Dire que celle-là, on ne l’avait pas vue venir, est un euphémisme d’une douceur extrême. Et si l’on espère chaque année que le Père Noël nous couvre de jolies surprises, peu d’entre nous étaient psychologiquement prêts à en déballer une de telle ampleur juste avant Noël.

Si vous ne le savez pas encore, fut-ce par nous ou par une presse qui a assez largement couvert la  nouvelle, la France a remporté l’Eurovision Junior 2022. Et ça, c’est grâce à un divin enfant nommé Lissandro, treize ans, originaire de Moselle, qui a triomphé avec Oh Maman !, nous offrant ainsi une deuxième étoile que nous n’attendions pas de sitôt.

À l’écoute de Oh Maman !, rédaction et eurofans avaient été plutôt séduits par la proposition rockabilly de Lissandro, un style rare dans une Eurovision Junior encore essentiellement portée sur la dialectique pop/ballade (mais en voie de diversification comme on a pu l’entendre avec l’indie pop ukrainienne de 2020 et le rock portugais de 2022). Lissandro avait de plus la pêche, l’énergie, l’aplomb, l’humour, la passion, bref de quoi séduire sur le papier le public européen et pouvoir offrir un nouveau top 5 à une France désormais incontournable du concours Junior.

Plus les semaines passaient, plus l’édition 2022 se densifiait sur le papier et semblait progressivement offrir moins de perspectives favorables à la France. Tandis que semblait se dessiner un match entre le Royaume-Uni, l’Arménie et les Pays-Bas, avec la Géorgie et l’Ukraine (victoire au concours adulte oblige) en embuscade, notre pays semblait pour la première fois voué au Bottom 5 à en croire les divers classements des eurofans, qui laissaient le plus souvent poindre la France aux environs de la douzième place. Bref, guère de quoi être optimiste. Mais on le sait pourtant bien : le début des répétitions remet les compteurs à zéro.

Direction Erevan donc. C’est ainsi le dimanche 4 décembre, pile une semaine avant le Jour J, qu’atterrit la délégation française menée par Alexandra Redde-Amiel, évidemment accompagnée de Lissandro et de ses danseurs (c’est préférable pour assurer le live), et de ses  équipes de France 2. Dès le lendemain, le running order annonça la couleur. La France chanterait ainsi en sixième place, entre l’outsider italienne et l’Albanie. Pas dégradant sur le papier, mais bien avant les favorites géorgienne (8ème), britannique (12ème) et arménienne (15ème). Surtout sixième … comme Alvan & Ahez à Turin en 2022. Pour le résultat que l’on sait. Pourvu que la malédiction ne soit pas en marche, priions nous Lys Assia dans nos fors intérieurs.

Place aux répétitions, souvent pré-déterminantes d’un scrutin dont l’issue reste aux mains d’un public composite et de jurés dont les subtilités échappent parfois aux eurofans. L’Arménie au rendez-vous, la Géorgie en irrésistible ascension vers une quatrième victoire, un Royaume-Uni frappé par la scoumoune avec une Freya souffrante jusqu’au Jour J, une Serbie à la grâce fort appréciée des observateurs, … mais pour la France, ce fut plus compliqué. La vidéo extraite des répétitions (et finalement rapidement remplacée par l’organisation) suscita beaucoup de retours négatifs du côté des eurofans français. Si la qualité de la scénographie était une nouvelle fois soulignée (on appelle cela l’art français du Junior), l’extrait réveilla énormément de craintes sur la prestation vocale de Lissandro(nous ignorions alors les problèmes techniques subis pendant la répétition en question). La fin du classement semblait nous ouvrir grand ses portes … alors même qu’il ne faut jamais mettre la charrue avant les bœufs comme le dit l’adage populaire. Mais, embarqués par la [fougue] qui s’élance et qui danse

Place au jury show. Du mieux, du beaucoup mieux selon les observateurs sur place. Certains sites internationaux se prenaient même à voir la France dans la lutte pour les avant-postes. Côté euromonde français, bien que rassuré par la nouvelle, on restait beaucoup plus sur ses gardes et surtout réservé par l’annonce d’une telle perspective à laquelle nous croyions difficilement.

Place au live show, et des prestations dans l’ensemble égales de qualité, chose rare. « Va y avoir de la casse » nous disions-nous, quand bien même quelques chansons nous semblaient trop peu armées pour jouer le haut du tableau (Malte, Albanie, …). Arrive la sixième prestation, celle de la France. Cœur battant et souffle coupé, nous attendions avec impatience Lissandro. Trois minutes plus tard, soulagement de mise : le jeune mosellan est bel et bien au rendez-vous, notamment sur la dernière note, qu’il fait retentir dans un Karen Demirchyan Complex plein à craquer, qui l’acclame à tout rompre. Peut-être plus que les autres même … mais ça, nous ne le réalisions alors pas. Inutile de revenir sur l’énergie, l’aisance scénique, l’engagement et la scénographie, gros points fort d’une proposition française qui assure finalement le show.

Dix prestations plus tard (soit approximativement 45 minutes). Réouverture du vote en ligne. Face aux machines arméniennes, britanniques, espagnoles, géorgiennes, voire ukraino-empathique, les eurofans français font au mieux pour apporter leurs voix à leur candidat. L’on se dit que ce sera chaud pour cette année, mais qu’une première moitié de tableau redevient largement jouable.

Début de la révélation des votes des jurys. Premier pays et … premiers douze points pour la France, venus des Pays-Bas. Arrimé au trio de tête, Lissandro décroche un nouveau « douze points » de l’Italie avant de prendre définitivement la tête des votes des jurys à leur moitié, pour s’imposer au final avec dix-huits points d’avance sur la Géorgie et vingt-quatre sur l’Arménie hôte, quatre notes maximales, six « dix points » et un « huit points » au compteur, seule Malte s’abstenant de nous gratifier de points. Troisième victoire consécutive de la France au vote des jurys, et la plus large de surcroît. Et l’excellente surprise pour nous, qui nous mettons à y croire, même si nous nous doutons alors fortement que l’Arménie et/ou la Géorgie domineront de la tête et des épaules un vote en ligne qui leur est promis.

Début de la révélation des votes en ligne, l’euromonde français au taquet et votre serviteur en position latérale de sécurité aux commandes du live tweet. Défilent alors les points du dernier des jurys à leur leader. Des votes serrés en perspective, où Royaume-Uni, Espagne et Portugal prennent de gros points sans pour autant casser la baraque, entre 70 et 80 en somme, là où Arménie et Pologne avaient dépassé les cent l’année dernière.

Successivement, Espagne, Royaume-Uni et Irlande prennent la tête et se la font voler instantanément. Arrive alors l’Arménie hôte, 70 « petits » points au vote en ligne mais suffisants pour afficher 180 points au compteur total et prendre la tête de la course. 70, on se dit quand même que c’est peu contrairement aux attentes. Puis place à la dangereuse Géorgie pour une nouvelle surprise : 47 points ! Le pays du Caucase est désormais hors course. 48 points suffisent alors à Lissandro pour assurer la victoire … Et ce furent 71.

C’est ainsi que notre pays remporta la deuxième étoile de son histoire grâce à Lissandro. Quatre ans après son retour, deux ans après sa première victoire et tout juste un an après avoir accueilli le concours à Paris. Ce à Erevan, où elle brise les espoirs d’un pays hôte grand favori, un an après que l’Arménie ait brisé les espoirs de doublé de la France à domicile. Et le lendemain de la qualification des Bleus en demi-finale du Mondial.

Qu’écrire sur notre joie. Qu’écrire sur nos larmes. Qu’écrire sur notre émotion. Qu’écrire sur notre surprise, et la plus belle qu’il soit. Qu’écrire sur cet inattendu cadeau de Noël, retrouvé et déballé au pied du sapin deux semaines pile avant l’heure. Qu’écrire si ce n’est, tout simplement, que, toi Lissandro, le flamboyant, le magnifique, tu as su faire swinguer l’Europe et y mettre le feu avec ton talent, ta fougue et ta voix. Mille félicitations à toi, notre représentant français. Les eurofans et le public – qui t’a suivi à hauteur de presque deux millions de téléspectateurs au moment des résultats – sommes tellement fiers de toi qu’il n’y a pas de mots assez explicites pour exprimer la force de ce sentiment.

Merci Lissandro d’avoir fait tourner la magie à Erevan, et nous offrir une vingt-et-unième édition de l’Eurovision Junior en France en 2023. Merci aux équipes de France Télévisions et à la délégation, qui ont cru en cette victoire (et qui avaient annoncé la couleur à la conférence de presse de novembre) beaucoup plus que nous n’y croyions tous initialement. Merci à Alexandra Redde-Amiel, directrice des divertissements de France Télévisions et iconique cheffe d’une délégation dont elle est le véritable phare, pour son flair du Junior. Merci à l’ensemble des équipes, Fred Valencak, Sabrina Lonis, Léa Ivanne, Marika Prochet, Ludovic Hurel et tous celles et ceux que nous oublions, parmi lesquels les fabuleux danseurs de Lissandro.

« Merci, je vais bien merci » chanterait Madame Monsieur et tout cela, c’est grâce à vous tous.

Quant à nous, c’est avec un plaisir immensément grand que nous nous engageons sur la route de l’Eurovision Junior 2023, et que nous ferons désormais nôtre la maxime suivante : « Il faut y croire, pour que le possible naît de l’impossible. » Car n’est-ce pas là la base pour que le rêve puisse devenir réalité, et qu’un jeune français nommé Lissandro déjoue les pronostics de la sorte ?

© Corinne Cumming | UER