La semaine écoulée nous aura apporté quelques consolations et soulagements. Vasil Garvanliev a été confirmé comme représentant nord-macédonien. Manizha a vu toutes les demandes d’enquête à son endroit, se dissoudre dans l’air. Samira Efendi, Tornike Kipiani et Destiny Chukunyere ont poursuivi sans heurt leurs enregistrements et leurs répétitions. Les religieux chypriotes s’en sont retournés à leurs dévotions. Les préparatifs de l’Eurovision 2021 avancent à bon rythme. Ceux de l’Eurovision Junior ont débuté. Nous aurons même droit à une pre-party en ligne depuis Madrid. Le soleil chasse les nuages.

Seul cas plus orageux : celui de la Biélorussie. Le retrait / non-admission / disqualification de la BRTC est à la fois une tristesse et un soulagement. C’est un crève-cœur qu’un pays ne participe pas à l’Eurovision. Mais ici, cette absence ne sera ni pleurée, ni regrettée, le diffuseur ayant manqué à ses engagements les plus élémentaires et fait preuve d’une malhonnêteté patentée. La situation est à présent éclaircie, c’est là le plus important.

Vous pourriez croire le tableau redevenu rose bonbon et petits oiseaux et angelots joufflus prêts à nous conduire jusqu’à Rotterdam dans un cortège mélodieux. Hélas, l’heure est plutôt à la prise de conscience douloureuse. Comme exposé dans l’éditorial précédent et d’autres articles, l’Eurovision est rattrapé par le harcèlement en ligne. Phénomène point nouveau, mais devenu général cette année, à un point effrayant.

Nous avions assisté en 2019 à sa première manifestation de grande ampleur dans l’Euromonde, lors de la victoire de Bilal Hassani à Destination Eurovision. Un déluge de messages haineux et discriminatoires s’était abattu sur la tête du jeune chanteur, l’insultant et l’attaquant sur à peu près tous les aspects de sa personne et de sa carrière. Deux ans plus tard, le phénomène s’est horriblement répandu. Nombreux sont les participants de cet Eurovision 2021 à avoir été harcelés et insultés sur les réseaux sociaux.

Cruelle peine pour eux : leur présence sur ces réseaux est nécessaire pour leur carrière, leur promotion et leur reconnaissance. Elle est devenue quasiment obligatoire par ces temps de confinement. Avec leur lot de bonheurs et de réussite, puisqu’ainsi, ils ont eu l’opportunité de partager leurs morceaux et leur art, de communiquer directement avec leurs fans et de participer à des événements à distance. Ils ont maintenu le lien et à l’image de Daði Freyr ou Barbara Pravi, ont accru leur notoriété.

Revers de la médaille : ces mêmes réseaux sociaux ont permis à leurs contempteurs et autres haineux de facilement les contacter et de leur transmettre leurs mots emplis du pire de l’humanité. Anonymement, bien entendu. Parmi d’autres, Manizha a témoigné des ordures qui lui ont été écrites. Elle y a brillamment répondu dans une vidéo parodique hilarante, décapante et profonde tout à la fois :

Prendre de la hauteur, recourir à l’humour, tourner cela à la dérision, se montrer plus grand que ces bassesses, est la voie privilégiée choisie par les concurrents 2021. En son temps, Bilal Hassani avait recouru à une autre possibilité : porter plainte. Extensions du domaine public, les réseaux sociaux sont soumis aux mêmes règles. La liberté d’expression y est limitée par les termes de loi. Les personnes y postant des messages appelant à la haine, à la violence ou la discrimination sont susceptibles d’être poursuivies devant la justice de leur pays.

Justement, cette semaine, en France, avait lieu le procès d’usagers haineux de Twitter, comparaissant pour des messages atroces à l’encontre des communautés chinoise et asiatique, dans le contexte de la pandémie de Covid-19. L’occasion de contempler ces personnages à visage découvert, en place publique, devant les autorités de leur pays, et non plus à l’abri de leurs masques digitaux. Surprise : il s’agit de personnes bien insérées dans la société, aux perspectives d’avenir appréciables, au casier judiciaire vierge et ne naviguant pas dans les sphères extrémistes.

Non surprise : tous regrettent, tous ont présenté des excuses, tous ont affirmé n’avoir pas pris conscience de la portée de leurs actes, n’avoir pas réalisé, n’avoir pas pensé, avoir été emportés par le courant des messages équivalents. Tous ont juré que jamais, au grand jamais, dans la vraie vie, ils n’auraient osé insulter leur prochain, encore moins porter la main sur lui. Tous se sont littéralement liquéfiés devant leurs juges et la terrible perspective d’être condamnés, infâmie susceptible de ruiner leur vie.

Il est à fort à parier que les haineux de l’Euromonde leur soient semblables : des personnes submergées par leurs sentiments et leurs ressentiments et qui laissent libre cours à leur méchanceté dans un espace virtuel, loin d’elles-mêmes et de leur quotidien. Sans comprendre qu’à travers ces mots, elles enfreignent la loi, elles blessent des êtres humains, elles portent atteinte à la dignité et à la démocratie et plus confondant encore, qu’elles sont susceptibles d’être poursuivies et condamnées à juste titre. Inconscience et facilité de s’épandre sous couvert d’anonymat en quelques mouvements du pouce depuis le confort illusoire de son chez-soi.

L’Eurovision et ses participants, vous le voyez, n’ont guère été épargnés. Ils ont été englobés dans un mouvement général de haine en ligne. Un mouvement sans fatalité : l’heure est heureusement à la prise de conscience. Les opinions publiques, à force de s’émouvoir, ont poussé à l’action les décideurs politiques et les dirigeants des réseaux sociaux. La justice se dote d’un arsenal législatif. Les modérations de contenu et les suppressions de compte s’amplifient. Un temps de retard, l’hydre de la haine ayant des têtes foisonnantes.

Combattre le phénomène s’accomplit également à l’échelle individuelle, en signalant comptes et messages illégaux, en soutenant les artistes et les victimes, en promouvant le respect et la tolérance, en témoignant soi-même des abus verbaux subis. Les plus drôles répondront à la manière de Manizha, par l’humour et dérision. Les plus déterminés s’engageront en politique ou en magistrature pour influer sur le cours des événements. Les plus généreux feront un don, par exemple à l’Unicef ou l’Unesco, tous deux engagés sur le sujet, ou encore à e-Enfance. Ainsi, nous contribuerons tous à un monde et à un Euromonde meilleur et à un Eurovision plus serein.