C’est une simple mention dans le budget 2025 du gouvernement canadien qui a mis la puce à l’oreille de la planète Eurovision : et si l’UER invitait le Canada à prendre part à la compétition en mai prochain ?

Dans la section intitulée « Protéger notre télédiffuseur national : CBC/Radio-Canada », le nouveau gouvernement libéral issu des élections fédérales du 28 avril dernier souhaite garantir à CBC/Radio-Canada les ressources nécessaires à sa modernisation, à l’assurance d’un meilleur service pour les canadiens et à la poursuite d’une programmation vitale en français et en anglais. Pour cela, le gouvernement de Mark Carney propose d’allouer 150 millions de dollars canadiens à son télédiffuseur public afin que celui-ci reflète au mieux les besoins du public canadien, mais aussi qu’il renforce son indépendance. Quel rapport avec l’Eurovision jusque-là ? Aucun, nous répondrez-vous à raison. C’était sans compter sur la mention suivante : « Le gouvernement (…) est en train de travailler avec CBC/Radio-Canada afin d’explorer une participation à l’Eurovision. »

À l’approche des 70 ans du concours, il n’en fallait pas davantage pour enflammer l’euromonde, à l’heure où l’enthousiasme provoqué par le retour annoncé de plusieurs pays se mêle aux tensions et aux incertitudes liées à la question de la participation d’Israël en 2026. D’autant que le Canada n’avait jusqu’ici officialisé aucune velléité de participation à la compétition. Seul projet en lien avec le concours évoqué ces dernières années, le programme Eurovision Canada (censé reproduire le format Eurovision à l’échelle nationale) est finalement tombé à l’eau malgré un processus bien engagé et un lancement initialement prévu en 2023. Le bide de l’America Song Contest n’a sans doute pas été étranger à la suspension des spin-off de l’Eurovision envisagés ci et là…

Alors, comment l’Eurovision a t-elle traversé l’Atlantique pour atterrir à Ottawa ? La réponse est encore floue. Interrogé à ce sujet mercredi sur la chaîne Global News, le ministre des finances François-Philippe Champagne a affirmé qu’une participation du Canada au concours avait été demandée par « les gens qui participent », sans préciser de source exacte. Le projet semble particulièrement enthousiasmer le ministre, puisque la compétition représente à ses yeux « une plateforme permettant au Canada de briller » et que son pays a, selon lui, « beaucoup à offrir ». Si un porte-parole du Ministère des Finances a affirmé que des détails seraient prochainement apportés par rapport à la réflexion en cours autour d’une éventuelle participation, le télédiffuseur assure, quant à lui, n’avoir rien à déclarer pour l’instant… Interrogé par nos confrères de The Euro Trip Podcast, le directeur du concours, Martin Green, a avoué l’existence de discussions avec la CBC/Radio Canada, qui restent pour le moment à un stade préliminaire. Quelqu’en soit l’issue, une chose est certaine : simple membre affilié de l’UER (à l’instar du télédiffuseur australien SBS et des étasuniens ABC, CBS et NBC), le télédiffuseur canadien devra se voir offrir une invitation par l’organisme européen de radio-télévision s’il souhaite participer à l’Eurovision en 2026.

Cette perspective surprenante a toutefois de quoi interroger pour un pays situé en Amérique du Nord, à des milliers de kilomètres d’un continent européen qui a vu naître le concours de l’Eurovision et qui constitue sa raison d’être. Certains rétorqueront qu’il en est de même pour l’Australie, invitée pour la première fois à l’occasion de la 60ème édition de l’Eurovision 2015 avant d’y participer sans discontinuer depuis (sa présence fait l’objet d’une invitation renouvelée tous les cinq ans). Mais le pays des kangourous entretient des liens historiques avec le concours, qu’il diffuse chaque année depuis 1983 et qui enregistre de fortes audiences sur place. À l’inverse, l’Eurovision n’a absolument pas la même assise populaire au Canada, où le public n’est pas vraiment familier d’un programme qu’il ne connaît pas vraiment. Pour preuve, la dernière diffusion du concours sur place date de 2022, où les demi-finales et la finale étaient programmées sans commentaires sur les antennes du groupe Omni Television. S’il semble envisager aujourd’hui une participation, le télédiffuseur CBC/Radio-Canada n’a jamais diffusé l’Eurovision pour sa part. Partant de là, quel serait le sens d’une présence canadienne sur la ligne de départ de la compétition européenne ?

Le Canada entretient – malgré lui ? – quelques liens de proximité avec le concours par le biais de sa scène musicale. Natasha St-Pier (France 2001), La Zarra (France 2023), Sherisse Laurence (1986), Annie Cotton (Suisse 1993), Rykka (Suisse 2016), Katerine Duska (Grèce 2019)… On ne compte plus le nombre d’artistes canadiens à avoir concouru à l’Eurovision sous les couleurs d’un autre pays. Une certaine Céline Dion l’a même emporté pour la Suisse en 1988 avec Ne partez pas sans moi, lançant ainsi sa carrière internationale et faisant d’elle l’une des plus grandes stars de la planète. Tout comme de nombreux artistes québécois ont fait et font carrière en France, le concours peut représenter une opportunité pour les artistes canadiens de se faire connaître auprès du public européen (avec plus ou moins de succès). Au-delà de l’Eurovision, l’histoire du Canada est intrinsèquement liée à celle du Vieux Continent, puisque les européens ont été à l’origine des premières explorations du territoire au Moyen-âge et de l’installation de colonies (notamment françaises) à l’époque moderne. Indépendant depuis 1867, le pays est aujourd’hui toujours membre du Commonwealth (le roi du Royaume-Uni, Charles III, est le chef de l’État canadien) tandis qu’avec 20,7% de la population ayant pour langue maternelle le français (dont 85% vivent au Québec), le Canada est l’un des principaux pays francophones dans le monde. Surtout, depuis l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis et le refroidissement des relations avec son voisin, le Canada tourne de plus en plus le regard vers l’Union européenne, en laquelle il semble chercher un contrepoids et avec laquelle la coopération de sécurité et de défense a été récemment renforcée.

Des arguments suffisants pour faire de la participation du pays à l’Eurovision une évidence ? Une éventuelle présence canadienne en 2026 susciterait assurément le débat sur l’identité européenne du concours même si, à l’instar de la première participation australienne lors de la 60ème édition, elle serait un événement en phase avec la célébration des 70 ans de l’Eurovision. S’il était invité à participer, le Canada serait seulement le deuxième pays de l’histoire de la compétition à y prendre part sans faire partie de la zone européenne de radiodiffusion (1), après l’Australie depuis 2015. Mais le pays de l’érable n’est pas le seul intéressé à franchir le pas, puisque le Kazakhstan (également membre associé de l’UER) semble lui aussi très motivé à participer à l’Eurovision, après cinq participations au Junior entre 2018 et 2022. Alors que le concours invite à l’union par la musique et à l’ouverture sur le monde, espérons toutefois que les discussions autour d’une éventuelle participation canadienne ne sont pas le fruit d’une lecture cynique des tensions en cours au sein de l’UER, à l’heure où plusieurs pays pourraient se retirer en fonction de la décision prise quant à la participation d’Israël en décembre prochain.

Verra t-on donc le Canada sur la ligne de départ de l’Eurovision 2026 ? Le suspense est entier alors que, avec la mention du concours dans le budget fédéral canadien, un pavé dans la mare a été jeté. Une chose est certaine : si le pays de Céline venait à être de la partie viennoise, sa présence susciterait un buzz indéniable… et pourrait offrir un joli matelas de points à la France au moment du vote !

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  1. En dehors du continent européen, plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient (dont Israël) font partie de la zone européenne de radiodiffusion, telle que définie par l’Union internationale des télécommunications. ↩︎