udoÀ la veille de Noël, il s’en est allé rejoindre François Cavanna, Ariel Sharon, François Deguelt, Philip Seymour Hoffman, Alice Babs, Shirley Temple, Maximilian Schell, Kate O’Mara, L’Wren Scott, Jean Vallée, Gérard Mortier, Alain Resnais, Bob Hoskins, Micheline Dax, Gabriel García Márquez, Peaches Geldof, Mickey Rooney, Régine Deforges, Karlheinz Böhm, le général Jaruzelski, Jean-Luc Dehaene, Tatiana Samoïlova, Nadine Gordimer, Edouard Chevardnadze, Peret, Richard Attenborough, Philippine de Rothschild, Pierre Vassiliu, Ménie Grégoire, Lauren Bacall, Robin Williams, Deborah Mitford, duchesse de Devonshire, le grand-duc Nicolas Romanovitch, Ian Paisley, Richard Kiel, Joan Rivers, Alvin Stardust, John Spencer-Churchill, duc de Malborough, Christophe de Margerie, Oscar de la Renta, Jean-Claude Duvalier, P.D. James, Cayetana Fitz-James Stuart, duchesse d’Albe, Jacques Chancel, Joe Cocker, Virna Lisi et la reine Fabiola. Udo Jürgens, le premier vainqueur autrichien de notre Concours favori, est décédé, le 21 décembre dernier, à l’âge de quatre-vingt ans, d’un arrêt cardiaque, lors d’une promenade à Gottlieben, en Suisse. Il nous a été trop tôt ravi, trop tôt que pour voir l’Eurovision revenir à Vienne, la capitale de sa mère patrie, là où, il y a quarante-huit ans de cela, il avait ouvert la meilleure soirée de l’année. Rendons-lui hommage.

Naissance et enfance

Udo Jürgens naît près de Klagenfurt, en Autriche, le 30 septembre 1934, presqu’au même moment que Sofia Loren, Brigitte Bardot et Nana Mouskouri. Marie Curie, le maréchal Lyautey et le général von Hindenburg venaient de décéder ; le chancelier Dollfuss, d’être assassiné ; le Morro Castle, de partir en fumée et Hitler, d’être proclamé Führer. Celui qui s’appelle alors Udo Jürgen Bockelmann, passe son enfance dans la propriété familiale d’Ottmanach, village de la municipalité de Magdalensberg, en Carinthie, dans le sud de l’Autriche. Son grand-père paternel est banquier, son oncle maternel est le peintre Hans Arp.

Dès son plus jeune âge, ses parents l’initient à la musique : Udo débute ses gammes à cinq ans, à l’harmonica et à l’accordéon. À l’âge de dix ans, il est enrôlé de force dans les Jeunesses Hitlériennes, mais en est bientôt chassé à cause de son physique trop frêle. C’est pour lui une expérience traumatisante : il est frappé à de très nombreuses reprises par le responsable local, au point d’en perdre partiellement l’ouïe de l’oreille gauche. À douze ans, il entre au Conservatoire de Klagenfurt, puis poursuit son parcours scolaire au Mozarteum de Salzbourg.

Débuts

Sa carrière artistique débute en 1950, alors qu’il a à peine seize ans : il remporte le premier prix d’une compétition organisée par le diffuseur public autrichien, l’ÖRF, avec sa chanson Je T’Aime. Il se lance alors comme pianiste sous le pseudonyme d’Udo Bolan. Il crée dans la foulée l’Udo Bolan Quartet, basé à Klagenfurt. L’ensemble joue dans différents bars et clubs de jazz de la ville, ainsi que sur les ondes de Radio Alpenland. Udo se décide alors pour un nouveau pseudonyme. Combinant ses deux prénoms, il devient Udo Jürgens.

Son premier succès, bien que modeste, vint en 1959 avec la chanson Jenny. Il écrit parallèlement pour d’autres interprètes. En 1961, il décroche son premier tube international avec Reach for the Stars, chanté par Shirley Bassey. En 1963, il représente l’Allemagne au Festival de Chanson de Knokke.


Concours Eurovision de la Chanson

En 1964, à l’âge de trente ans, Udo est choisi par l’ÖRF pour la représenter au neuvième Concours Eurovision de la Chanson, organisé à Copenhague. Il y chante Warum nur, warum ? (Pourquoi donc, pourquoi ?), chanson écrite et composée par lui. Il devient le premier artiste de l’histoire du Concours à s’accompagner au piano durant sa prestation, idée qui deviendra sa mise en scène fétiche. Il termine à la sixième place, derrière Gigliola Cinquetti, Matt Monro et Hugues Auffray. Il revient l’année suivante, à Naples, avec Sag ihr, Ich lass’ sie grüßen (Dis-lui que je lui envoie mon amour). Il termine cette fois à la quatrième place, derrière France Gall et Guy Mardell.


La consécration vient enfin en 1966. À Luxembourg, le samedi 5 mars, sur le coup de 21h30, il chante Merci, Chérie. Les jurys tombent sous le charme et Udo décroche la victoire. Il reçoit la médaille des mains de France Gall et débute sa reprise par le mythique « Merci, jurys ! » C’est la première victoire de l’Autriche et la première fois qu’une chanson en allemand remporte l’Eurovision.


Udo reparaît l’année suivante, sur la scène du Concours, lors de l’ouverture de la douzième édition, à Vienne. Il dirige l’orchestre pour la reprise de Merci, Chérie, puis revient à la fin de la retransmission, pour offrir sa médaille à la gagnante anglaise, Sandie Shaw. Sa dernière participation à l’Eurovision a lieu en 1968. Il écrit et compose la chanson représentant l’Autriche, Tausend fenster (Mille fenêtres), interprétée par le chanteur tchèque Karel Gott. Celui-ci termine à une décevante treizième place, loin derrière Massiel et Cliff Richard, concluant ainsi ce chapitre de la carrière d’Udo.


Sur ces entrefaites, ses chansons ont été reprises en anglais et sont devenues des succès internationaux. Ainsi, Warum nur, warum ? est repris par Matt Monro, sous le titre Walk Away, qui atteindra la quatrième position dans les classements anglais. Merci, Chérie connaîtra le même destin et le même succès. Udo l’adapte en français, en espagnol, en italien et en japonais, en vendant plus d’un million de copies. En 1965, il écrit If I Never Sing Another Song pour Frank Sinatra. Celui-ci ayant décidé d’une pause dans sa carrière, la chanson sera finalement interprétée par Sammy Davis Jr. Sur le plan privé, Udo connaît d’autres bonheurs : en 1964, il épouse le mannequin autrichien Erika Meier. Le couple aura deux enfants : John, né en 1964, et Jenny, née en 1967.



Consécration

Le temps de la gloire et de la reconnaissance est bien venu pour Udo. Sa victoire au Concours lui a offert l’opportunité de se faire connaître partout en Europe et dans le monde. Il enchaîne désormais les tournées internationales et les succès commerciaux. Le point d’orgue est sa tournée Udo 70, qui débute en 1969 et se termine en 1970 et qui bat tous les records. Udo donne deux cents vingt-deux représentations, devant plus d’un demi million de personnes, traversant l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse et la Tchécoslovaquie.

Ses chansons les plus marquantes sont Griechischer Wien, Aber bitte mit Sahne ou encore Mit 66 Jahren. La première sera adaptée par Bing Crosby en Come Share the Wine. Son thème demeure atypique : Udo y exprime sa gratitude envers les immigrés grecs venus travailler en Allemagne. À elle seule cette chanson résume l’univers musical du chanteur. Il compose des morceaux de schlager, ce genre de musique populaire typiquement allemand, et y ajoute des paroles engagées. Les thèmes qu’il aborde sont généralement sociétaux ou politiques, mais aussi environnementaux. Le succès de Griechischer Wien vaudra à Udo d’être reçu en grandes pompes à Athènes par le Premier Ministre Konstantinos Karamanlis.




Parallèment, Udo poursuit ses tournées et se rend jusqu’au Japon et en Australie. En 1977, il s’installe à Zurich, en Suisse, sur la place Bellevue. C’est là qu’il crée et établit sa propre compagnie de production, chargée de l’enregistrement et de la promotion de ses compositions.

En 1978, il sort la chanson qui deviendra le plus grand succès de sa carrière : Buenos días, Argentina. Ce morceau est publié à l’occasion de la Coupe du Monde de football, organisée cette année-là en Argentine. Udo l’interprète en compagnie de l’équipe allemande de football, qui sera éliminée au second tour. La version anglaise, interprétée par Marty Robbins, lui vaut un Country Music Award. Dans la foulée, Udo sort un album disco, emmené par le succès Ich weiß was ich will.



Poursuite

Au fil des années 80, son succès dans les classements officiels diminue. Son public lui demeure néanmoins très fidèle et ses tournées, qu’il poursuivra sans cesse, jusqu’à sa mort, seront chacune de très grands succès.

En 1989, Udo divorce d’Erika Meier et en 1999, se remarie avec Corinna Reinhold dont il aura deux autres enfants, deux filles. Le couple se séparera en 2005.

En 2004, il publie son autobiographie, Der Man mit dem Fagott. Elle sera adaptée pour la télévision en 2011. En 2007, Udo prend la nationalité suisse. La même année, est montée à l’Operettenhaus d’Hambourg, une comédie musicale basée sur ses chansons, Ich war noch niemals in New York. Le spectacle rencontre lui aussi le succès et conquiert ensuite Vienne, Stuttgart, Tokyo, Zürich et Berlin.

En 2014, Udo est récompensé pour l’ensemble de son œuvre, par un Deutscher Musikautorenpreis. En décembre, il entame une nouvelle tournée de concerts. Il fait sa dernière apparition publique, les 11 et 12 décembre, au Vélodrome de Berlin, durant le Helene Fischer Show. Il décède neuf jours plus tard. À sa demande, son corps est incinéré. La télévision allemande diffusera les dernières images du chanteur, le jour de Noël. Au final, Udo aura été l’artiste germanophone le plus populaire et le plus vendu de tous les temps. Il aura publié cinquante albums et un millier de chansons, en vendant au passage plus de cent millions d’exemplaires.


Bonus

À l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, la chaîne franco-allemande Arte avait consacré un passionnant documentaire à Udo. Elle y retraçait sa vie, sa carrière et sa personnalité. Le chanteur et sa famille y prenaient la parole, dévoilant l’homme, l’artiste, le producteur dans son entièreté. J’eus la chance de l’enregistrer et d’approfondir ainsi mes connaissances eurovisionesques. Hélas, ce documentaire n’est plus disponible sur le site de la chaîne. Vous le trouverez bien sûr YouTube, mais uniquement en version originale allemande, non sous-titrée. Néanmoins, si certains parmi vous sont polyglottes, qu’ils en profitent.