conchitaUne semaine maintenant que l’Autriche a remporté le Concours Eurovision de la Chanson à Copenhague. Il est temps pour nous de vous faire une revue de presse de ce concours pas comme les autres.
Pas comme les autres car cette année, la presse n’a pas parlé de votes géopolitiques, a presque oublié qu’une favorite a terminé 17ème dans le classement, n’a pas fait grand cas de la dernière place historique de la France, et n’a pas surenchérie sur le caractère kitsch de l’émission.
Non. Cette année, une seule étoile au firmament de l’Eurovision : Conchita Wurst, qui a fait coulé beaucoup d’encre. D’un côté, une Conchita-mania a déferlé non pas seulement en Europe, mais dans le monde entier. Et de l’autre côté, les ultra-rigides ont fait de cette Conchita-mania une Conchitagate, s’insurgeant contre la victoire de la chanteuse et pour ainsi dire contre… les millions de téléspectateurs qui ont voté pour elle.

1. L’église orthodoxe contre Conchita

Il faut dire que la victoire d’un travesti à barbe oblige certains pays à poser la question de l’homosexualité dans des pays où le sujet est tabou car l’église orthodoxe à la main mise sur tout, et où en même temps l’Eurovision est regardé par tout le monde. L’église orthodoxe monte donc au créneau, parfois à leurs risques et périls.

independantAinsi le journal irlandais The Independant, a twitté la photo ci-contre avec comme légende : « « Nous nous opposons à Conchita Wurst et à tous les hommes à barbes qui portent une robe », disent des hommes à barbe qui portent une robe. »

Il faut dire que l’église orthodoxe donne le bâton pour se faire battre. Le journal en rajoute une couche dans son article baptisé « Les twitteurs se moquent de la condamnation de Conchita Wurst par l’église orthodoxe »  Et la moquerie vient aussi des gens des pays de l’Est. L’affaire débute avec une déclaration très controversée d’un porte parole de l’église russe, Vladimir Legoyda : « La performance de la drag queen et son accueil enthousiaste est un signe de déclin moral. » Une déclaration qui a fait réagir un blogueur russe, en postant la photo reprise par le journal avec en légende : « Le ROC s’oppose catégoriquement à des hommes à barbes ! ».

La boutade a été reprise par des centaines de twitters.

2. Les députés russes contre Conchita

1305-conchitaNous illustrerons cette partie avec un article paru dans Le Courrier International traduisant un article du journal russe Gazeta  et intitulé : « Conchita Wurst, la dernière arme diabolique de l’Occident ».

Il s’agit d’un article édifiant en conneries et qui nous fait penser que les politiques russes mal léchés n’arrivent pas à faire la distinction entre une diva chantant la tolérance et… un film porno gay.

Ils profitent de cette victoire pour en faire une propagande russe et dénigrer l’Europe : « Sodome est là-bas, en Europe, là où vit cet homme à robe, cette femme à barbe. »

En mélangeant tout, ils arrivent même à entraîner ce pauvre Freddy Mercury dans leur délire psychotique : « La combinaison de la barbe et des cheveux longs sera ajoutée à la liste des signes ostentatoires de propagande de ce que vous savez, ce qui va nous obliger à corriger le style de Nikita Djigourda [acteur et auteur-compositeur de chansons célèbre en Ukraine et en Russie] qui fait pourtant fureur, mais on s’y fera. Freddie Mercury sera probablement le premier à être rayé de la liste officielle des chanteurs autorisés à la télévision que dressera le ministère de la Culture. »

Pour autant, le journal russe ne dénigre pas leurs propres artistes homosexuels. Enfin… c’est ce qu’ils veulent faire croire. Ils nous parlent de Tatu, du danseur et chanteur gay Boris Moisseev, de l’ukrainien Verka Serdouchka qui « reste apprécié en Russie dans les mariages et les soirées entre collègues. » Ou encore d’une émission hebdomadaire parodique où les téléspectateurs se délassent des mauvaises blagues d’une bande de travestis en grand-mères.

« Mais tout ça, ce sont nos homosexuels, nos travestis et nos clowns nationaux. », écrit le journal. « Aux yeux de nos concitoyens, ils ne font pas la propagande homosexuelle auprès des mineurs et ne pratiquent pas la sodomie. »

Ils utilisent une nouvelle fois le mot sodomie qui n’a aucun rapport avec la victoire autrichienne. Attention… à trop vouloir confondre la performance de Conchita avec un acte sexuel, cela pourrait s’apparenter à de l’homosexualité refoulée !

Heureusement, les vedettes homosexuelles russes peuvent respirer : « Pour ce qui est des vedettes locales, Boris Moisseev et les filles de TATU, on les laissera tranquilles pour prouver que la Russie sait se montrer tolérante, pour dire qu’on est pas complétement obscurantistes et qu’on a nos propres trésors. Certes, nos vedettes ne sont pas beaucoup mieux que Conchita, mais au moins, elles sont russes, elles sont d’ici et elles sont si conventionnellement non-conventionnelles. »

On retiendra de cet article pour le moins nauséabonde une seule chose, c’est qu’avec une telle virulence dans les propos, on sent la panique gagner dans le camp russe. Et de voir que le public russe a majoritairement voté pour Conchita, on peut penser qu’ils craignent un changement de mentalité déjà amorcé. Un changement de mentalité qu’ils veulent assurément étouffer dans l’œuf.

3. Conchita contre… personne

Eh oui, dans tout ce débat, c’est Conchita la grande gagnante. Car elle, elle est pour la paix. Le message qu’elle délivre est un message de tolérance, d’espoir et d’amour. Rien à voir avec les horreurs débités par quelque agressifs députés russes. Et les autres grands gagnants, ce sont les téléspectateurs qui ont, en majorité, compris son message. Car il est clair que ses 290 points ne viennent pas du Saint-Esprit.

4. La Conchita-mania

On en arrive maintenant à un chapitre plus léger et respirable. Depuis sa victoire, Conchita Wurst déchaîne les passions… et trouve de nombreux soutiens. Elton John lui a envoyé un bouquet de roses, tout comme Jean-Paul Gaultier. Cher, Lady Gaga, Robbie Williams… tous y vont de leur laïus pour célébrer la nouvelle diva.

On trouve aussi, parmi les candidats, des soutiens inestimables. Le site concertlive.fr nous fait savoir que l’espagnole Ruth Lorenzo va enregistrer un duo avec la gagnante autrichienne. Aux détracteurs de Conchita, la belle Ruth répond ceci : « Les gens de l’extérieur doivent se rendre compte que nous sommes libres en Europe, libres d’aimer et de faire ce qu’on a envie, personne va nous reprocher d’avoir les cheveux longs et une barbe ».

Soutien également d’un ancien candidat de l’Eurovision, et également espagnol : Julio Iglesias. Le site 7sur7.be rapporte les propos du chanteur aux 300 millions de disques vendus lors d’une conférence de presse à Londres : « C’est une super chanteuse et une fille formidable, très sensible, je suis vraiment heureux pour elle. »

disneybarbe-tt-width-604-height-349Le Parisien rapporte que Twitter a fait de Conchita une véritable star : On remarque que la physionomie de la diva autrichienne n’est pas sans ressembler à celle de Kim Kardashian, et on fait maintenant porter des barbes à toutes les héroïnes de Walt Disney.

En Autriche, on ne fait pas la fine bouche. Pensez-voir, grâce à Conchita, l’Autriche est devenue le centre de l’univers durant cette semaine post-Eurovision.

Le lendemain de la victoire de Conchita, le président autrichien Heinz Fischer s’est réjoui : « C’est une belle journée pour l’Autriche. Ce n’est pas seulement une victoire pour l’Autriche, mais avant tout pour la diversité et la tolérance en Europe. Le fait qu’elle ait dédié sa victoire à tous ceux qui croient en un avenir de paix et de liberté redouble la valeur de celle-ci. »

Comme le souligne Le Parisien, « A sa suite, l’ensemble de la classe politique autrichienne a salué la victoire à l’Eurovision de l’enfant du pays, la première depuis 1966. Même l’extrême droite du FPÖ, qui avait jugé avant la compétition Conchita Wurst «ridicule», a estimé «dans l’ordre des choses que les gens se réjouissent quand il y a une victoire».

5. Et en France ?

Petite question : lorsque vous vous promenez dans la rue et que vous voyez, au beau milieu du trottoir, un excrément de chien : est-ce que vous marchez dedans, ou bien est-ce que vous l’évitez ? Vous l’évitez, bien sûr. C’est la raison pour laquelle nous allons éviter de parler de Mme Boutin ici.

La dernière place de la France va-t-elle remettre en question le processus de sélection pour l’année prochaine ?

C’est possible. D’autant plus que cette année, la question des votes géopolitiques ne peut pas valoir d’excuses aux français pour leur piètre prestation. Et même Mme Mezerette en personne l’admet : « Quand on regarde le Top 3 cette année, ce sont trois superbes chansons, il n’y a pas de géopolitique… » a-t-elle dit comme nous le rapporte le site 7sur7.be 

En étant optimiste, cette phrase prévaut déjà un changement dans la mentalité des organisateurs français. On s’aperçoit enfin que, pour gagner l’Eurovision, il faut une bonne chanson, et que la géopolitique (bien présente tout de même) ne suffit pas à déclarer une chanson victorieuse.

Les années précédentes, on se désespérait des articles publiés dans les journaux français, qui mettaient systématiquement en avant des analyses totalement farfelues pour expliquer la défaite française. Cette année, on dirait que la victoire de l’Autriche (et peut-être aussi la seconde place des Pays-Bas) ait coupé court à tout cela. On commence à réagir. Et je vous invite à lire l’excellent article paru dans le Nouvel Obs qui semble avoir mis le doigt là où il faut.

En France où l’Eurovision passe souvent inaperçue et où on l’oublie le lendemain du grand direct, on constate que cette année est différente. Jamais en France on n’a autant parlé d’Eurovision. Et jamais on en a autant parlé en bien. Certains se sont même rendus compte de la qualité du spectacle.

conchita guignolEt, fait exceptionnel, là où des personnalités politiques ont dû attendre des mois avant d’y paraître, Conchita Wurst a déjà sa marionnette aux Guignols. Du jamais vu !

Et en France, nous avons déjà deux candidates prêtes à en découdre avec l’Europe.

Eve Angeli d’abord. Deux ans après avoir supplié France Televisions de la choisir pour Bakou, la chanteuse revient à la charge, en fustigant les Twin Twin et en se vantant d’être la meilleure candidate. « S’ils veulent gagner, ils me prennent ! En échange, je promets de moi aussi aller au « Grand Journal » à poil comme ont fait les Twin Twin (…) mais derrière ça suivra niveau vocal et ils peuvent en être sûrs. »

Autre candidate pour la France : Régine. Notre Queen rien qu’à nous dit être une fan inconditionnelle de Conchita, et vouloir représenter la France l’année prochaine. En réalité, elle n’a pas vraiment proposé une candidature spontanée mais s’est contentée de répondre au micro de RTL qui lui demandait si elle voulait le faire : « Bien sûr ! Et je le gagnerais. Je prendrais le meilleur auteur, je n’ai que des chansons formidables. »

Vous l’avez vu : en bien comme en mal, l’Eurovision a fait un buzz incroyable cette semaine. Et la conclusion de cette revue de presse revient à l’artiste russe Philipp Kirkorov, qui mettra tout le monde d’accord en disant ceci : « Avec ou sans barbe, homme ou femme, peu importe. C’est un concours. Un concours de chant ».