Dans le passé, le harcèlement scolaire a déjà été évoqué à l’Eurovision Junior, que ce soit comme thème d’une chanson comme « Stand By You », la chanson albanaise d’Anna Gjebrea en 2021, ou de manière bref tel que « Bla Bla Bla », la contribution italienne de Chanel Dilecta en 2022.

Anna Gjebrea, candidate albanaise en 2021
Chanel Dilecta, représentante italienne en 2022

Mais cette année, l’Eurovision Junior 2023 est placé sous la lutte contre le harcèlement, qu’il soit dans le milieu scolaire ou sur les réseaux sociaux. Avec deux titres évoquant ce sujet dans le concours pour enfants, il est difficile de passer à côté de ça dans l’euromonde, surtout lorsque nous pensons à certains cas de cyberharcèlement sur internet depuis quelques années au moment du concours.

Le problème des attaques en ligne sur les jeunes candidats

Chaque année c’est la même chose dans l’euromonde, les jeunes candidat.es sont sélectionné.es avec leurs chansons, les fans les écoutent et classent leurs propositions selon l’ordre de leur préférence. La plupart d’entre-eux soutiennent leurs pays et représentants favoris tout en respectant le reste des jeunes concurrents. Malheureusement, certaines personnes dans le fandom prennent l’événement si à cœur qu’ils oublient qu’il s’agit d’un simple concours pour enfants. Par favoritisme, par nationalisme ou par méchanceté, certains gens sont prêts à tout pour faire gagner leur pays favori, y compris à commettre le harcèlement en ligne envers certains participants (on parle des enfants là).

Depuis que je regarde l’Eurovision Junior (j’ai commencé à regarder en 2018), il ne se passe pas une édition sans qu’au moins un ou une jeune artiste reçoit des commentaires, voire attaques malveillants venant des gens qu’il ou elle ne les connaissent pas sur internet. Je me souviens notamment que des personnes s’en étaient pris à la polonaise, Viki Gabor, parce qu’elle était l’une des candidates favorites pour la victoire à Gliwice en 2019 (et elle a gagné quand même). Je n’ai pas oublié la fois où en 2020 des gens avaient violemment accusé certaines participantes, notamment la biélorusse Arina Pehtereva et surtout Valentina, première gagnante française du concours junior, de chanter en playback. Il ne faut pas oublier non plus la fois où Benkur Zhanibekuly, l’un des représentants kazakh à Paris en 2021, avait vécu un cyberharcèlement validiste au moment de sa sélection pour avoir remporté la sélection nationale pour le junior avec son co-représentant Alinur Khamzin (pour le contexte, il y avait eu une égalité entre les deux chanteurs). Dois-je aussi parler de la vague de haine que Zlata Dziunka avait reçu sur les réseaux sociaux parce qu’elle était ukrainienne alors des gens étaient paniqués à l’idée que son pays aurait pu remporter le concours l’année dernière ? Pour terminer, je suis toujours aussi choquée par le harcèlement en ligne que Lissandro avait subi tout ça parce qu’il avait gagné le concours à Erevan à la surprise générale, c’était d’une telle violence qu’il avait dû se retirer des réseaux sociaux pour se protéger.

Zlata Dziunka, candidate ukrainienne en 2022
Lissandro, vainqueur français du concours en 2022

Il est clair que le cyberharcèlement est un problème qui devient de plus en plus visible, on peut se poser la question sur le suivi post Eurovision Junior des jeunes chanteurs et chanteuses dans la vie.

Quand le succès d’une chanson junior entraîne le harcèlement scolaire (le cas de Carla Lazzari)

Je ne vous présente plus Carla Lazzari, représentante iconique française en 2019 avec la chanson « Bim Bam Toi », son plus gros succès musical à ce jour. Depuis sa participation à l’Eurovision Junior 2019, son titre a fait le buzz (merci Juju Fitcats) et est devenu l’une des morceaux junior les plus connus et écoutés de l’histoire du concours pour enfants.

Carla Lazzari, représentante française en 2019

Cependant, ce succès, en plus de sa participation au concours, a perturbé le reste de sa scolarité. Carla s’était confiée plusieurs fois sur le harcèlement scolaire qu’elle a vécu que ce soit dans ses chansons, dont le titre « J’en veux pas » sorti récemment, ou dans divers entretiens vidéos notamment ceux avec Guillaume Pley sur la chaîne LEGEND et avec Jeck.

On apprend notamment que les moqueries au collège ont commencé dès son retour de Gliwice et ça a continué pendant 4 ans jusqu’en classe première où elle a dû arrêter les cours au lycée. Par chance, elle était bien entourée et ses mésaventures scolaires ne l’ont pas empêché de poursuivre sa carrière comme chanteuse, de se produire en concert à guichets fermés, de commenter plusieurs fois l’Eurovision Junior avec Stéphane Bern, de co-présenter le concours pour enfants à Paris en 2021 avec Olivier Minne et Elodie Gossuin, d’être porte-parole du jury français à l’Eurovision 2021 à Rotterdam, de participer à Dance Avec Les Stars, où elle termine deuxième avec Pierre Mauduy, et à Ford Boyard.

Au final, Carla a fait de sa période de harcèlement scolaire une force pour poursuivre ses rêves et sa carrière. Mais combien de cas similaires s’étaient produits à la suite de la participation des jeunes artistes à l’Eurovision Junior ? Que faire pour mieux protéger les enfants pendant et après la période du concours ?

Mise en place du renforcement de la protection de l’enfance par l’UER

Afin de mieux protéger l’ensemble des jeunes artistes à l’Eurovision Junior, l’UER présente cette année un nouveau protocole de protection de l’enfance. Pour plus de transparence, ce protocole définit la procédure à suivre dans des situations hypothétiques qui n’ont jamais eu lieu dans le cadre de l’Eurovision Junior, mais qui sont maintenant consignées sur papier. Il est précisé que les diffuseurs hôtes et participants prennent la protection des enfants très au sérieux et s’engagent à garantir que tous les enfants bénéficient d’une protection contre les préjudices ou les abus dans le cadre de leur participation à l’Eurovision Junior.

Nous reconnaissons notre devoir de diligence envers les enfants accrédités à l’événement Eurovision Junior et reconnaissons que la protection est la responsabilité de chacun. Par conséquent, le but de cette politique est de garantir que toutes les personnes travaillant sur l’événement connaissent et respectent la réglementation.

Politique de protection et de sauvegarde de l’enfance de l’Eurovision junior

L’UER est clair, le protocole est applicable à toutes les personnes accréditées quel que soit leur statut d’emploi, leur ancienneté, leur fonction ou leur catégorie d’accréditation. En cas de non-respect de cette politique, cela entraînera des mesures disciplinaires à l’encontre de l’individu ou l’imposition d’ amendes et de sanctions aux radiodiffuseurs participants.

Le but de ce protocole est de soutenir l’Eurovision Junior, l’UER et les diffuseurs dans la création d’une culture dans laquelle la protection des enfants est l’affaire de tous.

Politique de protection et de sauvegarde de l’enfance de l’Eurovision junior

Pour la supervision des mesures prises lors de l’événement pour promouvoir le bien-être de l’enfant et le protéger contre tout préjudice, l’UER nomme Gert Kark, directeur de projet de l’UER et bras droit du superviseur exécutif du concours, au poste du responsable de la sauvegarde de l’Eurovision Junior. Il servira de contact des délégations pour résoudre les doutes ou les conflits concernant ce document. 

Gert Kark

Quant à Jean-Philip De Tender, directeur des médias de l’UER, Martin Österdahl, superviseur exécutif de l’Eurovision Junior, et Marta Piekarska, présidente du groupe de pilotage du concours, ils seront tous les trois chargés de vérifier le respect de ce protocole en tant que délégués de l’UER. Ils seront là pour soutenir et conseiller Gert Kark pour répondre à toutes les inquiétudes concernant la réglementation. Ils seront également responsables de prendre toute décision concernant le renvoi à la police ou à une agence de protection de l’enfance.

En revanche, chaque chef de délégation sera responsable de la protection de ses représentants respectifs. Ils sont donc en contact permanent avec les plus hauts responsables de l’UER. Il est établi que tous ont une grande connaissance dudit document pour pouvoir identifier les risques et prendre les mesures nécessaires pour protéger immédiatement l’enfant si quelque chose devait arriver. Pour le diffuseur hôte, un responsable sera désigné pour être le point de contact pour « toutes les questions de sauvegarde impliquant tous les enfants », en précisant que cela inclut les représentants, les invités mais aussi les jeunes qui viennent en public.

Le document de la politique de protection et de sauvegarde de l’enfance de l’Eurovision Junior est disponible ici (en anglais seulement). A noter que la mention du cyberharcèlement est évoqué parmi les derniers points du protocole dans le cadre de la protection des enfants en ligne. Reste à voir sur une longue durée si ce protocole sera efficace (juste assez pour que les pays scandinaves reviennent dans le concours ?), mais le fait qu’il existe est déjà un grand pas en avant sur le plan éthique.

Mais qu’est-ce qui fait de la lutte contre le harcèlement le thème de l’Eurovision Junior 2023 ?

Parlons enfin des deux chansons sur le harcèlement scolaire : « Cœur » de Zoé Clauzure pour la France et « Where I Belong » de Júlia Machado pour le Portugal. Toutes deux racontent leur vécu avec leurs propres perspectives, l’une de manière universelle, l’autre d’un point de vue personnel. Zoé, qui avait participé à l’événement « Tous mobilisés contre le harcèlement à l’école » et était de passage dans l’émission « Harcèlement scolaire: briser le silence » hier soir sur France 2, veut donner de l’espoir aux victimes du harcèlement scolaire à travers son titre. Júlia quant à elle, voit le Portugal comme terre de refuge pour se protéger du harcèlement qu’elle avait subi pendant sa scolarité aux Etats-Unis.

Le fait que ces deux contributions partagent le même thème dans une édition du concours qui aura lieu en France, où le harcèlement scolaire est l’un des sujets d’actualités les plus discutés ces derniers mois, et qui coïncide avec la décision de l’UER d’accentuer la protection des mineurs dans le concours (20 ans après le premier junior) rend l’événement plus impactant pour le public, en particulier les enfants, dans le sens où des victimes de harcèlement scolaire et/ou de cyberharcèlement se sentiront représentés par des jeunes artistes qui ont vécu la même chose qu’eux. Au final, les victimes du harcèlement à l’école et/ou en ligne sont juste des héros auquel on peut s’identifier et qui méritent d’exister, d’être et de vivre.

Crédits photographiques : UER, Andres Putting, Corinne Cumming, Thomas Hanses, TVP