement depuis Christer Björkman en 1992. Tandis que le télévote lui offre la quinzième place, les jurys pourtant à même d’être séduits par la voix de la mezzo soprano consacreront la déroute, puisqu’ils ne placent la chanteuse qu’à la vingt-deuxième place de leurs votes.

Après l’Eurovision

Dans la foulée du concours, Malena Ernmann sort un nouvel album, La Voix du Nord, un double disque composé pour moitié de titres originaux co-écrits par Fredrik Kempe et pour l’autre d’airs d’opéra. À l’instar de bien des représentant·es suédois·es au concours, l’artiste décroche la première place des charts de son pays et rapidement un disque d’or, l’album terminant à la huitième place des meilleures ventes de l’année.

L’année suivante, l’artiste sort un album de chansons de Noël. Intitulé Santa Lucia – En klassisk jul, qui atteint la deuxième place des ventes la semaine de sa sortie, et figure lui aussi parmi les meilleures ventes de l’année. On la retrouve également au programme musical du mariage de la Princesse Victoria de Suède et de Daniel Westling.

Mais c’est avant tout vers ses premières amours, l’opéra, que se tourne tout d’abord Malena Ernman, puisqu’elle en retrouve vite les scènes suédoises et européennes après le concours. Après plusieurs reprises de succès passés, elle joue dans Idomeneo à Bruxelles en 2010, puis dans Serse, Rodelinda, La donna del lago et Béatrice au théâtre de Vienne entre 2011 et 2013. De quoi sortir un nouveau disque, Opera di Fiori, dans lequel elle reprend de nombreux classiques de son art.

Depuis 2013, Malena Ernman se consacre davantage à l’écriture et à la sortie de projets originaux. Cette année-là paraît ainsi son album I decembertid, un album de Noël qui atteint la quatrième place des ventes.

En 2014, elle livre sa dernière prestation d’opéra dans Xerxes d’Händel sur la scène de l’Artipelag, la même année où paraît son nouvel album, SDS. Il précède tout juste la sortie d’Advent en 2015.

Son dernier album en date, Sverige, sort en 2016, année où elle réalise une tournée avec Tommy Körberg (représentant suédois à l’Eurovision 1969 et 1988). Elle chante pour le Pape François aux côtés d’une chorale de quatre cents membres, ainsi que sur la scène du Stockholm Jazz Festival. À l’automne, elle joue également dans Marathon Dance au Sthlm Stadsteater.

En 2017, Malena interprète le titre Sankta Klara klocka, en duo avec Helen Sjöholm. Les deux artistes réalisent une tournée d’été et chantent notamment lors du concert d’ouverture de l’Assemblée nationale pour le climat et pour le Viskogen (ONG dédiée à la lutte contre le changement climatique et la pauvreté). On la retrouve également sur la scène du Göta Lejon dans Evita.

En 2018, notre eurostar monte sur la scène de l’Oscarsteatern pour une adaptation de la comédie musicale Så som i himmelen signée Fredrik Kempe, et reste fidèle aux tournées de Noël qu’elle assure régulièrement.

Elle figure une nouvelle fois au programme du Dalhalla, un théâtre de plein air situé dans une ancienne carrière de calcaire de Dalécarlie, où sont organisés de prestigieux concerts chaque été (Patti Smith, ZZ Top, Sting, Norah Jones, …), et où elle a déjà chanté par le passé (notamment aux côtés de Tonny Körberg et de Sarah Dawn Finer). Elle chante également à l’occasion d’un concert caritatif organisé en souvenir de l’attentat de Drottningatam, où elle partage la scène avec Lars Winnerbäck et Sanna Nielsen.

Trois ans plus tard, elle retrouve les planches au Göta Lejon pour un spectacle dédié à Edith Piaf et intitulé Forever Piaf, dans lequel elle partage la scène avec sa fille Beata Ernman.

Mais c’est pour une toute autre raison que Malena est revenue sur le devant de la scène médiatique internationale ces dernières années. Elle s’est progressivement mise en retrait de la scène artistique pour se consacrer à sa famille et à ses engagements militants.

En effet, elle n’est autre que la mère de la jeune activiste Greta Thunberg, qui fait la une des médias pour ses combats écologistes et l’a convaincue de suivre sa voie. Notre eurostar est aujourd’hui à son tour très engagée dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que pour les droits des femmes, des personnes LGBTQIA+, l’accueil des migrant·es et la lutte contre le racisme. En 2016, celle qui exprime un certain franc-parler sur les réseaux sociaux prend ainsi la décision de ne plus prendre l’avion, ce qui met un terme à sa carrière internationale et lui permet de se concentrer sur ses activités en Suède. Pour ses engagements, elle a été ainsi nommée héroïne environnementale de l’année 2017 par WWF Suède et artiste durable de l’année 2018.

© Aftonbladet

De l’histoire de leur famille et de leurs engagements écologistes, Malena, son époux et ses deux filles ont tiré deux livres, Scènes du coeur et Our House is On Fire. Elle a également été chroniqueuse dans Dagens Nyheter.

Cette année, tout en donnant régulièrement des récitals dans des églises et des châteaux, l’eurostar a réalisé une tournée avec l’Ecstatic Ensemble autour d’un Vocal History Tour. Nous pouvons la retrouver cet été dans une tournée musicale aux côtés de Marie Nilsson Lind, Tina Ahlin et Viktoria Tolstoy.


Son passage par l’Eurovision n’a peut-être pas été une foncière réussite sur le plan du résultat, mais cet échec n’a nullement empêché Malena Ernman de mener une carrière de choix et en phase avec ses choix. Celle qui a connu la lumière des projecteurs nationaux et internationaux grâce à son passage par l’Olimpiisky Indoor Arena a vu les opportunités artistiques se multiplier et se diversifier, dans la droite continuité d’un avant Eurovision extrêmement riche. Aujourd’hui, si la mezzo soprano est loin d’avoir délaissé ses activités musicales à succès, c’est toutefois au titre de ses engagements écologiques et de ceux de sa célèbre fille qu’elle figure le plus souvent sur le devant de la scène médiatique. En témoignent ainsi les nombreux portraits d’elle relayés dans la presse qui la dépeignent comme la « mère de ». Portraits qui font unanimement référence à une étape majeure de la carrière de l’artiste suédoise : son passage mémorable et iconique sur la scène de l’Eurovision 2009, qui a même réussi à inspirer certain·es candidat·es de télé-crochets en France. Si ce n’est peut-être pas son aventure eurovisionesque qui en fait aujourd’hui un nom connu de la scène internationale, elle lui a permis de passer un cap non négligeable dans sa notoriété auprès du grand public suédois, et de l’ériger au rang tant envié d’eurostar.

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