C’est l’un des épisodes les plus méconnus de l’Histoire du Concours. C’est pourtant l’un des plus importants. Il eut lieu le samedi 3 avril 1993, dans les studios de la télévision publique slovène, à Ljubljana. Mesdames et Messieurs : Kvalifikacija za Millstreet !

1993. La République Tchèque et la Slovaquie se séparent. Le Marché Unique prend effet. La Belgique devient un état fédéral. Édouard Balladur devient Premier Ministre. La guerre de Yougoslavie fait rage.

Le Concours est pris dans la tourmente du temps. Les nouvelles républiques indépendantes d’Europe de l’Est et du Nord souhaitent participer en masse. L’UER élargit le nombre de participants, permettant à vingt-cinq pays de concourir à l’Eurovision 1993. Insuffisant hélas : vingt-neuf pays font acte de candidature.

L’UER décide alors d’innover : la Yougoslavie exclue, les vingt-deux participants de 1992 obtiennent leur qualification d’office. Restent trois places supplémentaires pour sept pays aspirant à débuter : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.

Une idée germa : faire participer ces sept pays à une présélection télévisée. Les trois premiers obtiendraient leur place pour Millstreet. Les quatre autres devraient attendre des jours meilleurs. Une idée révolutionnaire, trop révolutionnaire. Kvalifikacija za Millstreet fut un ballon d’essai sans lendemain immédiat. Il s’agit pourtant d’un tournant mental : l’UER admet la possibilité que des pays inscrits au Concours ne participent à la finale.

Larmes et grincements de dents. Il fallut encore une décennie pour que le principe soit admis par tous. En 2004, furent inaugurées les demi-finales, concept nécessaire, mal pour un bien, désormais monnaie courante et dont Kvalifikacija za Millstreet fut le précurseur.

L’émission fut présentée par Tajda Lekše (ci-dessous). Ce fut surtout la dernière fois qu’officia Frank Naef, le mythique superviseur du Concours.

Les sept candidats se présentèrent deux fois sur scène. La première fois, ils interprétèrent leur morceau pour l’Eurovision. La seconde fois, ils interprétèrent une chanson de leur répertoire. Tous les yeux étaient tournés vers les représentants bosniens, le groupe Fazla, qui avaient dû quitter un pays à feu et à sang, franchir les lignes de front et passer les frontières à leurs risques et périls, pour gagner Ljubljana.

Le vote fut décidé par un jury de professionnels, composé de sept personnes. Chacune était mandatée par l’un des diffuseurs participants et devaient classer ses chansons préférées en leur attribuant 5, 6, 7, 8, 10 et 12 points. Bien entendu, il leur était interdit de voter pour leur propre pays.

Au terme de la soirée, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Slovénie se qualifièrent pour Millstreet. L’Estonie, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie durent attendre 1994 pour faire leurs débuts. L’UER décida cette année-là d’instaurer le terrible système des relégations.

Miracle d’Internet : Kvalifikacija za Millstreet disponible en version intégrale sur YouTube. Vous y verrez se jouer l’avenir du Concours…

Mon avis personnel

Pourquoi diable n’y ont-ils pas songé plus tôt ? Si l’UER avait instauré des présélections télévisées dix ans plus tôt et réitéré l’expérience de Kvalifikacija za Millstreet, elle nous aurait évité bien des cris, des larmes et des eurodrames. Le malheur d’avoir raison trop tôt…

De Kvalifikacija za Millstreet, je retiendrai surtout cette prestation gothique et intense de la représentante roumaine, Dida Dragan. Blestem, la malédiction. Un augure parlant…