Ô rage, ô désespoir, ô sélections ennemies ! Que n’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Comme pour vous, l’élimination de Loreen à cette édition 2017 du Melodifestivalen aura été mon plus grand Eurodrame de l’année. Je n’admets d’ailleurs toujours pas que ma reine de coeur soit passée à la trappe au profit de ça. Douleur !

Pourtant, nihil nove sub sole. Loreen n’est pas la première gagnante de l’Eurovision à se faire éliminer lors d’une sélection nationale. Le pénible honneur revient à Corry Brokken, qui après sa victoire de 1957, est sèchement recalée de la sélection néerlandaise de 1959. S’ensuit un long anti-palmarès qui n’épargne personne, ni Lys Assia, ni Isabelle Aubret, ni Vicky Leandros, ni Katrina Leskanich, ni même Dima Bilan.

Il y aurait une sociologie à dresser des majestés eurovisionesques, de ces vainqueurs couronnés par la gloire télévisuelle un soir de mai. À quelques exceptions notables (coucou, France Gall), ils ont conservé un souvenir émerveillé de leur victoire et ont tous bénéficié de ses retombées médiatiques et artistiques. Certains ont estimé qu’ils n’y reviendraient plus (objectif atteint, place aux jeunes, etc.). D’autres ont retenté leur chance, ont été à nouveau sélectionnés, mais ont obtenu des résultats moins brillants (pléthore, de Corry Brokken – encore – à Charlotte Nilsson, en passant par Gigliola CinquettiHanne Krogh, Niamh Kavanagh ou encore Dana International). Au final, un seul tire son épingle du jeu : Johnny Logan.

Loreen demeure cependant à mes yeux une exception : pour son retour, elle a créé un morceau audacieux et une présentation visuelle élaborée. Trois minutes d’art conceptuel, mal reçues, mais malgré tout magistrales. L’on ne peut en dire autant de ses comparses, qui souvent, nous reviennent avec des morceaux bateaux, des schlagers périmés, des caricatures de leur chanson gagnante et qui, par bien des égards, s’auto-parodient. Statements, lui, restera dans les mémoires des fans, comme une récidive courageuse et digne d’être admirée. Quant à moi, je chérirai longtemps son souvenir.

Mais à part Statements, y aurait-il d’autres retours manqués méritants ? Pour le savoir, rouvrons notre livre d’histoire sur l’étagère à ce chapitre précis. Aujourd’hui donc, cinq chansons d’anciens gagnants de l’Eurovision éliminées durant une sélection nationale. Vous prendrez garde : ce classement reflète mon goût personnel. Si le vôtre diffère, exprimez-le dans les commentaires !

5. Olsen Brothers – Little Yellow Radio – deuxièmes du Dansk Melodi Grand Prix 2005

Les Olsen Brothers et l’Eurovision vivent ensemble une longue et belle histoire d’amour. Jørgen et Niels débutent leur carrière en 1972, elle sera couronnée de succès. Un rêve supplémentaire les poursuit : représenter leur pays au Concours. À ce grand oeuvre, ils s’attèlent dès 1978. Leur première participation à la sélection danoise se solde par une deuxième place. Ils retentent leur chance en 1979, 1980 et 1986. Hélas, la victoire leur échappe toujours. Jørgen tente alors sa chance en solo : il termine troisième en 1989 et 1990. Les deux frères touchent enfin le ciel en 2000 : ils gagnent le DMGP avec Smuk som et stjerneskud, prestement adaptée en Fly On The Wings Of Love. À la surprise générale, le 13 mai suivant, à Stockholm, ils remportent l’Eurovision. Leur chanson obtient dans la foulée un grand succès commercial. Quelques albums plus tard, nos siamois remettent leur couronne en jeu. Ils présentent Little Yellow Radio, un morceau dans la continuité absolue de leurs succès antérieurs et de leur chanson victorieuse. C’est nostalgique et entraînant, simple et rythmé. Cela sent la redite, mais demeure excellent. Seul problème : le vent a tourné, leur momentum est passé. Jacob Sveistrup leur rafle le trophée sous le nez et les deux frères restent collés sur la deuxième marche du podium. Depuis, ils nous ont gratifié de quelques apparitions fidèles. Jørgen a retenté une dernière fois sa chance au DMGP, en 2007, avec une septième place à la clé. Le duo a sorti son dernier album en date, il y a quatre ans de cela. Reviendront-ils ? À suivre…

4. Carola Häggkvist – One Love – éliminée à l’Andra Chansen du Melodifestivalen 2008

Certains l’adorent, d’autres la maudissent. Certains la vénèrent, d’autres la méprisent. Carola Maria Häggkvist possède deux dons indéniables : chanter et ne laisser personne indifférent. Que l’on appartienne à un camp ou l’autre, il faut l’admettre : Carola a marqué de son empreinte le Melodifestivalen et l’Eurovision. Ne fût-ce que par ses trois victoires au premier et ses trois participations conséquentes au second. Carola n’a que dix-sept lorsqu’elle met la Suède à ses pieds. Elle remporte le Melodifestivalen 1983 avec Främling. Elle obtient la note maximale des onze jurys régionaux, un record toujours inégalé. Deux mois plus tard, elle monte sur la scène du Concours. La télévision publique suédoise signe alors son record historique d’audience : 84% des Suédois sont devant leur poste et voient Carola terminer troisième, à leur grand désappointement. Qu’importe : Främling le single et Främling l’album deviennent les disques les plus vendus de toute l’histoire de l’industrie musicale suédoise. Carola est déjà un mythe, un Leviathan. La suite de ses années 80 est une marche triomphale. À un détail près : l’Eurovision, évidemment. Elle repart à l’assaut du Melodifestivalen en 1990, mais termine deuxième. Elle revient en 1991 pour le grand chelem : elle remporte  ET la sélection suédoise ET l’Eurovision, avec Fangad av en stormvind. Une victoire amère pour les fans français… Carola continue une brillante carrière dans les années 90 et 2000. Puis, lui revient une envie de Concours. Reine un jour, reine toujours… Une nouvelle tentative, en 2003, se solde par un échec : elle refuse tout net de se présenter aux auditions et se retrouve disqualifiée. Vient alors 2006. Aidée par Thomas G:son, la chanteuse remporte une troisième fois le Melodifestivalen, avec Evighet, nouveau succès commercial en Suède. À Athènes, Carola se hisse jusqu’à la cinquième place de la finale, cimentant plus encore sa place au panthéon divin de l’Eurovision. Mais alors, quand la reine a-t-elle chuté ? Deux ans plus tard, en 2008. Elle s’allie avec Andreas Johnson et co-écrit avec lui, One Love, une suédoiserie de la plus belle eau, suscitant un léger sourire tout de même, mais honnête à tout égard. Hélas, encore une fois, le temps a passé. Annoncés comme les futurs gagnants, Carola et Andreas échouent piteusement à l’Andra Chansen face à Nordman. Depuis, notre reine suédoise poursuit sa carrière avec la constance des légendes. Elle a sorti un dernier album en 2016, toujours aussi bien accueilli.

3. Grethe Ingmann – Eventyr – cinquième du Dansk Melodi Grand Prix 1978

Grethe Clemmensen est, dans l’imaginaire collectif, inséparable de celui qui fut son mari durant vingt ans et qui lui donna son nom de scène, Jørgen Ingmann. Grethe débute sa carrière musicale à dix-sept ans, dans les music-halls de Copenhague. Elle rencontre Jørgen à La Girafe, l’épouse et forme un duo avec lui. Nous sommes en 1957, le succès est là aussi au rendez-vous. Tous deux poursuivent une carrière solo en parallèle. Jørgen atteint un premier somment en 1961, avec Apache et Grethe, en 1963, avec Hello Boy. Ils entrent dans la légende dorée du Concours, la même année. Ils remportent la sélection danoise pour l’Eurovision, puis le Concours lui-même, avec Dansevise. Peu écornés par leur victoire controversée, Grethe et Jørgen reprennent leur parcours musical. Mais hélas, ils stagnent professionnellement. Jørgen devient directeur de production, Grethe poursuit ses efforts. Ils divorcent en 1976. Grethe se sent alors libre d’embrasser à nouveau l’Eurovision. Elle participe à trois reprises consécutives au Dansk Melodi Grand Prix. Elle termine cinquième en 1978 ; deuxième en 1979 et troisième en 1980. Le Concours lui échappe. Elle signe pourtant en 1978, avec Eventyr, une ballade jazz classieuse et intemporelle et une mémorable prestation. Les jurys régionaux lui préfèreront Mabel. Grethe poursuivra sa carrière tout au long des années 80. Elle sera forcée de prendre sa retraite et décèdera prématurément en 1990, à l’âge de 52 ans, victime de son alcoolisme. Fin de l’aventure…

2. Charlotte Perrelli – The Girl – cinquième en demi-finale du Melodifestivalen 2012

N’est pas Carola qui veut ! Seule consolation pour Charlotte Perrelli : elle l’emporte sur sa rivale dans ce modeste classement. Après des débuts à vingt ans dans le groupe Anders Engbers et un passage dans le groupe Wizex, Anna Charlotte Nilsson se lance en 1999 dans une carrière solo. Première tentative au Melodifestivalen et première réussite : comme Carola, Charlotte remporte la sélection suédoise à sa première participation, avec Tusen och en natt. Le 29 mai suivant, la chanteuse succède à son aînée et la surpasse : elle remporte l’Eurovision, avec l’adaptée Take Me Your Haven. La carrière conséquente de Charlotte n’aura cependant pas l’ampleur de celle de Carola. Son succès est modeste et limité à la Suède. En 2008, la chanteuse repart à l’assaut du Melodifestivalen et s’impose à nouveau avec le très suédois Hero. Les fans lui promettent monts et merveilles, même d’éclipser Carola par une seconde victoire eurovisionesque. Nenni : le 22 mai, Charlotte se qualifie par la seule grâce des jurys et le 24, termine à une très modeste dix-huitième place. La reine est détrônée. Elle signe cependant avec ce morceau, son plus grand succès commercial. Sa carrière s’oriente alors vers le schlager pur. Quatre ans plus tard, elle reprend Fredrik Kempe et revient à la sélection suédoise avec The Girl, qui enfonce tous les clichés du genre. Un plaisir coupable d’ampleur biblique (du moins, pour moi), mais une prestation ratée. Charlotte s’emmêle dans les paroles et se fait éliminer d’emblée. Elle se recentre ensuite sur son public suédois et chante essentiellement dans sa langue maternelle. Elle a le bon goût de rire de son statut de diva et poursuit sa réinvention. Sans grand effet : elle est à nouveau éliminée en demi-finale, au dernier Melodifestivalen.

1. Helena Paparizou – Survivor – quatrième en finale du Melodifestivalen 2014

La première place de ce classement revient à une autre diva suédoise, aux origines grecques cette fois : Helena Paparizou. Les fans auront attendu neuf années son retour eurovisionesque. Il prendra une forme inattendue, puisque la chanteuse opte pour le Melodifestivalen. Les temps ont changé, la passion est demeurée intacte et le public suédois, impitoyablement égal à lui-même. Helena passera par les Fourches Caudines de l’Andra Chansen pour atteindre la finale et terminer là quatrième. Un retour manqué, certes, mais à mes yeux le plus beau des retours manqués pour une majesté eurovisionesque. Il serait fastidieux de retracer l’ensemble de la carrière d’Helena, couronnée de nombreux triomphes et coups d’éclat. Résumons brièvement : elle débute dans le groupe Antique, qui après quelques succès, remporte la sélection grecque pour l’Eurovision 2001. Helena y décroche la troisième place, le meilleur résultat jamais obtenu jusque-là par la Grèce. En 2003, la chanteuse lance sa carrière solo et triomphe immédiatement en Grèce. Cela la ramène à l’Eurovision. En 2005, elle est choisie par la télévision grecque pour la représenter à Kiev. Le public grec se décide pour My Number One, la victoire sera au bout du chemin : Helena remporte le Concours le 21 mai. Elle devient une star colossale dans ses deux patries et une machine à tubes. Son succès ne se démentira jamais, malgré les redites et les pastiches. C’est donc une chanteuse sans regret qui chante sa survie amoureuse et qui repart avec le sourire, après un désaveu partiel des Suédois, peu adeptes des récidives. Cela n’aura aucun impact sur sa carrière. La preuve : Helena prépare actuellement son neuvième album solo.

BONUS

Hélas, d’autres retours furent malheureux, non tant sur le plan vocal, plutôt sur le plan musical. Petit contre-classement du pire en la matière ou quand la majesté eurovisionesque est restée musicalement coincée dans le passé.

5. Soul Militia – My Place – cinquièmes de l’Eurolaul 2007

Qui ? Ils sont probablement les vainqueurs les plus oubliés de l’histoire du Concours. Pourtant, ils étaient bien là, à Copenhague, derrière Tanel Padar et Dave Benton, lors de la victoire estonienne de 2001. Ils s’appelaient alors les 2XL. L’année suivante, ils se rebaptisent Soul Militia et tracent leur sillon hip-hop. Ils reviennent à la sélection estonienne en 2007 avec cette chanson plus ou moins inspirée.

4. Elisabeth Andreassen – All Over The World – quatrième de la superfinale du Melodi Grand Prix 2015

Elle est LA reine de l’Eurovision, l’artiste féminine la plus couronnée de l’histoire du Concours. Elle a participé à quatre reprises et offert à la Norvège sa mythique première victoire, en 1985. Elisabeth Andreassen est surtout la reine de la récidive. Récidives amusantes comme en 2002 ; récidives gênantes comme en 2015, avec ce schlager daté, à peine digne des années 80.

3. Izhar Cohen – Alpayim – dixième du K’Dam 1996

Sa victoire en 1978 aura marqué le Concours. Son retour en 1985 aura prêté à sourire. Sa récidive en 1996 à la sélection israélienne sera passée inaperçue. Un duo avec Alon Jan dans la veine des ballades en vogue à l’époque. Hommage à Mariah et Whitney, Barbra et Céline. Hélas, hommage manqué. Trop de diva tue la diva…

2. Frida Boccara – Un Enfant de France – cinquième en finale de la sélection française 1980

Elle a offert à la France sa quatrième victoire, en 1969. Et durant toute sa carrière, elle sera restée fidèle au même répertoire musical. Cette constance lui vaut l’amour inconditionnel de Madame Michu, mais lui jouera des tours. Ainsi, lors de la sélection français de 1980, Frida Boccara récidive avec une ballade à voix du passé, comportant le mot « enfant » dans son titre. Un quasi pastiche…

1. Anne-Marie David – Je manque de toi – non retenue à la sélection française 2013

En quarante ans, elle n’aura pas pris une ride. Sa musique, par contre… Anne-Marie David remporte la victoire pour le Luxembourg en 1973 et revient pour la France en 1979. Quatre décennies plus tard, Anne-Marie récidive avec le plus noble des motifs : sauver la France, alors en perdition. Seul souci : sa chanson, un monument à la mauvaise idée.

Sur ce, passez un excellent week-end et rendez-vous la semaine prochaine ! Au menu : de l’amour et de la haine !