Nous voilà réuni.e.s en ce début d’année pour un nouvel entretien, le dernier de cette première série entamée au mois d’août dernier. Cinq mois durant lesquels vous avez pu découvrir les confidences de nombreuses eurostars qui ont fait rayonner les pays francophones au concours. Vingt artistes qui nous ont livré les coulisses de leur expérience, les secrets de leur participation, leurs sentiments à l’égard de celle-ci ou encore leur regard sur le concours actuel. Et celui que nous avons l’immense privilège d’accueillir dans nos colonnes aujourd’hui n’est autre qu’un immense artiste.

Les filles sont jolies
Dès que le printemps est là
Mais les serments s'oublient
Dès que le printemps s'en va

S’il a représenté le Luxembourg à l’Eurovision, le concours représente en réalité un pan de sa carrière assez peu évoqué, tellement la trajectoire de cet artiste est d’une incroyable richesse. Elle est un témoignage de l’histoire de la chanson française et de son évolution.

Classement : 4ème pour le Luxembourg (14 points) (L’édition 1964 du concours est la seule dont aucun enregistrement vidéo n’a été conservé avec l’édition 1956. Nous ne disposons que d’un enregistrement audio toutefois complet)

EAQ – Revenons aujourd’hui à un épisode de votre carrière dont on ne parle qu’assez rarement, voire jamais : l’Eurovision. 

Hugues Aufray – En cette année 1964, le grand concours de l’Eurovision fut organisé à Copenhague au Danemark.

Marithie et Gilbert Carpentier étaient chargés de choisir un artiste candidat pour représenter le Luxembourg. J’avais un physique et une voix que le célèbre couple Carpentier de la télévision appréciait. Présentant bien, cheveux court, bien rasé, les Carpentier choisissent Charles Aznavour qui sera chargé d’écrire une chanson pour moi… Pourquoi pas ? J’attendais la chanson avec impatience. Plus le temps passait, plus la date de l’Eurovision approchait, sans nouvelle d’Aznavour… Quelques semaines avant la date limite du concours, on apprend que Charles Aznavour n’a pas eu le temps d’écrire… Très déçu et angoissé par la situation … je n’étais pas convaincu d’être capable d’écrire une chanson aussi vite et tout seul. C’est alors que je me tourne vers Jacques Plante, auteur à succès et talentueux avec qui j’étais en contact… Je lui propose une petite musique, et pour les paroles, je lui suggère le thème du « souvenir d’un amour de jeunesse » et une ou deux premières phrases de texte. Dès que le Printemps revient est né ainsi dans son bureau en une journée…

On enregistre en urgence, dans des conditions déplorables, j’en garde un très mauvais souvenir… et on décide de présenter cette chanson à l’Eurovision ! Je dis tout de suite aux Carpentier que je ne me sens pas de chanter avec un orchestre symphonique. Je voulais venir simplement avec mes trois musiciens… « Ce n’est pas possible, tout le monde doit être accompagné par l’orchestre »… Je refuse… Toujours en avance sur mon temps, j’avais remarqué quelque chose qui n’allait pas à l’Eurovision : c’est que tous les candidats se ressemblaient et avaient le même « son »… Je voulais simplement être moi-même, c’est-à-dire différent et pour la première fois à l’Eurovision, ils ont accepté que trois musiciens m’accompagnent au banjo, à la guitare et à la basse, en plus du grand orchestre dirigé par Jacques Denjean. 

Quel souvenir gardez-vous de cette expérience sur place ?

Nous voilà partis pour Copenhague, évidemment un peu stressé… Je faisais quelque chose de nouveau, c’est-à-dire chanter à l’étranger devant des caméras et des millions de personnes et avec un orchestre. Au cours des répétitions, je me rends compte qu’une artiste se détache nettement du groupe. Je dis à mes musiciens : «  La petite, c’est elle qui va gagner ». Elle s’appelle Gigliola Cinquetti. Elle a dix-sept ans, un petit minois sympathique, une jeune fille charmante et elle chante une très jolie chanson, Non ho l’età : « Je n’ai pas l’âge, je n’ai pas l’âge de t’aimer »… C’est une chanson qui me touche. Je vais voir Gigliola Cinquetti, je parle un peu l’Italien, je la rassure : « Gigliola, tu vas gagner le concours »

Le concours a lieu… tandis qu’on donne les résultats, je suis assis à côté d’elle, simplement parce qu’on avait sympathisé… A mesure que les résultats tombaient, qu’elle prenait de l’avance sur les autres, qu’elle était en train de gagner, les caméras toujours sur elle, on me voyait souvent à ses côtés. Nous formions un couple jeune et sympathique et très rapidement, on nous a « fiancé » ! C’était sympathique ! J’étais le gentil fiancé idéal ! Quant à elle, elle était la « fiancée de l’Europe Unie » !

Elle gagne haut la main… je me classe quatrième … C’était un bon classement. La quatrième place m’a satisfait. Si à l’époque j’avais été bien entouré professionnellement, ce qui n’a pas été le cas, j’aurais pu faire une grande carrière européenne. Le fait qu’on m’ait vu durant la soirée dans toute l’Europe aux côtés de Gigliola Cinquetti, avait fait de moi un chanteur très populaire. Pourtant, contrairement à ce que beaucoup pensent, je n’ai jamais chanté ou tourné en Allemagne, ni en Espagne, ni au Portugal, ni en Italie. C’est quand même un record de « mauvaise exploitation pour un artiste en pleine gloire »… 

À l’époque, que représentait pour vous l’Eurovision ?

L’Eurovision était à l’époque un formidable tremplin de lancement pour les artistes comme je viens de le dire mais qui, en ce qui me concerne, n’a pas été mis à profit !

Dans la maison Barclay la promotion des Chaussettes Noires d’Eddy Mitchell, de Jacques Brel et bien d’autres… était le premier objectif commercial… Je n’avais même pas de directeur artistique chez Barclay. J’ai malgré tout fait carrière et cette chanson reste extrêmement populaire. C’est l’une des chansons préférées de mes admirateurs, qui me disent souvent que c’est ma plus jolie chanson. J’ai signé la musique et les paroles, enfin je ne suis pas sûr d’avoir « signé » les paroles (rires). De toute façon, ce n’est ni la première, ni la dernière fois que j’aurais des problèmes de déclarations SACEM avec certains collaborateurs ! (rires)

L’Eurovision est un épisode de votre carrière sur lequel on ne vous sollicite jamais.  

Vous avez raison, en effet, une particularité de ma carrière c’est d’être souvent « oublié », « effacé » volontairement ou involontairement, ou simplement de tirer le mauvais numéro en ce qui concerne l’ordre de passage sur scène et ce fut le cas à propos de l’Eurovision…

A la fin de la répétition générale, j’ai tiré le plus mauvais numéro de passage : le Numéro 1 ! Par ailleurs, les gens ignorent aujourd’hui, que l’enregistrement de l’Eurovision est tombé en panne précisément lors de mon passage ! Ce qui fait qu’aujourd’hui, il est impossible de retrouver des images de l’interprète de la chanson Dês que le printemps revient ! En fait, il ne reste qu’un mauvais enregistrement sonore !

Serait-ce une malédiction ? Ainsi, à l’Olympia se trouve un mur où sont imprégnées dans le ciment les mains de tous les artistes qui y ont chanté en vedette… trente ou quarante chanteurs… Je n’y figure pas (rires)

Le passé est le passé… Et le fait que je ne parle pas souvent de l’Eurovision. 

Parlons du présent justement : vous venez de sortir un nouvel album Autoportrait. Quelle est sa genèse ?

Mes deux derniers albums chez Universal remontent à 2009 et 2011… Il s’agit de New Yorker et de Troubador since 1948, ils eurent un grand succès ! New Yorker, disque de platine ! Dans ce premier album, il y a une chanson formidable Forever Young de Bob Dylan, « Jeune pour toujours », que j’ai enregistré avec Johnny Hallyday, et j’aurais souhaité la chanter un jour avec lui à la télévision, malheureusement, je n’ai pas eu ce grand plaisir… 

Troubador Since 1948, c’était un peu une façon de raconter ma vie. En effet, j’ai signé mon premier contrat en 1958, mais je chantais depuis 1948 ! Sans avoir l’idée de faire carrière dans ce métier. J’aurais voulu faire les Beaux-arts, mais je n’ai pas pu parce que mon père n’était pas prêt à me soutenir financièrement. Alors, je me suis retourné sur ce que je savais un peu faire, c’est-à-dire chanter en espagnol avec une guitare !

En résumé, huit années de tournées avec les spectacles que j’ai conçu Visiteur d’un soir et qui m’ont tenu loin des médias parisiens… mais proche de la France profonde ! 

Tout le monde attendait de moi de nouvelles chansons, un nouveau disque, après cette longue absence… C’est Universal et TF1 musique, qui vont m’offrir cette opportunité.

Christian Séguret, mon fidèle guitariste, spécialiste de la musique Country va être un élément déterminant en me présentant Gildas Arzel ! Mais Universal m’a posé une condition, celle d’inclure quatre anciens titres, ce qui ne m’enchantait guère. C’est Gildas Arzel qui va me convaincre d’accepter, en m’expliquant que les chansons anciennes choisies démontreraient au public que mes nouvelles chansons, c’était la musique que je faisais depuis toujours…

J’ai découvert Gildas, formidable musicien, il y a bien longtemps, avec son groupe Canada, c’était pour moi, de très loin le meilleur groupe français… Nous avons décidé ensemble de réaliser cet album de musique revival… Il s’appellera finalement Autoportrait. Christian et Gildas m’ont fait connaître Christophe Battaglia, jeune ingénieur du son et réalisateur de talent qui a créé son propre studio à Villejuif. Avec ce trio d’amis, plus Max Pol Delvaux et de supers musiciens, nous avons pu mener à bien cette aventure passionnante… malgré la crise sanitaire liée au COVID 19… 

Pourquoi l’avoir baptisé ainsi ?

Universal souhaitait confier à Jean-Baptiste Mondino, génial photographe, le soin de réaliser un portrait du chanteur pour la pochette de l’album… Il avait déjà fait les photos de mes deux précédents albums, le confinement a été annoncé et a rendu impossible la tenue de ces séances photos. Mon attaché de presse, Sébastien d’Assigny, apercevant un tableau que j’ai peint sur deux planches, l’a pris en photo et m’a demandé ce qu’il représentait : c’était tout simplement un Autoportrait. Il l’a aimé, pris en photo et montré à Universal… à ma grande surprise, Universal l’a beaucoup aimé et l’a retenu. Cet autoportrait présente une fente verticale au milieu : deux planches qui s’emboîtent l’une dans l’autre… Provenant d’une caisse du vin démontée… Vin qui m’est offert chaque année par un très grand ami et producteur de Châteauneuf-du-Pape, Michel Gonnet. Le titre de l’album s’imposait : Autoportrait.

Précisons que cela n’a rien à voir avec la démarche de Bob Dylan lorsqu’il a réalisé Self-Portrait en 1975. Mais, Bob Dylan et moi avons vraiment beaucoup de points communs !

Dans ce disque, j’exprime les pensées qui sont les miennes. Tout en dénonçant quelques travers de la société, j’essaie de véhiculer des idées humanistes, et quelques espoirs aussi. J’évoque le routard que je suis, tout en le caricaturant parfois, comme dans Dan Tucker. Les chansons décrivent toujours une partie de moi-même : j’y raconte d’ailleurs des histoires qui me sont personnelles. Je rends aussi hommage au courage des esclaves afro-américains, devenus des héros, et aux swagman – de pauvres gens qui allaient de ferme en ferme pour chercher du travail, et étaient très souvent d’anciens forçats sortis du bagne. Ils n’avaient pour compagne que cette couverture qu’ils portaient dans le dos, et qui leur tenait compagnie la lorsqu’ils se couchaient à la belle étoile… Ils l’appelaient la Matilda. J’ai traduit fidèlement cette chanson de 1895 écrite par Banjo Paterson. J’ai mis comme toujours ma petite signature à la fin car j’ai rajouté un couplet qui n’existait pas dans l’original afin de rendre hommage aux vétérans australiens qui ont débarqué en Normandie avec les troupes américaines et anglaises et qui ont libéré la France. Je n’avais jamais osé m’attaquer à ce chef d’œuvre qui est l’hymne officieux et contestataire de la jeunesse australienne !

Cet album est à l’image de votre vie et de votre carrière. Il y a ces engagements qui les parcourent, mais aussi cette complémentarité entre le populaire et l’intimiste. Vous êtes un mythe de la chanson française, vos titres marquent des générations entières. Vous êtes celui qui a figuré dans cette photo du siècle des vedettes du yéyé et fait des grandes scènes, tout en faisant des concerts plus intimistes, dont celui dont nous parlions au début dans la cathédrale de Mirepoix en Ariège. 

Le destin pour certains, le bon Dieu pour d’autres, m’a donné cette chance d’être arrivé à cet âge. J’ai coutume de me voir dans une image : celle du navigateur solitaire qui aborde la Cap Horn, le cap le plus difficile de tous les caps ! L’Horn, je l’ai abordé avec le vent en face ! J’ai réussi à le passer… maintenant je suis dans le Pacifique. J’aime mieux parler du présent et de l’avenir plutôt que de ressasser le temps passé… Aujourd’hui, je suis dans le Pacifique, je vis à Marly avec ma jeune et ravissante compagne, Murielle, qui m’apporte une aide considérable par sa présence et par sa jeunesse. Elle est évidemment ouverte aux techniques contemporaines qui m’échappent un peu et je suis en train d’attaquer une nouvelle phase de ma vie. Le nom de l’Océan Pacifique correspond un peu à mon état d’esprit car j’ai connu beaucoup de guerres. Aujourd’hui, j’aspire à la paix pour mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants. 

Durant de longues années, et particulièrement les années soixante, on disait de certains chanteurs qu’ils étaient engagés, comme moi même, Antoine ou Graeme Allwright. Mais je tiens à préciser que je n’ai jamais été « engagé » et je ne le serais jamais. Je soutiens par contre dans mes chansons des valeurs que l’on qualifie d’humanistes et que je défendrais jusqu’au bout… capable de mourir pour ces idées-là ! Mais l’engagement politique est fait souvent de compromissions difficiles à accepter… La vie est tellement complexe… J’ai beaucoup chanté par le passé pour des meetings organisés par la CGT et je ne regrette pas de l’avoir fait. Mais, je ne veux pas être dépendant d’un système ou prisonnier d’un dogme…

Serais je comme mon Maître Georges Brassens : Anarchiste ?

Je parlais du populaire et l’Eurovision en fait partie. La regardez-vous toujours ? 

Non, pas du tout, cette émission ne présente pas un grand intérêt pour moi… Trop de manières, de grimaces, de théâtralité primaire i

Je me souviens du premier disque de rock’n roll que j’ai entendu de Bill Haley en 1955, Rock around the Clock, c’était déjà du cirque ! A cette époque la musique que j’aimais et que j’écoutais c’était : Woody Guthrie, le Kingston Trio, les Brothers Four, Frank Sinatra et bientôt le magnifique Elvis Presley. Pour moi le rock’n roll de Bill Haley devenait une exhibition musicale bruyante, parfois provocante, mais très loin de la musique magnifique des Afro-Américains, Gospel, Blues ou Jazz… Je pense ne pas m’être trompé… Face à cette musique violente dans laquelle je ne me reconnais pas, il y a aujourd’hui, de par le monde des artistes merveilleux qui s’expriment sans trop de déguisements agressifs et de gymnastiques exagérées… Mais ne vous trompez pas, quand je parle de « cirque », il ne s’agit pas du vrai Cirque, véritables artistes, magiciens, acrobates, clowns, voltigeur équestre, etc… ces gens du voyage que je respecte beaucoup.

Le vrai Rock’n roll, c’est la musique des Afro-Américains de Louisiane ou de Chicago, de Fats Domino à Ray Charles, que les blancs ont trop souvent défigurés… 

Les peuples d’Europe ne se reconnaissent pas dans l’Eurovision, car pour des raisons commerciales, les chansons sont généralement interprétées en anglais… Pourquoi pas ? Je tiens à préciser que je ne suis pas opposé au choix d’une langue unique pour les Européens ! Et je pense que dans ce cas là, le choix de l’anglais est déjà fait, cette langue étant déjà la langue officielle et universelle de la Science… 

La France ne réussit plus tellement au concours, contrairement à l’époque où elle faisait de très beaux résultats. Je pense à Jacqueline Boyer, Marie Myriam, Frida Boccara …

La France serait-elle dépassée musicalement ?

Je pense sincèrement que c’est en France que la culture musicale est la moins bien enseignée… C’est un problème d’une grande complexité. Cela prendrait trop de place pour moi de vous expliquer mon point de vue ! 

C’est vrai mais n’oublions pas que ni Mireille, ni Charles Trenet, ni Felix Leclerc, ni Georges Brassens, ni Serge Gainsbourg, etc… n’ont été subventionnés ! L’état n’a jamais su découvrir les talents futurs… Il faut entendre nos élus chanter la Marseillaise pour comprendre que la France n’est plus un « pays de musiciens »… Allez voir un match de Rugby ou de Football quand l’équipe de France rencontre le Pays de Galles, l’Irlande ou la Grande Bretagne, entre autre, pour voir où est la MUSIQUE !

Quant à moi, je ne suis allé qu’une seule fois au Petit conservatoire de Mireille ! Je n’avais rien à y faire, même si j’appréciais son talent. Sachez qu’il n’y a pas d’école pour apprendre à écrire des chansons… La chanson appartient à tout le monde et tout le monde a le droit d’écrire une chanson, qu’elle soit plus ou moins bien, peu importe ! C’est un art mineur qui ne s’apprend pas à l’école… Mais c’est au Petit Conservatoire que j’ai entendu pour la première fois Frida Boccara chanter, une voix tellement extraordinaire, bouleversante, je me suis intéressé à elle ! Elle est devenue une amie. Je lui ai fait entendre la voix de mon frère Francesco. Elle m’a dit qu’elle n’avait jamais entendu une voix aussi bouleversante. Comme mon frère, Frida Boccara, quand elle chantait, les gens pleuraient… Elle n’a pas fait carrière en France… Et c’est bien triste… mais elle a fait une très belle carrière en Union Soviétique… C’est vous dire ! Chanteuse merveilleuse, très supérieure à bien d’autres qui ont pris une place à la table de la chanson française en son absence… Mais Frida était magnifique !

Le suicide de mon frère Francesco en 1955, à Montréal, à l’âge de vingt-sept ans, a eu une conséquence déterminante en changeant l’orientation et le cap de mon destin, faisant du jeune peintre que je rêvais d’être, un simple chanteur de Music Hall !

Quelle solution verriez-vous pour que la France réussisse à nouveau à l’Eurovision ?

Qu’elle ne participe plus à cette farce (rires). Ce serait peut-être mieux, je suis pour la liberté de penser… Mais on se moquait de Sacha Distel lorsqu’il chantait Scoubidou, on avait tort, je n’étais pas d’accord, « Scoubidou » est une très bonne chanson. Nos grands-parents chantaient Rosalie elle est partie, Ma pomme c’est moi, Mon gigolo, c’étaient toutes des excellentes chansons ! J’ai vu un reportage à la TV qui se déroulait en Mongolie, dans un désert, une fête populaire, à l’autre bout du monde, les gens chantaient et dansaient sur la musique de La danse des canards ! On peut rire et se moquer des chansons populaires mais la poésie de nos élites littéraires n’a jamais enthousiasmée les ouvriers de chez Renault ou les paysans de la Creuse. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour gagner l’Eurovision. Peut-être est-ce un problème de langue ? Nous avions enregistré un disque avec Renaud, Chanteurs sans frontières. Grâce à cela, nous avions acheté des camions Mercedes tout-terrain pour porter de la nourriture aux gens dans les montagnes d’Ethiopie. Je fus choisi par Le Pèlerin magazine pour aller livrer d’Addis Abeba jusque sur les Hauts Plateaux, les clés des camions. Arrivant dans des camps où les gens étaient en train de mourir de faim ! Autour d’eux, Médecins sans frontières réunissait des médecins du monde entier. Pour soigner les malades, tous parlaient en anglais. Pourtant, je vois, aujourd’hui, certaines personnes se disputer à propos de la place du français en voie de disparition ! Mais ce jour-là, j’ai compris que l’anglais était une langue scientifique et universelle. 

Vous allez sortir la version de Noël de l’album Autoportrait. Et après ?

J’ai énormément de projets secrets dont bien sûr, je ne vais pas vous parler ! (rires) 

Noël est une ancienne fête païenne qui a été récupérée aux quatrième et cinquième siècles par l’Église catholique pour fixer de façon arbitraire la date de naissance du Christ. À présent, Noël est une fête chrétienne. Quand Universal m’a demandé de faire des chansons pour Noël. J’ai retrouvé quelques musiques du folklore de mon enfance, chansons qui incarnaient bien Noël ! Jingle Bells universellement connu comme une chanson de Noël.  Elle est arrivée en France après le débarquement des américains, en même temps que la culture américanisée de Noël, alors que nous fêtions autrefois Saint-Nicolas, traduite en 1948 par Francis Blanche, devenu Vive le vent. Ce n’est pas l’image de Noël selon moi. Noël, un ciel étoilé, une étable, une crèche, des bergers, de la neige, des enfants ! J’ai décidé de reprendre la chanson en conservant le mot Jingle Bells. Les Français connaissent le mot « Jingle » qui sonne comme une cloche ! J’espère que les enfants le chanteront ainsi désormais. 

La chanson A la nuit, à la veillée est une adaptation en Français d’une chanson Argentine, que j’ai chanté autrefois en espagnol, cette très belle mélodie avait été adaptée en français par Pierre Delanoë et enregistrée par Gilles Dreux, mais sous le nom Alouette Alouette, ce qui n’était pas malheureusement approprié, car la chanson raconte l’exode de Marie et Joseph.

Les autres chansons sont des chants traditionnels, tous aussi modestes et charmants, j’ai eu beaucoup de plaisir à faire ce disque !

A l’attaque de ma traversée du Pacifique : peinture, sculpture, tournées, enregistrements divers, disques, écriture autobiographique ! que j’ai commencé il y a trop longtemps et que je mettrai encore longtemps à écrire, et enfin conquête du sommet de l’Himalaya sans oxygène et sans porteur et avec mon chat, Lily Flower, sur le dos (grands rires).

Plus sérieusement avant de vous quitter, je tiens à vous dire que j’ai composé Adieu, monsieur le professeur en mai 1968, en hommage aux enseignants. Cette chanson a été longtemps considérée comme « bourgeoise » et « réactionnaire » ! Elle a enfin trouvé sa place en tant que chanson contestataire et de révolte, pour la première fois, lorsqu’elle a été reprise récemment par la foule autour et grâce à un « Chanteur de rue », Christophe Wurm, Place de la République ! Christophe Wurm rendait hommage au professeur assassiné, Samuel Paty. 

Dans mes projets importants, j’espère pouvoir enfin expliquer et persuader notre Ministre de l’éducation de la nécessité évidente de changer le nom de son ministère de l’Education Nationale pour lui redonner l’intitulé choisit par la Révolution Française « Ministère de l’Instruction Publique ».

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L’actualité de l’artiste :

Le nouvel album d’Hugues Aufray, Auto-portrait, est paru en 2020.

Composé de douze titres dont huit originaux, il bénéficie en outre d’une version de Noël, agrémentée de sept chants de Noël.

Un immense merci à Hugues Aufray d’avoir accepté d’accorder un entretien à L’Eurovision au Quotidien. Nos nombreux échanges furent un honneur.

Et un grand merci à vous, cher.e.s lectrices et lecteurs, d’avoir été au rendez-vous tous ces samedis, et d’avoir été fidèles à ces entretiens.