Lanterne rouge : dernier d’une course sportive et, de manière générale, de toute compétition ou classement.

Est-ce un hasard si ce nouveau feuilleton qui va se poursuivre tout l’été débute au moment où le Tour de France bat son plein ? S’il est de coutume de fêter le vainqueur (ce qui est normal), une place est toujours faite au dernier de la Grande boucle. Car, bien que finissant au fond du classement, il aura fait le même trajet, connu la même souffrance (et même pire) que le gagnant. Et concernant l’Eurovision, me direz-vous ? Eh bien, pas un mot sur celles et ceux qui auront connu la même scène, le même trac que nos heureux vainqueurs (dont vous connaissez, j’en suis sûre, les noms par cœur). Réparons cet affront en nous penchant sur chaque malheureux loser et comme le chantait une grande philosophe québécoise (qui, veinarde, a gagné, elle et qui l’an dernier a ENFIN trouvé son/sa successeur.e) :

« Les derniers seront les premiers »

Une nouvelle saison qui s’ouvre avec un fait tout à fait inédit (et qui l’est encore à l’heure actuelle). Israël qui avait gagné le concours l’année précédente ne put organiser celui de 1980. L’UER demanda à L’Espagne qui avait fini à al seconde place si elle souhaitait l’organiser. Ce fut un refus. Idem pour le Royaume-Uni qui avait pourtant l’habitude d’accepter les remplacements. L’appel à l’aide reçue donc un accueil favorable de la part des Pays-Bas. Par mesure d’économies, la chaine publique NOS réutilisa les décors de l’édition 1976. Mais trêve de bavardage, intéressons-nous à notre lanterne du jour. Il s’agit de…

Vesa-Matti Loiri

Vesa-Matti Loiri est né le 4 janvier 1945 à Helsinki, capitale de la Finlande. Son père était dessinateur technique et sa mère, femme au foyer. On dit de lui qu’avant de savoir parler, il savait chanter. Lors de ses premières années, le petit Vesa est un enfant émotif et la musique est son refuge. Si bien qu’il devient chanteur dans la chorale Cantores Minores de la cathédrale d’Helsinki. Mais son intérêt aussi bien pour le chant choral que pour l’école diminue et il décide de quitter l’ensemble vocal. À la fin des années 50, il monte un groupe de rock avec son frère et des amis, le Brother Loiri Band. C’est en se produisant avec eux, qu’il est remarqué par un acteur finlandais. Celui-ci le recommande à un réalisateur. C’est ainsi qu’avec le film Pojat (Les garçons), il commence sa phénoménale carrière d’acteur. Bien que la musique ait été le but premier de sa vie, c’est au cinéma, à la télévision et au théâtre qu’on le retrouve le plus souvent. Et même s’il fait quelques incursions dans le registre dramatique, c’est surtout vers la comédie qu’il est tourné. Avant de participer à notre concours musical préféré, on le trouve dans pas moins de 23 longs-métrages. Avant 1980, il est déjà lauréat de deux Jussi (les César finlandais). Bref, l’homme a une carrière et un CV bien remplis.

Eino Leino, album qui fut un de ses plus grands succès

Et l’Eurovision dans tout ça ?

Comme je vous l’avais écrit au-dessus, si la carrière cinématographique de Vesa-Matti prend le dessus sur la musique, il ne l’abandonne pas complètement. Si son 1ᵉʳ single en solo sort en 1968, son 1er album (quasiment instrumental, Vesa-Matti étant flutiste), lui, est publié en 1971. Suivent, en 1972, un album de jazz. En 1973, un album humoristique et enfin l’année suivante un album pour enfants. Entre 2 tournages de films et une pièce de théâtre, on peut constater que notre star du jour ne chôme pas. C’est alors qu’en 1975, il se dit qu’il tenterait bien l’aventure de l’Eurovision en participant à ce qui était l’ancêtre de l’UMK. Le mode de qualification pour partir à Stockholm (ville-hôte en 1975) est le suivant : 4 demi-finales de 4 candidats où un jury professionnel choisit 2 artistes et 1 wildcard parmi les 8 autres. Ce qui fait une finale à 9. Si la demi-finale (la 4ᵉ et dernière, pour être précise) de Vesa-Matti se passe au mieux, il n’en est pas de même pour la finale (où il retrouve une future eurostar, Kirka, représentant du pays en 1984 et Danny, ex-compagnon d’Erika Vikman). Même si lui et son titre Laulu (Chanson) prennent une jolie 3ᵉ place, c’est le groupe Pihasoittajat qui part en direction du pays voisin (en prenant au passage la 7ᵉ place sur 19 nations, ce qui tient presque de l’exploit quand on connait les classements disons… Difficiles de la Finlande au concours). Qu’à cela ne tienne, Vesa-Matti acquiert de l’expérience et se dit que ce n’est que partie remise !

Et c’était la 1ʳᵉ sélection en couleur pour la Finlande !

5 ans plus tard, nouvelle décennie et nouvelle envie de prendre part à la sélection finlandaise pour VML (appelons-le comme cela). Nouvelles règles aussi (que je ne ferai pas l’affront de vous expliquer tant, c’est ubuesque) mais VML se sort aisément de la demi-finale. Arrive donc le 8 mars 1980 et la finale du Suomen euroviisukarsinta. Et à l’époque, pas de télévote. Ce sont des jurys régionaux qui déterminent le vainqueur. Et on peut dire que c’est un plébiscite pour le sieur Loiri. Ce sont 71 points qui le séparent de son dauphin, Kirka (décidément !). 386 à 315. Jeu, set et match !

Et pourtant, un peu plus d’un mois plus tard, c’est un scénario complètement différent qui se joue. Le 19 avril, dans la salle Nederlands Congresgebouw de La Haye, 19 pays s’affrontent musicalement lors du jubilé d’argent du concours (et oui, 25ᵉ édition, déjà !). Et il y a du beau monde dont un certain Johnny Logan qu’on dit promis à un bel avenir. L’avenir, pour l’instant, VML s’en fiche, il a un CV long comme le bras et plus grand-chose à prouver. En fait, il est surtout là pour permettre à son pays de bien figurer au classement. Passant en 10ᵉ position entre la Suisse et la Norvège, il se dit que c’est possible. Hélas, le rêve se transforme en cauchemar. S’il ne finit pas avec un 0 pointé (grâce aux 5 points de la Norvège et… Au 1 point de la France. Oui, on est sympa !), il termine tout de même bon dernier de la compétition. Est-ce une catastrophe ? Mmmm, pas sûr !

Et après l’Eurovision ?

Est-ce que cette dernière place a été préjudiciable à Vesa-Matti Loiri ? Franchement… Pas du tout ! Après le concours et jusqu’en 2016, il ne sort pas moins de 26 albums (!!). Ce qui lui permet de gagner 3 Emma (l’équivalent de nos Victoires de la musique) du meilleur interprète masculin en 2006, 2007 et 2008. Quant au cinéma, on le retrouve dans pas moins de 44 films et 44 séries, téléfilms et émissions entre 1981 et 2019. Et à l’instar de sa carrière dans la musique, il glane, là aussi, de nombreux prix. 1 Jussi du meilleur second rôle en 1982 et 3 Telvis (trophées récompensant la télévision finlandaise) du meilleur animateur. En 2010, le réalisateur Mika Kaurismäki (frère d’Aki Kaurismäki) lui consacre un documentaire (sorti au cinéma), Vesku. Dans les années 90, il est aussi le doubleur du Génie dans le dessin animé Aladdin des studios Disney. Sa performance est considérée par les producteurs comme étant la meilleure, tous pays confondus. Et ce n’est pas fini ! Les finlandais ont la chance de le voir au théâtre et même dans des opéras (sa voix chaude et profonde en fait le parfait outil pour cet art difficile). Mais il décide d’arrêter les 2 activités sus-citées en 1995, car trop de travail tue le travail.

Et coté vie privée ? Eh bien, elle est très fournie, elle aussi ! VML s’est marié 3 fois. Son 1er mariage ne dure que 2 ans (entre 1967 et 1969). Son 2ᵉ mariage en 1974 se conclut de manière tragique puisque sa femme, Mona, décède dans un accident de voiture en 1977. Le funeste sort a voulu que leur fils, Jan meurt de la même manière en 1994 à l’age de 20 ans. Avec sa 3ᵉ épouse, Riitta, il a 2 enfants : Jenni, née en 1979 et joonas né en 1982 et décédé en 2019. Le couple divorce en 1989. À partir de 1994, il vit en concubinage avec Stina Toljander qui lui donne ses 2 derniers enfants : Ukko (1995) et Sampo (1996). Ils se séparent en 1999.

La santé de VML se dégrade considérablement dans les années 2000. Les médecins lui diagnostiquent un diabète de type-II (ce qui l’empêche plus tard de jouer de la flûte, la motricité de son auriculaire gauche ayant souffert de la maladie), de l’hypertension ainsi qu’une apnée du sommeil. En 2010, il est victime d’un AVC et manque de mourir. En 2012, il se déleste d’une trentaine de kilos puis de 70kg deux ans plus tard suite à un pontage gastrique. Mais en janvier 2022, il se plaint de douleurs et fait un malaise. Les tests révèlent un double cancer du foie et de l’œsophage à un stade avancé. Il refuse de se soigner et passe les derniers instants de sa vie chez lui où il décède le 10 aout 2022. Ses funérailles ont lieu un mois plus tard, le 20 septembre, en la cathédrale Saint Jean d’Helsinki.

Une des dernières photo de VML en 2022

À la semaine prochaine pour une nouvelle lanterne !

Crédit photo : Lolotte pour l’EAQ / Facebook de Vesa-Matti loiri

Crédit vidéo : chaines Youtube de : Matapoliisit10 / Library of Eurovision