L’Eurovision peut vous faire connaitre les montagnes russes (si chères aux yeux de mon collègue Maxence). En effet, le concours peut vous amener la gloire tout comme vous faire connaitre les affres de la dernière place (et ce n’est pas Corry Broken, une de nos lanternes rouges en 1958 qui dira le contraire). Mais de qui parlé-je donc ? Il vous faudra être patient car tout d’abord nous allons faire la connaissance de…

Tereza

Tereza Kezovija est née le 3 octobre 1938 à Dubrovnik(actuellement en Croatie) dans ce qui était en ce temps-là, le royaume de Yougoslavie. Durant toute son enfance et son adolescence, Tereza ne quitte pas sa ville natale. C’est là, qu’elle apprend la musique puis le chant à l’age de 7 ans dans la chorale de la cathédrale de la ville. Elle est tellement douée qu’elle en devient soliste. A 15 ans, elle commence des cours au conservatoire tout en étant chanteuse sur les ondes de radio Dubrovnik. Quelques années plus tard, elle rejoint l’académie de Zagreb dont elle sort diplômée en flute traversière ce qui lui permet d’être engagée dans l’orchestre philharmonique de Yougoslavie. A la fin des années 50, elle se professionnalise. Tereza devient une bête à concours. Tout d’abord dans toute la Yougoslavie. Puis en Italie et jusqu’en URSS. Mais un pays lui tend les bras et ce pays… C’est la France, où elle s’installe en 1965. Elle devient amie avec un futur representant français qui n’est autre que Serge Lama. Celui-ci lui écrit ses premiers textes, qu’elle apprend phonétiquement tout d’abord car ne maitrisant pas encore le français. Pendant quelques mois elle chante dans les cabarets parisiens. Quand arrive 1966…

Et l’Eurovision dans tout ça ?

La légende dit qu’en ce début d’année 1966, Tereza reçut personnellement un appel de la princesse Grace de Monaco afin de représenter le micro-état. Est-ce vrai, est ce faux ? Dans tous les cas la jeune yougoslave monte sur la scène de la villa Louvigny (siège de RTL), le 5 mars 1966 en dixième position avec la chanson Bien plus fort. Et des chansons bien plus fortes, il y en a eu car la principauté finit tout simplement à la dernière place. Néanmoins elle enregistre deux version de son titre, une en yougoslave, bien évidemment et une en italien.

Des pays, bien plus fort, il y en a eu, oui !

Malgré cette dernière place,Tereza décide de prendre se revanche sur le concours six ans plus tard. Mais cette fois-ci en représentant son pays natal. C’est avec Musika i ti (La musique et toi) qu’elle s’envole pour Édimbourg. L’accueil est bien meilleur puisqu’elle termine 9ème sur 18.

Et après l’Eurovision ?

On peut dire que la dernière place n’a pas porté préjudice à la carrière de Tereza. En effet la même année que son échec luxembourgeois, elle interprète le célèbre thème de La chanson de Lara du non moins célèbre film Docteur Jivago. S’en suit une carrière internationale avec pas moins de 1 000 chansons chantées en 11 langues ! Hormis l’Eurovision, elle participe à de nombreux autres concours musicaux internationaux tel que ceux des villes de : Sopot, Mexico, Rio de Janeiro, Berne, Split, et Zagreb. Elle n’oublie pas cependant la France et son ami Serge Lama qui continue à lui écrire des textes pour ses chansons. Elle se produit de nombreuse fois à l’Olympia (dont la dernière fois en 2007). En 2014, elle publie son autobiographie To sam je (c’est moi) et un journal croate l’a proclame chanteuse croate du XXème siècle.

En 1999, Jacques Chirac la décore Chevalier de l’ordre des Arts et des lettres puis en 2021, elle reçoit le grade d’Officier du même ordre. Elle fêtera en octobre prochain ses 85 ans.

Une vie riche pour Tereza (que j’ai eu du mal à résumer tant elle est dense) mais notre prochain artiste n’est pas en reste (vous savez celui dont j’ai parlé en préambule). Et il s’agit de…

Domenico Modugno

Domenico Modugno naît le 9 janvier 1928 à Polignano a Mare, près de Bari, dans les Pouilles (sud est de l’Italie, le talon de la botte) Déjà parents de trois enfants, son père, Vito Cosimo, est policier municipal, et sa mère, Pasqua Lorusso, est mère au foyer. En 1937, la famille s’installe à San Pietro Vernotico, dans la Province de Brindisi, où son père est muté. C’est là que le petit garçon, scolarisé à Lecce, apprend un dialecte proche du sicilien et commence à jouer de la guitare et de l’accordéon. À 19 ans, il part pour Turin et travaille dans une usine de pneus. Puis, il effectue son service militaire et passe quelques mois à Rome, enchaînant les petits boulots. Après un concours pour devenir acteur, il intègre le Centre Expérimental de Cinématographie et reçoit une bourse d’étude C’est à ce moment que le jeune Domenico commence à décrocher de petits rôles au cinéma et au théâtre. La RAI lui propose également d’écrire les textes d’émissions radiophoniques et de les mettre en scène. Parallèlement, il écrit des chansons en dialecte des Pouilles ou en sicilien, parlant de la vie des marins et des mineurs. Parmi elles, Lazzarella, interprétée par le chanteur napolitain Aurelio Fierro, termine deuxième du Festival de la Chanson Napolitaine en 1957.

Et l’Eurovision dans tout ça ?

Et c’est donc encouragé par ce succès, qu’il décide de se présenter l’année suivante au Festival de la Chanson de Sanremo, qui doit servir de sélection nationale pour le Grand Prix Eurovision de la Chanson Européenne. Opposé à Johnny Dorelli, il propose une chanson qu’il a composée et co-écrite, Nel blu dipinto di blu (Dans le bleu peint en bleu). Le niveau est élevé, car concourent aussi Tonina Torrielli (candidate italienne en 1956), Claudio Villa (futur representant italien en 1962 et 1967) et Aurelio Fierro lui-même. Pourtant, c’est lui, Domenico Modugno, qui gagne le droit de représenter son pays à Hilversum le 12 mars. Passé en première position (mais repassant après tous les candidats, suite à un problème technique), Domenico décroche la 3ème place avec 13 points – 4 de la Belgique et de l’Allemagne, et 1 des Pays-Bas, de la France, de la Suède, de l’Autriche et de la Suisse. Et bien qu’elle n’ait pas remporté la victoire, la chanson connaît un succès mondial sous un autre titre, Volare, puisqu’elle se classe en tête du Billboard aux États-Unis (une grande première pour un titre de l’Eurovision) et y remporte deux Grammy Awards. De même, elle occupe la première place des classements britanniques – alors que le Royaume-Uni ne participe pas au Concours cette année-là – et reste quatre mois en tête des ventes aux Pays-Bas et en Italie.

Après un problème technique, le deuxième passage d’une chanson de légende !

Fort de cet immense succès international, Domenico Modugno se présente une deuxième année consécutive au Festival de Sanremo, et se retrouve encore opposé à Johnny Dorelli. Il y affronte de nouveau Aurelio Fierro et Claudio Villa, ainsi que Betty Curtis (future représentante transalpine en 1961). Piove (il pleut), chanson qu’il a composée, lui permet de rafler la mise et de partir défendre les couleurs de son pays au Grand Prix Eurovision à Cannes. Mais le résultat est moins bon, car la chanson ne décroche que la 6ème place sur 11, avec 9 points – 3 de la France et de la Suisse, et 1 de Monaco, de la Suède et de la Belgique. Néanmoins, c’est un deuxième succès mondial pour Piove, rebaptisé Ciao, ciao bambina (adieu, adieu, petite) et repris par de nombreux artistes, dont Dalida (numéro 1 des ventes en France pendant quatre semaines).

Et encore un tube !

Ne s’avouant pas vaincu, il revient à Sanremo en 1966 pour y chanter une autre de ses créations, Dio, come ti amo (mon dieu, comme je t’aime). Le plateau est de nouveau de grande qualité, car il affronte Sergio Endrigo (futur representant italien en 1968), Iva Zanicchi (représentante de la botte en 1969) et même Françoise Hardy (candidate pour Monaco en 1963) et l’éternel Claudio Villa. Sa chanson est également interprétée par Gigliola Cinquetti, mais c’est lui qui remporte le festival pour la 4ème fois (record qui tient toujours) et qui s’envole pour le Luxembourg le 5 mars. Mais et de manière totalement incompréhensible, Domenico Modugno ne reçoit aucun point le grand soir et termine dernier. Est ce pour faire payer le comportement du chanteur, qui lors des répétitions fut mécontent et insatisfait de l’orchestration, claqua la porte et ne réapparut plus jusqu’au grand soir ? C’est la seule fois en 48 participations que l’Italie décroche cette place infamante et ce score humiliant. Cette dernière place sonne le glas de la carrière de Domenico au Concours.

Dieu, comme les jurys ne l’ont pas aimé !

Et après l’Eurovision ?

On ne peut pas dire que le bonhomme ait chômé entre ses 3 participations au concours. Il se représente au Festival de Sanremo en 1960 (où il finit 2ème), 1962 (qu’il gagne, faisant de lui le recordman du nombre de victoires, 4, record toujours à battre !) mais c’est Claudio Villa qui part au Luxembourg, 1964, 1967(où il est éliminé), 1968(éliminé), 1971(où il termine 6ème), 1972 (14ème) et enfin 1974 où il termine 2ème (édition où on trouve aussi… Les Charlots !). En terme de nombres de disques, Domenico Modugno, c’est plus d’une centaines de 78, 33 et 45 tours et CD et plus de 500 titres écrit pour lui ou pour d’autres ! En plus de ses activités musicales, on le retrouve au cinéma (plus d’une quarantaine de films entre 1949 et 1983 dont un film autobiographique réalisé par… Lui-même !) et à la télévision où on peut le voir dans des téléfilms ou des émissions de variété. Il n’abandonne pas la scène puisqu’on peut le voir de 1973 à 1975, dans L’Opéra de Quat’ Sous de Bertolt Brecht et Kurt Weil où il incarne Mackie Messer. Puis, il retourne en 1978 à la comédie musicale avec Cyrano, adapté d’Edmond Rostand.

En 1984, il fait un sévère AVC qui le laisse partiellement paralysé. Il abandonne donc sa carrière artistique et se consacre aux droits des handicapés à partir de 1986. L’année suivante, il est élu député de Turin au sein du Parti Radical, de tendance socio-libérale. Ce n’est pas vraiment une surprise, car Domenico avait souvent protesté par le passé, par exemple contre la dictature d’Augusto Pinochet au Chili (cela lui avait valu d’être déclaré persona non grata dans ce pays) ou pour le divorce (il avait d’ailleurs composé L’anniversario,  une chanson qui avait servi d’hymne à ce combat). De 1990 à 1992, il siège au Sénat puis, son mandat terminé, il enregistre un dernier disque, Delfini, avec son troisième fils, Massimo.

Il meurt d’une crise cardiaque le 6 août 1994, dans sa maison de vacances sur l’île de Lampedusa, au sud de la Sicile. Il fut marié avec Franca Gandolfi, qu’il rencontra à la RAI et qui lui donna 3 fils : Marcello (en 1958), Marco et Massimo (jumeaux nés en 1966). Ils divorcèrent en 1974. Il eu également un 4ème fils, Fabio né d’un relation extra conjugale en 1962.

2 vies et 2 carrières extrêmement riches en cette semaine ! Rendez-vous mercredi prochain… Cela sera un peu plus léger !

Crédit photo : Remi pour l’EAQ

Crédits vidéos : chaines Youtube de Eurovision del Siglo XX/ Tasosk3 / Georgios Symeonidis