C’est l’heure du petit rituel matinal. Je prends mon vélo et passe à la boulangerie en cette belle matinée ensoleillée. Il en ressort un délicieux fumet qui me met en appétit. Lorgnant du coin de l’œil les croissant chauds exposés dans la vitrine, je m’autorise ce petit plaisir lorsque j’achète une baguette et un journal. Sur le seuil du magasin, sortant dans l’air doux tout en mordillant la croûte dorée des croissants, je finis par ouvrir la seconde page du journal, curieux de voir quelles rubriques sont au programme aujourd’hui. Dans un coin, un grand carré de texte retient mon attention : une page de l’abécédaire ! Je constate que des figures importantes de l’Eurovision ainsi que des controverses sont abordés aujourd’hui. Alors, sans plus tarder, récitons ensemble l’abécédaire de l’Eurovision !

I comme…

  • Irlande !

Quand nous évoquons l’Eurovision actuellement, nous pensons plus naturellement à la Suède, aux Pays-Bas et à leur future édition à Rotterdam ou encore aux membres du Big 5 et leur relation plus ou moins compliquée avec le Concours. L’Irlande ne nous vient pas en tête directement. Et pourtant… L’île d’Émeraude détient un record non négligeable : celui des victoires à l’Eurovision ! Lors de ses débuts en 1965, le pays connut un excellent départ en collectionnant systématiquement les top 10, dont trois top 5, lors de ses cinq premières participations. Ce n’était donc plus qu’une question de temps avant que la victoire soit à portée de main. Ce sera chose faite en 1970 : Dana, alors seulement âgée de dix-huit ans, surpassa les onze autres candidats et emmena la douceur de All Kinds of Everything sur la plus haute marche du classement. Cette première victoire fut la première d’une série pleine de surprises.

Suivirent deux victoires étonnantes en 1980 et 1987 puisqu’elles sont l’oeuvre d’un seul et même chanteur, Johnny Logan. Il est le seul candidat à avoir remporté par deux fois l’Eurovision en tant qu’interprète. Patience, plus de détails viendront avec l’abécédaire #J 😉

Ceci est étonnant, me diriez-vous ? Pourtant, l’Irlande nous offrit un véritable tour de force par la suite. Replongeons alors dans les années 90 pour en découvrir les détails. Commençons par 1992 où l’île obtient sa quatrième victoire avec Why Me, interprétée par Linda Martin, dans une compétition assez serrée. Le Royaume-Uni devra se contenter d’une seconde place. C’est donc tout naturellement sur l’île d’Émeraude que l’Europe est conviée en 1993, plus particulièrement à Millstreet, petite ville… de la campagne comptabilisant à peine 1500 habitants ! Située dans le comté de Cork, elle accueillit l’Europe dans la Green Glens Arena, un centre… équestre ! La proposition du propriétaire, Noel C. Duggan, reçut un soutien national, ce qui encouragea la télévision irlandaise à l’accepter en dépit du manque d’infrastructures. Un vaste chantier est alors mis en place pour rénover la ville et ses infrastructures. De ce fait, Millstreet est, à ce jour, la plus petite ville à avoir jamais accueilli l’Eurovision. Une édition particulière pour l’île d’Émeraude qui verra encore une fois ses propres couleurs en tête du classement puisque la talentueuse Niamh Kavanagh endosse le rôle du représentant hôte à merveille et remporte l’Eurovision avec In Your Eyes. Et ceci pour la deuxième fois consécutive juste devant le Royaume-Uni ! L’Irlande égalise alors en terme de victoires avec la France et le Luxembourg.

La télévision irlandaise accepte d’accueillir une deuxième fois d’affilée le Concours. Cette fois, pas question de retourner dans un village, c’est au Point Theatre à Dublin que sont conviées les délégations. La sélection de la chanson irlandaise intitulée Rock’n’Roll Kids ne manqua pas de faire réagir. Elle fut victime de bashing (=dénigrement), tout particulièrement parce qu’il s’agit d’une chanson acoustique de surcroît interprétée par un duo masculin. Les experts musicaux considérèrent que la télévision irlandaise ne voulait pas gagner une troisième fois et avait tenté de choisir une chanson faible. Ce fut tout le contraire. Les représentants Paul Harrington et Charlie McGetiggan remportèrent la victoire en établissant un record de points avec 226 points à l’Eurovision, écrasant le précédent record établi par le pays lui-même l’année précédente. Pour la première fois et la seule fois de l’histoire du Concours, un pays remporte la compétition trois fois d’affilée ! Et si cela ne suffisait pas, l’Irlande établit aussi un record de victoires avec un total de six victoires.

Que se passe-t-il donc en 1995 ? La télévision irlandaise accepte encore une fois d’accueillir l’Eurovision. Même salle, même ville qu’en 1994 et… désolé de vous décevoir (ou de vous permettre de vous réjouir ?), l’Irlande ne remporta pas cette édition. La Norvège profita de cette occasion mais ce n’était qu’une bataille de perdue, pas la guerre. Effectivement, en 1996, l’Irlande remonte ses manches et décide de se faire représenter par Eimear Quinn avec l’envoûtant The Voice. Dois-je annoncer la suite ? L’Irlande remporte encore une fois la plus grande compétition musicale du monde et monte son compteur de victoires à sept ! Un record qui tient toujours et qui n’évoluera pas puisqu’il s’agit là de la toute dernière victoire irlandaise en date. La meilleure place par la suite pour le pays sera une seconde place en… 1997 ! Quatre victoires en cinq ans : nous pouvons dire que les années 90 sont la décennie de la suprématie irlandaise.

  • Ingvar Wixell !

Cet homme, né Karl Gustaf Ingvar Wixell le 7 mai 1931, est un baryton d’opéra suédois. Il excella dans des rôles importants et joua dans des pièces célèbres tels que Le Barbier de Séville de Rossini, Tosca de Puccini ou encore Rigoletto de Verdi. Finalement, son talent, remarqué à l’Opéra royal suédois, attira l’attention de la télévision suédoise qui lui proposa de représenter son pays à l’Eurovision. Ce fut chose faite en 1965 à Naples, située en Italie, où il termina à la dixième place.

Qu’il y a-t-il de spécial là dedans ? La réponse se trouve dans la chanson. Ou plutôt dans la langue dans laquelle est interprétée la chanson. Intitulée Absent Friend, les paroles, comme le laisse deviner le titre, sont en anglais ! Il s’agit de la première fois de l’histoire du Concours qu’un candidat chanta dans une langue différente des langues nationales de son pays. Or, en cette première décennie d’existence de l’Eurovision, aucune règle n’existait concernant l’emploi des langues. Cependant, pour des raisons évidentes, dans un concours promouvant l’identité propre de chaque pays, cette interprétation en anglais fut mal reçue par le public et les professionnels. Toute cette effervescence conduira l’UER à créer une règle en 1966 obligeant les participants à chanter dans une des langues nationales de son pays. Je vous laisse l’honneur de découvrir ou d’écouter de nouveau Absent Friend, interprétée par l’homme qui fut, en quelque sorte, le précurseur de l’omniprésence de l’anglais à l’Eurovision de nos jours.

  • Irruption !

Une compétition telle que l’Eurovision apporte une exposition internationale aux participants, qu’ils soient artistes, chorégraphes, choristes ou organisateurs du Concours. C’est aussi l’occasion idéale pour certains pays méconnus ou certains micro-états de briller sur la même scène que les plus grands d’Europe. De ce fait, la scène de l’Eurovision est inévitablement un moyen d’expression de grande ampleur, diffusé en direct et vu par approximativement deux cent millions de téléspectateurs. Et cela, certains l’ont bien compris. Si certains jugent intéressant de montrer son… arrière-train au monde entier comme l’ukrainien Vitalii Sediuk lors de la performance de Jamala en entracte de la finale en 2017, d’autres s’en servent véritablement pour faire passer un message. Retour sur trois importantes irruptions sur scène à l’Eurovision.

La toute première fois qu’un tel événement soit survenu remonte à 1964. En cette édition en noir et blanc organisée par la télévision publique danoise, la participation de deux pays fait réagir les médias du pays hôte: celles de l’Espagne et du Portugal. A cette époque, ces deux Etats étaient encore des dictatures politique dirigées, respectivement, par Franco et Salazar. Au terme des deux minutes quarante de I miei pensieri interprétée par Anita Traversi, un homme surgit sur scène avec une bannière annonçant « Boycott Franco & Salazar ». Ceci fut encore plus remarqué puisque la caméra se porta soudainement et fixement sur le tableau de vote pendant l’évacuation de l’intrus par la sécurité. Malheureusement, aucun enregistrement vidéo n’a été conservé pour cette édition, je suis dans l’impossibilité de vous montrer la scène.

En revanche, ce sera le cas pour la prochaine irruption. Cette fois, il s’agit d’un événement bien plus récent puisqu’il survint au tout début de la décennie que nous venons de quitter, ceci pour des raisons totalement différentes. Voici le cadre: Oslo accueille l’Europe en 2010 suite à la victoire norvégienne de 2009 (Abécédaire de l’Eurovision #F) sur une scène sans LEDs. Ceci encourage certaines délégations à rivaliser d’imagination et à porter l’accent sur la mise en scène. L’une d’entre elles est la prestation espagnole et ses allures d’un cirque joyeux et rose. Le représentant espagnol Daniel Diges se voit attribuer en finale un ordre de passage considéré comme maudit à l’Eurovision: la deuxième position. Malgré tout, tout semble bien se passer jusqu’au moment où un homme monte sur scène après une minute vingt de prestation et se place au milieu de la mise en scène, entre Daniel Diges et ses danseurs. Il y restera une bonne vingtaine de secondes devant un Daniel Diges imperturbable avant que la sécurité ne prenne les choses en main. Qui est cet homme? Il s’agit d’un catalan qui se fait appeler Jimmy Jump. Il ne poursuit d’autres buts que le fait de vouloir se faire remarquer ou encore de vouloir glorifier le FC Barcelone. Il est d’ailleurs connu pour ce genre d’acte tel que son intrusion à la finale de l’euro 2004 entre le Portugal et la Grèce ou encore à la finale de Roland-Garros en 2009 où il a tenté de coiffer Roger Federer de son béret rouge, toujours à la gloire du FC Barcelone. Suite à la demande de la télévision espagnole, Daniel Diges obtient l’autorisation de repasser à la fin de la finale – cas qui n’était arrivé auparavant qu’une seule fois en 1958 – et finira finalement quinzième.

La dernière irruption dont je vais vous parler est très récente et encore fraîche dans la mémoire de nombreux eurofans. La victime ? La représentante britannique SuRie, passant en neuvième position avec Storm. Cette fois, l’homme qui fit irruption sur scène avait un message à passer : il s’empara du micro des mains de SuRie et cria « Modern Nazis of The UK media, we demand freedom ! War is not peace! ». Il semblerait qu’il aie tenté de protester contre la présence du Royaume-Uni malgré le Brexit à travers ces propos. C’est alors que nous assistons à une transformation de la fantastique femme qu’est SuRie. Lorsqu’elle reprend le micro, elle démontre une énergie incroyable, tenant à faire passer un message avec les paroles de sa chanson qui prennent une toute autre tournure (« Don’t give up! »). La foule, elle, démontre un véritable soutien à la chanteuse britannique, faisant de ce moment un de ceux qui font chaud au cœur. Au terme de la chanson, la BBC demanda un repassage et, comme la RTVE en 2010, obtint gain de cause. Cependant, SuRie ne souhaita pas repasser, satisfaite de sa prestation. Malheureusement, toute cette énergie ne suffira pas à sauver Storm qui finira vingt-quatrième ce soir-là. Mon avis est purement personnel mais je considère qu’il s’agit d’une femme absolument courageuse, en plus d’être une belle personne, qui mérite bien que nous réécoutions sa prestation en finale.

Malheureusement, cette page de l’abécédaire est terminée. Je tenais à vous remercier de votre fidélité. Avant de nous quitter, je dois vous annoncer une chose : nous approchons de la rentrée et, dans le cadre de la reprise de mes études, j’ai décidé de baisser le rythme de parution. L’abécédaire de l’Eurovision est désormais hebdomadaire et sortira tous les mercredis. Je vous donne donc rendez-vous à la semaine prochaine pour la suite avec la lettre J !