Depuis que j’ai commencé à suivre l’Eurovision Junior (c’est-à-dire depuis seulement 2018, ce qui est récent je vous l’accorde), je vois fleurir tous les ans ce même débat. Les chansons du JESC sont-elles devenues trop adultes ? Le Junior a-t-il perdu son âme d’enfant?

Cette année, le sujet fut d’autant plus d’actualité (autant sur les réseaux qu’au sein de la rédaction), avec une édition très mature, et riche en grandes ballades. Alors que penser ?

La question de la séniorisation du Junior m’a toujours intriguée. Je me suis toujours demandée depuis quand elle avait commencée. Alors j’ai ouvert grand mes oreilles, écouté un bon paquet de chansons, et je vais vous dire ce que je pense de tout cela, en plusieurs étapes. (Mon Dieu, j’ai presque l’impression de vous écrire une dissertation philosophique. Thèse, antithèse, synthèse !).

L’état actuel des choses

Cette année, il faut bien se rendre à l’évidence. L’Eurovision Junior n’est musicalement pas très enfantin. À part l’Ukraine et l’Espagne (voire éventuellement la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni), c’est ballades et compagnie, avec des voix matures et des high notes à tout va. Puis il y a l’Arménie, qui si elle propose quelque chose de rythmé, n’aurait rien à envier à un groupe de K-Pop tout à fait adulte. Do It My Way aurait largement pu être une chanson des Blackpink.

Déjà, en 2021, en 2019, l’on disait que Malena et Vicki Gabor gagnaient avec des propositions trop adultes. Il semble que depuis 2018 au moins, notre cher concours ait grandi trop vite, et que 2023 n’en soit que la triste confirmation … Mais est-ce vrai ? Et comment expliquer ce phénomène ?

La séniorisation du Junior: pas si récente qu’on l’imagine

Si je connais le Junior sur le bout des doigts depuis 2018, beaucoup d’éditions précédentes restaient encore nébuleuses à mes oreilles. Alors, pour la science, je suis allée écouter toutes les chansons de l’histoire du Junior. TOUTES ! De 2003 à 2023.

Ce fut fastidieux (parce que ça fait beaucoup de chansons d’un coup !), mais plus riche que prévu.

Et je me suis rendue compte qu’en fait … Il y a toujours eu des chansons plus adultes parmi les titres fun et joyeux aux couleurs de l’enfance.

Dès 2003, le Royaume-Uni n’a cessé de nous envoyer de grandes ballades aux paroles sentimentalistes. Si elle a joué le jeu de l’enfance entre 2003 et 2005, à partir de 2006, la Suède lâchera les chevaux et n’enverra plus que des morceaux que l’on aurait pu entendre dans la cour des grands. (2006, 2009 et 2010 me paraissent les exemples les plus frappants). La Serbie aussi. Dès 2007 avec Nevena Bozovic, leurs contributions, balkaniques à souhaits, m’ont toujours paru manquer de la candeur enfantine.

Et Barcelona … Il faut qu’on parle de Barcelona ! Cette contribution arménienne aurait largement pu finir en girl-bop interprété par la plus enflammée des divas dans le concours senior. Il y aurait largement eu sa place, et aurait fait le bonheur des amateurs de SloMo et autres Fuego.

Au fil des éditions, il m’a semblé que l’évolution musicale était progressive. Si, de 2003 à 2006, les morceaux enfantins dominent, quelque chose m’a semblé changer à partir de 2007. Jusqu’en 2013 à peu près, il m’a paru trouver une sorte d’équilibre relativement égal entre les propositions junior et les plus matures. Puis après la victoire de Gaia Cauchi, les styles ont commencé à se moderniser, et les gagnants se sont fait plus sérieux.

Plus de « Bzzz bzzz bzzz » à l’horizon pour la victoire, mais des grandes ballades et des chansons pop. Même Mzeo avec son côté Disney comporte une puissance théâtrale très adulte, très Broadway-esque. Les seules chansons gagnantes qui sont venues rompre ce cycle musical, ce sont J’imagine et Oh Maman!.

Et oui, la France a, sans le vouloir, ramené par ses victoires l’esprit du JESC des années 2000. Où jazz et enfance s’accordaient plus que de raison. (D’ailleurs il faudra qu’on m’explique cette obsession pour le jazz dans les éditions les plus anciennes : ça me plaît, mais le pattern a été usé jusqu’à la corde !).

Mon avis sur cette évolution musicale

Alors on pourrait se demander … Qu’est-ce qui provoque ce changement ? Est-ce que les enfants n’ont plus envie de s’amuser ? Est-ce qu’on donne trop d’importance au Junior au point de vouloir lui apporter un écrasant sérieux ? Je ne sais pas. Peut-être … Et en même temps, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de logique.

Plus qu’à l’Eurovision, les enfants adoptent des styles qui évoquent instantanément des artistes connus. Ils sont jeunes, le plus souvent débutants dans la musique ; souvent on a écrit leurs titres pour eux. Alors les enfants (inconsciemment) ou les compositeurs se basent sur des styles connus, des tendances qui marchent chez les enfants, mais aussi chez les adultes. La pop latino (Espagne 2004 et 2020), la K-Pop (Arménie 2023), le rock (Italie 2021, Portugal 2022).  Le représentant britannique de 2005 avait une forte inspiration d’Elton John dans la mélodie de sa ballade. En 2010, la Géorgie avait clairement pris Lady Gaga comme modèle, tandis que la Suède n’avait rien à envier à Rihanna. En 2021, Malena avait (malgré sa patte artistique) beaucoup d’affinités musicales avec Billie Eilish … Il est plus facile au Junior de comparer les enfants à des références plus adultes.

Et puis le concours suit l’évolution de son grand frère, je crois.

Depuis ces dernières années, l’Eurovision est de nouveau pris au sérieux, en proposant un éventail de styles larges, qui met en avant la diversité et la modernité de la scène européenne. En retrouvant sa lumière, l’Eurovision attire de nouveaux fans … Qui, de fil en aiguille, s’intéressent aussi au Junior (s’ils sont curieux). Ce nouveau public prend cette déclinaison enfantine tout autant à coeur que l’événement principal, au point qu’il m’apparaît de plus en plus évident que le JESC est davantage vu par les eurofans que par les enfants. Alors ces eurofans enthousiastes projette sans doutes des attentes plus hautes.

De même, l’accès à la musique n’a jamais été aussi développé, pour les petits comme pour les grands. Les jeunes artistes ont donc plus de moyens d’écouter, d’affiner leurs influences, et pour ceux qui ont déjà une empreinte artistique (bonjour Malena ou Simao Oliveira!), de savoir ce qu’ils veulent vraiment chanter. Il faut prendre en compte que nous ne sommes plus à l’époque des groupes éphémères (style Young Talent Team ou New Music Star, qui ne duraient que le temps du Junior). Certains de ces jeunes artistes comptent désormais sur le Junior pour entamer ou propulser une carrière (à l’image de Malena, de Daneliya Tuleshova, de Vicki Gabor…). Le Junior devient une carte de visite, et pas question de se présenter au monde en faisant l’abeille !

Je me demande si l’âge ne joue pas aussi, un peu. Un enfant de 9 ans n’aura pas les mêmes goûts ou appréciations musicales qu’une adolescente de quatorze ans, dont la sensibilité et l’évolution peuvent s’affirmer davantage. Et comme nous avons eu, ces derniers temps, plus d’adolescents que d’enfants parmi les participants, cette seniorisation peut aussi s’expliquer par là.

Est-ce que le temps de l’amusement est fini ? Est-ce que le Junior a perdu son esprit ? Je ne crois pas. Des victoires comme celles de 2020 et 2022 le  prouvent. Seulement, il faut trouver le bon équilibre entre l’enfance et la maturité, et c’est loin d’être gagné !

Sur cette réflexion, je vous laisse. Parce que toutes ces chansons et ces 20 éditions m’ont donné la migraine !

Musicalement,

Juliette.