history_bookSix ! Nombre parfait, symbole de chance pour les Chinois et nombre désormais cher à notre cœur. Le 14 mai dernier, Amir réussissait l’impensable : classer la France sixième au Concours Eurovision de la Chanson. Si on vous l’avait dit, il y a un an, vous en auriez douté… Moi bien, en tout cas ! Nous sommes d’accord : il aurait mérité la victoire. Restons mesurés et optimistes : au regard de dix années précédentes, c’est un exploit. Et voyons cela comme une étape importante. Le meilleur est à venir. Les jurys sont convaincus, il faudra habituer les téléspectateurs à mieux considérer la France et à voter pour ses représentants. Nathalie et Edoardo semblent avoir reçu le message, les maisons de disques aussi, l’avenir brille de mille feux.

Tout cela m’a donné envie d’un classement, un classement personnel, subjectif et partial, bref du deuxième épisode de notre série de l’été. Feuilletons ensemble un nouveau chapitre de notre beau livre d’histoire de l’Eurovision et intéressons-nous aux sixièmes places. Car l’on parle beaucoup des premiers, des deuxièmes ou des derniers, mais rarement des sixièmes. Et pourtant certains ont eu une influence déterminante sur le cours du Concours, ont frappé les esprits, voire ont embrassé la gloire grâce à ce classement. Si, si ! Les esprits chagrins s’agitent et maugréent, l’Eurovision demeure pourtant un excellent tremplin, l’opportunité de bâtir une carrière durable et de gagner son passeport pour l’immortalité pop.

2048x1536-fit_amir-candidat-france-eurovision-2016

Aujourd’hui donc : cinq sixièmes places ayant marqué l’Histoire du Concours.

5. 2010 – Belgique – Tom Dice – Me And My Guitar

Je m’en souviens comme si c’était hier. La VRT avait convoqué une conférence de presse pour présenter l’artiste qui porterait nos couleurs à Oslo. Tom est monté sur la tribune et j’ai pensé peu de bien de lui. J’ai commis une faute : je l’ai jugé sur son apparence. Vint ensuite la présentation de sa chanson, Me And My Guitar. Je révisai mon jugement sur Tom : en six mois, il avait évolué physiquement et semblait plus épanoui, plus ouvert. L’écoute du morceau me fit lever les yeux au ciel et jeter un cri de désespoir : nous n’irions nulle part avec ça ! J’avais de nouveau tort (comme très souvent, vous l’aurez noté). L’esprit de l’Eurovision était en mutation, les jurys étaient de retour, le goût du public s’affinait, la place s’ouvrait pour des morceaux plus simples et plus profonds. Le jour J arrivé, je fus stupéfait à la fois par la métamorphose physique complète de Tom et par l’efficacité de MAMG. L’alchimie était parfaite, le vote le prouva : nous reçûmes douze points de l’Allemagne,  montâmes, montâmes, redescendîmes et atterrîmes à la sixième place. Nous apprîmes par la suite que Tom avait remporté sa demi-finale, un exploit unique dans les annales belges… et flamandes ! Car Tom demeure encore et toujours le meilleur résultat obtenu à l’Eurovision par la télévision publique néerlandophone. Leur dernier Top 10 remontait à 1977… Une année marquante donc pour la VRT suivie par deux échecs retentissants en 2012 et 2014, puis par une autre réussite en 2016. Vivement 2018 !

4. 2008 – Serbie – Jelena Tomašević – Oro

2008, c’est l’heure de gloire eurovisionesque pour la Serbie. L’année précédente, à Helsinki, la suave et étonnante Marija Šerifović avait remporté le Concours avec son crypto-lesbien Molitva. Le barnum de l’Eurovision s’embarque pour Belgrade, est un temps menacé par la question kosovare, repart de plus belle et accouche d’une victoire passable. Surtout, l’on enterra le français, puisque pour la toute première fois de l’histoire du Concours, aucune chanson ne fut interprétée dans notre belle langue. Dieu merci, elle est aujourd’hui ressuscitée… Sur ces entrefaites, le pays-hôte s’emballe, remet son destin entre les mains d’un certain Željko Joksimović, finit à la sixième place et provoque une réécriture importante du règlement de l’Eurovision. Retour en 1999 : un ancien enfant prodige sort son premier album et remporte un succès immédiat dans toutes les anciennes républiques yougoslaves. C’est Željko ! Devenu en trois albums un monument national, le chanteur écrase ses concurrents à la sélection nationale serbo-monténégrine pour Istanbul. Sur la scène du Concours, il termine troisième avec Lane Moje et crée un sous-genre musical : la ballade joksimovitchienne. Cette formule sera répliquée à l’identique et avec autant de succès en 2006, 2012 et 2015. 2008 appartient à cette série aussi… sauf que la télévision serbe a choisi pour présenter les trois soirées, nul autre que… Željko ! Pour la toute première fois, un présentateur est l’auteur d’une chanson participante. Scandale, comme qui dirait ! L’UER met fin à la controverse en décrétant qu’à l’avenir, il serait interdit de cumuler les deux fonctions. Mais Željko avait l’esprit ailleurs : il était tombé amoureux de sa co-présentatrice, Jovana Janković. Les tourtereaux convolèrent en 2012 et eurent un fils en 2014, véritable bébé Eurovision et couronnement d’une romance eurovisionesque assez inédite.

3. 1969 – Monaco – Jean-Jacques – Maman Maman

À propos d’enfants… Vous avez en mémoire Sandra Kim, bien sûr, qui remporta le Concours avec son monumental J’Aime La Vie, alors qu’elle était à peine âgée de treize ans. Elle prétendait avoir quinze ans dans les paroles, mais c’était une filouterie de son manager. Les fins connaisseurs que vous êtes se souviennent aussi de Nathalie Pâque et de sa folle choucroute qui représentèrent la France à Lausanne, en 1989. J’Ai Volé La Vie (tiens, tiens) termina à la huitième place, mais suscita une intense controverse : Nathalie était alors à peine âgée de onze ans. L’UER (qui a décidément horreur des controverses) modifia le règlement et imposa aux participants d’avoir seize ans révolus le jour du Concours. Sandra devint à jamais la plus jeune gagnante de l’Histoire du Concours et Nathalie, la plus jeune participante. Depuis, l’UER s’est rattrapé et a créé une version junior de l’Eurovision, pour le meilleur et pour le pire. Mais qui eut l’idée le premier ? Ce fut Monaco en 1969 ! La principauté choisit pour la représenter à Madrid, Jean-Jacques, douze ans, premier enfant participant de l’Histoire du Concours. Jean-Jacques chanta une ode à sa maman et fut l’un des rares concurrents à ne pas remporter la victoire. La suite de sa carrière fut brève : il sortit une autre chanson et puis abandonna la musique. Selon Wikipédia, il serait aujourd’hui entraîneur de rugby. Curieux destin…

2. 1962 – Allemagne – Conny Froboess – Zwei Kleine Italiener

Qui ? Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous avez affaire à l’un des Léviathans du Concours. Car oui, cette chanson s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires et demeure l’un des plus grands succès commerciaux de l’Eurovision. La carrière de Conny Froboess débute en 1951, alors qu’elle est à peine âgée de huit ans. Elle remporte un premier succès et devient une enfant star, enchaînant les films et les tubes. À dix-neuf ans, elle remporte la sélection allemande et représente son pays à Luxembourg. Elle termine sixième, mais Zwei Kleine Italiener rencontre un succès phénoménal. Conny l’adaptera en italien, en anglais et en néerlandais. Une version française sera même chantée par Colette Deréal. Conny enregistre par la suite d’autres succès, mêlant rock et schlager. Elle enregistre un dernier disque en 1967 et met un terme à sa carrière de chanteuse pour se consacrer exclusivement au métier d’actrice. Elle remporte de nombreux succès au cinéma, au théâtre et à la télévision, accumulant les prix et les récompenses. Les cinéphiles l’auront vu chez Fassbinder, les téléphiles dans Derrick, Le Renard, Tatort, Rex Chien Flic, Wolff, Siska, bref à peu près toutes les séries policières allemandes. Consécration : en 2010, Conny fait partie du jury de la soixantième Berlinale. Agée aujourd’hui de 72 ans, l’actrice continue d’enchaîner pièces et tournages. Ne l’oubliez désormais plus dans votre liste des « interprètes les plus célèbres à avoir participé au Concours ».

1. 1996 – Portugal – Lucia Moniz – O Meu Coração Não Tem Cor

Non, elle n’a pas vendu des centaines de millions de disques à travers le monde ; non, elle n’a pas révolutionné en trois minutes l’Eurovision ; non, elle n’a pas obligé l’UER à changer le règlement du Concours ; non, elle n’a pas interprété une chanson devenue un pilier eurovisionesque ; non, elle n’apparaît jamais ni dans les compilations du meilleur, ni dans les compilations du pire, ni dans les bêtisiers ; non, elle n’est pas apparue dans Love Love Peace Peace. Et pourtant, pour tous les fans de l’Eurovision, c’est l’évidence même : la sixième place la plus mythique du Concours, c’est elle ! Lucia Moniz, reine de plein droit de la sixième place. Depuis que le Portugal participe à l’Eurovision, soit depuis cinquante-deux ans, le meilleur résultat qu’il a jamais obtenu est cette sixième place à Oslo, en 1996. Lucia avait terminé dix-huitième sur vingt-deux, lors de la fameuse présélection audio, la seule de l’Histoire du Concours. Mais sur la scène de l’Oslo Spektrum, la magie opère. Les jurys sont sous le charme, les points affluent, Chypre et la Norvège lui attribuent la note maximale et dans un grand mouvement, l’Espagne… ne lui en attribue aucun ! Sixième : Lucia bat le record de José Cid, septième en 1980, record… qu’elle détient encore et toujours. Les années, les décennies, les siècles passent et aucun représentant portugais n’a pu renouer avec pareil succès. Le seul « six » marqué par le Portugal est celui du nombre d’années… durant lesquelles il n’a plus participé à une finale du Concours. Superbe… De son côté, Lucia s’est diversifiée, a sorti plusieurs albums, participé à des comédies musicales, est devenue actrice. Son apparition la plus mémorable sur grand écran demeure son rôle de femme de ménage, bientôt amoureuse, de Colin Firth dans Love Actually.

Que souhaiter à Amir, au regard de ces sixièmes places mythiques ? Certainement de rencontrer le même succès national et international que Conny Froboess. Le temps dira si J’Ai Cherché entrera dans notre livre d’histoire. Amir, quant à lui, est déjà entré dans nos panthéons personnels. Souhaitons-lui de vendre des millions de disques, de chanter sur toutes les scènes et si l’envie lui prend, de réussir en tant qu’acteur. Que ses trois minutes à Stockholm soit la clé lui ouvrant les portes de la renommée et du triomphe…

BONUS

Pourquoi s’en priver ? Il y a tant d’autres sixièmes places dont je raffole… Compilation !