Après trois semaines d’absence, voici enfin un nouvel épisode des entretiens de l’EAQ. Et à l’occasion des fêtes de Noël, c’est un véritable cadeau que nous vous offrons, cher.e.s lectrices et lecteurs

Comme un enfant aux yeux de lumière
Qui voit passer au loin les oiseaux
Comme l'oiseau bleu survolant la Terre
Vois comme le monde, le monde est beau...

Nous sommes en 1977, au Wembley Conference Centre de Londres. Ce soir-là, le destin d’une artiste française allait changer à jamais et s’inscrire dans le grand livre de l’Histoire de l’Eurovision.

« Je suis arrivée en bus avec les musiciens et je suis repartie en Rolls. »

Marie Myriam

Elle est arrivée inconnue, et c’est avec avec le Grand Prix du concours Eurovision de la chanson qu’elle est repartie de Londres. Personne ne se doutait alors que plus de quarante-trois ans plus tard, elle resterait encore la dernière à avoir remporté l’Eurovision pour la France.

Vous l’aurez compris, c’est une grande dame de la chanson française et de l’histoire du concours, très chère à nos coeurs, qui nous a fait l’immense privilège de nous accorder cet entretien. : Marie Myriam.

Classement : vainqueure de l’Eurovision 1977 (136 points)

EAQ – Qu’est-ce que cela fait d’être The Queen comme vous appelle Stéphane Bern ?

Marie Myriam – Cela me touche énormément. J’en suis émue et fière, mais cela n’enlève pas l’envie que j’ai depuis quarante-trois ans que la France gagne le concours de l’Eurovision.

J’ai eu la chance d’interviewer plusieurs anciens candidats et tous m’ont dit que lorsqu’ils vous avaient rencontré, vous les avez invités à gagner pour passer le flambeau.

Le flambeau n’est pas lourd, mais j’aimerais bien le passer. C’est comme une médaille pour la France. Laurent Ruquier me compare souvent à Yannick Noah, qui a gagné à Roland-Garros en tant que français, et plus aucun français n’a gagné Roland-Garros depuis. Je ne veux pas rester la dernière à vie. J’ai envie que la France gagne à nouveau et chaque fois, j’encourage les candidats. Je fais des télés avec eux quand on m’appelle et qu’on me demande d’être à leurs côtés. J’ai même chanté avec Amaury Vassili. J’ai encouragé Bilal Hassani et lui ai dit « Mais vas-y, il faut y croire, je suis avec toi ». Je n’ai pas pu accompagner Tom Leeb en raison du confinement. J’ai répété cela pendant quarante-trois ans à tous les candidats que j’ai sincèrement encouragé. Je serai vraiment heureuse de passer le flambeau, mais la chanson reste. J’ai encore reçu il y a deux jours (l’entretien a été réalisé en octobre N.D.L.R.) la vidéo d’une petite fille qui chantait L’oiseau et l’enfant, et elle ne m’a jamais vue à l’Eurovision.

C’est une chanson mythique, inscrite dans l’histoire dans la chanson française et européenne.

Quand ils la repassent dans les émissions télévisées, je suis toujours invitée. Elle est souvent citée et je suis touchée et émue que cette chanson continue son chemin, et moi avec. Les Kids United en ont réalisé une très belle reprise, et j’en suis très heureuse. J’ai d’ailleurs appelé le producteur pour le lui dire.

Vous touchez toutes les générations, y compris celles qui ne vous ont pas vu à l’Eurovision. Quand j’étais enfant et que les dimanche après-midi, nous écoutions des 45-tour avec ma grand-mère, l’un des premiers titres que j’ai entendus, c’était L’oiseau et l’enfant.

Quand les gens me racontent des histoires comme la vôtre, je ne peux pas ne pas être touchée. Je ne peux pas ne pas être émue. On ne sait pas ce qu’il se passe chez les gens. Une famille étrangère m’a écrit un message privé sur ma page Facebook pour me raconter qu’ils regardaient l’Eurovision avec leur grand-mère. Ils avaient l’habitude de défendre leur pays jusqu’à cette année où, à défaut de pouvoir voter pour moi – puisque c’était alors les jurys qui votaient et non le public – ils m’ont soutenue. Ils voulaient que je gagne. Cela fait quarante-trois ans que j’entends d’aussi belles histoires.

L’émotion est partagée, parce que vous représentez beaucoup de choses pour nous.

Nous, les artistes, on ne le sait pas. On ne sait pas qu’on touche autant les gens. C’est une chanson sentimentale, et des gens se sont fiancés ou mariés grâce à cette chanson. Je sais qu’il y a beaucoup d’enfants qui s’appellent Myriam, d’autres Marie, d’autres s’appellent même Marie avec Myriam pour second prénom, parce que j’ai gagné l’Eurovision. C’est magnifique. Tout le monde n’a pas la chance de vivre cela dans sa vie. Je suis consciente de la chance que j’ai et de cet amour, cette amitié, cette fidélité, qui sont tellement réciproques, mais vous ne le savez pas, parce que je ne peux le dire à chacun d’entre vous.

Vous comptez plus de quarante ans de carrière, et votre carrière résonne aussi comme une histoire de l’Eurovision.

Cela a commencé avec l’Eurovision.

Tout commence au Ribatejo, le restaurant de vos parents ?

Le restaurant de mes parents comptait un sous-sol et j’avais demandé un orgue comme cadeau d’anniversaire. J’avais appris à en jouer toute seul. Je chantais également, mais ce n’est qu’entre seize et dix-huit ans que j’ai pris des cours de chant classique avec M. Muller, un baryton. Il m’a dit qu’en me formant au classique, que ma voix serait musclée et que je pourrais tout chanter. Ce fut la vérité. Même fatiguée, j’arrivais sur scène et j’arrivais à chanter. Je faisais mes exercices dans ce fameux sous-sol et un jour vient déjeuner Jean-Paul Cara, le compositeur de L’oiseau et l’enfant. Le hasard fait qu’il entend ma voix. Il descend me voir et me dit « Avec la voix que vous avez, je vous emmène à l’Eurovision ». Mais moi je ne l’ai pas cru (rires).Évidemment, que quelqu’un vienne vous dire une telle chose est assez étonnant. Je l’ai remercié, je lui ai dit que j’étais en train de travailler et qu’il me dérangeait presque. Plus tard, il est revenu avec mon très cher Joe Gracy, aujourd’hui décédé mais qui a été un second père pour moi, une personne extraordinaire qui a écrit ce magnifique texte de L’oiseau et l’enfant. L’Eurovision de l’époque comptait beaucoup de chansons dansantes, comme Waterloo en 1974 ou Ding-A-Dong l’année suivante. J’étais donc complètement à contre-courant avec ma chanson. Je portais un message d’espoir, d’amour et de paix. La chanson dit « Noire la misère, les hommes et la guerre » et c’est malheureusement toujours vrai. J’étais toute gamine, j’étais à la veille de mes vingt ans. Le texte était magnifique et la musique rentrait immédiatement dans l’oreille. Je crois que tout était réuni pour gagner, mais je ne m’en suis pas rendue compte. Ce n’est que plus tard, avec l’expérience, lorsqu’on se revoit, qu’on dit « La chanson avait vraiment tout :  les paroles, la musique, ma bouille de gamine et moi.

Quand vous parlez du fait que votre chanson succède dans le style à des titres plus dansants, je pense quarante ans plus tard à la victoire d’Amar Pelos Dois de Salvador Sobral.

J’ai adoré ! Lorsque j’ai entendu la chanson de Salvador Sobral avant le concours, je l’ai postée sur mon compte Facebook personnel et j’ai écrit « Je sais que cela ne sonne pas très Eurovision, mais qu’est-ce que j’aimerais que ce garçon gagne ». On sait que les artistes tentent toujours de s’inspirer de ce qui a fonctionné l’année précédente, et là, ça changeait musicalement le style dominant à l’Eurovision parce que c’était jazzy, et sans fioritures. C’était d’une simplicité et d’une vérité qui m’ont touché. Je n’avais pas ressenti cela à l’Eurovision depuis longtemps.

Lorsque je questionne les artistes sur la chanson qu’ils ont le plus retenu ces dernières années, ils me répondent quasi-systématiquement celle-là.

Oui, parce que c’est l’une des plus récentes, mais elle représente la simplicité et le véritable amour. Humainement, il y a tout. On éprouve du bonheur à l’écoute de cette mélodie. Le texte est sublime. C’est vrai qu’on ne le comprend pas, mais les membres du jury ont la traduction du texte. « Aimer pour deux », c’est une histoire d’amour où il dit qu’il est capable d’aimer pour deux. C’est tellement humain. On se contacte tellement via les outils numériques que les « vrais » contacts se restreignent. Dans la rue, les gens sont séparés par les Iphone. Ils sont seuls avec leur appareil, et ne croisent plus les regards d’autrui, ils ne se font plus de sourires. Ces appareils coupent la communication. Le monde ne s’arrange pas non plus, et c’est normal qu’on ait besoin de tendresse, d’humanité, de simplicité et d’amour. Donc, si vous m’aviez demandé le titre qui m’a le plus marqué récemment, je vous aurais répondu Amar Pelos Dois.

Cette chanson survient de plus pile quarante ans après la vôtre, puisqu’il gagne en 2017.

C’est très beau, parce que le Portugal n’avait jamais gagné et que c’étaient mes quarante ans de carrière. Moi qui suis d’origine portugaise, j’en étais très fière. Je l’ai d’ailleurs reprise à Destination Eurovision, et j’étais vraiment ravie de la chanter.

Je m’en souviens.

C’est Bruno Berbérès qui organisait cette émission et la produisait pour France Télévisions. Il m’a demandé si je voulais bien la chanter puisque je connais la langue. J’ai aimé la reprendre en piano-voix. Les arrangements étaient d’une grande simplicité. Il y avait la mélodie, le texte et lui, un peu comme moi. La même histoire qu’il y a quarante ans.

Si on revient quarante ans en arrière, quel était votre rapport à l’Eurovision ?

La première édition de l’Eurovision que j’ai regardée, c’était en 1964. Le concours se déroulait à Copenhague et avait vu la victoire de Gigliotta Cinquetti avec Non ho l’età. J’ai par la suite regardé l’Eurovision chaque année, tout en me disant qu’un jour, j’aimerais participer à un tel concours. À mon époque, les télé-crochets n’existaient pas. Il y avait des concours en France, comme la Rose d’or d’Antibes ou les Rencontres musicales d’Evian, mais il n’y avait que l’Eurovision qui possédait une telle envergure. J’aimais chanter, je prenais des cours de chant, mais je ne pensais pas m’y retrouver un jour.

Et pourtant, vous vous y retrouvez après être passée par une étape nationale, avec cette sélection télévisée.

C’était un concours de la chanson française avec deux demi-finales et une finale. La finale se déroulait dans le cadre des Rendez-vous du dimanche présentés par Michel Drucker. Je me souviens que la première artiste connue que j’ai vu de ma vie, c’était une invitée de ce dimanche-là : Annie Cordy. J’ai par la suite créé des liens d’amitié avec elle. Je n’ai pas pu me rendre à son enterrement parce que j’étais à l’étranger. C’est quelqu’un que j’appréciais beaucoup, qui avait un caractère un peu semblable au mien, c’est-à-dire une artiste qui travaillait avec sérieux mais ne se prenait pas au sérieux et n’avait pas la grosse tête. J’adorais son tempérament très joyeux. Elle avait énormément de talent. C’était aussi une grande dame de la comédie qui savait autant faire pleurer que rire, et ce n’est pas facile. C’était vraiment une grande dame.

Vous vous retrouvez à gagner l’Eurovision face à plusieurs concurrents.

Je pensais d’ailleurs que c’étaient les anglais qui allaient gagner, parce que j’aimais bien leur chanson. J’appréciais aussi la chanson italienne. Finalement, je n’arrivais pas à croire que c’était moi (rires). J’étais très étonnée. Mes choristes et amis Georges et Michel Costa, et Dominique et Francine, des Fléchettes, étaient à mes côtés, et Michel me dit « Tu sais Marie, même si la France donne douze points à l’Angleterre, on a gagné ». Je lui ai répondu « Non, non, on attend jusqu’au bout, on ne sait jamais » (rires). Parce que j’avais peur ! Et il me disait « Mais Marie, mathématiquement parlant, nous avons gagné » (rires). Je n’y croyais pas ! J’avais peur d’une fausse joie ! C’est tellement énorme. De plus, la France n’avait pas gagné depuis neuf ans, avec Frida Boccara. Je l’adorais, et plus jeune, j’avais ô combien chanté sa chanson. Elle avait une voix extraordinaire. Lorsque je suis partie à l’Eurovision – qui devait avoir lieu le 2 avril mais qui s’est finalement déroulée le 7 mai suite à une grève des cameramen anglais. Lorsque je suis rentrée à Paris le 8 mai, jour de mon anniversaire, le PDG de TF1, et Michel Denisot, qui était à l’époque journaliste, m’ont remis mon premier disque d’or pour mes 500 000 premiers 45-jour que j’avais vendus en un mois.

C’est un gros succès.

Jean-Paul Cara m’a dit qu’à la fin, nous étions à quatre millions de disques vendus. C’est énorme.

C’est inimaginable aujourd’hui.

Un disque d’or aujourd’hui représente un chiffre de ventes bien inférieur, à moins de compter le cumul des ventes en streaming. A l’époque, nous avions vendu quatre millions d’exemplaires physiques : je vous laisse imaginer les disques d’or, de platine, etc. (rires). C’était une autre époque pour la musique. Mon époque était musicalement très riche, jusqu’aux années 90. Je trouve que les mélodies et les arrangements sont un peu plus pauvres aujourd’hui et que l’effet « Waouh » est plus rare.

Qu’est-ce qui vous fait « Waouh » justement ?

J’aime beaucoup d’artistes : Billie Eilish, Michel Jonasz, ou encore Benjamin Biolay. Pendant le confinement du printemps, j’ai écouté énormément de musique, notamment du jazz et des musiques brésiliennes, que j’ai toujours aimés. Plus jeune, j’écoutais Fip, qui m’a beaucoup influencé (rires). J’aime également la musique classique : je suis folle de Tchaïkhovski. J’ai également découvert beaucoup d’artistes et de morceaux via Spotify et YouTube. J’ai découvert des choses magnifiques que j’avais ratées ces dernières années, parce que lorsqu’on travaille, on est tellement dans notre truc à nous… Quand j’ai sorti Tout est pardonné, j’ai fait des émissions de radio et de télé aux côtés de nombreux artistes, mais j’étais tellement dans mon travail à moi que j’ai raté de jolies choses et de belles chansons, qui passent parfois injustement inaperçues.

Quand on participe à l’Eurovision, à Wembley, cela nécessite une concentration et de se constituer une bulle. Est-on fermé à ce qu’il se passe autour de soi, à la concurrence ?

Non, parce que la concurrence se fait quand même sentir. Je me suis très bien entendue avec de nombreux candidats, mais d’autres me regardaient en chien de fusil. Mon souci, c’était les huit premières mesures a capella. Je faisais une fixation sur ça en me demandant « Mon Dieu ! Comment je vais faire ? ». C’était mon combat personnel et finalement ça m’a un peu empêché de voir certaines choses qui se passaient autour de moi. Je ne pensais qu’à ça. Je ne voulais pas rater ces huit premières mesures parce qu’il ne fallait pas qu’il y ait de couac. Je devais avoir assez de respiration, partir dans la bonne tonalité et le bon rythme, parce qu’il me fallait accélérer la chanson De fait, j’ai vu ce qu’il se passait autour de moi, mais j’y ai moins pensé.

Ces huit premières mesures sont importantes. Elles lancent la chanson.

Elles en donnent la couleur. Elles montraient aussi de quoi j’étais capable. Tout se passait dans ces huit premières mesures.

Le temps est suspendu. Vous êtes dans le silence. Les regards et les oreilles sont tous dirigés vers vous.

C’est cela. C’était vraiment ma grande peur. Avec mon âge d’enfant, sans expérience, contrairement à Patricia Kaas ou Anggun lorsqu’elles ont participé au concours.

C’était votre première grande scène ?

Hormis la télé, oui. Mais j’ai énormément travaillé. J’ai été coachée comme une sportive. J’ai été accompagnée pour mes gestes, ma respiration, pour tout. J’ai vraiment travaillé pendant un mois, avant la date initiale du 2 avril, on a ensuite continué avant de partir à Londres. Cela a payé parce que lorsque j’ai commencé à chanter, j’ai senti que c’était bon. Quand je suis parti a capella avec le « Comme un enfant… », j’ai senti que c’était bon.

On le voit quand on regarde votre prestation : quelque chose se libère.

C’est exactement ça. J’ai vraiment senti que cela irait jusqu’au bout. Même en accéléré, lorsque je manquais de souffle dans cette chanson où je chante tout le temps, il n’y a pas un moment où il n’y a que les chœurs ou l’orchestration. Du début à la fin, je chante tous les couplets. J’ai vraiment senti dès le départ que la voix était là, que tout était là. Je suis partie en confiance avec le sourire. En regardant la vidéo de ma prestation, on voit mes mains qui tremblent : c’est parce que je me rends compte des enjeux. Une nation qu’on représente, des millions de téléspectateurs… Pendant que je chante, je pense à tout cela. Mais si mes mains tremblent, ma voix en aucun cas.

Vous aviez un pays derrière vous et lorsque vous arrivez à Wembley, vous arrivez dans le costume de favorite ?

Non, pas au début selon les bookmakers anglais, parce que ma répétition générale avait été une catastrophe. On avait été un peu dérangé par les costumes des choristes qui ne sont arrivés qu’à moitié. Elles avaient une robe en organza et elles étaient presque nues en dessous. La tenue était complètement transparente et on voyait leurs dessous. Le styliste avait oublié de mettre dans les bagages le justaucorps qu’elles devaient porter sous leur robe. Elles devaient être habillées de la même couleur que moi et on devait être tous ensemble pour représenter une espèce de fleur. Cela m’avait déstabilisée. Mais on a surtout été contacté parce que la chanson était trop lente et que si on arrivait en première position, on risquait d’être disqualifiés parce qu’on dépassait de quelques secondes les trois minutes règlementaires. Or, ma chanson durait trois minutes et huit secondes. Raymond Donnez, notre chef d’orchestre, a donc accéléré le rythme pour que je puisse chanter en trois minutes. C’était un peu la course et j’avais peur que qu’on perde de l’émotion, qu’elle ne passe pas. Tout était un peu compromis. On a eu des bâtons dans les roues. Lorsque je suis arrivée, il n’y avait également pas de salle de presse pour nous. Contrairement à tous les autres candidats, je n’avais pas de voiture privée. Je suis arrivée en bus avec les musiciens et je suis repartie en Rolls (rires). C’est vraiment l’histoire de Cendrillon. Dix-neuf ans, première grande scène, huit  premières mesures a capella, une chanson trop lente, ni salle de presse ni voiture, des problèmes avec les costumes … Tout était contre moi. Finalement, le 7 mai 1977 au matin, Jean-Paul Cara est revenu avec deux robes différentes qu’il avait acheté dans Londres et  j’avais une salle de presse . Tout s’était arrangé sur demande du bras droit du grand patron de Deutsche Gramophon, qui représentaient Philips, Phonogram et Polydor. Elle s’appelait Silke Zinkelsein et elle a tout fait pour moi. Je me rappellerai toute ma vie de son nom et de son prénom. Et finalement, le soir, je gagne. Comme le disait Jean-Paul Cara, « C’était écrit ». C’est un signe que ce fut le 7 mai, la veille de mon anniversaire et non le 2 avril. C’est le destin. Tout était écrit.

Lorsque vous gagnez en plus, vous devez surmonter une dernière embûche avant de rejoindre la scène !

(Rires) J’étais en train de pleurer lorsqu’un cameraman tombe et mes larmes ont arrêté de couler. C’est grâce à lui que j’ai pu chanter une seconde fois avec un énorme sourire. D’ailleurs, lorsque j’ai chanté à nouveau, j’ai pris mon temps et je n’ai pas respecté les trois minutes règlementaires.

C’est là que tout a commencé et c’est depuis qu’on retient une extraordinaire carrière, fort riche.

Un homme libre d’abord, Sentimentale, Nostalgia, Tout est pardonné, Dis-moi les silences, P’tit homme… Toutes les chansons que j’ai travaillées, les albums sortis à l’étranger… J’ai toujours continué de chanter à l’étranger. Lorsque les autres pays organisaient leurs propres sélections et voulaient inviter la dernière représentante pour la France, c’est toujours moi qui y suis allée. J’étais l’ambassadrice. En décembre 2019, j’étais encore à Amsterdam avec d’autres vainqueurs de l’Eurovision. Nous avons chanté au Ziggo Dome devant 15 000 personnes. 15 000 personnes qui chantent L’oiseau et l’enfant en français, c’est quelque chose de fou. Je me suis rendue à une gay pride en Suède à la fin des années 80. J’avais été invitée par Christer Björkman – que j’aime beaucoup. J’ai chanté L’oiseau et l’enfant et les suédois l’ont chantée avec moi, en français s’il vous plaît ! Des milliers de personnes ! J’avais la chair de poule. J’étais avec Christer et mon ami Bruno Berbérès. C’est grâce à eux que je suis partie chanter en Suède avec mes musiciens. J’ai chanté d’autres titres, dont Tout est pardonné, mais arrivés à L’oiseau et l’enfant, ça a été … Ils étaient en larmes dans les coulisses. J’ai tourné la tête, je les ai cherchés du regard, et je voyais les larmes qui coulaient sur leurs visages. Comme dans la tournée Âge tendre et tête de bois, que j’ai faite pendant deux ans : il n’y a rien de plus émouvant que six mille personnes qui chantent vos chansons avec vous. C’est un merci du public. C’est un cadeau pour moi. Pour tous les artistes, que le public reprenne vos chansons est un cadeau.

Vous dites ce mot, « merci ». Quel regard portez-vous sur votre carrière après l’Eurovision, d’autant plus qu’on vous ramène toujours à L’oiseau et l’enfant et à l’Eurovision ?

Je le comprends. Le fait est que personne n’a gagné depuis. On me parle d’Eurovision chaque année, au mois de mai, et on voit alors Marie Myriam, vainqueure de l’édition 1977. Je remercie qu’on ne m’oublie pas, qu’on respecte ce que j’ai fait et qu’on trouve formidable d’avoir ramené cette médaille pour la France, comme Yannick Noah ou David Douillet dans le sport.

Ça ne vous dérange pas qu’on médiatise moins vos autres chansons et ce que vous avez fait par la suite, qui est pourtant extrêmement riche ?

Non. Mes autres chansons ont connu le succès à leur sortie. Des radios m’invitent et choisissent de diffuser ces titres. Laurent Ruquier passe par exemple Un homme libre, Tout est pardonné et ensuite L’oiseau et l’enfant. Cela me fait plaisir. Et puis mes fans connaissent mes chansons. Ils connaissent tout de moi. Ils ont même davantage de disques de moi que je n’en ai moi-même (rires). Ils ont même les chansons que j’ai enregistré pour Disney ou l’album de chansons que j’ai fait avec Casimir pour L’île aux enfants, où je jouais le rôle de Marie Chansons. C’était aussi une période où je n’avais pas peur de faire autre chose. Ce n’était pas bien vu à l’époque, mais on voit maintenant tous les chanteurs faire des musiques et des voix pour Disney. Je pense que la musique a commencé à s’ouvrir avec les radios FM, qui se sont multipliées. Je suis par exemple fan de George Benson, et en 1977, aucune radio ne le diffusait exception faite de Fip, alors qu’il est très connu aujourd’hui. Nos radios ne diffusaient essentiellement que de la musique franco-française. La multiplication des radios et des chaînes de télé a beaucoup ouvert le monde de la musique.

Vous disiez merci à votre public. Lorsque vous avez publié votre autobiographie La fille du Ribatejo, vous avez dit dans une interview, « Mon livre, c’est un au revoir et un merci à mon public ».

Oui. Ça a été au revoir et merci. Mon mari n’est plus là pour me donner le son. Il était passionné par les technologies du son. J’ai été terriblement gâtée par rapport à d’autres artistes qui avaient des ingénieurs du son ou pas. J’ai toujours disposé des nouvelles technologies en avance.  J’ai été la première à chanter avec des ear en France. Parce que Michel, mon mari, regardait ce qu’il se passait à l’étranger et se renseignait de tout. J’ai bénéficié de sa passion. Depuis sa disparition, c’est difficile de revenir sur scène. On avait un code de gestes et de mouvements pour communiquer lorsque j’avais besoin d’entendre plus de musique, de voix ou que j’avais un problème quelconque. J’ai passé trente-cinq ans de vie commune à chanter à ses côtés et être sur la route avec lui, et je ne me voyais pas continuer sans lui. Céline Dion l’a fait, mais elle a une équipe derrière. Ma machine à moi était beaucoup plus artisanale, c’était mon mari et moi. Mais je me devais de remercier pour ces quarante ans de bonheur tous ceux qui ont vécu avec moi, qui ont fait que je suis là et que j’existe : le public. Les artistes n’existent que par le public.

Ça signifie qu’exception faite …

À une occasion ou une autre, je vais chanter L’oiseau et l’enfant, mais je ne fais plus de concerts. On m’a encore appelée récemment (l’entretien a eu lieu la veille de l’annonce présidentielle de la mise en place du couvre-feu en Île de France et dans huit métropoles françaises N.D.L.R.) pour faire un concert dans le respect des normes sanitaires, mais je n’en fais plus. Parce que c’est un métier qu’il faut faire quand tout est réuni, le cœur, l’envie, l’âme. Si on a la chance de pouvoir dire non, il faut savoir s’arrêter, parce que c’est un métier très difficile à exercer. Certains voient leur image ou leur voix vaciller, tandis que d’autres restent extraordinaires jusqu’au bout, comme Annie Cordy ou Marcel Amont. Monter sur scène nécessité de réunir beaucoup de choses. Je ne suis remontée sur scène qu’une fois après le décès de mon mari, et à une chanson précise, je me suis mise à pleurer et je n’arrivais plus à chanter. C’était très dur de reprendre. Mon métier est d’assurer quoi qu’il arrive et cela m’a traumatisée. Je suis une hypersensible. Je ressens les choses beaucoup plus que les autres. Je suis facilement très touchée. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis assez discrète auprès des médias. J’adorais être sur scène, j’adorais le contact avec le public, mais avec les médias, je suis davantage timide. C’est le fruit de mon hypersensibilité.

On parlait de votre expérience de la scène et des médias, mais vous accompagnez toujours l’Eurovision et le suivez fidèlement.

Je serais bien ingrate si je vous tournais le dos (rires). Parce que j’ai percé grâce à l’Eurovision.

Certains artistes ont mis de la distance avec le concours parce que l’étiquette est trop lourde à porter. Ce n’est pas votre cas. Que pensez-vous de l’évolution de ce concours ?

On m’a souvent posé cette question. Elle est l’image de l’évolution musicale. Quand on regardait l’Eurovision, ça ressemblait à moment donné au MTV des années 80. C’était la mouvance, la mode. Aujourd’hui, l’Eurovision repose toujours sur des modes, mais il y a parfois des Salvador Sobral qui viennent nous surprendre. Les modes passent, mais ni l’amour ni la sincérité. Ce sont des choses bien ancrées, avec des racines, et éternelles. Cela va toujours fonctionner. On a beau vouloir être moderne, se démarquer, et tenter des propositions différentes pour l’Eurovision, mais aujourd’hui, le public vote et il veut du Salvador Sobral. Je pense aussi à Jamala, dont le titre racontait l’histoire de sa grand-mère. Elle a gagné parce qu’on était dans l’émotion.

Justement, ces dernières années, outre ces titres, d’autres vous ont particulièrement marqué ?

Oui ! J’ai adoré Alexander Rybak. Je trouve qu’il avait tout : la bouille, la chanson, l’énergie. J’ai également aimé de nombreux candidats. Vocalement, je trouve que le niveau bat des records. Je pense par exemple à l’Australie qui nous envoie d’excellents interprètes. On parle de Christina Aguilera, de Céline Dion, de toutes ces grandes voix, mais certains n’ont pas à rougir. Mais si j’aime la plupart des propositions, je trouve que ça manque de sensibilité et d’amour. Musicalement, cela me plaît, mais je trouve qu’il faut plus que ça pour l’Eurovision. Il ne faut pas oublier qu’il faut émouvoir deux cents millions de téléspectateurs. Et pour cela, il faut de la profondeur et de la vérité. Le public ne se trompe pas, je suis d’ailleurs satisfaite de ce système de vote combiné, aux côtés des jurys pour moitié.

Quarante-trois ans que la France n’a pas gagné. Quarante-trois ans que nous essayons des propositions différentes. On a raté le coche de justesse en 1991 avec Amina et Le dernier qui a parlé…

C’est une chanson que j’aime beaucoup.

Depuis, nous ne parvenons plus à gagner. Exception faite de quelques bons résultats et d’une amélioration sous la direction de Nathalie André, la France vit une période compliquée au concours. Pourquoi selon vous et quelles solutions verriez-vous pour qu’on vous trouve un successeur ?

Je pense qu’il faudrait un candidat qui défende un titre ancré dans l’émotion. Une partie des médias continue de se moquer de l’Eurovision et face à cela, on envoie des titres « modernes » au concours. Or, on n’a pas toujours envie d’entendre un titre moderne et ce n’est pas forcément ce qui touche les gens, le public dans son ensemble, et pas seulement le public français. Pour aller à l’Eurovision, il vaut mieux privilégier une chanson émotionnellement internationale et non un titre franco-français. Une chanson internationale dans le sens où la voix de Salvador Sobral, sa mélodie, sa simplicité étaient internationales. C’est l’émotion qui lui a permis de se démarquer de tout le monde. Il avait cette mélodie, ce texte, que les gens ne comprenaient pas tout comme une chanson en anglais où vous n’allez pas tout comprendre, mais vous allez être touché par l’émotion. Conchita Wurst m’avait émotionnellement touché. Différentes propositions sont envoyées à France Télévision, mais de toute façon, si on savait faire des tubes, on serait milliardaires !

Avec le recul, à refaire vous le referiez ?

Oh, de tout mon cœur, comme je l’ai fait la première fois. Je le referai de tout mon cœur. C’est quelque chose que je ne regretterai jamais. L’aventure, les voyages … J’ai fait les trois-quarts de la planète et toujours grâce à ça. Toutes les rencontres riches, les gens qui m’ont apporté de bonnes choses … Bien sûr il y a eu du mauvais, mais je ne garde que les bons souvenirs. Je le referai vraiment de tout mon cœur.

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L’actualité de l’artiste :

À l’occasion de ses quarante ans de carrière, en 2017, Marie Myriam a publié son autobiographie, La fille du Ribatejo, aux Éditions de l’Archipel, ainsi qu’un double album best-of, 40 ans de carrière, incluant six chansons inédites.

Si Marie Myriam a cessé de monter sur scène – exception faite de quelques prestations pour chanter L’oiseau et l’enfant, elle continue d’accompagner les candidat.e.s français.e.s à l’Eurovision et de leur apporter son soutien.

Pour suivre l’actualité de Marie Myriam, rendez-vous sur :

Un immense merci à Marie Myriam de nous avoir fait l’honneur d’accepter cet entretien et d’avoir longuement échangé avec nous avec générosité, humilité et avec la gentillesse qui est la sienne. Rendez-vous le week-end prochain pour un dernier épisode de cette première série des entretiens de l’EAQ !

Crédits photographiques : DR Christophe Boulmé