Ils étaient seize, nous étions sept. Ils étaient à Tbilissi, nous étions à Bruxelles. Ils étaient sous les feux de la rampe, nous étions sur des charbons ardents. Nous passâmes deux heures ensemble, réunis par la chanson et la magie de la télévision-satellite. Voici donc, comme promis, le compte rendu de notre dimanche après-midi devant l’Eurovision Junior 2017.

Nous étions donc rassemblés dans notre salon, à portée d’arc de l’Atomium, devant un monceau de sucreries, prêts à voter pour nos favoris. Une ambition qui sera hélas déçue, mais n’anticipons pas. Notre panel de sept regroupait des hommes, des femmes, des homos, des hétéros, des fans, des amateurs, des enthousiastes et des très enthousiastes trépignant de bonheur sur leur chaise (ça, c’est moi). Biais majeur (qui aura son importance) : tout le monde était trentenaire. Tout le monde a par conséquent regardé ce Junior 2017 avec des yeux d’adultes. Il nous aurait fallu quelques enfants pour nous éclairer. Mais comme personne n’en avait sous la main…

Nous avons suivi la retransmission sur la troisième chaîne néerlandaise. Notre ami Jan Smits était aux commentaires. Efficace et discipliné, il s’est révélé parfait dans son rôle. Vous vous en doutez : Jan a passé une encore meilleure après-midi que la nôtre. Nous y reviendrons également. Là-dessus, Te Deum. C’est parti !

Première constatation du salon : la Géorgie a l’air fort belle. Envie d’y aller. Le canapé de droite fait remarquer qu’il s’agit avant tout de publicité. La GPB ne va pas nous montrer des friches industrielles à l’abandon ou des sans-abris sous la pluie. De fait, le soleil semble ne jamais se coucher sur la Géorgie, pays de cocagne aux vertes vallées et aux sommets enneigés. Deux heures de carte postale et le rappel au salon que c’est la toute première fois que la GPB organise un événement international. Fierté des Géorgiens et sarcasmes du canapé de gauche sur le peu d’opportunités offertes au pays d’organiser des événements tout court. Fou rire général lorsque Mariam apparaît sur scène, engoncée dans un abat-jour solaire.

Défilé des nations. Nos candidats chantent l’hymne officiel. Bien emballé, belle image eurovisionesque. Bavardages divers. Pendant ce temps-là, la Belgique joue sa place à la Coupe Davis. Moi, aurais préféré qu’elle joue sa place au Junior. Ce serait quand même chouette d’y revenir, maintenant que le niveau artistique s’est élevé. En revanche, le salon émet des réserves sur le niveau télévisuel. Ce sera une constante de l’après-midi : la production est honnête, sans plus. Le décor est beau et rend à merveille. Mais les angles de vue sont très aléatoires. La scénographie est schématique. Ne parlons pas du son… Enfin si, parlons-en ! L’acoustique était pour le moins médiocre et à Bruxelles, la bande-son semblait être jouée depuis les coulisses. Voilà qui nous a déçus : l’on en entendait peu la musique. Du coup, certaines prestations manquaient de panache et d’envolée. La perfection n’est décidément pas de ce monde…

Cri d’horreur général à l’apparition des deux présentatrices. La costumière s’est visiblement moquée d’elles. Helen ressemble à un corbeau déplumé prêt à être enfourné. Lizi, elle, est travestie en abat-jour baba-cool. Nonobstant cet emballage vestimentaire douteux, Helen et Lizi se sont révélées parfaites dans leur rôle. Complémentaires, énergiques, souriantes, elles ont contribué à la réussite de ce Junior. Lizi devrait revenir au Senior, elle aurait du succès. Mais attention ! Les choses sérieuses commencent. C’est la toute première chanson. Le salon dégaine ses tableaux de vote et ses bics de couleur.

CHYPRE

Souvenirs émus d’Hovig pour le canapé de gauche. Peu avoir ici. Nicole visiblement prise par les nerfs. Gorge contractée, son peu projeté. Chante moyennement bien. Morceau léger, bien reçu, mais n’enflammant personne. Bon début, sans plus. Nicole commet des faussetés. Salon indulgent : Nicole, encore une enfant. Pression incroyable, surtout quand on passe la première. Ne devrait pas bouleverser notre classement personnel, ni le résultat final.

POLOGNE

Contraste intéressant noté par le salon. Ballade classique, bien fichue, bien eurovisionesque. Alicja impeccable, grande voix, grande chanteuse, grande prestation. Talent indéniable, mais morceau convenu. Un peu trop convenu. Même pour le Junior. Le salon tombe d’accord : Alicja dépasse sa chanson. Reprises des bavardages. Pas grand-chose à ajouter.

PAYS-BAS

Premiers rires. Le groupe singe les années 90 dans tous ses clichés. Passage en revue : chaînes en or, perfecto, couleurs distinctes pour chacun, velours à tous les étages, cheveux gominés et beaucoup, beaucoup, beaucoup d’attitudes, de poses, de mimiques. Rires redoublés à l’entame de la chanson. Très étrange pour des Belges francophones d’entendre chanter en néerlandais. Morceau caricatural également. Mais tout est caricatural. Rires ajoutés aux rires. Chanson est une resucée de ces titres creux des boybands. Ces trois minutes ne sont qu’une resucée, en fait. Gênant : quatre mômes qui imitent (mal) des adultes ayant connu la gloire vingt ans auparavant. Conservation bifurque vers le destin de ces chanteurs : oubliés, morts ou ayant sombré dans le pathétique. Ça promet pour Fource…

ARMÉNIE

Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ? Non, c’est une praline ! Après avoir hésité sur le genre de Mischa, le salon rit de le voir habillé en chocolat de la tête aux pieds. Overboard dissimulé par neige carbonique. Retient l’attention jusqu’à ce la brume se dissipe. Rires redoublés quand le gimmick est révélé. Salon se demande s’il va tomber. La chanson ennuie. Misha chante très bien, mais cela reste plat. Le canapé de droite se demande s’il va lancer son boomerang. De fait. Rires et imitations d’une personne dans le public se prenant la chose en pleine poire. Moi, ne peux m’empêcher de penser à l’autre Boomerang eurovisionesque. Conservation bifurque vers Mischa et Macha, origines, diminutifs, étymologies. Le canapé de droite se demande à présent si le boomerang va revenir. De fait. Rires et cris de déception : il a été tendu par le cameraman. Nouvelles imitations de Mischa manquant son boomerang. Rires et re-rires.

BIÉLORUSSIE

Annonce de votre favorite. Salon attentif. Belle prestation, belle mise en scène, mais il manque un je-ne-sais-quoi. Doute. Salon pas convaincu. Très adulte, trop adulte, pas très Junior. Helena donne le meilleur d’elle-même. Réussite jusqu’à un certain point. Salon attend un refrain marquant qui ne vient pas. Reste sur sa faim. Bien, très bien. Mais manque d’un facteur X. Intéressant : les fans adultes ont adoré IMTO à la première écoute. En sera-t-il de même pour les fans enfants ?

PORTUGAL

Me cache le visage dans les mains et annonce d’un ton catastrophé que c’est la pire chanson. Mariana débute : « Youtuber, youtuber… » Je m’exclame : « Ça n’ira pas plus loin ! » De fait, la ritournelle s’arrête grosso modo là. Salon déçu. Exclamation sur la victoire de mai (mauvais souvenir), le discours moralisateur de Salvador et ça. Quel intérêt ? Salon compatissant pour Mariana. Donne le meilleur d’elle-même. Mignonne, douée, sympathique. Mais chanson jugée nullissime. Les notations plongent. Le Portugal marche vers une dernière place personnelle.

IRLANDE

Nouvelles exclamations. Encore les années 90 ! Très folk irlandais à guitare de cette décennie. Salon concentré sur la coupe de cheveux. Couettes, aubergine, paillettes. Très très années 90 aussi. Salon s’interroge. Qu’est-ce qu’ils ont tous avec les années 90 ? Hypothèse du canapé de gauche : n’ont pas connu cette décennie. Sans doute mythique pour eux. Coup de vieux : c’est toute notre adolescence. Ceci dit, chanson ennuie le salon. Muireann choupinou, mais morceau inerte. Envie d’appuyer sur avance rapide pour passer à la chanson suivante. Moi frappé par fossé béant entre réalité de la sélection irlandaise et réalité du Junior. Muireann perdue sur scène, musique inaudible, cadrages ratés. Bref, occasion manquée.

MACÉDOINE

Première apparition de Mina, premier fou rire. Cape blanche rappelle au salon les ouvriers de l’industrie agro-alimentaire. Mina tombe la capuche. Nouveaux rires. Coiffée comme Mel B à la grande époque des Spice Girls. Junior 2017, véritable machine à remonter le temps. Salon critique envers chanson. Bonne, mais pas exceptionnelle. Impression persistante de l’avoir déjà entendue quelque part. Conclusion fatale : imitation des tubes du moment. Impersonnel. Soudain, au refrain, gros effet visuel de la mort qui tue. Rires. Rappelle à tout le monde les clips des années 90, regardés alors sur MTV. Instant de nostalgie. Ringard quand même à un Eurovision 2017.

Entracte par The Virus. Le play-back fait grimacer le salon. Tout le monde fringué comme dans les années 90. Salon trouve les spectateurs dans la salle, plutôt amorphes. Géorgiens très réservés. Pas le chaudron bouillant du Senior.

GÉORGIE

Encore ? Toujours… Aux premières notes, le salon reprend sa rengaine des années 90. VOTH évoque les ballades commerciales sirupeuses de l’époque, notre époque. Impression d’être à une boum et de danser notre premier slow. Grigol irréprochable, mais chanson ringarde. Salon n’apprécie pas, cote très sévèrement, se désintéresse à l’entame du deuxième couplet. Conversations diverses, pauses toilettes. Dois signaler aux autres que Grigol a terminé de chanter et que l’on va passer au suivant.

ALBANIE

Robe d’Ana questionne les canapés. Forme et décorations improbables. Ana fait taire les commentaires. Chanson très bien reçue, très appréciée. Salon unanime : ça, c’est Junior, ça, Madame. Une petite fille toute mimi qui défend son arbre et la nature. Les cœurs fondent, la cote d’Ana monte en flèche. « Holà » généralisé lorsqu’elle dit « dashuri ». Salon louangeur : très bon refrain, très mélodique. Ana s’énerve et donne de la voix. Salon impressionné. Apparence si frêle et voix si adulte. Re « dashuri » et re « holà ». Refrain final en anglais. Salon sous le charme. Prestation la plus appréciée jusqu’ici.

UKRAINE

Début parlé, visuel marquant, salon captivé. Arbre lumineux très beau. Effet scénique très réussi. Anastasiya se lance et impressionne. Voix remarquable, assurance étonnante. La chanteuse occupe la scène et attire la lumière. Bonne chanson, excellente prestation. Salon d’accord : plus attractif encore que Pologne. Fou rire tout de même sur costume de scène. Mélange improbable Aladin / Sergio Tacchini. Anastasiya impressionne quand même. Salon redevient silencieux, porté par la chanson. Fort belles notations au final, candidate pour la victoire.

MALTE

Glapissements et sautillements sur place. Voilà mon favori ! Sors le grand jeu, me trémousse en rythme sur ma chaise, mime les paroles et la choré. Gianluca irrésistible, trognon. Prestation impeccable, beau numéro. Salon pris d’enthousiasme, bonne humeur communicative, rythme entraînant. Tout le monde d’accord : nous tenons notre gagnant. Combinaison parfaite entre chanson mémorable et interprète charismatique. Quelques gloussements : il est vraiment tout petit. Mais quel talent déjà ! Les compliments pleuvent sur Gianluca, suis aux anges. Décroche nos notes les plus élevées. Final réussi, applaudissements nourris de tout le salon. Malte dans nos cœurs !

RUSSIE

Légère surprise du salon : encore une candidate qui est à deux doigts du Senior. Polina fait taire les commentaires : scénographie et chorégraphie au cordeau. Visuellement plus construit que les autres. Très bonne chanson, très appréciée, très aboutie. Le canapé de droite souligne le problème récurrent du Junior : beaucoup de morceaux y semblent inaboutis, auraient mérité d’être plus approfondis, plus construits. Polina donne de la voix. Salon impressionné. Sérieuse candidate aussi pour la victoire.

SERBIE

Encore deux petites chanteuses à croquer. Numéro rétro très Eurovision Junior. Salon apprécie le début en douceur, mais est déçu par le refrain. Cela ne monte pas, pas de surprise, pas de crescendo, pas de marqueur musical qui vous trotte dans la tête. Très bonne prestation d’Irina et de Jana. Salon dubitatif et rêveur. Serait-ce la chanson ? Serait-ce les gaufres ? Serait-ce en fait que l’acmé du Junior soit passée ? Moi, convaincu : ce sera Malte, la Russie ou l’Ukraine. Le reste, hélas, un peu du remplissage.

AUSTRALIE

Isabella retient l’attention. Plainte pourtant : on n’entend pas la musique. Coupe un peu les ailes à ces trois minutes. Isabelle impeccable, chante quasi a capella, très professionnelle. Pourquoi la production audio reste-t-elle en rade ? Mystère. Me laisse porter par la chanson et reprends « Speak up ! », aux moments voulus. Bon ensemble, honnête et entraînant, pas renversant. Salon entre deux eaux.

ITALIE

Toujours entre deux eaux pour le final italien. Bonne chanson, bonne chanteuse, rien de transcendant pourtant. Maria fait honneur à son pays et sa langue. Salon d’accord : belle langue, l’italien. À nouveau, bon ensemble, honnête, un peu ennuyeux. Conversation dérive sur look de Maria, très années 90 (ça faisait longtemps, tiens). Embranche sur Doc Martens. Qui en a eu ? De quelle couleur ? Combien de temps ? Retour en grâce, apparemment. Ah bon ? Prix fort. Médite sur perspective d’aller au bureau en Doc Martens. Sympa quand on a 15 ans, un peu hors de propos quand on a 35. Temps qui passe… Aussi dans la réalité ! Maria a terminé. Les seize sont passés ! Déjà ! Nooon…

Salon concentré sur tableaux de vote personnels. Récapitulatif, ajustement des notations, établissement des classements. Premier à voter, via mon ordinateur portable. Y parvient facilement. Hélas, autres amis resteront en rade. Site plante. Écran blanc pour tous ceux qui tentent de voter via leur téléphone portable. Déception extrême sur les canapés, car pour une fois, tout le monde d’accord : Malte, Malte et Malte. Serait hélas le seul à exprimer un vote : Malte, Albanie et Ukraine. Canapés abandonnent et se résignent. Moi, à moitié surpris : UER sans-doute sous-estimé engouement des fans. Terre à entière a voulu voter en même temps et serveur a été dépassé. Encore opportunité manquée… Heureusement qu’il y aura l’année prochaine. Avantage éternel de l’Eurovision : il y a toujours une année prochaine.

Entracte. Salon soulève un sourcil : tout le monde chante à nouveau en play-back. Regrets. Moi aussi, regrets. En play-back, cela n’a pas la même saveur. En plus, Helen et Lizi, très bien, très charismatiques, très drôles.

Aaah ! Moment du vote enfin arrivé ! Suspense, tension, cœur qui bat la chamade, chaise qui souffre sous mes sauts et assauts répétés. Vote du jury met le salon à l’agonie. Les mômes ont encore voté à la portnawak. Résultats prennent la direction opposée des nôtres. Vraiment tourneboulé par l’échec de Malte. Pauvre Gianluca, c’est terminé pour lui. Larmes, mouchoir… Salon s’insurge de voir la Géorgie trôner au sommet. Aurions-nous regardé une émission différente ? Final nous laisse amers. Gianluca, douze points de l’Italie, quand même. Tous nos espoirs se reportent sur la Russie.

Décidément, ce nouveau système d’annonce des points est une torture pour mes petits nerfs… Nooon ! Pauvre Ana, dernière du télévote… Autres résultats plus conformes à notre classement. Hurlements dans le salon : Géorgie obtient une note très basse. Tout est possible. Peut-être même pour Malte. Me reprends à espérer. Russie passe en tête, avec à peine trois points d’avance. Tension insoutenable. Qui ? Bon dieu, qui ?

Fou rire : Helen disparaît dans l’ombre. Revient dans la lumière. Salon a eu le temps de s’étonner : les Pays-Bas parmi les cinq premiers ? Allez, comme on dit chez nous. Quand même très heureux que Malte tienne la corde. Aimé des téléspectateurs. Salon perdu en conjectures et calculs. Grillé pour l’Australie. Grillé pour Malte. Gianluca… Pays-Bas remporte le télévote. Allez ! Comment est-ce possible ?

Bref, Russie l’emporte. Salon soulagé. Très bien classé chez nous. Mais tout de même piquant : encore une fois le gagnant n’a remporté ni le vote du jury, ni le vote du public. Heureux tout de même pour Polina, très bonne chanteuse, très bonne chanson, très bonne prestation. Vaut tout de même mieux que Géorgie et ballade ringarde.

Reprise de Polina. Rires : la danseuse a égaré son sac à dos. Très bonne prestation finale. Tout le monde en scène, belle image finale. Salon reprend ses esprits. Satisfait en somme du vainqueur et de l’après-midi. Moi, tout triste : déjà fini ! Promets à tout le monde de les inviter pour la finale du FiK, histoire de revivre d’autres moments intenses.

Sur ce, après décompte final, notre classement personnel, depuis Bruxelles :

  1. Malte – 16,14
  2. Russie – 14,86
  3. Albanie – 14,79
  4. Ukraine – 14,07
  5. Biélorussie – 13,79
  6. Pologne – 13,64
  7. Australie – 13,5
  8. Italie – 13,14
  9. Serbie – 12,71
  10. Chypre – 11,93
  11. Arménie – 11,5
  12. Macédoine – 10,86
  13. Pays-Bas – 10,29
  14. Irlande – 10,21
  15. Géorgie – 9,93
  16. Portugal – 8,43

Vous le constatez : nous nous sommes grandement démarqués sur la chanson géorgienne. Pourquoi ? Est-ce dû à notre approche adulte ? Avons-nous jugé sur des critères plus adaptés au Senior ? Aurions-nous perdu notre âme d’enfants ? Maman ! N’empêche : qu’ont pu trouver les mômes du jury à ce morceau ? Si vous avez des lumières à nous apporter, elles sont les bienvenues.

Sur ce, nous vous souhaitons tous le meilleur. Et rendez-vous l’année prochaine !