Nous prenons aujourd’hui la direction de la Suisse pour une nouvelle interview d’eurostar. Grâce aux merveilles de la technologie, nous nous sommes téléporté.e.s du Sud-Ouest de la France vers un village du canton de Fribourg à la rencontre d’une artiste dont le passage au concours de l’Eurovision a changé le cours de sa carrière.

Mais quelque part d’un avion fou 
s’écrase en plein désert
Et c’est le livre d’une vie qui redevient poussière

Nous sommes en 1987. Qui aurais-pu croire qu’un an après, nous (du moins, l’euromonde) assisterions à la dernière victoire francophone au concours signée de la Suisse grâce à une certaine Céline Dion ? En attendant, c’est une jeune chanteuse qui se présente sur la scène du Palais du Centenaire de Bruxelles, avec son pep’s, son énergie et son enthousiasme : Carol Rich.

La prestation en images :

Classement : 17ème (26 points)

C’est par Zoom que Carol Rich nous a fait le gentillesse de nous accorder un long entretien au cours duquel elle nous a réservé de nombreuses et belles surprises.

Comment vous êtes-vous retrouvée à participer à l’Eurovision ?

C’est toujours délicat dans le sens où on ne fait pas forcément une chanson pour l’Eurovision. En fait, j’ai participé deux fois aux sélections suisses. Une première fois, avec Tokyo Boy, qui n’avait pas gagné, mais qui avait eu un certain succès par rapport aux autres suisses. C’était une chanson japonaise, très dans le vent, sur un garçon qui vivait une histoire d’amour, c’était très frais, mais on nous a dit qu’on était en avance de vingt ans. Dans les années octante, les chansons du concours étaient dans un canevas très précis, avec des mélodies très faciles à retenir, qui donnaient tout de suite envie de chanter. On ne devait pas se poser de questions. Quand on regardait l’Eurovision, on devait se dire « Tiens, cette chanson-là, elle doit gagner ». C’était une chanson qui devait être populaire et ouverte à tout le monde. Avec le temps, c’est vrai qu’entre les années 1984 et 1987, Jean-Jacques Egli, chanteur, et Alain Morisod, qui m’avaient fait la chanson, me disaient « Écoute, Carol, ne fais pas un style Eurovision. Si un jour tu ne passes pas ou tu ne gagnes pas, tu pourras continuer ta carrière ». A l’époque, on parlait de style Eurovision, et je ne voulais pas trop ça, même si je ne savais pas où j’allais. Après, Jean-Jacques a proposé de me faire une chanson très rythmée, rock’n roll, qui déménageait. On avait très peu de chances d’y arriver, mais avec le recul, on était soi-même. Sans avoir un style Eurovision, on est entré à l’Eurovision, et ce qu’il ne faut pas oublier, c’est indéniablement un parcours extraordinaire.

Quelle place avait le concours dans votre vie au moment de votre participation ?

Quand j’étais petite et que je voyais l’Eurovision, je disais toujours à mes parents que je serai dans l’écran (rires). C’est vrai qu’il faut croire aux rêves d’enfance. Quand on dit « J’ai un rêve », il faut essayer d’aller jusqu’au bout. L’Eurovision est un moment donné, mais ce n’était pas une priorité. On avait deux chansons, Tokyo Boy, puis Moitié-moitié. À l’époque, ce n’était pas comme aujourd’hui : lorsque vous étiez sélectionné en finale, vous n’aviez pas le droit de chanter la chanson, d’en faire la promo. Vous deviez garder la chanson secrète et ne la sortir qu’au moment où vous faisiez le Grand Prix Eurovision. Ce laps de temps était très secret, chasse gardée du concours. Maintenant, tout a changé : les chanteurs sont sur YouTube, Itunes, Spotify, ça c’est génial. On passe par le téléchargement et les plateformes, alors qu’avant c’était le disque, le 45 tour, d’ailleurs je me suis quand même permis – attendez que je le retrouve -, je me suis dit que pour un fan de l’Eurovision, j’allais quand même le prendre (rires) (Carol Rich me montre le 45 tour de Moitié-moitié).

Crédits photographiques : discogs.com

Oh génial !

J’ai encore le 45-tour, l’original, et ce qui me touche beaucoup aujourd’hui, c’est que j’ai beaucoup de demandes pour avoir ce 45-tour. C’est un petit cadeau comme ça, qui tombe du ciel parce que je l’ai gardé. Et puis c’est vrai que ce Moitié-moitié, c’était un vinyle, un disque physique qu’il fallait produire, sinon personne ne vous entendait, car nous n’avions pas le téléchargement. Dans les années quatre-vingts, on était dans un autre monde par rapport à l’Eurovision. L’histoire, c’est qu’on ne choisit pas. On est qui on est, mais on ne choisit pas de dire « Je veux réussir », « Je veux faire une carrière », « Je veux perdurer », on ne peut jamais savoir à l’avance. Et parfois, même si vous ne gagnez pas, je me suis toujours dit que je n’aurais aucun regret parce que je considèrerai ça comme une carte de visite, une MasterCard, une carte de crédit qui vous permet d’aller dans tous les pays. L’Eurovision c’est ça : vous êtes reconnue dans tous les pays, quelque soit le résultat.

Vous aviez fini dix-septième : comment avez-vous vécu ce résultat et quel impact sur votre carrière a eu cette participation à l’Eurovision ?

Je vais vous dire la vérité : à l’Eurovision, quand on était à Bruxelles en Belgique l’année où Johnny Logan avait gagné le grand prix et quand vous êtes sur le bateau, vous naviguez, vous n’arrivez pas à réaliser ce que vous faites. On était dans un contexte très particulier au niveau des chansons et l’UER commençait gentiment à réfléchir à l’après, parce qu’entre 1987 et 1990, on était dans une phase qui préfigurait un boom. Il y avait déjà beaucoup de pays, on était vingt-deux en 1987 et c’était déjà énorme. Vous savez, on est humain, et vous écoutez la première, la deuxième, la troisième chanson, mais au bout de la vingtième, il faut le dire, ce n’est pas évident. À moment donné, il faut toujours un premier et un dernier. Il y avait de grands noms qui étaient là, Umberto Tozzi, Plastic Bertrand – qui a vendu des millions de disques. Pourquoi est-il allé à l’Eurovision ? C’est un gros risque : ça passe ou ça casse. C’est là que je me suis dit, en voyant un chanteur qui avait vendu tant de disques avec Ça plane pour moi, que l’Eurovision avait une notoriété incroyable. C’est ça qui m’a fait réagir et je me suis dit que quelque soit le classement, à moment donné, la chanson n’était pas Eurovision et le concours n’était pas avant-gardiste. On était très fermé Eurovision. Aujourd’hui, avec le recul, on est toujours plus malin après. Quand je suis rentrée chez moi au pays, je n’étais pas déçue, parce que je ne m’attendais à rien. Et quand on ne s’attend à rien dans la vie, on prend les choses comme elles viennent, on a plus de réceptivité avec les gens, les contacts, et alors je ne vous cache pas qu’aujourd’hui, on est en 2020, tout le monde, sans exception tout le monde, tous les journalistes, que ce soit à la télévision ou en radio, on parle de moi comme si j’avais remporté l’Eurovision. Donc c’est incroyable dans le sens qu’il y a tout le temps cette association entre Carol Rich et l’Eurovision. Pourquoi ? Allez savoir, je ne sais pas moi-même. Il n’y a pas un article où on ne parle pas de ça. On pourrait dire que c’était il y a trente-trois ans, on change, on évolue, entre deux chiffres il y a beaucoup d’autres styles de musique. Pour vous dire, il faut croire que j’ai marqué, non pas par le fait de l’Eurovision même, mais parce que j’étais décalée.

Pour l’époque, vous aviez une chanson très punchy qui, comme vous le disiez, rompait avec le style du concours ces années-là.

Je crois que l’Eurovision c’est ça, c’est prendre des risques, que ça passe ou ça casse. Il faut dire qu’il y avait vingt-deux pays, aujourd’hui je crois qu’il y en a quarante-et-un qui se présentent, c’est incroyable, c’est normal qu’il faille des demi-finales. C’était un tremplin assez extraordinaire, parce que je n’en reviens pas moi-même, dès qu’il y a quelque chose, les journalistes viennent vers moi. On a fait beaucoup de choses en chemin, parce que je continue à chanter.

Après l’Eurovision, vous avez eu une très belle carrière !

Oui, c’est louable, et d’un autre côté, je ne me suis jamais pris la tête, je fais mon petit bout de chemin, à côté j’ai plein de choses que j’aime, j’ai ma vie. Vous avez fait connaissance avec ma fille qui s’occupe de moi (c’est avec la fille de Carol Rich que nous avons fixé l’entretien N.D.L.R.), avec ma société Pro Rythme et organise toutes mes planifications, pour que je puisse encore travailler plus. Parce que plus on veut garder la forme, plus on doit doubler de discipline. Moi, j’ai toujours eu l’habitude de me comparer aux sportifs. Quand on est sportif, on doit absolument être au top, que ce soit en termes de nourriture, de repos, etc. On doit travailler tout le temps et se préparer s’il se passe quelque chose. C’est la vie d’artiste, et aussi la vie de sportif. C’est pour moi un compromis, et travailler avec ma fille permet d’avoir une complicité entre mère et fille, et je trouve ça fantastique. C’est formidable.

1987, vous étiez à Bruxelles, quel souvenir gardez-vous de cette expérience sur place ? Avez-vous été marqué par des instants en particulier ?

Ce qui m’a marqué, c’est qu’on a été reçu par le roi Baudouin et la reine Fabiola, ça m’a impressionné. J’ai trouvé ça fantastique d’aller dans leur château, c’est un privilège. L’Eurovision, c’est ça, vous faites des relations, après vous les perdez aussi, comme Viktor Lazlo, d’ailleurs je ne sais même pas ce qu’elle est devenue maintenant, je ne l’ai jamais revue. Vous tissez des liens dans le moment qui sont très très proches, et c’est ça le côté artistique. Il faut savoir s’attacher mais aussi savoir se détacher, pour toujours rester les pieds sur Terre, parce que sinon vous êtes très vite en haut, mais vous pouvez être très vite en bas, et puis vous pouvez vous faire des illusions. Il faut vivre les bons moments de chaleur, mais il faut être humble avec ce qu’on fait et ce qu’on essaie de donner. Après l’Eurovision, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai travaillé avec Francis Lai (compositeur des films de Claude Lelouch N.D.L.R.) qui m’a fait un superbe album, Longs les jours, avec La petite-fille d’à-côté, d’ailleurs je me suis dit que j’allais le prendre pour vous le montrer (rires) (elle me montre le vinyle de l’album).

Crédits photographiques : picclick.com

Fabuleux !

Regardez, c’est un triptyque, si vous l’ouvrez, vous verrez les paroles … (elle ouvre la pochette qui dissimule les paroles des titres) C’est assez extraordinaire, avec la face B de l’album. Vous savez qui m’a fait ces photos à l’époque ? C’est monsieur Terrasson, à Paris, qui était le photographe attitré de Serge Gainsbourg et Vanessa Paradis. C’est lui qui m’a fait ça quand j’étais à Paris, dans les années 1989 et c’est franchement un cadeau. Quand vous voyiez des albums comme ça, ça coûtait une fortune.

Ce sont des trésors …

Aujourd’hui, j’en vends et on a beaucoup de demandes ! Parce que le vinyle est revenu, et heureusement on avait gardé un certain stock, comme ça, des gens viennent sur mon site et me demandent s’ils peuvent le retrouver. Dans Longs les jours, il y a une très belle chanson qu’André-Pierre Dousset, compositeur et parolier de Joe Dassin, également parisien, m’avait écrit et composé. Pour moi, à l’époque, c’étaient de grands noms, Lai, grand mélodiste français de Love Story, Un homme et une femme, Les uns et les autres de Claude Lelouch. Ça aussi, c’est un rêve. J’ai toujours voulu rencontrer Francis Lai. Cela m’intéressait parce que je voulais chanter devant lui, Je t’aime avec ma peau, un titre qu’il avait composé, et quand je suis arrivée à Paris, j’ai réalisé mon rêve. Je l’ai chantée devant lui, c’était avenue Franklin Roosevelt, cela fait trente-trois ans que l’histoire a commencé, on est resté amis et malheureusement il nous a quittés l’année passée. Il est au chaud dans mon cœur, c’était quelqu’un d’extraordinaire, très très humble, timide aussi. On a passé beaucoup beaucoup de moments ensemble, et ce sont de grandes choses qui restent.

Ce sont des instants qui restent inscrits dans la mémoire …

Oui, et tous mes rêves se sont réalisés ! C’était l’Eurovision, à l’époque, c’était en 1987 … Parce que je vais vous délivrer un secret. Moitié-moitié a été composée quand l’hélicoptère de François-Xavier Bagnoud et Daniel Balavoine s’est écrasé au Paris-Dakar, en 1986. L’histoire est vraie. Quand il a entendu l’annonce de la mort de Balavoine, Jean-Jacques Égli l’a écrite. Il m’a toujours dit « Carole, tu as un style Balavoine au féminin ». Il m’a composé cette chanson suite à sa mort, et beaucoup de gens ne le savent pas.

Je ne le savais pas.

Dans la chanson, il y a d’ailleurs « Un avion s’écrase en plein désert, c’est le livre qui redevient poussière ». Il avait eu cette inspiration avec la mort de Balavoine. L’histoire est incroyable, parce que dans le clip vidéo de Moitié-moitié, l’hélicoptère qu’on a utilisé pour tourner le clip du Grand Prix Eurovision m’a été offert par le père de François-Xavier Bagnoud, le pilote de l’hélicoptère dans lequel était Balavoine. Quand vous allez voir le clip, l’hélicoptère tourne et fait semblant de tomber contre un rocher. C’est à Leuch-les-Bains et c’est marqué Air-glaciers. C’est une jolie histoire. Elle est incroyable.

Vous me sciez.

Après avoir raconté l’histoire du titre au père de François-Xavier Bagnoud – nous n’avions pas beaucoup d’argent –, je lui ai demandé le prix de l’hélicoptère. Il trouvait cela tellement beau qu’il nous a fait cadeau de l’hélicoptère, que nous avons pu laisser tourner toute la journée pour faire le clip.

D’ailleurs, Daniel Balavoine avait chanté à l’Eurovision, puisqu’il avait été le choriste de Catherine Ferry, pour la France, en 1976.

Oui, c’est vrai. D’ailleurs, sur W9, ils ont montré une rétrospective de Balavoine, où ils disaient qu’il avait participé à l’Eurovision. Il n’avait pas gagné ?

Non, elle avait fini deuxième derrière Brotherhood of Man, l’année avant Marie Myriam.

D’accord. Parce que plus personne n’a gagné pour la France après Marie Myriam ?

Ça fait quarante-trois ans que nous attendons !

(Rires) Oui, mais ça va venir ! Il faudra bien …

Et vous en Suisse, ça fait trente-deux ans, puis Céline Dion avait gagné en 1988 …

On est en 2020 … (elle réfléchit) Trente-deux ans oui. Ça fait un bail !

C’est un programme que vous regardez toujours ?

Je le regarde, oui. Je le suis, il n’y a peut-être qu’une fois où je n’ai pas pu être là, mais en règle générale, je suis. J’aime bien voir cette évolution qui arrive, parce que je me rends compte aussi qu’une chanteuse aujourd’hui, avec une très belle voix mais sans une mise en scène ou une chorégraphie d’enfer, n’a aucune chance. À moins d’un miracle, je pense. Mais encore une fois, l’Eurovision, on ne peut pas dire à l’avance. C’est comme le Portugal : j’ai été très surprise quand il a gagné. Ce n’était pas ma chanson préférée, mais comme quoi on peut s’attendre un peu à tout. Il y a des choses magnifiques, j’avais adoré Conchita Wurst, elle était extraordinaire et je la trouvais fantastique. Quand je l’ai entendue, je me suis dit que ça descendait du ciel, qu’il y avait quelque chose d’incroyable, et une voix fantastique. J’ai également adoré la mise en scène. Extraordinaire ! Et puis il fallait y penser à tout ça ! On dit toujours que ce qui paraît simple est le plus difficile à faire. Il y a des tas de phénomènes, ou d’autres styles qui peuvent arriver. J’aime moins quand c’est trop « méchant » ou vulgaire. C’est une question de goût, il faut de tout (rires) ! Par contre, maintenant, ce que font les producteurs du concours est assez incroyable, c’est démentiel lorsqu’on voit les finales et les demi-finales, c’est impressionnant. Ils ont des moyens qu’on n’avait pas. On n’avait rien, c’était très à l’état brut, même quand on demandait un peu de ci ou un peu de ça, on ne l’avait pas. C’était beaucoup plus naturel, il n’y avait pas de complications, même dans les micros, tandis que là ils travaillent avec le numérique. C’était bien aussi. Mais je pense que chaque année est un bon millésime. C’est comme les bons vins, chaque année il y a peut-être du meilleur et du moins bon, mais voilà.

Entre pays francophones, nous sommes un peu en difficulté au concours, tant du côté de la France et de la Suisse, jusqu’à l’année dernière avec Luca Hänni. En tant qu’ancienne représentante suisse au concours, pourquoi ces difficultés et comment les résoudriez-vous ?

(Elle réfléchit) Aujourd’hui, je pense qu’un travail devrait se faire entre plusieurs compositeurs, ce que font beaucoup les autres pays, l’Allemagne par exemple, qui engagent des compositeurs pour travailler avec un ou plusieurs artistes. En Francophonie, on veut aussi parfois chanter en anglais. La chanson française Mercy était très jolie, mais quand vous entendez les monstres de production et de moyens qui arrivent derrière, je pense que soit nos pays ne mettent pas assez d’argent, soit on devrait engager de bons directeurs artistiques. Je ne connais pas tous les rouages, mais si je devais apporter mon analyse, quand on a vu Mercy en live au Grand Prix Eurovision, c’était moins fort. Y a-t-il eu de la tension, de la pression ? C’est ça l’Eurovision. Mercy aurait mérité un meilleur classement. D’autres choses n’ont peut-être pas favorisé la France cette année-là, comme les voix, le play-back, le mixage, mais ils ont peut-être eu un problème technique que nous, public, devant notre écran, ne voyions pas. Il y a parfois des problèmes de retour de son que l’on découvre après. Mais c’était une très belle chanson. Par contre, lorsque Marie Myriam, chantait L’oiseau et l’enfant, c’était magnifique. C’est ça la difficulté de l’Eurovision, parce qu’il y a quand même de la pression, il ne faut pas se le cacher. Après, j’adore quand les gens chantent dans leur langue, lorsque les grands-mamans ont chanté pour la Russie par exemple. J’ai adoré ! Ils sont arrivés deuxièmes, et c’était formidable ! Il fallait oser ! C’était sympa ! C’est ça l’Eurovision : il faut que, tout d’un coup, il y ait quelque chose de décalé, soit ça passe, soit ça casse. Le concours a changé, mais je pense que la Francophonie devrait peut-être plus travailler ensemble. Parce que la Suisse, nous sommes un petit pays : nous ne pouvons pas faire grand-chose et je trouve qu’il n’y a pas assez de moyens, pour la culture en tout cas. Quand on voit certaines productions sur la scène du Grand Prix Eurovision, au niveau des play-back qui attaquent, on est trois décibels plus bas. Ce qui m’a toujours frappé en comparaison, c’est que les play-back des chansons francophones sont toujours plus faibles. Pourquoi ? Je ne sais pas ? Est-ce dans les studios ? Est-ce que ça n’attaque pas direct ? C’est un avis personnel, pas une critique attention (rires). L’Eurovision est une grande machine maintenant. Même nous, je ne sais pas ce qu’on ferait là-bas aujourd’hui.

Dans les années 1980, les dimensions du concours étaient toutes autres !

Il n’y avait pas 16 500 personnes dans une salle. Par contre, c’est un grand tremplin. J’ai beaucoup aimé ce que Gjon’s Tears a fait en live acoustique lors de la présentation virtuelle d’Eurovision : Europe Shine A Light. Il a réalisé une performance technique vraiment extraordinaire. Je le connais parce qu’il habite à côté de chez moi ! À deux-trois villages d’écart ! Lui-même m’avait demandé de chanter avec moi à l’époque. Il voulait devenir chanteur et son papa m’avait téléphoné pour que je le prenne sur scène avec moi. Avant la Grand Prix Eurovision, les journalistes se sont rendus compte que trois artistes issus du canton de Fribourg avaient représenté la Suisse : Arlette Zola, moi et Gjon’s Tears. Trois générations. On devait faire un article et une photo tous les trois. Après, il avait dû partir en répétition, donc on a fait ça toutes les deux avec Arlette Zola, pour La liberté. Trois fribourgeois qui ont fait le Grand Prix Eurovision, ce n’est quand même pas mal ! Vous voulez que je vous montre la surprise que je vous ai préparé ?

Oui !

(Enjouée, elle me montre une tenue de scène) Voyez-vous ça ?

C’est votre tenue du concours de l’Eurovision ! Waouh !

Alors, j’ai dit que j’allais la sortir pour vous qui êtes un eurofan. À l’époque, une personne du club Eurovision m’avait demandé de lui prêter le costume parce qu’à Bâle, ils avaient réuni tous les costumes qui avaient été portés par les candidats de l’Eurovision. (Elle me montre la tenue plus en détails) Là, il y a la robe et les bottes de l’Eurovision, avec la carte postale, qui avaient été créées par un couturier italien, Renato Angi, et j’ai tout gardé. C’était un petit cadeau pour vous.

Merci ! Ça me touche énormément…

J’ai dit à ma fille que j’allais mettre la tenue sur un mannequin pour vous la montrer ! Si vous allez regarder la vidéo, vous verrez que c’est vraiment l’originale ! (Rires)

En plus, j’ai regardé la vidéo de votre prestation il n’y a pas si longtemps que ça …

Un club à Bâle m’avait demandé de venir chanter Moitié-Moitié et quelqu’un voulait m’acheter la tenue ! J’ai dit qu’elle n’était pas à vendre, mais elle m’a répondu « Votre prix sera le mien, j’aimerais tellement ! ». J’ai dit « Non, non, non, je ne vends pas ! » (Rires)

Vous me disiez tout à l’heure qu’on vous ramène souvent à l’Eurovision, et cela vous arrive-t-il d’être sollicitée pour des évènements liés au concours ?

J’ai été jurée à l’époque à Lugano, et c’était Francine Jordi qui avait gagné. J’avais aussi voté pour elle, en interne, entre professionnels. Plus vraiment maintenant. Par contre, si un jour on me propose de participer à un jury francophone, ce serait volontiers ! Après, ça fait quand même trente-trois ans. Je suis passé à un autre style de musique, je fais maintenant de la country en français, avec Erick Bamy, ex-choriste de Johnny Hallyday, ça a été très intéressant de travailler avec lui. J’ai beaucoup travaillé avec Fabienne Thibeault, de Starmania, on a fait des concerts ensemble. Je préfère donner ma voix à la musique et pas m’approprier un style de musique. Pour moi, il faut prendre et vivre la musique. Je vais aussi à Moléson. J’adore chanter dans la montagne et je vais chanter tous les étés en extérieur à 1 500 mètres d’altitude. Cette année, je fête d’ailleurs le jubilé, car ça fait dix ans que je vais à Moléson l’estivale, alors qu’on était parti sur une seule date. Je chante des styles de musique variés, de la country, de la chanson française. Il y a un pianiste et un violoniste, mais on travaille également avec des bandes play-back en cas de pluie, comme à l’Eurovision. Je chante aussi Édith Piaf à ma façon. Puis les gens mangent et après, je fais la deuxième partie et j’y chante du schlager en français, ce qui est une première. J’ai fait une chanson qui s’appelle Anne-Lyse, qui a été écrite en allemand et nous avons repris des paroles de 1932, c’est un truc de fou ! C’est très difficile en chanter, parce qu’en français, la façon d’aborder les phrases est différente. Je fais aussi Swiss Lady, de Pepe Lienhard, qui avait représenté la Suisse au Grand Prix Eurovision, en français et en allemand. Je fais aussi du populaire, des chansons de chez nous, comme Les trois cloches mais aujourd’hui, je chante toujours Moitié-moitié à la montagne. J’en ai d’ailleurs fait une version disco !

Ça doit mettre l’ambiance, parce que c’est un titre très punchy, hyper entraînant.

C’est ça, ça donne de la dynamique, il y a quelque chose qui se passe et j’ai dit que je la chantais.

Il est très entêtant, il rentre tout de suite dans l’oreille …

Beaucoup de gens me demandent via les réseaux sociaux pourquoi je ne ressors pas l’original, même à cinquante-huit ans. Pour l’instant, non, mais on ne sait jamais dans la vie. Un disque est sorti dernièrement en France, conçu par des jeunes de Biarritz, c’est un album, un triptyque (elle me montre un vinyle) sur l’électro-disco.

Crédits photographiques : fnac.com

Ils sont venus me voir en Suisse, pour me demander mon titre Computered Love, qui a eu pas mal de succès dans les années 80 et qui était la face B de Tokyo Boy. Vous savez, à l’époque, on sacrifiait souvent une chanson pour une autre. C’était toujours l’horreur, on ne savait jamais ce qu’il fallait faire … C’est un bel album, qui marche bien en France chez les amateurs de vinyle. Il y a également celui-là (elle me montre un autre vinyle, sur lequel est inscrit Computered Love), c’est un album qui a été réédité en Allemagne parce qu’il avait très bien marché et quand il m’a été envoyé, j’étais très contente parce qu’il y avait de grands noms, comme John Travolta, de grands chanteurs allemands, etc.

Crédits photographiques : discogs.com

Et ils ont appelé l’album Computered Love. Pour une toute petite chanteuse suisse, ça fait plaisir (rires). J’ai des projets parallèles et ça me ferait plaisir si vous veniez un jour à Moléson ! Surtout qu’on fête cette année les dix ans !

Comme l’Eurovision au Quotidien !

C’est vrai ? (Enjouée) C’est génial ! Il faut que vous veniez à Moléson ! Je vous invite !

Ça me touche énormément …

Il y a des eurofans qui viennent cette année. Avec le confinement, je me suis dit qu’il fallait continuer. Je suis d’ailleurs la seule qui garde ses spectacles en Suisse. Tous les autres ont annulé. Les radios qui m’invitent trouvent ça génial, mais il faut donner du bonheur. Il ne faut pas s’arrêter. Nous en tant qu’artistes, nous sommes des vecteurs. Bien sûr, il y a plein de possibilités de transmettre en vidéo, mais personnellement, je n’ai rien fait, à cause d’évènements personnels. En radio, on m’a dit qu’on ne m’avait pas vu et j’ai répondu que maintenant, on me voyait, parce qu’il faut y aller, c’est important. Il faut dynamiser, se remettre en question, se faire violence parfois.

Avec le recul, à refaire, vous referiez l’Eurovision ?

Je pense que oui. C’est tellement unique. Je compare ça aux Jeux Olympiques : vous le faites une fois dans votre vie. Ce sont des choses qui restent à jamais gravées dans votre vie. Il faut reconnaître que vous êtes quand même ambassadrice de votre pays et c’est un honneur. Tout le monde ne peut pas le faire, alors quand on a ce privilège … J’avais vingt-cinq ans, on ne sait pas trop ce qu’il nous arrive, et ce genre d’évènement, c’est beaucoup de travail. Je me souviens que Jean-Jacques Égli m’avait tout appris : les caméras, comment regarder à gauche, à droite, les yeux, si on voyait les caméras s’allumer … J’ai du tout apprendre, parce que je suis quelqu’un de la campagne (rires). Mais je suis quand même allée dans tous les pays, donc ça ne veut rien dire. Je suis très heureuse de l’avoir fait et on apprend tellement de choses en faisant ça. Il y a un travail psychologique sur soi-même, pour maîtriser tout ça. C’est beau ! C’est de l’adrénaline (rires).

C’est une scène mythique.

C’est vrai, quand même. Il y en a plusieurs, qui m’ont redemandé comme ça, qui ont essayé de tâtonner. « Mais Carole, pourquoi tu ne reviens pas ? La Suisse ne gagne pas ! », mais j’ai répondu que non. Je pense qu’il faut le faire une fois dans sa vie et puis il faut laisser la place aux jeunes. Il y en a tellement qui peuvent le faire, qui ont beaucoup de talent. Il y a de belles valeurs qui y arrivent je trouve.

Vous pensez à qui pour la Suisse ?

Je trouve que Gjon’s Tears a vraiment une très belle voix, il va dans les aigus et c’est très difficile à faire. C’est aussi un style qui plaît à tout le monde. Je pense qu’il a toutes ses chances.

Merci infiniment à vous, Carol.

Merci à vous Rémi ! Cela m’a fait extrêmement plaisir de parler avec vous. Et je souhaite un très bon anniversaire à l’Eurovision au Quotidien.

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L’actualité de l’artiste :

Dans le cadre de l’Estivale 2020, Carol Rich se produira pour ses dix ans aux Rendez-vous du coeur à Moléson les 26 et 27 août et les 16 et 17 septembre prochains. Les informations sont disponibles sur le site de l’artiste : https://carol-rich.ch/2020/07/02/les-rendez-vous-du-coeur-a-moleson/.

En 2017 est sorti un album intitulé Les rendez-vous du coeur qui contient de grands succès allemands adaptés en français, ainsi que des titres de schläger et de country music (dont des reprises).

Un grand merci à Carol Rich pour son immense sympathie, sa générosité et sa bienveillance !

Crédits photographiques : Joseph Carlucci – photothèque personnelle de Carol Rich (avec son aimable autorisation)