Retour en France dans les années 2000 pour ce quatrième entretien avec une eurostar, qui a accepté de retracer avec nous son histoire de l’Eurovision et de revenir sur sa participation intervenue au tout début de sa carrière, comme c’est le cas de nombre de candidat.e.s au concours. En cela, ce dernier peut s’apparenter à une rampe de lancement pour de jeunes artistes en quête de décollage : cela s’est-il déroulé de la sorte pour notre eurostar francophone du jour ?

Chacun pense à  soi
Comme si il n'y avait que ça,
Chacun mène à bien
Que ce qu'il veut bien.

Bienvenue en 2005. La préparation du concours fut particulièrement chaotique du fait de la Révolution Orange intervenue l’automne précédent – et à laquelle Greenjolly, les candidats du pays hôte, rendront hommage dans leur titre Razom nas bahato, mais l’Ukraine réussit bel et bien à accueillir le concours de l’Eurovision pour la première fois de son histoire, et ni plus ni moins que le cinquantième du nom ! Pour sélectionner l’artiste qui portera ses couleurs, la France organise une sélection nationale à cinq finalistes, dont émergera un nom : Ortal.

La prestation en images :

Classement : 24ème en finale (11 points)

C’est par téléphone qu’Ortal nous a fait le plaisir et la sympathie d’échanger avec nous.

Vous avez représenté la France en 2005 au concours de Kiev. Comment vous êtes vous retrouvée à participer à la sélection nationale française, Un candidat pour l’Eurovision 2005 ?

À l’époque, j’avais fait une audition avec d’autres artistes auprès d’une maison de disques, Warner Music. Pour les cinquante ans de l’Eurovision, France 3 avait demandé au public et à un jury de voter pour sélectionner son représentant, et j’étais arrivée deuxième du vote des jurys professionnels. À la base, Chacun pense à soi n’était pas un titre prévu pour l’Eurovision, mais la maison de disques a été contactée et c’est ainsi que j’ai fait partie des cinq candidats pré-sélectionnés pour la finale.

Quel rapport à l’Eurovision aviez-vous à ce moment-là ?

Je suis israélienne, et je suis très attachée à cette émission. Elle est très joyeuse, très conviviale, très sympathique et très enrichissante. Vous chantez avec des gens et vous échangez en musique. C’est une émission positive, qui dégage beaucoup de bonnes intentions. Je ne m’attendais pas à m’y retrouver un jour et ça a été une très belle expérience. Le public de l’Eurovision est très positif, très gentil et très chaleureux. C’est assez incroyable parce que, vraiment, on ne s’attend pas à ça. Il y a un côté très visuel à l’Eurovision, mais c’est une belle expérience humaine.

Quel souvenir gardez-vous de votre participation au concours ?

Ce qui m’a marqué, c’est l’engouement de chacun autour de son drapeau et le fait qu’on puisse échanger avec les uns et les autres. Il y a un côté assez folklorique qui est très sympathique et qu’on perd un petit peu aujourd’hui. J’étais très heureuse de l’avoir vécu en tout cas.

Trente-neuf pays participaient en 2005. C’est la période où l’Eurovision commençait à devenir une grosse machine, ça devait être impressionnant...

Oui ! Le plateau, le public, … Il y a tout ce côté festif, et cette euphorie qu’on ressent… J’étais à Kiev et dans le lieu où est organisé le concours, il y a une vie qui prend vie dans la vie. Tous ces gens qui crient de partout… C’étaient de belles rencontres. Je garde un très bon souvenir du public, des participants et du message que diffuse l’Eurovision.

Des instants vous ont-ils particulièrement marqué ?

Comme je vous le disais, c’est cette bienveillance des gens. Ils ont envie d’être là, il n’y a pas de sexe, il n’y a pas de drapeau, il y a une ouverture d’esprit, quelque chose de powerful qu’il faut vivre pour le comprendre. Il y a aussi les supporters de votre pays qui soutiennent votre chanson.

Être au coeur du concours, cela doit être fort.

Quand vous montez sur scène et que le public agite ses drapeaux, se les échange pour supporter les uns et les autres, c’est extrêmement sympathique. Il y avait plein de petites soirées organisées en interne avant la grande finale, où les artistes faisaient des espèces de bœufs. Chacun organisait sa propre soirée et j’avais joué avec la représentante anglaise (Javine N.D.L.R.) – qui était hyper sympa d’ailleurs. Je me suis aussi produite avec Shiri Maimon d’Israël, et avec la chanteuse maltaise aussi (Chiara N.D.L.R.). Chacun invitait d’autres participants à chanter, et c’était très convivial. C’est un moment sans prétention, et malgré le fait que ce soit une fête incroyable – ce dont on ne peut pas se rendre compte lorsqu’on le voit en tant que spectateur -, c’est assez impressionnant. L’Eurovision, c’est l’envie de partager un moment autour d’une culture ou d’un échange de drapeaux.

En tant que candidate pour la France, pays fondateur du concours, aviez-vous des attentes particulières ?

Pas du tout, parce que je l’ai davantage fait pour l’aventure qu’autre chose. En revanche, et c’est le petit point négatif, les pays fondateurs ne sont pas aidés dans l’attribution des points, parce que les petits pays ont davantage besoin de l’évènement dans leur pays, L’année où j’ai participé, j’ai l’impression que les pays fondateurs ont été davantage boycottés, tandis que les petits pays ont été davantage porté. Je ne sais pas si c’est pour le côté économique, mais pour nous, les votes ont été plus difficiles. En tout cas, ce n’est pas ce que l’on ressent quand on participe au concours.

Vous aviez atteint la vingt-troisième place…

Nous, les quatre pays fondateurs, étions arrivés derniers et franchement, quand j’avais vu la prestation de l’anglaise, je ne m’attendais pas à ce qu’elle obtienne ce classement (Javine avait terminé vingt-deuxième avec dix-huit points N.D.L.R.). C’était un peu particulier, on n’a pas senti de soutien des autres pays par rapport aux votes. Sur l’ensemble du concours, c’est au moment de la finale que l’on se rend compte que des choses sont mises en œuvre, que l’on sait un petit peu qui va gagner, quels favoris vont être mis en avant, notamment à travers l’ordre de passage.

À l’époque, c’était déjà compliqué pour les pays de l’ex-BIG 4, mais comment appréhendez-vous votre classement ce soir-là ?

Évidemment, il y a une déception, ce n’est pas très valorisant en soi. Après, dans mon histoire, je sortais d’un très grave accident, donc c’était déjà une victoire d’être debout sur mes jambes et d’avoir fait l’Eurovision juste après mon accident. Dans mon parcours personnel, c’était une aventure gagnante de toute façon. Je trouve surtout que notre pays n’investit pas beaucoup d’argent et de sa personne pour le spectacle de l’artiste. Il faut toujours que ce soit très simple, très épuré, or l’Eurovision c’est tout sauf ça. Il faut du show, du spectacle, pour toucher les gens. Je n’ai pas été trop bien portée par ma maison de disques. Avec l’équipe française, on n’a pas trop son mot à dire, mais ça reste une belle expérience.

C’est la question que j’allais vous poser : vous êtes-vous sentie accompagné par France Télévisions ?

Oui, il y avait un accompagnement, mais ce n’est pas très familial. Tout repose sur vos épaules, on vous impose des choses en faisant croire que c’est vous qui les avez choisies. Après, je pense que d’autres candidats ont eu plus de chance de par leur parcours ou leur signature de maison de disques, parce que ça joue énormément. Par exemple, sur mon titre, je n’avais aucun support visuel, aucun management particulier. Il n’y avait pas le côté qu’il fallait avoir et que les autres pays avaient. On n’avait pas organisé de soirée française pour accueillir les gens. Prenez par exemple Shiri Maimon : elle avait chaque soir une équipe, des robes, un tout. En France, ils mettent de côté l’aventure tout autour, alors que c’est ça qui est génial. C’est magique. Il faut davantage insister dessus.

Par la suite, quel effet a eu le concours sur votre carrière ?

Ça été assez compliqué pour moi derrière, parce que ça n’apporte pas un côté « branché ». On reste plutôt dans une image classique, tandis que, si vous cartonnez, ça vous apporte quelque chose. Mais suite à ce classement, ma maison de disques m’a tourné le dos. Par contre, il y a plein de gens qui, aujourd’hui, me disent que c’est génial d’avoir participé au concours. C’est vrai que je ne l’ai pas beaucoup utilisé par la suite. Mais on m’a pas mal appelé récemment pour faire des choses autour de l’Eurovision. Quelqu’un a essayé de regrouper tous les artistes pendant le confinement, mais ça n’a pas pu aboutir parce qu’on n’avait pas les bons supports pour pouvoir envoyer les voix. Il s’agissait de faire une sorte de We Are The World avec tous les représentants de l’Eurovision, c’était une belle idée. En tout cas, les gens qui s’intéressent au concours sont très bienveillants, il n’y a pas de côté business, c’est bon enfant.

On continue donc de vous l’évoquer ?

Bien sûr, on m’en parle. Après, aujourd’hui, je suis investie dans d’autres projets musicaux. Mais dès que mes projets vont sortir, je sais que mon passage à l’Eurovision va ressortir également.

Après le concours, vous avez construit toute seule votre carrière musicale ?

Exactement. J’ai fait beaucoup d’évènementiel pour pouvoir gagner ma vie et trouver ma voie avec ce que je cherchais à faire. J’ai également des projets que je ne peux pas trop évoquer à ce jour, mais je vous en parlerai dès que je le pourrai !

Vous regardez toujours le concours aujourd’hui ?

Oui. J’adore !

Que pensez-vous de l’évolution du concours, par rapport au show qu’il est devenu ?

Je trouve qu’on est obligé d’évoluer avec son temps, donc ils ont voulu moderniser l’Eurovision pour en faire un grand spectacle, tout en gardant l’esprit. Ce qui est juste dommage, c’est qu’on a un peu perdu l’aspect échange et le fait de chanter dans les langues nationales. C’était marrant. Le principe de l’Eurovision, c’est de faire découvrir la culture de chacun à travers la musique, les paroles, un message, et ça s’est un peu perdu pour faire davantage de business et lancer des carrières.

Des titres ou des prestations vous ont particulièrement marqué ces dernières années ?

J’ai adoré le Portugal en 2017. Après, je ne me souviens plus, mais il y avait aussi un titre d’un pays scandinave – je les confonds toujours (rires).

Depuis de nombreuses années, comme vous en avez fait l’épreuve, la France est en difficulté au concours, les résultats ne sont pas au rendez-vous malgré diverses tentatives. Selon vous, quelle serait la solution pour que nous obtenions de meilleurs résultats ?

Déjà, pour commencer, il faut permettre qu’il y ait des passages de la chanson dans d’autres langues, parce que tout le monde chante en anglais aujourd’hui, et même si c’est dommage, les gens comprennent peut-être davantage le message. Après, il faut être davantage dans le spectacle et la narration. Il faut du rythme, un mec qui fait du rap, du slam, qui groove quoi. On n’est plus dans la chanson française. Sinon il faut qu’il y ait une super voix derrière, et c’est rarement le cas. Il faut d’abord que ça chante, et après s’il y a un plus – un personnage derrière par exemple –, il y a un plus.

À refaire vous le referiez ?

Oui, mais différemment.

C’est-à-dire ?

Avec une autre énergie, en m’imposant davantage, parce que vous connaissez la scène quand vous êtes interprète – je parle de moi qui fais beaucoup de scène -, en ayant le côté show que n’a pas la délégation, parce qu’ils aiment le côté sage où il ne faut pas en faire trop. Justement, le plateau de l’Eurovision, c’est un endroit où on peut faire des choses. Ce n’est pas que vocal, c’est scénique, vous pouvez faire un concept. Si c’était à refaire, j’apporterai davantage mes idées, que ce soit pour mes tenues, etc. Ça devrait être plus aux artistes de choisir ce qu’ils veulent plutôt qu’à l’entourage qui est un peu à côté de la plaque selon moi. Mais à refaire, je le referais.

Aujourd’hui, vous évoquiez des projets personnels ?

Je fais beaucoup de choses avec des touches orientales, un peu world music. Je mixe depuis cinq ans, donc en tant que DJ, je travaille beaucoup avec des labels anglais, allemands, … Je chante en six langues, donc j’ai enfin trouvé comment mélanger mon parcours musical, avec des musiciens. Dans mon prochain projet, je veux aussi rendre un hommage à la France, à toute cette mixité, je trouve que ça clôture bien l’histoire avec l’Eurovision.

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L’actualité de l’artiste

En parallèle de ses activités de DJ et d’évènementiel, Ortal travaille actuellement à de nouveaux projets musicaux qu’elle propose de nous présenter dès qu’ils seront aboutis.

Un immense merci à Ortal d’avoir accepté cette interview pour L’Eurovision Au Quotidien !

Crédits photographiques : photo personnelle de l’artiste (avec son aimable autorisation)