Des chiffres et des lettres pour commencer :

3,02 millions

C’est le nombre de téléspectatrices et de téléspectateurs suédois.e.s qui ont regardé en moyenne chaque show cette année (en hausse par rapport à l’édition 2020)

(Pour des chiffres plus complets sur les quatre dernières éditions, c’est par ici).

6,1 millions

C’est le nombre de téléspectatrices et de téléspectateurs qui a assisté à la victoire de Carola au Melodifestivalen 1983, un record historique toujours en vigueur à ce jour.

Autre chiffre dans la catégorie : 3,08 millions. C’est le nombre moyen de suédois.e.s devant leur télévision le soir de l’Eurovision depuis 2011 (avec une tendance autour de 2,68 millions lors des trois dernières éditions et un record à 3,63 millions de téléspectatrices et téléspectateurs en 2016 – source : statista.com)

Arena

Ce sont ces enceintes sportives et culturelles qui accueillent d’ordinaire plus de 10 000 personnes lors de chaque soirée du Melodifestivalen partout à travers le pays.

73,8%

C’est la part d’audience moyenne constatée sur trois des cinq shows de l’édition 2021.

Plus de 600 000

C’est le nombre moyen de votant.e.s uniques pour chaque série lors de l’édition 2021.

15, 7 millions

C’est le nombre historique de votes enregistrés lors d’une finale (en 2019).

10,23 millions

La population totale de la Suède en 2019 selon Eurostat.

À titre de comparaison, voici les parts d’audience des finales des sélections nationales 2021 (dont la majorité a vu son audience croître – effet covid ?) :

  • Melodi Grand Prix : 67,1% (moyenne de 48,5% sur trois des demi-finales)
  • Festival de Sanremo : 53,5% (moyenne de 44,4% sur les quatre premières soirées – record à la baisse)
  • UMK : 53%
  • Pabandom iš Naujo : 29% (moyenne de 23,37% sur les séries)
  • Eesti Laul : 23,5%
  • Festival da Canção : 14,5%
  • Eurovision France : c’est vous qui décidez : 12,3% (et 2,37 millions de téléspectatrices et téléspectateurs pour un pays de 67 millions d’habitant.e.s)
  • Dansk Melodi Grand Prix : 1,532 millions de téléspectatrices et téléspectateurs (pour une population de 5,8 millions de personnes)

Source : eurovoix.com

Après avoir vu son image souffrir et ses audiences décliner à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le développement du show par Christer Björkman en 2002 (avec la mise en place des quatre demi-finales et de l’Andra Chansen) lui a permis d’atteindre aujourd’hui une popularité inégalable (malgré des audiences en baisse sur les dernières éditions) et de susciter une passion jamais démentie, chez les eurofans notamment. Parce que du côté de la Suède, le succès du Melodifestivalen n’est plus à démontrer. La sélection nationale suédoise est aujourd’hui la seule en Europe à réunir chaque samedi près de trois-quarts des téléspectatrices et des téléspectateurs suédois (quand seul un match de coupe du monde de football peut atteindre de tels scores en France), ainsi que des dizaines de milliers de personnes rassemblées dans les arenas pour les live shows. Pourquoi un tel engouement ? C’est ce que nous avons essayé de comprendre en prenant l’attache de personnes d’origine suédoise, vivant pour certain.e.s en Suède et pour d’autres en France, qui ont accepté de nous livrer leur représentation du Melodifestivalen : Ida, Marica, Mattias, Rafael et Sofia.

I det avlånga landet (le pays oblong), regarder la sélection nationale suédoise est une tradition dans laquelle on tombe dès l’enfance. Rafael, qui regarde le programme chaque année, le décrit « comme un rituel qu'[il n’a] pas le droit de rater ». Pour Ida, c’est un véritable rendez-vous hivernal « Tous les samedis à vingt heures six semaines durant, le Melodifestivalen prend place au mois de février, qui est d’habitude très froid en Suède. La seule chose que vous voulez est de vous mettre au lit, d’écouter de la bonne musique, avec des bols de snacks. » Marica nous dit quant à elle que « le Melodifestivalen est presque devenu une institution, l’un des rares « feux de camp » – expression suédoise désignant des évènements attirant plusieurs millions de téléspectateurs – qu’il reste. Même aujourd’hui, alors que le programme est également diffusé sur internet, c’est devant la télé que les gens se réunissent. C’est un événement pour les petits et pour les grands. » Elle y voit « un événement amusant, léger, gai, compétitif, durant lequel on a l’occasion de faire la fête en le regardant. » Mattias n’y va pas par quatre chemins : « Quand j’étais plus jeune, j’étais obsédé ! Je l’enregistrais et le regardais encore et encore. J’essayais d’apprendre les chorégraphies et de les montrer à mes amis à l’école.« 

Le Melfest est une fest

(fête, en suédois)

Pour nos interlocutrices et interlocuteurs, le Melodifestivalen est l’occasion de soirées festives en famille ou entre ami.e.s. voire d’une « éclaircie qui illumine les mois les plus sombres ici en Suède » comme nous le dit Mattias. Pour Sofia, « avec les restrictions et la covid-19, les samedis soir ont été des moments heureux, avec du rouge à lèvres, du champagne, du pop-corn… ». Hors contexte de crise sanitaire, le Melodifestivalen n’en reste pas moins une fête, fut ce devant le téléviseur ou dans la salle. Ida a déjà eu l’occasion d’assister au show à plusieurs reprises, tant en live qu’au cours des répétitions générales : « Cela a été de belles expériences qui m’ont fait encore davantage aimé le programme. Je me rappelle avoir vu des familles être tellement excitées d’acheter différents sabres lasers, des tee-shirts estampillés Mello et des boas en plumes colorés. L’atmosphère joyeuse est incomparable à celle d’autres festivités. » Il en est de même pour celles et ceux qui regardent le programme depuis leur canapé. Rafael se rappelle ainsi « tous les moments passés avec la famille devant la télévision, avec des chips et des popcorns, en faisant des prédictions sur le gagnant de l’émission ». Pour Marica, les soirées Melfest se déroulent quant à elles entre ami.e.s : « La tradition qu’on a avec mes amis en Suède, c’est d’organiser une fête pour regarder la finale ensemble. Tous vêtus de boas et parés de bijoux, on parie sur le ou la gagnant.e. Je me souviens qu’en 2012, j’avais parié que Loreen et Euphoria allaient gagner, ce qu’elle a fait. Et j’étais aussi convaincue qu’elle allait remporter la victoire à l’Eurovision. J’ai eu raison une deuxième fois ! »

Le Melodifestivalen est un véritable sport de combat. Dès la fin de l’été, la sphère médiatique spécule sur les potentiel.le.s candidat.e.s, revenant.e.s ou nouvelles et nouveaux entrant.e.s, et dès lors que les participant.e.s connu.e.s, le processus s’accélère. Avant même la publication des snippets, chacun.e y va de son pari, et le jeu ne fait que s’accélérer dès lors que s’ouvre officiellement la compétition. Car au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, les suédois.e.s font du choix de leur représentant.e au concours de l’Eurovision un sujet majeur. Ce que Rafael nous confirme : « En Suède, le Melodifestivalen et le choix du représentant de la Suède sont pris très au sérieux. Il est connu que dans le monde de la musique Pop, la Suède est un leader en Europe. Je pense que c’est pour cela que la Suède met beaucoup de moyens dans un programme de qualité (presque semblable à celle de l’Eurovision).« 

Une « mini-Eurovision » made in Sverige

Même si un nombre croissant de personnes remettent fréquemment en cause le manque de diversité musicale et un amoindrissement de la qualité des chansons, beaucoup d’observateurs à l’étranger font d’ailleurs souvent du Melodifestivalen une « mini-Eurovision » ou a minima un show de qualité comparable. La sélection nationale suédoise est d’ailleurs historiquement associée à ce qu’il peut se faire de mieux en termes de production. Nos interlocutrices et interlocuteurs ne le démentent pas. Mattias considère que « La qualité est très bonne ! On voit qu’ils ont fait beaucoup d’efforts. Les animateurs, les pauses de divertissement et tout le reste est très détaillé et bien produit. » Si pour Sofia « La qualité varie un peu, mais reste généralement assez élevée », Ida y voit un show adapté à toutes les générations, dont elle apprécie les interval-act. Elle trouve le programme d’autant plus divertissant depuis que des personnalités participent à la compétition. Et rappelle la difficulté de choisir « Du fait que nous ayons vingt-huit chansons pour lesquelles voter, cela peut être très difficile de choisir laquelle est la meilleure. Le plus souvent, ce sont des titres pop actuels, portés par un chanteur très connu avec des effets scéniques plutôt cools, qui gagnent la compétition ». Marica souligne quant à elle l’évolution du programme. « Le Melodifestivalen a beaucoup évolué à partir des années 2000. Avant, c’était considéré comme un peu maladroit, mais avec l’introduction des demi-finales, l’organisation de de shows spectaculaires et la participation d’artistes reconnus, l’événement est aujourd’hui considéré comme plus « classe ». L’engagement du public est fort, c’est lui qui vote et décide, et l’argent des appels est reversé à une bonne cause (ONG pour les enfants). » Sur le programme en général, elle préfère mettre en avant l’ambiance festive que l’aspect musical, dont elle reconnaît toutefois la qualité « Je dirais que la qualité est assez bonne s’agissant de ce style de musique. Il y beaucoup de musiciens et de compositeurs établis qui veulent participer chaque année. Mais il faut aimer ce type de musique… Pour moi, c’est plutôt l’événement, le show, l’ambiance que j’aime. Les shows télévisés sont souvent supers, très professionnels. La télévision suédoise prend la production au sérieux et ils ont ajouté beaucoup d’humour, d’intermèdes de bonne qualité et de nouveaux présentateurs chaque année. » Elle évoque également le jeu des critiques – auxquels les eurofans adorent également s’adonner « Il y aussi l’aspect plainte. Les gens adorent se plaindre ! « C’est nul cette année, les mélodies sont horribles, etc…  cela fait partie du jeu !

A l’instar de l’Eurovision une fois de plus, ainsi qu’aux yeux des suédois.e.s, le Melodifestivalen n’est pas seulement un divertissement, une émission musicale ou une compétition. Il semble incarner le Come Together dont la Suède avait fait son mot d’ordre lorsqu’elle a accueilli le concours il y a cinq ans. Ida pense que « Le Melodifestivalen est un bon moyen de réunir les ami.e.s et la famille pour chanter, danser et rire. Quelque soit votre âge et votre genre, vous pouvez toujours en discuter. C’est un show plein d’amour. » Sofia va plus loin et parle d’un programme inclusif, qui gagnerait toutefois à davantage de bienveillance envers ses participant.e.s aîné.e.s : « Je pense que c’est un spectacle qui promeut (la plupart du temps) le droit d’être qui on veut, quelle que soit l’orientation sexuelle par exemple. Cependant, il est encore parfois assez discriminatoire à l’égard des interprètes âgés. Leurs chansons incarnent davantage quelque chose dont on rit alors que les jeunes chanteurs sont davantage pris au sérieux. » Les résultats des votes très largement favorables aux jeunes interprètes vont dans ce sens.

D’ABBA à … ?

Comme nous l’avons vu, le Melodifestivalen est l’occasion de rassembler les suédois.e.s autour d’un programme ouvert à tou.te.s et permettant de se divertir tout en appréciant la qualité du show. Il les accompagne ainsi depuis de nombreuses années, ce qui lui permet de s’inscrire dans les souvenirs des personnes que nous avons interrogé.e.s. On dit d’ailleurs souvent que l’histoire de la Suède à l’Eurovision a commencé avec ABBA, et c’est également le cas pour Marica : « Je suis le Melodifestivalen depuis mon enfance, dans les années 70. Mais tout a vraiment démarré avec la victoire d’ABBA en 1974. J’avais treize ans et j’ai trouvé Waterloo génial. La victoire à l’Eurovision à Brighton nous a rendu tellement fier en Suède. Avec ABBA, c’est une nouvelle vague musicale qui a été lancée. Je pense que cela a eu beaucoup d’importance pour le Melodifestivalen en Suède.«  Si Rafael évoque, lui, l’édition 2007 avec le victoire de The Ark, une artiste semble avoir particulièrement marqué les esprits (et je ne suis pas malheureux de l’écrire) : Loreen ! Si Marica nous a déjà dit avoir misé sur elle lors de l’édition 2012, sa victoire au concours est l’un des meilleurs souvenirs d’Ida, « with [this] amazing song » : « Je me revois dansant face à la télévision, essayant d’imiter ses mouvements. »

Nous avons questionné nos cinq interlocutrices et interlocuteurs sur leurs favoris. Un nom sort spontanément de la bouche de plusieurs d’entre eux : Tusse. C’est ainsi le favori d’Ida, qui pense que « le message véhiculé par la chanson est important et que le beat est incroyable. Ce titre pourrait parfaitement convenir pour l’Eurovision. En plus, j’aime ses vêtements colorés et ses bijoux. », mais aussi de Sofia qui trouve que le candidat a une « super chanson, super voix, super performance, des vêtements androgynes cool et une histoire personnelle touchante. » Pour Marica, « Il a une voix d’or, il a du charisme et la chanson est top. Il va certainement gagner », mais elle avoue adorer The Mamas avec In The Middle : « Trois femmes supercool !  Elles avaient gagné l’année passée, mais n’ont pas eu l’occasion de participer à l’Eurovision à cause de la covid-19. La grande finale avait été annulée.  Je croise les doigts pour elles cette année… » Ida ne serait également pas contre l’idée de données une seconde chance au trio : « Du fait qu’elles n’ont pas pu performer à l’Eurovision l’année dernière à cause de la covid-19, je pense qu’elles obtiendront beaucoup de votes de sympathie cette année. Peu m’importe cependant, leur chanson est également merveilleuse cette année. » Mattias et Rafael s’inscrivent toutefois en « contre ». Si le premier exprime une préférence pour Clara Klingenström, le second penche pour Dotter : « Mon favori de cette année doit être Little Tot de Dotter, une chanson pop dont je pense qu’elle pourrait avoir un très bon classement à l’Eurovision 2021 ! J’aime également beaucoup Every Minute, avec sa mise en scène simple, mais je ne sais pas si le public de l’Eurovision est tout à fait prêt pour ce genre de chanson. »

La Suède tiendra-t-elle sa septième victoire au concours cette année ? Pour Ida, si Tusse ou The Mamas remportent le Melodifestivalen, la Suède a de bonnes chances. Réponse en mai prochain. Mais avant cela, rendez-vous demain soir pour découvrir enfin le dénouement de l’édition 2021 du Melodifestivalen !

Un immense tack à Ida, Marica, Mattias, Rafael et Sofia d’avoir répondu à nos questions ! Merci également à l’Institut Suédois de Paris, à l’Ecole Suédoise de Paris et à la Maison Suédoise des étudiants de la Cité Internationale de Paris pour l’aide qu’ils nous ont apporté dans la recherche de témoignages.

Crédits photographiques : SVT