eurovision-1956Ôtez de ma vue ces maudits Suédois, je ne saurais les voir plus longtemps. Rustres, barbares, philistins, fossoyeurs de l’Eurovision ! Je le disais encore hier à ma voisine, Madame Martineau : « Suzanne, moi, c’est bien simple : j’ai arrêté les Krisprolls ! » De son côté, elle m’a promis de ne plus acheter de Wasa. Le boycott s’organise donc et bientôt, nous les ferons plier, ces impudents Vikings ! Alors, vous aussi, rejoignez notre mouvement : ne mangez plus de surgelés Findus, ne roulez plus en Volvo, ne vous habillez plus chez H&M, n’achetez plus d’appareils Electrolux et surtout, ne passez plus vos dimanches chez IKEA ! Vous verrez bientôt l’économie suédoise s’effondrer et le pays, rejoindre la Grèce dans les abîmes de la dette internationale. Enfin, dans un ultime sursaut de courage, j’ai annulé ma croisière des « quatre fois vingt-ans » dans la Baltique. Nous devions faire escale à Stockholm. J’ai dit à mon mari : « Marcel, nous ne mettrons pas un pied dans ce pays qui nous a causés tant de malheurs! » Du coup, nous partons pour deux semaines à Saint-Marin. Eux au moins, ils votent pour nous !

frida2Mais ce n’est pas pour discourir de mes vacances que je prends la plume et vous écris, en ces jours de canicule. C’est que le soleil et la chaleur me refont souvenir de ce funeste jeudi d’août 1996. Je venais de fêter mon soixantième anniversaire, j’étais heureuse (ou presque : nous nous étions encore ridiculisés à cause d’une bande de Bretons. Je l’avais bien dit qu’il fallait chanter en français ! Mais personne ne m’écoute jamais…). Une terrible nouvelle vint alors me terrasser et endeuiller mon jubilé de diamant : Frida Boccara était morte, emportée par une infection pulmonaire. Quel choc, quelle douleur ! Marcel dut me ramasser dans la véranda : je m’étais évanouie. La plus grande chanteuse à jamais avoir remporté l’Eurovision s’était ainsi éteinte, à cinquante-cinq ans, un âge où tout est possible. La chanson française, la culture française, la France perdaient là l’une de leurs plus belles ambassadrices. Comme j’ai pleuré… Et Madame Martineau aussi, bien qu’il faille avouer qu’elle ait la larme facile. Évidemment, nous sommes allées à son enterrement au cimetière de Bagneux, près de chez nous. Nous nous étions cotisées pour une couronne de roses, en hommage à l’une de ses plus belles chansons. Nous repartîmes le cœur brisé. Nous avions dit adieu à un fragment de notre jeunesse…

frida3La mémoire de cette magnifique chanteuse, trop tôt enlevée par le destin injuste, continue de se perpétrer, Dieu merci. Et je remercie un million de fois Madame André d’avoir pensé à Frida et à son immortelle chanson, Un Jour Un Enfant, en choisissant notre représentante pour Vienne. Madame André s’est souvenue que la classe et le talent étaient intemporels : Lisa Angell marchait sur le pas de Frida. Vous connaissez la suite… Je vous parie d’ailleurs que si Frida s’était présentée en mai dernier, elle aurait terminé dans les tréfonds du classement, car aujourd’hui, il suffit de se mouler l’entrejambe dans du cuir pour gagner. Madame Martineau m’a prétendu que c’était très tendance chez les homosexuels. J’ai bien regardé les images de la dernière Gay Pride et j’ai constaté qu’elle avait raison. Je comprends tout, à présent. Ça, si Lisa s’était présentée déguisée en vachette, vous auriez vu les points affluer de partout ! Brisons-là et revenons à notre belle Frida. Aujourd’hui donc, pour ma rubrique hebdomadaire, je lui rendrai hommage, en retraçant brièvement sa vie et son œuvre. Puisse-t-elle vivre mille ans dans nos mémoires…

Naissance et jeunesse

L’étoile de Frida se lève à Casablanca, au Maroc, le 29 octobre 1940, déjà au firmament. Sa famille baigne toute entière dans la musique : son frère Jean-Michel et sa sœur Lina sont de talentueux pianistes. Frida-même se révèle très tôt douée pour le chant. Le moment décisif a lieu à la fin des années cinquante. Frida assiste à un concert des Platters, dans sa ville natale. Elle y discute avec le manager du groupe, Buck Ram, qui l’encourage à se lancer dans la musique.

Après l’obtention de son bac, Frida quitte Casablanca pour Paris, où elle s’inscrit à l’Auditorium des Jeunes Artistes, puis au Petit Conservatoire de Mireille. Elle étudie le chant lyrique et forme un groupe avec son frère et sa sœur. Le succès n’attend plus qu’elle.

Débuts et succès

Frida fait ses débuts sur scène en 1960, au Festival de la Rose d’Or d’Antibes. Elle y reviendra chaque année, jusqu’en 1965. En 1961, elle remporte son premier succès avec le titre Cherbourg avait raison, écrit par Eddy Marnay. Sa carrière est lancée.

Elle triomphe ensuite avec Autrefois et Aujourd’hui, toutes deux présentées à Antibes justement.


Elle enchaîne les concours internationaux. San Remo en 1964, avec Le Dernier Tram. Majorque, en 1965. Sofia, en 1967. Elle obtient ses plus grands succès commerciaux en 1968, avec Cent Mille Chansons et Les Moulins de Mon Cœur.


Concours Eurovision de la Chanson

En 1969, Frida se retrouve parmi les artistes en lice pour représenter la France au Concours Eurovision. Elle est sélectionnée par un jury d’experts de l’ORTF et s’envole pour Madrid. Le samedi 29 mars, sur le coup de 21h45, elle monte sur la scène du Teatro Real pour interpréter Un Jour Un Enfant, composé par Emil Stern et écrit par Eddy Marnay. Elle atteint l’apogée de sa carrière.

La procédure de vote se conclut de la façon la plus surprenante : quatre pays terminent ex aequo et sont proclamés vainqueurs, dont la France. Frida remonte sur scène pour recevoir la médaille du Grand Prix des mains de Massiel et reprendre sa chanson qui connaîtra un succès international. Il est à noter que si le règlement actuel avait été en place, Frida aurait remporté seule cette édition. Elle reçut en effet des points de la part de neuf pays. Le Royaume-Uni n’en reçut que de huit pays et les Pays-Bas que de sept. Et si l’Espagne en reçut également de la part de neuf pays, elle n’obtint comme notes maximales que trois fois trois points, alors que Frida reçut quatre points à deux reprises.

Afin de compléter ce triomphe, Frida enregistre quatre versions supplémentaires de sa chanson : en anglais (Through The Eyes Of A Child), en italien (Canzone di un amore perduto), en allemand (Es schlägt ein Herz für dich) et en espagnol (Un dia un niño).


Poursuite

Dans la foulée de sa victoire, Frida entame des tournées internationales qui la conduisent aux quatre coins du monde. Elle se tourne peu à peu vers la musique classique et enregistre plusieurs albums sur lesquels elle reprend et adapte des extraits de morceaux classiques, de Mozart, Beethoven, Bach ou Vivaldi.



Hélas, le succès s’estompe au fur et à mesure des années septante, bien qu’elle continue à enregistrer un album par année. Les derniers moments importants de sa carrière la ramènent vers l’Eurovision. En 1980, elle participe à la sélection française pour le Concours. Elle termine cinquième en finale, avec Un Enfant de France. Elle retente sa chance l’année suivante et termine cette fois quatrième en finale, avec Voilà Comment Je T’aime.


Retraite et décès

Frida se retire peu après de la scène et s’implique dans de nombreuses associations caritatives, ainsi qu’auprès de l’UNICEF. Elle fait ses dernières apparitions publiques dans La Chance Aux Chansons de Pascal Sevran, où elle interprète ses plus grands succès. Elle décède le 1er août 1996.


Bonus

En attendant que France Télévisions annonce Mademoiselle Mireille Mathieu comme notre représentante pour 2016 et pour nous consoler du camouflet essuyé par ma Lisa chérie, repassons-nous encore et encore Un Jour Un Enfant dans une série d’élégantes reprises. Et vous me réveillerez lorsque cette andouille de Maxime Roylion verra l’une de ses chansons reprise par l’immense Céline Dion.

Bien à vous,

Francine MICHU







myriam mill’s un jour un enfant par lanskyduf

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