Lunedi 9 maio 2022, 6h45. Après des jours de croissante excitation, une valise est déjà prête 48 heures avant (chose plutôt rare pour le sagittaire que je suis) et surtout des années d’attente et d’espoir, c’est en ce jour que le rêve devienne réalité. Con il treni, con il treni ciao ciao e in viaggio per Torino ! 

C’est ainsi au terme de six heures de train que j’ai traversé les Alpes et que pour la première fois, je vais vivre l’Eurovision en direct de sa ville hôte et de la salle. Larme à l’oeil.

Après-midi. Une quatro formagi e un espresso del stomacchio, Airbnb récupéré, une carte transport Multidaily impossible à acheter (et davantage de monnaie rendue par l’automate que ce que j’ai payé le prix du billet, plus un autre acheté à la sauvette), un genou douloureux (liberté, égalité, ligaments croisés dirait mon cher kinésithérapeute), sortie à Porta Nova direction l’un des lieux phares de l’événement : l’Eurovillage. Hashtag premier orgasme eurovisionesque, et premier constat : la ville est aux couleurs de l’Eurovision.

Situé dans le célèbre Parco del Valentino, l’Eurovillage correspond ma o meno à une grande fan zone de l’Eurovision, lieu de retrouvailles des eurofans, mais aussi du public local, d’ailleurs nombreux cette après-midi là. Au programme : projection des live shows, des eurostars, des artistes locaux, et des stars italiennes. Le tout à titre gratuit. Que demande le peuple ?

Parcourir l’Eurovillage, c’est comme parcourir une espèce de Village Départ du Tour de France en s’en gagnant le droit d’entrée. Détour long pour en trouver l’accès, fouille minutieuse du sac (ciao ciao bouteilles, gels hydroalcooliques – alors que le FFP2 est officiellement de mise dans les transports et les lieux culturels fermés – et … batteries externes, ô combien dangereuses pour l’auditoire), … Jusqu’à ce que j’atteigne enfin les deux allées somme toute plus courtes que le parcours d’accès qui desservent une foule de stands institutionnels et partenaires (Lavazza, Ville de Turin, Région du Piémont, Union Européenne …) sans oublier LA seule, l’unique, LA boutique officielle du concours dans laquelle se procurer tee-shirts, tote bags, magnets, porte clés, cartes postales et Loredana Bertè sait quoi à l’effigie de The Sound of Beauty. Sans oublier le programme officiel (alias la Bible) et le CD officiel. Un espace symbolique en somme, mais dont l’intérêt repose davantage sur sa programmation musicale, son ambiance et son principe, que sur ses activités non-eurovisionesques et publicitaires, guère passionnantes, à moins de tenir à son tote bag gratis estampillé UE comme aux arbres sacrifiés par la délégation arménienne. Mais de belles découvertes sur scène, à l’instar du groupe indie pop Legno, qui a mis l’ambiance à la foule alors clairsemée.

18h15. L’heure du départ pour le Pala Alpitour a sonné. Et autant dire le début du casino alla turinese (organisation, quand tu nous tiens). Changement de parcours, arrêts de bus mal visibles et sans affichage automatique, contradiction entre les infos donnés par l’application de navigation, l’affichage, l’office du tourisme de l’Eurovillage et les locaux, … J’y aurais mieux fait d’y aller à pattes, tiens.

Arrivée à 19h30 sur site et après la crainte de la longue file d’attente alors kilométriquement (néologisme) étendue sur le trottoir, rendez-vous dans les jardins pour les retrouvailles avec la Team OGAE France, réunie des couleurs azzuro, bianco, rosso, et du badge à l’effigie d’Alvan et Ahez. Nous étions assez nombreux·ses pour ce premier Jury Show, parmi lesquel·les d’ailleurs une mère et sa fille avec qui nous avons partagé le même wagon de train depuis la Savoie ! L’occasion de belles rencontres, notamment autour d’une première fois eurovisionesque pour pas mal d’entre nous. Autant dire que l’émotion était forte lorsque nous avons pénétré dans l’arène, et vu pour la première fois The (Sublaïïïme ma chérie) Sun Within, entouré de ses jardins à l’italienne. Effet Waouh garanti, qui plus est dans cette magnifique salle hôte des Jeux Olympiques d’hiver de 2006.

Installation en carré or. Sur le côté gauche de la scène. De quoi entendre le puissant bruit des fontaines et se transformer en poulet à deux doigts de la rôtissoire à l’émergence du feu jaillissant. Nos eurostars et notre fabuleux trio de présentateur·rices à portée de main, qui nous saluent pendant les pauses (particulièrement Laura et Mika de par leur proximité avec la France). Che emozione, sara perchè ti amo.

Unë, ty, tre, ta marrsha ! May the Eurovision Song Contest begiiiiin ! Au menu de ce Jury Show (dont Audrey vous a fait le compte-rendu) : 2h30 de show, de feu, d’ambiance, de lumières, et de monts et merveilles, à peine entravés par un soleil cinétique tristement noir et immobile. Il faut dire que les délégations semblent avoir eu du mal à se saisir de la chose, qui plus est avec les modifications scénographiques demandées à l’arrache. Soleil qu’on aura toutefois la joie et la surprise de voir se déployer – car le moteur a étrangement été réparé entretemps – pendant l’interval act, conférant à la scène de l’Eurovision une aura qu’on ne lui a jamais connu jusqu’alors, toutes éditions confondus. Un littéral chef d’oeuvre hélas mis à la diète par l’UER, cause é-ga-li-té de trai-te-ment en-tre les can-di-dats. Bref.

Et si je vous racontais plutôt cette soirée en mode « 12 points » ? You’re Good To Go.

  • Le feu de Ronela, so Eurovision, so eurodiva, so fatale, so gay-friendly (mise à jour ce mercredi à 4h28 : je ne suis que douleur depuis l’annonce officielle des résultats. Et si vous insistez, vous aurez droit à la choré sur le TikTok fort alimenté de l’EAQ, quoiqu’en pensent mes collègues. Makalon après tout)
  • La puissance d’Amanda, éblouissante, et révélation de ces premières répétitions et lives
  • La sensibilité et l’émotion de S10, coeur incessamment sur la main dans la Green Room néerlandaise que nous surplombions, et sincèrement touchée par nos cris et nos applaudissements
  • La suspension et la sincérité de la saudade portugaise, telle une subtile et splendide poésie de l’Eurovision
  • Les couleurs des primeurs lettons (N.B. : ne jamais chanter les légumes au concours, même si sur le moment, ça vous enthousiasme une salle avide de mouvement)
  • Le public, debout, pendant les trois courageuses minutes ukrainiennes. Pas de Winner Vibe eurovisionesque, mais Stand For Ukraine
  • La malice de nos vikings de loups avides de bananes (au demeurant fort sympathiques d’ailleurs, bien que nul ne maîtrise leur idiome intergalactique)
  • L’arrivée de Mahmood sur scène devant un public déchaîné (et votre auteur avec, vous vous en doutez), et la puissance du passionnel duo Brividi avec Bebe Bianchito
  • Alvan et Ahez venus enflammer la salle avec leur enivrant et hypnotique Fulenn sous les cris d’encouragement de la Team France (et Alexis en bug à la lecture du prompteur en anglais)
  • L’extraordinaire communion entre les eurofans, et surtout ma rencontre avec les compatriotes français, hyper sympathiques, le tout orné de mon tee-shirt chocolatine. Qu’est-ce cela m’a manqué après tant d’années de passion vécue en solo jusqu’au jour de mon coming out eurovisionesque sur l’EAQ …
  • Ultimo ma non meno, l’extraordinaire prestation de Diodato, enfin invité à défendre Fai Rumore sur la scène de l’Eurovision et à domicile, grand moment de cette demi-finale. Potentiel gagnant de feu l’édition 2020 ? Jamais nous ne le saurons. Mention spéciale par ailleurs à l’excellence des interval acts, juste magnifiques.
  • L’émotion de la première fois. Tout simplement. Et quelle émotion, putain …

23h30. Fin du vote du jury fictif. Un tram blindé (mais qu’importe pour un parisien d’adoption, et qu’importe tout court après un tel cadeau), un kebab dévoré sous les arcades du quartier de Porta Nova (garanti conforme par Google), un quasi ghosting de deux eurofans norvégien·nes (à qui j’ai pourtant confié mon appétence pour Keith & Jim), et un coup de métro. Me voilà bon per il letto après seulement deux heures de sommeil la veille. Gli occhi pieni di stelli.

Della Drogheria Pugliese, Torino, martedi 10 maggio, 15h35, orrechiette al ragu.

Con 24 000 bacci.

Rémi

P.S. : dans le générique de début, ils n’ont pas un peu pompé le concept du Junior avec leur drone les italien·nes ?

© Rémi P.