J-1 avant une dernière série du Melodifestivalen 2023 qui s’annonce largement au-dessus des trois précédentes réunies dans un Thermomix. Après vous avoir présenté les six premiers candidats, place aujourd’hui à la dernière des 28 à rentrer en lice, et non des moindres, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de la gagnante de l’Eurovision 2012 : Loreen.

Euphorie. Pour toujours jusqu’à la fin des temps. Et puissent mes mots transcender ce sentiment profond qui m’anime depuis 2012, année où je tombais en amour éternel pour celle dont je m’apprête aujourd’hui à titrer le portrait, sans la neutralité ordinaire qui affecte tout aussi d’ordinaire l’exercice.

Pour bien des eurofans, si la déesse de l’Eurovision portait un nom, ce serait indéniablement le sien. Puissent en témoigner dix années ininterrompues passées à la tête du top ESC 250, à peine détrônée l’année dernière par un chanelazo, conséquence inouïe d’un afflux massif de votes de la péninsule ibérique. Il a suffi pour cela d’une nuit azérie, gravée dans le marbre du samedi 26 mai 2012 où, sous le ciel du Baku Crystal Hall, elle souleva le Micro de Cristal, pour marquer de son empreinte céleste l’histoire du concours. Et marquer par la même occasion le commencement de bien des histoires d’eurofans, dont la mienne, assurément (quoique chronologiquement initiée quelques années plus tôt, mais dont le tournant passionnel prit le nom de Loreen).

De l’ombre à la lumière

Il faut pourtant remonter à presque vingt ans pour voir la jeune Loreen faire ses premiers pas sous la lumière des projecteurs. Nous sommes en 2004 et, comme bien de ses camarades de fortune musicale (et de Mello stars), la jeune femme poussa la porte des castings d’Idol. Après avoir séduit le jury, elle franchit l’étape des lives, pour atteindre au final la quatrième place d’une aventure remportée par un certain Daniel Lindström. Daniel … qui ? Je ne le connais pas. Un débutant peut-être. Jamais vu au Melodifestivalen en tout cas.

Qui dit Idol dit single, et c’est sous le signe du serpent qu’elle sortit évidemment The Snake en collaboration avec Rob’n’Raz. L’exposition sera toutefois de courte durée, et après une pause, Loreen choisit finalement de revenir à l’ombre, mais toutefois non loin de la lumière, qu’elle accompagnait en tant que réalisatrice et productrice pour des émissions de télé-réalité.

Un retour à la réalité devait justement s’imposer face à tel talent qui ne pouvait qu’émerger. C’est ainsi que le Melodifestivalen la rappela une première fois au public suédois en 2011. Quelle étrange idée pour un coeur de se refuser à sa détentrice, et c’est malgré tout avec My Heart Is Refusing Me qu’elle se présenta sur la scène du Scandinavium de Göteborg.

Tel un présage, le direkt till final se refusa à elle, direction l’Andra Chansen, où Sara Varga fit peu de cas de la newcomer. Qu’importe : le coeur des suédois, lui, était conquis, et accueillit Loreen à bras ouverts, au point de l’envoyer dans le top 10 des charts suédois. Skoll.

La naissance d’une icône

2012 sonna alors l’année de la gloire. Revenue au Mello en conquérante, il suffit à notre artiste du jour d’une Euphoria pour se faire triomphante sur son sol (ce sans même les douze points du juré française, Shame On Us onze ans après). Il fut toutefois instantanément évident que le tsunami ne s’arrêterait pas aux frontières de la Suède, et que l’Europe entière succomberait à son tour à la vague. Je me rappellerai ainsi toujours ce jour de printemps où, affalé sur le canapé de mon appartement montpelliérain, les yeux rivés sur l’Eurovision au Quotidien (cela ne s’invente pas), je fus touché par la grâce Euphoria. Winner Alert. Ou plutôt Winner Evidence. ÉÉÉÉÉÉÉÉ-viiiii-deeeeem-meeeeent onze ans avant l’heure de La Zarra.

Les jours, les semaines, les mois passèrent, et il n’y avait qu’elle à l’approche de Bakou. Elle, elle et seulement elle, face au Micro de Cristal qu’elle avait déjà dans les mains dans réelle concurrence, mais il ne fallait point mettre la charrue avant les bœufs, surtout face à des Buranovskie Babushkie qui, au final, manquèrent de la priver du télévote à quelques points près (seriously guys???). Le mystique se prive de mots, et le moment Euphoria restera à jamais de cela. Forever till the end of times.

372 points dont 18×12 pour une victoire attendue en poche, qui plus auréolée du statut d’artiste engagée (Loreen ayant rencontré à Bakou les ONG engagées dans le respect des droits humains face à la dictature azérie), il était temps de partir à la conquête des charts. Ces derniers ne se privèrent pas pour faire d’Euphoria un rare carton pour un titre vainqueur de l’Eurovision, le Royaume-Uni lui offrant même le meilleur classement en la matière depuis Johnny Logan en 1987, rien que ça ! Dix doigts ne suffirent alors plus à compter les numéros 1. Autriche, Belgique néerlandophone, Danemark, Estonie, Finlande, Allemagne, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Luxembourg, Norvège, Pologne, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse, Turquie, sans compter les innombrables podiums en Bulgarie, République Tchèque, Israël, Moldavie, Pays-Bas ou encore en Espagne. À cette démentielle liste, seule la France, décidément hermétique à l’Eurovision, se refusait à Loreen – à l’exception près de la sonnerie de mon smartphone, et j’exagère à peine. Qu’importe : une étoile était née. Ou plutôt une eurodiva. Ou plutôt la Reine.

Une Reine doit ainsi imposer sa Majesté, et c’est avec un premier album intitulé Heal que Loreen tenta de marquer son territoire, présentant même son nouveau single, We Got The Power, sur la scène de l’Eurovision 2013 à Malmö. Avant que ne s’ouvrent à elle les scènes de Suède et d’Europe, avec succès.

La légende était née, alors qu’elle avait à peine trente ans. À elle l’Eurovision Gala Night de Luxembourg, l’Eurovision Song Contest’s Greatest Hits, les interval acts du Melodifestivalen ou encore les jurys des sélections nationales. Surtout, c’est avec Paper Light (Higher) que l’artiste engagée revint en 2015, pour un retour censé pré-figurer un nouvel album, qui ne vit alors pas le jour en temps voulu. Il faut dire que, si les critiques accueillirent avec enthousiasme les deux titres suivants, I’m in It With You et Under ytan (son premier titre en suédois), la réception commerciale, elle, resta faible.

Tandis que Stockholm accueillait l’Eurovision 2016, autour de laquelle elle gravitait évidemment (ÉÉÉÉÉÉÉÉ-viiiii-deeeeem-meeeeent onze ans avant l’heure de La Zarra), Loreen annonçait alors travailler sur de nouveaux projets.

Touchée, mais pas coulée

C’est alors que la fin de l’année accomplit le rêve d’un euro monde entier : le retour de Loreen au Melodifestivalen. Statements la plaçait instantanément dans la peau de favorite, quand bien même la radicalité et la sombreur de la proposition en désarçonnèrent plus d’un. N’est-ce toutefois pas le défaut d’unanimité qui fait parfois la marque des grands ? Qu’importe, et Marianne James elle-même ne dirait pas le contraire en des termes moins convenus que les miens, ce n’est point parce que le public vote qu’il a toujours raison. Qu’importe aussi si mes propos choquent : jamais je ne daignerai accepter que la Suède ait préféré donner ses voix à un insipide débutant qu’au masterpiece de la Reine de l’Eurovision. Jamais. Never. Question d’objectivité, et pas que. Est-ce pour rien que de nombreuses personnalités et des critiques ont fait de cette performance l’une des meilleures de l’histoire du Melodifestivalen ? Trois minutes durant lesquelles Loreen, entourée de femmes la représentant à différents âges de la vie, multiplie les références culturelles, artistiques et politiques au son d’un intense et déchirant Statements.

Aussi peu évidente d’accès soit-elle, une œuvre d’art reste une œuvre d’art, quand bien même elle nécessite parfois une introduction, ou un cadre dont l’idéal ne reposait peut-être pas sur celui du Melodifestivalen. Qu’importe : face à la force d’une telle proposition, jamais un copycat de scandic pop n’aurait du dicter sa loi par ineptie pure. Dire que l’insolent osa lui asséner qui plus est un Kiss You Goodbye à la guitare sèche … Je t’en foutrais, vilain garnement !

Rejetée par le public qui l’avait célébrée cinq ans plus tôt pour mieux lui dérouler le tapis rouge de l’Eurovision, touchée mais pas coulée, alors même que la Suède osa préférer Robin Bengtsson à elle (il faut le faire), Loreen n’en perdit néanmoins pas le cap. Signée chez BMG Scandinavia, elle enchaîna ainsi avec un premier EP, Nude, et un second album, Ride, acclamés par la critique … mais moins par le public, qui offrit une réception plus discrète à l’artiste. Une discrétion qui allait justement présager d’années discrètes pour Loreen, malgré la sortie de deux ou trois titres.

Le retour d’une Légende

À quelques jours de la fin du monde, la production du Melodifestivalen invita Loreen en interval act de l’Andra Chansen en 2020, celle-là même qui lui fut fatale trois ans plus tôt. La tête haute, et toujours auréolée de son staut, Loreen assura un medley de ses tubes, histoire de célébrer la création du Melodifestivalen Hall of Fame, qu’Euphoria intégra immédiatement, et évidemment. ÉÉÉÉÉÉÉÉ-viiiii-deeeeem-meeeeent onze ans avant l’heure de La Zarra.

De quoi relancer la carrière de Loreen qui, après avoir pris part à Så mycket bättre (un programme dans lequel des artistes effectuent des covers), revint avec deux titres, Fiction Feels Good et, fait rare, Sötvattentårar, en suédois, mais également avec une tournée estivale en 2021.

2022, ou la célébration des dix ans d’Euphoria avec le titre Neon Lights, et un passage par l’Eurovillage de Turin où, surpris de retrouver sur scène son eurodiva absolue par une après-midi ensoleillée du mois de mai, l’auteur de ses lignes vit sur son propre visage couler des larmes de crocodile, Nuit Rémi. La tête pleine de rêves, et notamment un, alors inenvisageable : celui de revoir l’icône, l’eurodiva, la seule, l’unique, la Reine, en lice au Melodifestivalen. Si je m’étais alors douté que, quelques mois plus tard …

Avec Tattoo, Loreen s’avance désormais en position de grande favorite onze ans après Bakou, qui plus est face à une concurrence si historiquement faible que je la crois même spécialement concoctée pour elle. Mais favorite n’est pas garantie, et tâche à Loreen – envers laquelle objectivité n’est point mon maître mot – et à son public d’écrire désormais le reste de l’histoire sur la scène de la Malmö Arena, demain soir 20 heures. Et je crois que nous sommes beaucoup, dans cet euromonde, à vouloir la voir écrire une nouvelle page de l’histoire de l’Eurovision en 2023 (mais La Zarra est dans les parages, alors prends garde à toi !).

Amis suédois, à vous de jouer : please, don’t f*** it up.