Douce France, cher pays de mon enfance… S’il y avait eu un Eurovision en 1947, je suis convaincue que Charles Trénet l’aurait emporté avec cette magnifique chanson, cette sublime déclaration d’amour au plus beau pays du monde : le nôtre, la France. Je trouve d’ailleurs que les chansons françaises à l’Eurovision devraient plus souvent évoquer la France. Il y a tellement de belles choses poétiques à en dire. Espérons que Madame Redde-Amiel retiennent plusieurs chansons dans cette veine pour la prochaine sélection.

Je discours, je discours et nous voilà déjà arrivés au terme de notre série hebdomadaire. Encore une fois, vous-savez-qui a mal établi son calendrier et dû prolonger en catastrophe d’une semaine les festivités des dix ans. L’amateurisme élevé au rang des beaux-arts… Voyons le bon côté des choses : cela m’aura permis de demeurer vos côtés une semaine de plus, avant d’être re-placardisée pour quelques années. Je vous remercie une nouvelle fois pour votre présence, vos commentaires et votre fidélité qui sont allés droit à mon cœur d’amoureuse du Concours et de la langue française.

Pour conclure sur cette pluie décennale d’Eurodrames, une évidence s’impose : la France ! Revenons ensemble sur dix années de participation française à l’Eurovision et sur les principaux Eurodrames les ayant marquées.

2010

Pour débuter la décennie et dans le prolongement de la participation de Patricia Kaas l’année précédente, France 3 opte pour une sélection interne et cherche un artiste de premier plan. Les rumeurs les plus folles parcourent la toile, permettant à l’Eurovision au Quotidien d’ouvrir ses ailes. L’on parle beaucoup de Christophe Willem, Julie Zenatti, Natasha St-Pier et Emmanuel Moire. Ce dernier semble tenir la corde, mais c’est au final Jessy Matador, un jeune chanteur encore peu connu qui est choisi. France Télévisions espère faire coup double et décrocher un succès de l’été qui coïnciderait avec la Coupe du Monde de Football 2010.

Les réactions des Eurofans français vont de la déception à la fureur. Ils reprochent à France 3 de mépriser l’Eurovision et de ne s’en servir qu’à des fins tierces, sans aucune volonté d’y participer dans un esprit de compétition. Le diffuseur réaffirme son soutien à Jessy Matador. À Oslo, Allez ola olé reçoit un accueil plus favorable que craint et termine à une honnête douzième place.

Sur le plan commercial, Allez ola olé se révèle un succès. Jessy décroche une première place en France et voit sa chanson classée dans de très nombreux pays européens. Elle engrange ensuite un nombre faramineux de vues sur YouTube, près de 73 millions à ce jour. Dans l’interview accordée à l’occasion de notre dixième anniversaire, Jessy a rappelé les excellents souvenirs que lui avaient laissé sa participation.

2011

France 3 opte une nouvelle fois pour une sélection interne. Le moulin des rumeurs repart : Sh’ym et Emma Daumas sont évoquées. En février, le diffuseur annonce qu’il s’agira d’Amaury Vassili. Sa chanson en corse, Sognu, est accueillie favorablement par les Eurofans français et étrangers. Les premières prestations en direct du chanteur renforcent ces impressions positives et sa cote monte sans cesse auprès des parieurs, au point qu’Amaury arrive à Düsseldorf parmi les favoris. Les Eurofans français se prennent à espérer, pour mieux être déçus.

Lors de la finale, la prestation vocale d’Amaury désappointe. Jurés et téléspectateurs restent sur leur quant-à-soi et la France termine quinzième.

Le rideau retombé, Amaury peine à masquer sa déception et sa colère. Il s’emporte dans les médias contre les autres concurrents, le jury français et lui-même aussi. Les Eurofans français sont en pleine désillusion, tandis que Sognu ne rencontre qu’un succès commercial modeste.

2012

France 3 reconduit sa procédure de sélection interne et en novembre 2011, annonce qu’elle sera représentée par Anggun. L’espoir revient dans le cœur des Eurofans français. La chanson, Echo (You & I) , est présentée en janvier et bénéficie d’une bonne réception. Persuadée de ses chances de victoire, Anggun entame une vaste tournée promotionnelle et prépare avec force et enthousiasme sa prestation.

Le résultat final laisse Eurofans, jurés et téléspectateurs pour le moins sceptiques. La claque est d’autant plus violente pour Anggun qu’elle ne s’y attendait pas : elle termine vingt-deuxième.

La révélation des votes séparés est encore plus cruelle. Si les jurys lui ont attribué une honorable treizième place, le public, en revanche, ne lui accordé aucun point et classée dernière. Echo ne rencontre qu’un modeste succès dans les classements des pays francophones.

Anggun aussi se répand dans les médias pour faire part de sa colère, de sa déception et de son sentiment d’injustice. Elle jure qu’on ne la reprendra plus à participer. De leur côté, les Eurofans français s’enfoncent dans la déprime.

2013

France 3 reconduit sa sélection interne, mais avec un changement de perspective : le diffuseur accorde la priorité à la chanson. Un comité d’experts se réunit et écoute à l’aveugle dix-huit morceaux présélectionnés par la délégation. Leur choix se porte sur L’enfer et moi, interprété par Amandine Bourgeois. La chanson est présentée en mars et reçoit un bon accueil. Les Eurofans français redressent la tête.

Ils la rabaissent rapidement, en apprenant que la production suédoise a attribué la première place de passage à la France. Ils craignent que cela n’entrave les chances de réussite d’Amandine. Est-ce cette place ? Est-ce sa prestation ? Est-ce la chanson ? Jurés et téléspectateurs s’en désintéressent et la chanteuse termine vingt-troisième.

Les Eurofans français sont consternés. L’enfer et moi ne rencontre que peu de succès commercial.

2014

France 3 change son fusil d’épaule et pour la première fois depuis 2007, organise une sélection nationale. Les espoirs des Eurofans sont vite douchés à l’annonce des détails de la dite sélection : elle aura lieu un dimanche après-midi, durant l’émission Les chansons d’abord, présentée par Natasha St-Pier. Le vainqueur sera déterminé moitié pour un jury d’experts, moitié pour un vote en ligne.

Après un appel à candidature et une présélection interne, les trois candidats sont annoncés en novembre : Destan, Joanna Lagrave et Twin Twin. Leurs chansons sont dévoilées en janvier et divisent pour le moins les Eurofans. Le groupe Twin Twin et Moustache l’emportent. Les Eurofans doutent de plus en plus. Sans grande promotion, ni préparation, Twin Twin arrive à Copenhague.

L’Eurodrame est majeur : le groupe termine dernier, avec deux points à peine. C’est la toute première fois depuis ses débuts en 1956, au premier Eurovision, que la France écope d’une dernière place. Jusqu’à alors, elle était le seul membre fondateur et le seul membre du Big 5 à avoir évité pareille humiliation.

Les médias français brocardent France Télévisions, tandis que les Eurofans sont partagés entre honte, fureur et désespoir. Sans grande surprise, Moustache se révèle un échec commercial total.

2015

Face à ce plantage majeur, France Télévisions modifie sa stratégie : France 2 reprend sélection et participation à l’Eurovision. La nouvelle cheffe de délégation, Nathalie André, promet de redorer le blason du Concours. Les Eurofans ont hélas droit à une autre douche écossaise : enthousiasmés par les premières annonces, ils sont horrifiés à la découverte du morceau choisi. La délégation française a en effet opté pour N’oubliez pas, interprété par Lisa Angell. Vent debout contre le choix de la chanson, les Eurofans font pleuvoir critiques et sarcasmes sur le diffuseur. Nathalie André défend sa décision, sans les convaincre.

L’Eurodrame annoncé et pressenti a bien lieu, lors de la finale, à Vienne. Malgré une prestation vocale réussie, Lisa Angell ne retient l’attention ni des spectateurs, ni des jurés. La France termine vingt-cinquième avec quatre points.

Les Eurofans atteignent un certain degré de fureur et d’incompréhension. Nathalie André fait son mea culpa et promet une revanche l’année suivante. N’oubliez pas est un autre échec commercial.

2016

Pour parfaire sa stratégie, Nathalie André s’adjoint l’aide d’un nouveau chef de délégation, Edoardo Grassi. Un appel à candidatures est lancé et la délégation française reçoit environ 280 chansons. Après plusieurs délibérations, la délégation élit en interne Amir Haddad et J’ai cherché. Cyril Hanouna évente l’information, qui est officiellement confirmée quatre jours plus tard, en février. La chanson reçoit un accueil enthousiaste des Eurofans français et étrangers, ainsi que des parieurs. Elle remporte même le sondage annuel de l’OGAE.

Amir arrive à Stockholm parmi les favoris. Sa mise en scène, dévoilée lors des répétitions, refroidit les ardeurs de certains. Tous continuent d’espérer. La victoire n’est pas au rendez-vous, mais la France obtient une excellente sixième place, son meilleur résultat depuis 2002. Surtout, avec 257 points, Amir inscrit un record historique de votes pour la France.

Enfin heureux, les Eurofans français conservent de cette participation 2016, le meilleur des souvenirs et envisagent l’avenir avec confiance. J’ai cherché s’avère en outre un succès commercial majeur et s’envole jusqu’à la deuxième place des classements français. Elle remporte également le NRJ Music Awards de la meilleure chanson francophone de l’année.

2017

Forte de cette réussite, Nathalie André et Edoardo Grassi appliquent la même méthode pour leur sélection 2017. La rumeur porte les noms de Tal, Slimane et Claudio Capéo. La délégation reçoit, elle, près de 300 chansons. Après écoute, elle sélectionne Requiem, interprétée par Alma et composée par Nazim Khaled, auteur de J’ai cherché. Les Eurofans français accueillent la nouvelle avec joie. Néanmoins, la publication de la version Eurovision de Requiem, réorchestrée et pourvue désormais de paroles en anglais, les laisse divisés.

Comme Amir, Alma effectue une tournée de promotion nationale et internationale. Mais une nouvelle fois, les Eurofans sont déçus à la découverte de sa mise en scène, estimée simple voire simpliste. L’espoir demeure et au terme du vote, la France termine à la douzième place.

Les Eurofans ressentent de la déception et estiment que la transcription télévisuelle des morceaux choisis pèche par manque de réflexion et de créativité. Requiem n’obtient qu’un succès commercial limité.

2018

Souhaitant réaffirmer son engagement envers l’Eurovision et faire croître ses audiences à son endroit, France 2 décide d’organiser une sélection nationale. Baptisée Destination Eurovision, elle bénéficie d’un large soutien de la part des Eurofans français. La présentation des concurrents et de leurs chansons se déroulent durant les Fêtes 2017-2018. Beaucoup d’interprètes sont en début de carrière, étant passés par des télécrochets ou ayant sorti leurs premiers singles. Parmi les auteurs, des grands noms de la scène française : Grand Corps Malade, Zazie, Pascal Obispo, Maître Gims, Vitaa ou encore Dany Synthé.

L’ensemble du processus est fort suivi et commenté par les Eurofans. Lisandro Cuxi est vu comme le favori. Le déroulé des trois soirées laisse sceptiques beaucoup d’Eurofans, spécialement la diffusion en différé des deux demi-finales, et Destination Eurovision récolte un succès d’audience bon sans être exceptionnel. Heureusement, sur le plateau, l’ambiance est au rendez-vous et lors de la finale, la qualité des mises en scène est soulignée. Lors du vote, les juré internationaux couronnent Lisandro. Mais à la surprise générale, le public attribue la victoire à Madame Monsieur qui deviennent les représentants français 2018.

L’accueil général de Mercy est contrasté. Les Eurofans français espèrent. Les Eurofans étrangers apprécient. Mais les nationalistes et l’extrême-droite française se déchaînent sur la chanson, qui parle du sauvetage en mer d’une enfant migrante. Madame Monsieur défend sa proposition et effectue une tournée promotionnelle, jusqu’en mai. À Lisbonne, l’histoire se répète : les Eurofans sont déçus par la mise en scène, qu’ils jugent une nouvelle fois trop simple. L’espoir demeure cependant. Mais au terme du vote, la France récolte d’un autre classement moyen, en l’occurrence une treizième place.

Les Eurofans restent sur un sentiment mitigé identique. Mercy obtient au final un succès commercial tiède.

2019

France 2 décide de reconduire Destination Eurovision. Edoardo Grassi s’en va et est remplacé par Steven Clerima. Les Eurofans français se passionnent une nouvelle fois pour les annonces des candidats et des chansons. Outre des figures mises en lumière lors de télécrochets, deux grands noms retiennent l’attention du public et des médias : Chimène Badi et Emmanuel Moire. Le déroulé des soirées est amendé : les demi-finales ont désormais lieu en direct. Les Eurofans français applaudissent cette décision, mais demeurent réservés, notamment quant aux reprises.

La campagne promotionnelle, puis la deuxième demi-finale sont perturbées par des groupes de soutien aux Palestiniens. Réprouvant la tenue de l’Eurovision en Israël, ils souhaitent l’annulation du Concours et de la sélection et mènent un intense lobbying sur les réseaux sociaux. Le vote, lui, voit une nouvelle fois les jurés et les téléspectateurs se diviser. Les premiers couronnent Seemone. Les seconds, Bilal Hassani, avec une telle marge que celui-ci remporte la victoire avec Roi, chanson co-écrite par Madame Monsieur.

Les Eurofans sont sceptiques et estiment au final que la proportionnalité entre les deux votes a été mal fixées. Mais l’Eurodrame est ailleurs : les nationalistes et l’extrême-droite se déchaînent sur Bilal à un point inédit, lui reprochant ses origines, son orientation sexuelle et sa non binarité. La polémique enfle un peu plus suite à l’exhumation d’anciens tweets sur le conflit israélo-palestinien et d’une vidéo humoristique. France Télévisions soutient son candidat, Bilal fait front, les Eurofans subissent la tempête avec plus ou moins de résignation. La tournée promotionnelle du chanteur est réduite à sa plus simple expression.

Sur ces entrefaites, la cote de Bilal a crû auprès des parieurs. À l’entame des répétitions, il fait même partie des favoris. La découverte de sa mise en scène ressuscite les espoirs des Eurofans. Hélas, la magie n’opère pas : la France termine seizième.

Les Eurofans restent sur un sentiment général de déception. Roi récolte d’un beau succès commercial.

Bilan de cette décennie : maigre. Une sixième place, cinq milieux de classement, trois fins de classement et une dernière place. Des révélations, des feux d’artifice, des pétards mouillés, des échecs cinglants, des artistes heureux et reconnaissants et des artistes furieux et amers. Constante : l’absence de constance. Quasiment chaque année, France Télévisions semble découvrir l’Eurovision pour la première fois. Les changements de chaînes, de chefs de délégation, de responsables des divertissements, d’approches et de stratégies donnent le tournis. Autre constante : la perpétuelle figuration des Eurofans, peu consultés, souvent déçus, régulièrement désespérés, mais toujours résilients.

La décennie 2020 s’est d’ailleurs ouverte sur une sélection résumant toutes les problématiques à elle-seule : nouvelle délégation, nouvelle direction, nouvelle méthode, nouvelles déceptions et critiques en cascade. Bref, les Eurodrames français ont encore de beaux jours devant eux…

C’est ici que je prends provisoirement congé de vous. J’espère vous retrouver tout bientôt pour de nouvelles aventures. Dans l’attente, je vous envoie mes amitiés du Vésinet et y joins celles de Marcel et de Madame Martineau. Continuez à prendre soin de vous et surtout à espérer. Le meilleur nous attend, j’en suis de plus en plus convaincue. Demain, mon téléphone sonnera. Ce sera Madame Redde-Amiel et là, nous serons sauvés ! Je vous promets que grâce à ma contribution, la sélection française 2021 sera la plus belle et la plus enthousiasmante de toutes. J’ai d’ailleurs un slogan tout trouvé : Vive la République ! Vive la France !

Francine Michu